Affichage des articles dont le libellé est Monde du travail. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Monde du travail. Afficher tous les articles

dimanche 5 mai 2024

PENSER POUR RÉSISTER !



Le conflit entre Israël et le Hamas déborde des frontières du Moyen-Orient, à l’évidence. On voit ces jours-ci s’organiser des manifestations au sein des universités de nombreux pays, États-Unis en tête. Là-bas, ces mouvements sociaux de jeunesse s’inscrivent dans le contexte de l’élection présidentielle à venir. En France, des manifestations concernent d’autres universités et « grandes écoles », dont Sciences Po, dont il est souvent question dans la presse.


Dans ces deux cas français, alors que les blocages sont en fait minimes, nous assistons à un double phénomène : tout d’abord une médiatisation à outrance, et, sans doute liée à ce qui précède, une répression de ces mouvements, parfois violente. Pour comprendre ce qui se joue, parallèlement au conflit moyen oriental, il faut revenir sur la situation des universités et du monde de la recherche en France, pris depuis le milieu des années 2000, dans le tumulte de la vague néolibérale qui balaye le pays. Au travers de ce prisme, la recherche comme l’enseignement universitaire sont vus comme des centres de dépenses, et des dispositifs dont la gestion bénéficiait jusqu’alors d’une certaine forme d’autonomie décisionnelle qu’il convient de « mettre au pas », tout en s’en appropriant une partie du prestige... Je reprends ici de large extraits de la dernière publication du collectif « Rogue » de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) qui aborde ce sujet :

« Dans la tempête qui sévit, l’ascèse du travail savant devient un refuge salvateur, un jardin paradisiaque à partir duquel reprendre prise. Mais est-ce seulement encore possible ? Cela suppose de disposer des moyens matériels, du temps, et d’un écosystème professionnel un tant soit peu propice. Or, plus de quatre universitaires sur cinq avouent désormais souffrir d’un « fort épuisement professionnel ». Voilà dans quels termes se pose désormais le problème : en fait d’Armée des ombres, l’Université se compose de « cramés ». On en sait la raison. À la paupérisation, aux précarisations subjective et matérielle, à la bureaucratisation et son cortège d’absurdité et de foutaise s’ajoutent désormais des attaques quotidiennes contre l’autonomie scientifique et la liberté académique. On s’interroge dans ces conditions sur le choix de M. Macron de réquisitionner la Sorbonne pour y donner un meeting de campagne aux frais du contribuable, en piétinant par ailleurs méthodiquement les valeurs fondatrices de l’Université. À certains égards, ce choix est symbolique du rapport, instrumental et insincère, que les gouvernements entretiennent au savoir depuis au moins vingt ans. L’Université ne leur sied que comme un village Potemkine devant lequel poser de temps à autres pour donner une légitimité à des visées politiciennes étrangères à toute forme d’esprit critique. Redisons-le ici, à l’adresse des uns et des autres : les universités ne sont ni les décors d’opérations de communication, ni des lieux d’intrusion des forces de police ou des politiciens ».

Cette reprise en main se traduit par la mise en place de structures hiérarchiques qui s’affranchissent de la règle de la gestion non pas collective, mais collaborative. On voit ainsi fleurir de nouveaux modèles universitaires où l’université et les instituts de recherches (CEA, CNRS, INRAE, etc.) ne sont plus des partenaires décisionnaires mais des sous-traitants de décideurs extérieurs, souvent du secteur politique local ou régional. Je cite ici les propos du collectif : « la dévitalisation politique et bureaucratique de l’Université n’épargne plus celles et ceux sur qui le bloc réformateur s’est longtemps appuyé. Même certains des « acteurs » et autres « gagnants » de la concentration des moyens sur fond de baisse générale sont peu à peu touchés par le doute, par le burn-out et par la perte de sens. L’exécutif est donc de plus en plus contraint de jeter le masque de la « co-construction » et de faire ouvertement ce qu’il n’imposait jusque-là que derrière des comités théodules. Ainsi, pour accompagner la généralisation du modèle de l’IHU de Marseille dont l’expérimentation par le Pr. Raoult semble donner toute satisfaction à l’exécutif, la communication ministérielle a choisi de désigner directement les nouveaux mandarin-bureaucrates cooptés en haut lieu, en recourant pour ce faire à une sympathique métaphore ferroviaire : l’« élevage de talents » sent trop son maquignon eugéniste et n’est plus de mise ; la rhétorique de l’« excellence » s’est épuisée et ne fait même plus rire les jeunes gens; nous en sommes désormais aux « locomotives de la recherche », manière de dire qu’il ne s’agit plus que d’être sur les rails décidés par la bureaucratie ».

Dans un monde parfait, l’Université, communauté de savoirs et d’acteurs de la recherche, doit être « animée par son mouvement propre de questionnement endogène, qui crée le savoir comme un commun de la connaissance que nul intérêt particulier ou privé ne peut s’approprier. Elle suppose l’interrogation illimitée, qui ne s’arrête devant rien, qui ne se propose a priori aucune fin pratique et monnayable et qui se remet elle-même constamment en cause. Pour cette raison, l’Université a partie liée avec la démocratie ». Or, je crains que cette liberté d’interroger le monde, quel qu’en soit l’angle (biologique, physique, mathématique, social, historique, anthropologique, etc.) soit précisément ce qui cause problème. Nous sommes en effet dans un moment où ne pouvons que constater une dérive autoritaire du pouvoir, que ce soit dans la rue, lors des manifestations de masse contre des pseudos réformes à coloration antisociale, ou même à l’Assemblée Nationale, où le 49-3 semble avoir remplacé toute velléité de débat. C’est à mon sens ce débat dont le pouvoir actuel a peur. Or, c’est pourtant à partir de ce débat, cette « disputatio » en termes de scholastique médiévale, qu’émerge les consensus, scientifique à l’université, et démocratique dans la société, la démocratie étant en effet structurée autour de la gestion des dissensus.

Comment alors résister à ces dérives ? « Devant le spectacle de l’effondrement moral de larges segments de la société, le besoin de se préserver, de se tenir loin du cloaque ambiant, fait de coups de menton, d’abaissement de la pensée critique, de bêtise triomphante, et d’atteintes aux libertés peut se faire impérieux. Face à une pareille décomposition où les signes de fascisation se multiplient, se pose une nouvelle fois la question lancinante des modalités de résistance. La décence commande de prendre soin de soi, de ses proches, se préserver du désespoir, cultiver une raison joyeuse et sensible et se consacrer à l’étude ». Au delà de ce constat, et comme l'écrivait le sociologue et philosophe allemand Max Horkheimer : « Penser est en soi déjà un signe de résistance, un effort de ne plus se laisser abuser. Penser ne s’oppose pas strictement à l’ordre et à l’obéissance, mais la pensée les met en rapport avec la réalisation de la liberté ». Cette citation qui remonte à une des périodes les plus troubles de l’histoire du XXe siècle, conserve aujourd’hui tout son sens. 


Crédit illustration :

Dessin personnel, d'après :
https://www.franc-tireur.fr/antisemitisme-peur-sur-la-fac

dimanche 10 mars 2024

PRENEZ LES TRANSPORTS EN COMMUN !

Le titre de ce billet reprend une injonction que nous entendons tous à la radio, en particulier lors des publicités pour des véhicules, qu’ils soient électriques ou thermiques. J’ai eu l’occasion de me rendre en trois occasions à Paris dernièrement, et soucieux de l’effort à faire je m’y suis rendu par les transports en commun, deux fois, et une fois par la route car je devais déposer un équipement lourd et volumineux (une vingtaine de kilos environ) dans un atelier en vue de sa révision. Dans tous ces cas ce qui aurait dû n’être qu’un déplacement tout à fait banal s’est révélé être une vraie galère.

Pour le déplacement en voiture, j’ai visé un jour et un horaire de faible circulation et j’ai donc entamé ma traversée de Paris en longeant la Seine à partir du quai du point-du-jour à Boulogne-Billancourt. Tout s’est bien passé jusqu’à l’entrée dans Paris ou la voie sur berge qui comportait habituellement deux files s’est retrouvé réduite à une file, la seconde ayant été transformée en piste cyclable. Bien que l’intention puisse apparaître louable, elle a pour conséquence de générer des embouteillages très importants de l’entrée de Paris à la sortie vers la Concorde. Cela est d’autant plus frustrant que la piste cyclable n’est absolument pas utilisée. Sur toute la longueur évoquée ci-dessus, je n’ai croisé en tout et pour tout que 3 cyclistes… Arrivé à la Concorde, nouvelle surprise : la moitié de la place et maintenant inaccessible aux engins motorisés. Si cela ne pose pas de problème en termes de surface, le marquage des voies de circulation est cauchemardesque. Il est très difficile de s’y retrouver et plusieurs véhicules roulant en sens inverse se sont trouvés en face à face… Ensuite, sur les grands boulevards, la circulation est également très difficile en raison de l’alternance et du croisement des voies pour bus, des pistes cyclables et des files réservées aux véhicules. J’ai néanmoins fini par atteindre ma destination, ou presque, puisque l’atelier de réparation se trouve dans une zone interdite aux véhicules ! Un vrai délire ! J’ai donc dû demander à des éboueurs comment me rendre dans la zone et ils m'ont indiqué un agent communal que je n’avais pu identifier et qui était chargé de procéder à l’ouverture d’une barrière de sécurité permettant l’accès à la zone. J’aurai ainsi mis plus de 2 heures pour effectuer le trajet entre mon domicile forgeois et l’atelier situé dans le 10e arrondissement parisien. Que les lecteurs ne se méprennent pas sur mon positionnement. Je pense qu’il est intéressant de favoriser le développement de mobilités alternatives dans les grandes villes, en particulier le vélo, ainsi que d’y développer des voies réservées aux véhicules de transport en commun. Il reste a minima, à OR.GA.NI.SER la coexistence de ces différents modes de déplacement. Or, à Paris, semble régner à la fois une sorte d’anarchie circulatoire, et une absence de réflexion sur la nécessité de maintenir un minimum d’espace pour les voitures, en particulier pour les véhicules des artisans ou les véhicules de livraison. Une de mes relations dans l’artisanat me dit d’ailleurs qu’il refuse maintenant les contrats à Paris intramuros en raison de l’impossibilité d’accéder aux rues et stationnements avec sa camionnette, et la multiplication des PV pour stationnement illégal. La leçon que je tire de mon expérience récente est que dorénavant, si j’ai de nouveau besoin de l’intervention d’un service après-vente, je choisirais sans hésiter un SAV situé en province plutôt qu’à Paris, quitte à me rendre à Chartres ou Orléans par exemple. En termes de bilan carbone, ce n’est pas vraiment top mais j'en profiterai pour jouer au touriste !

Dans les deux cas où j’ai pris les transports en commun, je n’avais rien de lourd à transporter. Premier trajet au départ de la gare autoroutière de Briis, une belle réalisation locale ceci dit ! Premier problème, beaucoup de monde pour attendre le bus, et deuxième problème, des bus supprimés. Selon mes voisins d’attente, ceci est fréquent sur la ligne 91-03. J’arrive à Massy après 25 minutes, et je saute dans le RER B. Nouveau problème : il fait autour de 2 degré dehors et… autant dans le train où le chauffage ne fonctionne pas. Les vitres dégoulinent de la vapeur d’eau condensée que nous émettons en respirant. Tant bien que mal, j’arrive à Denfert, où l’on m’indique un problème sur la ligne du métro, à l’arrêt. Obligé de modifier son itinéraire au dernier moment, avec une rallonge du temps de parcours notable ! Le retour vers Forges s’est en revanche bien passé.

Deuxième trajet, vers Paris, un autre jour. Echaudé par les problèmes sur la ligne 91-03, je décide d’aller en voiture prendre le RER B. Premier constat, il est impossible de se garer pas trop loin d’une gare RER entre Gif et Massy, sans devoir payer un stationnement. Dans certaines communes, le stationnement est resté gratuit, mais des zones bleues ont fleuri, avec des durée de stationnement restreintes à 2 heures, ou une demi-journée. C’est génial pour ceux qui travaillent dans la capitale, non ? Comment veut-on inciter les Franciliens à utiliser les transports en commun si les parkings de rabattements sont, soit inaccessibles, soit payants ? Car même si des abonnement sont disponibles en certains endroits, le budget stationnement s’ajoute au budget transport en commun, les sommes cumulées pouvant alors atteindre 200 euros par mois ! Au moins la CCPL a, elle, perçu ce problème et maintient-elle l’accès au parc de Briis gratuit. Je stationne finalement à Massy car il y passe plus de RER B que plus loin sur la ligne. Pas de problème ensuite de Massy à Paris. En revanche, de nouveau une grosse galère au retour. D’où j’étais dans Paris, c’est-à-dire aux Invalides, il était plus facile pour moi de prendre le RER C jusqu’à Massy, ce qui me permettait également de voyager assis. Arrivée à la station, je constate qu’aucun train ne va à Massy. Je me renseigne au guichet (ouvert, miracle !) et l’agent, fort gentil, me dit que non, ce jour plus de train pour Massy (un samedi soir vers 18h00 !), sans qu’il sache pourquoi. Ceci est indiqué nulle part, aucune information n'est donnée dans les hauts parleurs. Seuls les panneaux des trains aux départs révèlent l’absence de ces trains. Il me suggère donc de faire donc faire un changement à Saint-Michel et reprendre le B. En attendant, je repère le quai des trains du RER C vers Austerlitz et Juvisy / Etampes, et voyant un train à l’arrêt je vérifie que je peux y monter. Surprise, ce train ne va pas dans cette direction, mais il repart vers Boulainvilliers et Gennevilliers. Assez abasourdi, je vérifie une deuxième et une troisième fois. Oui, nous sommes bien sur le quai des trains qui se rendent à Austerlitz et le train à l’arrêt va bien à l’opposé. Je vois d’ailleurs que d’autres voyageurs n’y comprennent rien… Ce jour-là, il y avait visiblement peu d’étrangers, mais d’ici à quelques mois ce sera – malheureusement – les JO à Paris. J’imagine la pagaille indescriptible que ce sera lorsque des centaines de voyageurs de nationalité différentes, et ne comprenons pas tous le Français devront faire place à de telles incohérences. J’en ai discuté avec ma sœur d’adoption qui est une des co-responsable d’un très gros syndicat à la RATP, et elle m’a bien indiqué que le manque de personnel, le manque d’entretien des matériels en trainant une disponibilité plus réduite des rames, et le contexte de la privatisation à venir n’arrangent rien. Pour elle, nous ne serons jamais prêts pour juillet, et si tout ce passe bien, cela tiendra du miracle… D’autant que l’aventure ne se termine pas là : le même agent sympa me dit aussi que mon billet n’est pas valable sur le RER C pour aller à Massy, c’est un billet pour le RER B. Il n’y a rien marqué sur le billet en ce sens, pourtant, juste que c’est un billet pour Massy… Il me dit que c’est un problème connu et que bien que je puisse être sanctionné, les amendes ne sont en général pas données. En incidente, est-ce à cela où l’on arrivera avec la privatisation ? Il faudra alors un billet par ligne de métro selon que l’on parcourt de Nation à Etoile par le nord ou le sud ? On nage en plein délire. Enfin « last but not least », le RER B que j’attrape à Saint-Michel était un semi-direct pour Massy, puis omnibus Massy Saint-Rémy. Arrivé à Massy, le conducteur dit qu’il doit changer de mission, et qu’il sera direct Orsay puis omnibus Orsay Saint-Rémy. Il me semble que la plupart des gens ont bien entendu cet appel et sont descendus en grommelant. Il faut cependant savoir que cette pratique est interdite à la SNCF où l’on ne peut changer les arrêts d’un train en cours de mission. Sur le RER B, géré par la SNCF et la RATP, c’est pourtant possible ! Je ne peux ici que répéter ce que j’écrivais plus haut. Avec de tels problèmes, je ne sais pas comment vont se dérouler les prochaines olympiades parisiennes. En attendant, comme le dit la pub, « à nous de vous faire préférer le train » et à vous de « privilégiez les transports en commun »…



Crédit illustration 

https://leblogduscooter.fr/actualites-4-personnes-au-m2-metro-parisien






lundi 29 janvier 2024

DEUX POIDS, DEUX MESURES...



 

Ce billet pour m’étonner du traitement réservé en ce moment aux manifestations du monde agricole par le gouvernement…

En propos liminaire, un mot pour dire que je suis, comme beaucoup de Français, plutôt en accord avec un grande partie des revendications du monde agricole, et qu’en tous cas, je comprends parfaitement la colère paysanne. On ne peut décemment travailler 60 heures par semaine, souvent 6 ou 7 jours sur 7, pour des clopinettes… Je pense cependant que les agriculteurs sont en grande partie victimes du modèle économique européen et pour une fois, je suis également d’accord avec nombre de politiques de LFI, du PS, d’EELV et même de Mme Le Pen quand tous dénoncent les accords de libre-échange délétères que signe l’UE et qui ne bénéficient, in fine, qu’à un très petit nombre d’entités économiques. Comment en effet justifier que l’on puisse importer des produits agricoles de Nouvelle-Zélande, du Chili ou d’Argentine, alors que nous pouvons les produire ici avec un coût environnemental bien meilleur ? Ce, d'autant que nos normes sont en général plus contraignantes que les normes étrangères, et puisque les coûts financiers et environnementaux du transport en provenance du Périgord ou de la vallée du Rhône sont bien inférieurs à celui de produits importés de « l’autre bout du monde »… Un mot en complément pour dire que le consommateur doit aussi apprendre à ne plus vouloir de fraises ou de haricots hors saison, et privilégier la production locale. Nous avons la chance d’habiter un territoire où cela est possible : profitons-en. Cela ne nous empêche pas d’acheter de temps en temps, de façon limitée, des produits exotiques car il n’est pas question non plus pour moi d’imposer une vision écologique qui ferait que l’on n’aurait pas droit de consommer de l’ananas ou des litchis, tant que cela est fait avec modération.

Il me semble aussi que les agriculteurs sont victimes du modèle d’agriculture intensive qu’on leur propose – ou impose – depuis des années et qui a pour effet de les étrangler au profit des filières aval, et également, ne l’oublions pas, des banques. Ceci est néanmoins un autre sujet, bien que lié, et qu’il me semble que la colère agricole ciblant, chez certains, les contraintes environnementales, soit instrumentalisée. Pour ne parler que de ce que je connais pour y avoir travaillé avec des collègues de l’INRA, les autorisations d’usage des pesticides divers, leur règles d’application ou de non application, les doses, les durées entre dernier traitement et récolte, etc., toutes ces normes sont là à la fois pour protéger les utilisateurs, c’est-à-dire les agriculteurs, mais aussi les consommateurs et également l’environnement au sens large, c’est-à-dire, quelque part, le bien public. Comment, dès lors, accepter que des produits étrangers traités avec des pesticides interdits d’usage en France puissent se retrouver sur les étals des supermarchés ou des commerçants de nos marchés ?

Ceci dit, ce billet traduit principalement mon étonnement en regard des réactions gouvernementales vis-à-vis de cette colère paysanne. Si je fais le compte de ce qui se passe depuis quelques jours, on compte quand même des centaines de kilomètres d’autoroutes coupées, des incendies volontaires, dont celui d’un bureau des douanes à Nîmes, de bâtiments de la mutualité agricole en Vendée et à Narbonne, des déversements de paille et de lisiers devant plusieurs préfectures, dont Agen, ou un incendie volontaire a aussi été allumé, et devant le centre des finances publiques de Saintes, un « McDo » dégradé, des supermarchés attaqués, des parking de supermarché largement dégradés comme à Clermont L’Hérault, des cargaisons de camions vidés, y compris des cargaisons non agricoles, les locaux de l’office français de la biodiversité à Trèbes saccagés, etc. J’arrête ici la liste. Tout cela pour dire que si, encore une fois, je comprends la colère du monde agricole, je ne comprends pas le laisser-faire gouvernemental vis-à-vis d’une minorité d’agriculteurs, voire les encouragements ministériels à poursuivre… Je rappelle ici les propos de l’inénarrable ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, qui affirmait voilà peu « ne pas demander l’évacuation » d’autoroute au motif « qu’il n’y avait pas de dégradation ». Ce même ministre disait : « est-ce qu’ils s’en prennent aux policiers et aux gendarmes, est-ce qu’ils s’en prennent aux bâtiments publics, est-ce qu’ils mettent le feu aux bâtiments publics ? Ce n’est pas le cas », ce qui, on vient de le voir, est un gros mensonge, tout en ajoutant « les agriculteurs travaillent et, lorsqu’ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre » et « en tant que ministre de l’intérieur, à la demande du président et du premier ministre, je les laisse faire ».

Ce laisser-faire gouvernemental s’est même traduit plus tard par la phrase bien connue : « on ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS ». Or, en entendant cela, je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle le traitement réservé au monde agricole et celui réservé au monde salarié général, en particulier lors des dernières manifestations conte la contre-réforme des retraites ou de la révision des indemnités chômage. Dans l’ensemble, ces manifestations qui ont rassemblé, en plusieurs fois, plusieurs dizaines de millions de manifestants, se sont globalement déroulées dans le calme, ce qui n’a pas empêché les forces de l’ordre de recourir à des actions violentes contre des manifestants pacifiques. Nombre de mes connaissances moi-même avons eu à subir de jets de grenades lacrymogènes alors qu’il ne se passait strictement rien dans la manifestation. J’ai même vu une fois des forces de l’ordre tenter de scinder un cortège en deux, alors que, là aussi il ne se passait rien, et qu’aucun élément perturbateur n’était présent. J’ai donc le sentiment qu’il s’agissait là de provocations inutiles, destinées éventuellement à générer un incident susceptible de disqualifier les mouvements de protestation. Dans le même ordre d’idée, des interrogations subsistent dans ma tête sur la liberté laissée à certains éléments anarchisants de type « black-block » de semer la pagaille, très en marge des manifestations. Le rendu est que les journaux TV et radio du soir ne parlent évidemment que de ces débordements, oubliant assez soigneusement de présenter les faits majoritaires : des cortèges pacifiques, et surtout, des revendications claires et motivées. De façon plus dérangeante, les propos récents du ministre suggèrent que visiblement les salariés ne souffrent pas au travail, et que l’on peut donc leur envoyer des CRS pour toute réponse. Les dits salariés, comme les pompiers ou les professionnels de santé du secteur sinistré des hôpitaux, qui ont eu à subir cette forme de violence institutionnelle apprécieront. 

 

Crédit illustration :

Dessin de Placide
https://www.leplacide.com/caricature-Les-agriculteurs-ont-d%C3%A9fil%C3%A9-sur-les-champs-9747-28-politique.html
Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.




dimanche 14 janvier 2024

L’ANNÉE COMMENCE SUR LES CHAPEAUX DE ROUES !



En matière de politiques locale et nationale, ce début d’année ne cesse de m’étonner. Au plan local, la mairie est encore une énième fois dans l’illégalité la plus complète, avec de nouvelles demandes qui excèdent les prérogatives municipales. J’y reviendrai plus tard. Au plan national, le « remaniement » ministériel apporte également son lot de surprises, et pas seulement en regard de la nomination d’un tout jeune premier ministre.


Ce n'est d'ailleurs pas la personnalité du Premier ministre que je serais tenté de questionner mais plutôt ce que signifie sa nomination à ce poste, tant qu’elle me semble emblématique de la Macronie et de son idéologie. Tout d’abord, il convient de rappeler que ce jeune homme a commencé sa carrière politique au PS, comme proche de M. Dominique Strauss-Kahn. Comme beaucoup d’autres membres du PS, il a opportunément fait le choix de se rapprocher du parti présidentiel lorsque le vent a tourné. Il coche d’ailleurs nombre de cases validant l’entrée en Macronie, entre formation élitiste, goût immodéré pour la communication, et propos méprisants face aux revendications sociales. Je rappellerai ici ses critiques sur la soi-disant culture de la grève à la SNCF, où ceux liés aux « casserolades » en réponse à la contre-réforme des retraites, que je cite ici : « ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres de 14h à 18h en pleine semaine, à priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois » (1).

Il fait donc parti de ces « jeunes brillants » dont raffole notre Président, tout à fait dans l’idéologie de la « France qui gagne ». Comme l’indique M. Nicolas Framont, sociologue « Fils d’un avocat puis producteur de cinéma, [M. Gabriel Attal] grandit dans les beaux quartiers de Paris. Il fait sa scolarité à l’école Alsacienne, un établissement privé sélectif où la bourgeoisie envoie ses enfants pour qu’ils bénéficient d’un enseignement de pointe, comportant pédagogie alternative, nombreux voyages scolaires et ouverture internationale. Dans leur livre Fils et filles de… (2015), les journalistes Aurore Grotius et Anne-Noémie Dorion décrivent un établissement qui permet aux familles riches de réserver à leurs enfants un entre-soi complet et un enseignement respectueux de leurs personnalités, pour garantir les meilleurs résultats scolaires. On peut dire que l’école Alsacienne est la première étape de tout parcours «brillant», mais que pour y parvenir il faut simplement être né au bon endroit ».

Son goût pour la com, domaine où il excède, lui a valu d’assurer le rôle de porte-parole du gouvernement pendant des années. En dépit d’une élection comme député de la Xe circonscription des Hauts de Seine (LREM), notre premier ministre aura d’ailleurs connu nombre de cabinets ministériels. Sous les ors du pouvoirs, son parcours est d’ailleurs questionnable tant il semble avoir progressé sans bilan défendable. Rappelons qu’il est à l’origine de l’instauration de Parcoursup, dont on connait les défauts majeurs et dont il serait bon, un jour, de faire le bilan. Rappelons là aussi que face à la grogne estudiantine pourtant modérée face aux conséquences délétères possibles de cette nouveauté, M. Gabriel Attal avait parlé avec mépris d’attaques infondées, menées par des étudiants « bobos égoïstes » (2)… Un peu difficile à entendre quand on sait que nombre de ces étudiants ont des fions de mois très difficiles, travaillent, et pour certains, sautent des repas faute de moyens. Ce questionnement au sujet de son bilan vaut aussi pour son passage au Ministère de l’Éducation Nationale, où son action s’est davantage portée sur de grands discours autour de prises de position démagogiques et sur son soutien indéfectibles aux classes moyennes, que sur des actions concrètes (à part la mise en place de cours de « bienveillance »), ce qui m’avait conduit à rédiger un billet sur le bonneteau de la rentrée scolaire (3).

Au titre des interrogations, certains auteurs, dont M. Juan Branco, trouvent à sa carrière un léger parfum de népotisme. Selon l’encyclopédie Wikipédia (4) : « Il aurait été employé au cabinet de Marisol Touraine dès 2012 grâce, selon l'auteur, à sa proximité avec la fille de l'ancienne ministre. De même, son ascension au sein de la Macronie serait la conséquence de l'influence de son compagnon Stéphane Séjourné, un conseiller d'Emmanuel Macron ». M. Stéphane Séjourné, un des pontes de la Macronie, a en effet été pacsé pendant 5 ans avec M. Gabriel Attal. De façon remarquable, M. Stéphane Séjourné vient aussi du PS, courant Strauss-Kahn, et lui aussi a rejoint LREM très tôt, ce qui lui a permis une ascension politique extrêmement rapide. Je cite Wikipédia : « après qu'il s'est engagé dans la première campagne présidentielle d'Emmanuel Macron, ce dernier le nomme conseiller politique à ses côtés lorsqu'il est élu président de la République. En décembre 2018, il quitte l'Élysée pour devenir directeur de campagne et candidat de la liste LREM pour les élections européennes de 2019. Élu député européen, il préside le groupe Renew Europe à partir de 2021, après avoir présidé sa délégation française. Il est de nouveau conseiller d'Emmanuel Macron de fin 2020 à octobre 2021, après avoir continué d'exercer cette fonction officieusement. En septembre 2022, il est nommé secrétaire général de Renaissance, nouveau nom de La République en marche. Lors du remaniement ministériel de janvier 2024, il est nommé ministre de l'Europe et des Affaires étrangères dans le gouvernement Gabriel Attal… » (5). Je parlais plus haut de népotisme…

Ce gouvernement Attal 1 est par ailleurs l’image de la Macronie. Ni de gauche, ni de droite, il est maintenant clair que Renaissance et la mouvance présidentielle sont ni de gauche, ni de gauche. On s’en doutait déjà un peu tant les réformes antisociales se sont multipliées au cours des 5 à 6 dernières années. On perçoit également un virage à droite, voire à l’extrême-droite marqué, avec la loi immigration, mais également avec l’entrée au gouvernement de personnalités issues des Républicains, dont Mme Rachida Dati ou Mme Catherine Vautrin. Cette dernière, ancienne ministre de la cohésion sociale entre 2004 et 2007, est nommée au ministère du travail, de la santé et des solidarités. Elle s’était faite remarquer par son vote contre le mariage pour tous en 2013. Enfin les barons républicains déjà en place, à savoir Ms. Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et Sébastien Lecornu se maintiennent eux à des postes clefs, respectivement à l’intérieur, aux finances et aux armées. On notera également l'absence du ministère du logement alors qu’il manque plusieurs centaines de milliers de logements en France, dont des logements sociaux et à un moment où l’immobilier traverse d’énormes difficultés liées à la hausse des taux d’intérêt. Loger les mal-logés n’est pas une priorité du gouvernement, à l’évidence…

Enfin, comment ne pas évoquer la nomination de Mme Oudéa-Castéra à l’éducation nationale ? On verra comment elle gèrera cela, et où sont ses priorités, compte tenu du fait qu’elle conserve également son poste de ministre des sports et des jeux olympiques ! Or en ce qui concerne l’éducation nationale, il y a plus qu’urgence à agirEmblématique de la Macronie, issue de la très grande bourgeoisie, cette haute fonctionnaire passée par l’ENA, a fait partie de la même promotion que notre actuel président de la République. Elle a été chargée de mission chez AXA, puis une des très hauts cadres de la société Carrefour. Elle fut aussi directrice générale de la fédération française de tennis (FFT) en sa qualité d’ancienne tennis-woman. Son salaire annuel atteignait 1,4 million d’euros par an chez Carrefour et 500 000 euros à la FFT. Elle est aussi la conjointe de M. Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société générale jusqu’en 2023 puis président de Sanofi à partir de mai 2023. Autant dire que le couple ne doit pas avoir trop de problèmes de fins de mois ! Ne voyez là aucune jalousie de ma part, simplement des éléments explicatifs pour dire que des personnes comme M. Gabriel Attal, ou, ici, Mme Oudéa-Castéra sont totalement hors-sol. Je ne reproche pas à la ministre cette scolarisation dans le privé. En revanche, je m'étonne de son choix de scolariser ses enfants dans le secteur privé, dans un lycée faisant d’ailleurs l’objet d’enquêtes approfondies pour des dérives sexistes et homophobes alléguées, comme résultat de sa « frustration de voir des paquets d'heures pas sérieusement remplacées » à école publique ? C’est, selon elle, ce qui l’aurait poussée « comme des centaines de milliers de familles [à rechercher] une solution différente ». Sans doute protégée par ses hauts revenus, elle oublie d’analyser que c’est pourtant la politique menée par l’actuel parti présidentiel, et par les gouvernements successifs - dont elle-même a fait partie – qui est responsable de cette situation… Comme le dit M. Olivier Faure, premier secrétaire du PS, c’est comme si Mme Oudéa-Castra disait « l'école publique dont je suis désormais la ministre n'était pas assez bien pour mes enfants alors je les ai scolarisés dans un lycée privé dont les valeurs sont, selon les enquêtes qui y ont été réalisées, loin des valeurs républicaines ». Il est vrai que les valeurs de la République, en ce moment…



Références :

1. John Timsit. Pour Gabriel Attal, «ceux qui ont le temps d'accueillir des ministres, ce ne sont pas a priori les Français qui travaillent». Le Figaro. Avril 2023.
Consultable en ligne :
https://www.lefigaro.fr/politique/ceux-qui-ont-le-temps-d-accueillir-des-ministres-ce-ne-sont-pas-a-priori-les-francais-qui-travaillent-lache-gabriel-attal-20230425

2. Cyrille Dupuis. Gabriel Attal, l’ex-conseiller de Marisol Touraine à Matignon. Le quotidien du médecin. Janvier 2024.

3. L’abaya ou le bonneteau de la rentrée scolaire. Ce blog.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2023/09/labaya-ou-le-bonneteau-de-la-rentree.html

4. Crépuscule (pamphlet). Encyclopédie Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9puscule_(pamphlet)

5. Stéphane Sajourné. Encyclopédie Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_S%C3%A9journ%C3%A9



Crédit illustration :

Images Creative Commons.
Auteurs :
. Conseil de l’Union Européenne
https://newsroom.consilium.europa.eu/permalink/p174977
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=142356766
. Sam Barnes/Web Summit via Sportsfile.

jeudi 21 décembre 2023

LA HAINE NE SAURAIT CONSTITUER UN PROGRAMME

Personne n'a pu échapper au débat récent relatif aux lois régissant l'immigration et, plus largement, le sort réservé aux étrangers (hors UE) dans notre pays. Je ne rappelle pas ici les éléments du débat, tant ceux-ci sont connus. Impossible néanmoins de ne pas constater que de nombreuses dispositions de la loi violent des principes fondamentaux de l'égalité de droit, particulièrement pour deux catégories : les étudiants et les étrangers employés en France, puisqu'ils induisent de facto une différence de traitement et de droits, mais aucunement de devoirs, ce qui aurait pu justifier cette différence. Tout ceci fait que cette loi ressemble fortement à de la discrimination institutionnalisée.

En particulier, nombre des personnes affectées par les dispositions légales à venir et qui payent des taxes, impôts et cotisations sociales se voient maintenant refuser le droit d'accès à certaines prestations que ces paiements devraient autoriser. D'une façon plus générale, difficile de ne pas voir dans ce vote, un virage vers la droite la plus extrême, celle qui prolifère sur les décombres des idéologies fondant le racisme ordinaire, à savoir la peur de l'autre et la facilité qu'il y a à le dénoncer comme responsable de tous les maux de la société (le parfait bouc-émissaire, donc). Cette « dénonciation » cible particulièrement, dans sa rhétorique, les strates de populations les plus défavorisés, économiquement et - désolé d'être aussi abrupt dans ma formulation - « intellectuellement ». C'est une façon de détourner le légitime ressenti de leur déclassement vers de pseudos coupables. Ce virage, pris main dans la main par les Républicains et par une majorité de la macronie, est inquiétant à plus d'un titre. Il est surtout déshonorant pour le mouvement présidentiel et pour le Président de la République lui-même qui déclarait pourtant que le vote d'électeurs l'ayant choisi contre la candidate de l'extrême droite l'obligeait. Il reste à espérer, pour éviter un naufrage moral, que le conseil constitutionnel censure les articles les plus répugnants de ce texte...

Un mot, avec mes anciens collègues du collectif Rogue ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), pour m'inquiéter des conséquences sur la population étudiante. Au cours de ma carrière, j'ai encadré nombre d'étudiants étrangers : italiens, espagnols, polonais, mais aussi tunisiens, marocains, algériens, pakistanais, boliviens, brésiliens, argentins, américains, canadiens et malaisiens. Tous ont gardé de très bonnes relations avec notre système de recherche, et celles-ci nous favorisent dans le cadre de nos activités. Certains de ces étudiants sont repartis dans leur pays d'origine où ils occupent des fonctions académiques, prestigieuses parfois, et toujours en lien avec la France. D'autres sont restés dans notre pays, et sont chercheurs au CNRS, à l'INRAE, à l'INSERM, ou enseignants d'université, et pour deux ou trois d'entre eux, ils ont obtenu la nationalité française, avec un petit coup de pouce de ma part... Inutile de dire que les propositions contenues dans le nouveau texte de loi vont clairement rendre bien plus difficile la formation en France des futures (je n'aime pas trop ce terme) « élites » étrangères. On se demande quel danger pour notre pays celles-ci représentent, hors d'un danger fantasmé...

Voici en lien le texte proposé par des collègues du collectif Rogue ESR, avec lesquels je suis en total accord : 

« Mardi 19 décembre, sous l’égide de Mme la Première Ministre Elisabeth Borne et de M. Eric Ciotti, une coalition allant du MoDem au Rassemblement national a adopté un projet de loi inscrivant dans le droit français la discrimination des non-ressortissants pour l’accès aux prestations sociales — en d’autres termes, la mesure que MM. Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret popularisèrent dans les années 1980 sous le nom de « préférence nationale ». Mme Marine Le Pen n’a pas manqué de se féliciter de cette onction gouvernementale à une revendication historique de son parti. 

En nombre de voix, le soutien du Rassemblement national a joué un rôle décisif dans l’adoption du texte. Alors que la réforme des retraites avait marqué de fait l’entrée des mal-nommés Républicains dans la majorité gouvernementale sous la forme d’un soutien sans participation, la loi immigration acte aujourd’hui la formation d’une coalition liberticide et xénophobe intégrant des forces politiques exclues des majorités gouvernementales depuis 1945. 

D’aucuns feindront de se rassurer en espérant un deus ex machina sur le tapis vert, du fait du caractère « manifestement inconstitutionnel » de la loi, pour reprendre les termes mêmes du ministre de l’Intérieur, lui-même ancien contributeur à la presse de L’Action Française, fanfaronnant mardi 19 décembre à la tribune du Sénat. Effectivement, le texte adopté piétine la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. Mais même si le Conseil constitutionnel censurait la loi, le fait que ces textes aient été sciemment bafoués suffirait amplement à justifier notre alarme. En outre, la désinvolture avec laquelle ce jugement au doigt mouillé a été prononcé devant le Sénat en dit beaucoup sur le peu de cas que le gouvernement fait des fondements d’une démocratie parlementaire. Mais il est vrai qu’hier fut aussi le jour du déclenchement du vingt-troisième article 49.3 en 18 mois : désormais l’Assemblée Nationale ne semble donc autorisée à voter la loi que lorsque les vues du gouvernement sont au diapason des votes du Rassemblement national. Autant dire que Mme Le Pen est à la fois leader de l’opposition parlementaire et co-rédactrice de l’agenda législatif du gouvernement Borne-Macron ».

Une autre paragraphe pour dire que cette situation inédite provoque plus que des tiraillements dans la majorité présidentielle. Plusieurs ministres ont annoncé leur démission, dont la ministre de l'ESR, Mme Sylvie Retailleau que je connais bien, et à qui, en anecdote, je faisais la bise alors que j'étais en activité au CNRS. Je ne comprends pas d'ailleurs sa position tant l'image que j'ai d'elle ne correspond en aucun cas aux fondamentaux contenus dans ce texte de loi... C'est aussi ce que dit, à mots cachés, le texte de Rogue ESR : « Une fois passée la comédie des déclarations de principe, une bonne partie des démissions tant annoncées se font encore attendre, y compris à cette heure celle de Mme Retailleau. Si leur dimension symbolique serait appréciable, ces démissions resteraient anecdotiques sur le plan politique tant il est illusoire d’imaginer qu’elles pourraient limiter à elles seules la radicalisation du gouvernement. Au moins sauveraient-elles l’honneur des démissionnaires.

Quelques présidences d’universités ont marqué une opposition à la loi dans un communiqué conjoint. On peut douter de sa portée effective si l’on observe la part importante des signataires ayant participé à la mise en place du dispositif cyniquement appelé « Bienvenue en France », dont les événements du 19 décembre confirment qu’il s’agissait d’une répétition générale de l’inscription de la « préférence nationale » dans la loi. 

Or, les conséquences de la loi Immigration adoptée hier sont proprement calamiteuses pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche. Elles seront majeures pour les échanges internationaux et les partenariats avec de très nombreux pays, pour les chercheurs étrangers, et pour tous les étudiants extracommunautaires. Le versement obligatoire d’une caution, l’application impérative à toutes les universités de frais d’inscription astronomiques de 2 770€ en licence et 3 770€ en master ainsi que la suppression des APL conduiront des dizaines de milliers d’étudiantes et d’étudiants à se détourner des universités françaises, de notre pays et de notre culture, désormais perçus comme une terre d’exclusion et non plus d’accueil ». 

A mon sens, nous marchons avec ce nouveau texte, à l'envers. Il est de toutes façons illusoire de croire que ces lois vont empêcher l'immigration de personnes qui n'ont plus rien à perdre dans leur pays, soit économiquement, soit parce que celui-ci est en guerre. Il faudrait d'ailleurs se poser, la question de savoir quelle est la contribution de la France dans les situations que ces migrants rencontrent dans leur pays... Ces gens là se déplaceront de toutes façons. Le seul moyen de leur permettre de rester sur leur terre natale est de favoriser leur conditions de vie sur place. Quelques ONG et autres associations l'ont bien compris. Je mentionnerai ici le cas de Danaya, association forgeoise, qui a oeuvré et continue d'oeuvrer dans ce but, contre vents mauvais et marée brune aux relents pétainistes. La seule différence que les nouvelles lois génèrera est d'accroître les dangers qui les guettent dans leur long voyage vers l'Europe, face aux passeurs, puis leur précarité une fois en France. Il est illusoire, également, de croire que l'on pourra reconduire des irréguliers à la frontière car leur pays d'origine ne les accueillera pas ! Or ceci constitue une obligation absolue. En ce sens les fameuses OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont une fumisterie. On se rappellera à cet égard le traitement réservé à des fonctionnaires de police français qui avaient « accompagné » une personne concernée par une OQTF dans son supposé pays d'origine et qui se sont retrouvés... en prison là-bas, suspectés de violences sur le reconduit ! Et je ne parle pas des centaines de milliers voire des millions de personnes déplacées à venir, pour des raisons climatiques, dans le cadre du changement global auquel nous avons également contribué, certes peut être moins que d'autres pays développés, mais bien plus que les pays du sud... Évidemment, lutter contre les leviers qui engendrent l'immigration est bien plus compliqué que de pondre une loi aussi honteuse soit-elle, car légiférer donne au bon peuple l'impression que nos gouvernants agissent. Reste que la haine ne saurait constituer un programme.  

 

Crédit illustration :

Dessin de Cambon pour Urtikan.net

lundi 2 octobre 2023

LIBERTÉ DE LA PRESSE : DES DÉRIVES NON DÉMOCRATIQUES



Comme à mon habitude, je publie ci-dessous la lettre de la présidente d'Anticor, association dont je suis membre et qui tente de luter, à son niveau, contre la corruption et contre l'opacité de certaines affaires publiques. Ce dernier message est intéressant dans la mesure où il traite de ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Lavrilleux », du nom de cette journaliste dont le travail d'investigation a montré comment la France a directement ou indirectement aidé l'Egypte dans des opérations de basse police... Celle-ci a été arrêtée et placée en garde à vue, elle a été menacée lors d'interrogatoires, a subi des pressions inadmissibles dignes de certaines Républiques bananières, son appartement a été fouillé, dans l'espoir de trouver la ou les sources qui l'ont informée, en violation totale des lois francaises. Or, ce qui est grave dans ce dossier c'est qu'il révèle une lente dérive de notre gouvernement vers des pratiques non démocratiques...

Le texte de la présidente d'Anticor apparait en italiques. Les sections tronquées ou ajoutées par mes soins sont signalées entre crochets.

« Anticor est une association qui utilise l’arme judiciaire pour mener à bien ses combats. Elle porte devant la Justice des alertes concernant des atteintes à la probité. Pour que cela soit possible, il faut que les médias puissent écrire, révéler, il faut que les lanceurs d’alerte soient protégés et il faut un agrément anticorruption ! Or, l’association ne fait que constater que les entraves à son activité se multiplient. C’est une tendance inquiétante : le secret se propage, la liberté recule.

Le secret des affaires, qui vise à protéger les intérêts financiers des entreprises, leur permet aussi une opacité certaine sur leurs activités, peu important que ces activités puissent être moralement répréhensibles comme l’optimisation fiscale. Le secret de la vie privée permet aussi à une fondation d’entreprise qui bénéficie indirectement de centaines de millions d’euros d’argent public de garder sa comptabilité secrète. La vie privée, concept inhérent à la personne humaine, permet à des structures qui devraient être d’intérêt général, d’avoir de la pudeur fiscale. Aujourd’hui, c’est le secret défense qui fait parler de lui. Nous le rencontrons souvent dans les procédures lorsque des contrats commerciaux internationaux sont en jeu : dans l’affaire Kazakhgate, impliquant la vente de 45 hélicoptères au Kazakhstan, dans l’affaire des Rafale, ces 36 avions de combat vendus à l’Inde, dans l’affaire de l’attribution de la coupe du monde au Qatar…

Dans un article récent, Médiapart pose la question : « À quoi sert le « secret-défense » ? À protéger des agents en mission ou à protéger des intérêts commerciaux ? À garantir la réussite d’une opération ou à cacher des compromissions ? »

Cette question doit être posée dans un contexte où la liberté de la presse se trouve menacée par le secret-défense. En effet, le 19 septembre 2023, Ariane Lavrilleux, journaliste chez Disclose a été mise en garde à vue dans le cadre d'une enquête judiciaire pour violation du secret défense. Cette journaliste a publié une enquête sur la mission de renseignement française « SIRLI », débutée en février 2016 au profit de l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste, qui aurait été détournée par l'État égyptien pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-lybienne.

Après une perquisition à son domicile, Ariane Lavrillieux a été placée en garde à vue durant 39 heures. Cela représente une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources des journalistes, qui constitue une des « pierres angulaires de la liberté de la presse et la condition sans laquelle, faute de sources, la presse ne serait plus en mesure de fournir au public des informations sur des questions d'intérêt général », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’Homme. Or, sans protection des sources, sans liberté de la presse, la lutte contre la corruption ne serait qu’un vœu pieux. Car c'est justement grâce à une presse libre, à des journalistes indépendants et dont les sources sont protégées qu'Anticor peut dénoncer les atteintes à notre pacte républicain.

Mais au-delà du cas d'Ariane Lavrilleux, Anticor s’inquiète de l’état des médias en France, alors que ceux-ci sont concentrés dans la main de quelques-uns. L’association Acrimed publie et met à jour un état des lieux de cette concentration : https://www.acrimed.org/Medias-francais-qui-possede-quoi. Nous savons pourtant que le pluralisme des entreprises de presse est une condition de la démocratie.
[...] Alors que demain, le Président de la République ouvrira les états généraux de l'information, il est nécessaire de porter une voix citoyenne de défense de nos libertés, y compris celle d’être informés.


Crédit illustration :

Dessin d'Adrien René pour le concours international de dessin de presse 2020.


mardi 5 septembre 2023

L’ABAYA OU LE BONNETEAU DE LA RENTRÉE SCOLAIRE


Impossible, à moins de n’avoir plus aucun contact avec l’information, d’avoir loupé les déclarations de notre jeune et sémillant ministre de l’éducation nationale, M. Gabriel Attal, indiquant l’interdiction du port de l’abaya à l’école dès la rentrée. Cette décision comporte une facette positive, et pose dans le même temps un certain nombre de questions. Elle sert surtout, à mon sens, à masquer les véritables problèmes que les gouvernements Macron n, n+1, n+2, etc. s'échinent à ne pas traiter, on verra pourquoi...

Un mot pour parler de cette abaya, vêtement consistant en une robe longue et large, à l’origine portée par les femmes des populations bédouines, puis adoptée par certaines au Moyen-Orient et au Maghreb, plus rarement en Indonésie et en Malaisie. Contrairement à ce qui est propagé par certains, l’abaya n’est pas un vêtement explicitement religieux. Il n’en n’est fait nulle part mention dans le Coran. Nombre de dignitaires musulmans confirment d’ailleurs ce fait. Ne soyons cependant pas aveugles : l’abaya se porte de plus en plus dans certains pays musulmans, depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’organisations islamistes conservatrices. Il ne peut donc être exclu que des pressions soient exercées sur certaines jeunes, au sein de familles traditionalistes, pour « inciter » leurs filles à s’affubler de ce vêtement, y compris en France. Il s’agirait donc dans ce cas d’une forme d’oppression à connotation religieuse, et même si l’abaya n’en comporte aucune à l’origine, on se trouverait alors en face d’une instrumentalisation de l’objet.

Je ne rentrerai pas dans le débat actuel autour de la « police du vêtement » ou de la stigmatisation de certains, car ce serait participer au bruit de fond ambiant, et donc devenir facilitateur des objectifs poursuivis par notre ministre. Soit dit en passant, les règles vestimentaires existent dans tous les pays du monde y compris en Europe, souvent en lien avec un contexte religieux, certes, mais pas toujours. Remarquablement, la très grande majorité concerne la population féminine, pour laquelle ces règles constituent souvent le socle d’une forme de contrôle social. Je disais plus haut que cette décision relative au port de l’abaya, pour discutable qu’elle soit (ce, au sens premier du terme, c’est-à-dire sujette à discussion), voire disputable (quasiment au sens de la disputatio médiévale, visant à progresser dans une recherche commune de la vérité), présente un seul aspect positif : celui de ne pas laisser les chefs d’établissements seuls face à une décision à prendre. Quelle que soit la solidité des arguments relatifs à l’interdiction du port de ce vêtement, et l'avenir de cette décision en Conseil d'État, au moins la règle est maintenant claire et les élèves et leurs parents informés.

Au-delà, cette décision relève à mon sens du tour de bonneteau, ce jeu où l’on dissimule la carte ou l’objet à trouver sous des gobelets que l’on déplace en trompant le joueur. Le ministre procède ici de même, en désignant quasiment dès sa nomination un pseudo problème comme prioritaire, alors que les vraies priorités, comme la vérité dans les X-files, est ou sont ailleurs ! Le port de l’abaya et les problèmes rencontrés concernent ainsi 500 établissements scolaires selon le ministre lui-même, moins pour certains spécialistes, sur les quelques 60 000 établissements que compte notre pays. On est donc face à un « problème » dont l’occurrence est inférieure à 0,85 %. Difficile d’y voir une priorité, d’autant plus que bien d’autres problèmes concernent eux, un très grand nombre d’établissements... Parmi ces problèmes, parlons tout de suite du manque d’enseignants. À mon sens, celui-ci résulte de deux facteurs principaux. Le premier est la dévalorisation sociale du métier d’enseignant. Depuis des années, ceux-ci ont été moqués, traités de fainéants ayant accepté le poste que pour les congés, voire insultés… Le problème vient d’en haut, de nombre de nos politiques dont l’expression populiste n’avait pour objectif que de dévaloriser la profession, sans doute pour ramasser quelques voix complémentaires très à droite où le prof-bashing (désolé pour l’anglicisme) est un sport national. Dois-je rappeler les propos de M. Nicolas Sarkozy, président de la république et repris de justice à la syntaxe par ailleurs souvent approximative, disant lors d’une interview « [qu’un] professeur travaille six mois par an », ceux de M. Xavier Darcos « …nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches », ou ceux de Mme Sibeth N’Diaye, affirmant sans rire, lors du confinement, que « …les enseignants ne travaillent pas parce que les établissement sont fermés », alors qu’il leur faillait gérer les cours à distance sans moyens dédiés. Tout cela pour ne citer que trois exemples. Certes, les professeurs ne sont pas tous bons ou excellents, et la structure éducation nationale (EN) où le « pas de vagues » règne en maitre, ne les aide pas dans leurs missions. Mais même « moyens », nos enseignants ne méritent pas le mépris auquel ils sont confrontés. Ce mépris, qui est de fait un mépris de classe, a percolé dans la population et se retrouve dans les discours de café du commerce où l’on dit pis que pendre de ces pauvres profs, ce jusque dans notre commune où des enseignants grévistes ou malades ont été accusés par nos si compatissants élus de prendre élèves ou parents en otages !

Le deuxième problème est consubstantiel au premier. Les salaires, même légèrement revalorisés restent faibles, et surtout pour les non-titulaires, travailleurs quasiment corvéables à merci. Quand on dispose d’un master de mathématiques, soit un bac+5, mieux vaut se faire embaucher par une entreprise du monde de la banque ou de l’assurance, plutôt que comme vacataire par l’EN, les salaires de débutants étant au bas mot dans un rapport de 1 à 2, voire 2,5. Résultats des courses : entre dévalorisations sociale et financière, on ne peut que constater une désaffection de nos jeunes pour les métiers de l’enseignement. C’est pour cette raison, i.e. le manque de professeurs, que la récente réforme du lycée a acté la disparition d’enseignements de mathématiques en première et terminale, l’EN n’étant plus en mesure, matériellement, de les assurer. Il en est de même pour le non redoublement, car il faudrait disposer, pour pouvoir les autoriser sans alourdir les effectifs par classe, de 10% d’enseignants du primaire en plus. C’est en grande partie aussi pour cette même raison, le manque de professeurs, que les élèves de certains départements défavorisés, Seine-Saint-Denis en tête, perdent par rapport à ceux d’autres départements une année de scolarité sur la totalité de leur parcours. Cette année encore, et contrairement aux engagements du gouvernement, il manquera plus de 3 150 professeurs, dont plus de 1 300 dans les écoles et 1 850 dans les collèges et lycées. Il manquera aussi plus de 1 500 infirmiers et infirmières scolaires. Je doute d’ailleurs que le gouvernent change quoi que ce soit à cette situation. Tout au plus utilisera-t-il des « astuces » pour pallier les manques évoqués, car il anticipe de facto une baisse régulière des effectifs dans le primaire, puis, dans le secondaire. Celle-ci est évaluée à 500 000 élèves entre 2022 et 2027, dont 400 000 dans le premier degré et plus de 100 000 dans le second degré. Dans ce contexte tendu, la question de l’abaya me semble, non pas dérisoire, mais certainement aucunement prioritaire à traiter... Elle est en revanche beaucoup plus facile à « aborder », même si la décision actuelle ne la règle en rien au fond. Elle est aussi, sans aucun doute, plus payante politiquement surtout si l'on estime qu'il y aurait, motivant cette agitation subite, des arrières-pensées électorales en regard de la montée du RN ! Bref, l’abaya, tu la vois, tu ne la vois plus, un peu comme ces cartes qui disparaissent mystérieusement dans ce jeu d’escrocs qu’est le bonneteau...



Crédit illustration :

Message de Cécile Duflot sur le réseau X.
Vu sur :
https://www.topito.com/top-differences-robe-abaya





dimanche 3 septembre 2023

À PROPOS DE SOUTIEN SCOLAIRE...

Un des lecteurs du blog m’a récemment signalé que la municipalité avait décidé de « souscrire » au site « Prof’express » pour permettre aux jeunes Forgeois de bénéficier d’un soutien scolaire. Dans le principe, l’initiative est louable, mais elle risque néanmoins de manquer en partie sa cible…

Prof’express (1) propose une aide à la compréhension des matières enseignées, essentiellement en collèges et lycées. Ainsi, selon leur site, je cite : « originellement proposée en mathématiques, français et anglais, cette aide aux devoirs en ligne s’est ensuite étendue aux sciences physiques, à la chimie et la SVT, à la philosophie ainsi qu’à l'histoire et géographie. Les langues étrangères ne sont pas en reste : l'allemand, l'espagnol l'italien font désormais l'objet d'un soutien scolaire en ligne à la demande ». Le processus fonctionne au moyen d’une plate-forme internet et/ou via le téléphone. Je cite de nouveau la présentation faite par Prof Express : « les familles bénéficiaires peuvent solliciter l'aide d'un enseignant en ligne entre 17:00 et 20:00 tous les jours sauf le vendredi. Durant cette session, le professeur sait être à l'écoute de l'élève pour le rassurer, prendre en compte sa requête et l'aider à trouver lui-même la solution. Cet échange par téléphone, chat ainsi que par classe virtuelle permet de réussir un examen, gagner des points dans un exercice à rendre, un exposé à préparer, etc. ».

Que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : cette initiative est bien entendu potentiellement porteuse d’une aide appréciable pour les jeunes de notre commune. Elle peut sans aucun doute aider nos collégiens et lycéens à mieux comprendre un sujet qui leur aurait échappé. Je suis en revanche moins preneur de l’objectif de « gagner des points dans un exercice à rendre », tout simplement parce qu’il me semble que c’est regarder le soutien scolaire par le petit bout de la lorgnette, et d’une façon simplement utilitariste. Il est vrai qu’à un moment où le bac se joue en grande partie sur le contrôle continu, quelques points de ci, de là, peuvent être bons à gratter. Les profs en savent quelque chose, tant ils sont soumis depuis ces réformes aux pressions parentales et à celles des élèves lorsque les notes des interrogations sont jugées trop faibles (2,3).

Cette vision utilitariste est une des raisons qui, à mon sens, font que ce type de soutien scolaire, bien qu’intéressant, pourrait dans plusieurs cas largement manquer sa cible. Je m’explique, sur le fondement de mon expérience dans le domaine (2 ans de soutien scolaire fourni lors de mes études à la fac, 3 ans avec l’association « Coup de Pouce 91 », sciemment entravée dans son fonctionnement par l’actuelle municipalité, soit dit en passant). Un enfant en difficulté peut l’être sur un point particulier, ou sur une matière particulière. Dans ce cas, un « simple soutien scolaire » pourrait effectivement être profitable. Si la faiblesse est plus générale, il devient important d’en détecter les causes. Certaines peuvent relever d’un trouble de l’attention, de la concentration, ou de problèmes de type dysorthographie, dyscalculie, donc globalement de troubles dits « dys », susceptibles de rendre plus difficile l’apprentissage (4). Parfois c’est très évident, même pour un non professionnel comme l’auteur de ce billet. Parfois, c’est plus compliqué à déceler, et dans ce cas, le simple soutien scolaire par internet ou par téléphone ne suffira surement pas. Dans ce cas même, le soutien scolaire pourrait s’avérer contre-productive car elle risque de renforcer le sentiment d’échec systématique auquel se retrouve confronté l’élève. L’aide d’éducateurs spécialisés, de psychologues, d’orthophonistes, bref de professionnels aguerris est alors nécessaire pour y voir plus clair. Enfin, dans certains cas,  l’élève peut certes avoir des difficultés, mais celles-ci sont en réalité plus systémiques. La fratrie, ses parents, voire ses camarades de classe peuvent constituer des éléments explicatifs (je ne parle pas de responsabilité ici) d’une partie parfois non négligeable des difficultés d’apprentissage. Il est évident que dans ce cas, l’aide proposée via une plate-forme internet ou par téléphone ne résoudra rien.

C’est pour cela que je trouve franchement lamentable l’absence totale d’efforts de l’actuelle municipalité pour soutenir les associations locales qui étaient à même de déceler ses troubles et d’y remédier au moins en partie. C’est le moins que l’on puisse dire, et c’est d’autant plus stupide que l’accès à la plate-forme, s’il est gratuit pour les élèves en difficultés et leur parents, est payé finalement par ceux-ci via leurs impôts dits locaux. Ce montant n’est en effet pas nul, j’en suis sûr, pour la commune, alors qu’il l’était pour l’aide fournie par les associations, même si la mairie tentait de faire pleurer dans les chaumières arguant d’un pseudo coût élevé de prêt des salles municipales… Un grand classique dans notre commune !


Références :

1. Prof’express.
Consultable en ligne :
https://www.profexpress.com/

2. Amandine Hirou. Bac 2022 : avec le contrôle continu, des profs sous la pression accrue des parents. L’Express. Septembre 2021.

3.Pauline Larrour. Être enseignant, c’est subir un peu plus la pression chaque jour sans protection aucune. Marianne. Février 2022.
Consultable en ligne :
https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/etre-enseignant-cest-subir-un-peu-plus-la-pression-chaque-jour-sans-protection-aucune

4. Les troubles « Dys » ou troubles spécifiques du langage et des apprentissages.
Consultable en ligne :
https://www.ffdys.com/troubles-dys

 

Crédit illustration :

Dessin de Deligne pour « La Croix ».

jeudi 10 août 2023

QUAND LE GOUVERNEMENT VEUT FAIRE LES POCHES DE SES OPÉRATEURS...


En plein milieu de l’été, fin juillet, le gouvernement par la voix de son ministre des finances, annonce vouloir « récupérer la moitié des trésoreries abondantes » des opérateurs de l'État. Ces opérateurs sont nombreux : on y trouve les agences de l’eau, pôle emploi, Météo France, et plusieurs agences de recherche telles que l’INSERM, le CEA, les universités, ou le CNRS. La présentation qu’en font certains médias est par ailleurs erronée, suggérant que ces opérateurs dégagent des bénéfices et qu'il est donc, quelque part, légitime que ces bénéfices retournent en partie à l’état. Sauf que…

Sauf que considérer que les universités, l’INSERM ou le CNRS sont ultra-riches et l’on peut donc aller leur « faire les poches », est une galéjade. Je ne parle, à partir de ce point, que du CNRS que je connais bien, puisque cette bonne maison m’a rémunéré pendant presque 40 ans. Également, je voudrais tout de suite tordre le coup aux rumeurs propagées à tour de bras par certains sur les réseaux dits sociaux, et qui m’ont été rapportées pour justifier ces coupes budgétaires. Les chercheurs ne travailleraient pas et bénéficient d’une totale impunité. C’est évidemment faux. Pendant plusieurs années, le CNRS a été l’un des deux premiers opérateurs de recherche au niveau mondial par le volume de ses publications au classement international Scimago. On pourrait objecter que peut-être que sur le volume, vu les effectifs, c’est peu significatif. Or, le CNRS est classé entre les première et quatrième places, selon les années, au classement international de la prestigieuse revue scientifique « Nature » qui inclut également la qualité de la publication. De même, le CNRS se classe depuis plus de 10 ans, tous les ans, dans les 5 à 10 premiers déposants de brevets en France… J’ajoute que le CNRS contribue au rayonnement de la France à l’international par le biais de partenariats scientifiques, sous l’égide l’Union Européenne, ou établis directement entre instituts. J’avais pour ma part pas mal œuvré avec des laboratoires de l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign, et mis en place un partenariat avec l’Université de Malaisie à Kuala Lumpur, largement soutenu par les instances diplomatiques…

Revenons sur au sujet premier. Le CNRS dégagerait des bénéfices, et l’État aurait donc toute légitimité à les ponctionner. Pour démonter cette assertion, il faut rentrer un peu dans les éléments budgétaires. Le budget annuel du CNRS est de l’ordre de 4 milliards d’euros, réparti comme suit (grossièrement) : 1 milliard de ressources propres, et 3 milliards de dotation d’Etat, dont la plus grande part, autour de 85%, sert au payement des salaires des quelques 30/33 000 personnes qui constituent la maison. Reste donc environ 15%, soit un peu moins de 500 millions d’euros pour « faire de la recherche », c’est à dire assurer le paiement des fluides des laboratoires, les achats de petits et gros matériel, de consommables, etc. Un rapide calcul, exact mathématiquement mais faux dans la réalité, montre que chaque chercheur, ingénieur ou technicien dispose de 500 millions divisés par 33 000 pour financer son activité annuelle. Cela fait donc 15 000 euros ! Or ces 15 000 euros partent en général en grande partie dans les financements de type infrastructure (y compris dans la rénovation de bâtiments), dans les grands équipements, dans les fluides, etc. Il reste donc peu au quotidien ! Ainsi, sur les 5 dernières années de mon parcours, la dotation annuelle par chercheur (dénommée dans notre jargon « points chercheur » ou « dotation de base ») reçue dans les différents laboratoires que je fréquentais s’établissait dans la réalité entre 1 000 et 2 500 euros par an et par chercheur… Bref une misère. En gros, une fois un ordinateur acheté, il ne restait plus grand-chose pour travailler. Quand on sait que le prix des kits de type PCR (pour parler d’une méthode dont maintenant le grand public connait l’existence) se monte (ordre de grandeur) à 400 euros pour 20 réactions, et qu’il n’est pas rare que nous réalisions un millier de PCR par an, on comprend que la dotation dite de base soit totalement insuffisante pour rester compétitif. Pour cette raison, les équipes de recherches soumettent, qui a tel ministère, qui à telle agence, qui à l’Union Européenne, des projets de recherches, financés après évaluation. Pour information, le taux de rejet s’établit entre 75 et 90% ! En général un projet dure de 2 à 5 ans. Je ne discuterai pas du processus d’évaluation qui mériterait à lui seul des pages entières de remarques, pour indiquer seulement qu’une équipe de biologie comme celles dans lesquelles j’ai travaillé ou que j’ai dirigées (une douzaine de personnes) doit disposer, pour bien fonctionner, de presque 100 000 à 250 000 euros de financement annuel complémentaire.

Ces financements cumulés constituent, avec d’autres revenus propres au CNRS, ses fonds propres. Il nous est demandé de fournir un calendrier prévisionnel des dépenses, toujours difficile à établir compte tenu des incertitudes inhérentes à l'activité de recherche. Il arrive donc qu’à la fin de l’année comptable, toutes les sommes prévues d’être dépensées, ne le soient pas. Cette masse est donc reportée sur l’année suivante, comme le font ou presque les communes ou les établissements de coopération intercommunale d’ailleurs, mais elle apparait en globalisé dans le budget du CNRS. Il est également possible de demander aux instances qui ont financé un projet, une extension à coût zéro sur une année supplémentaire. Dans ce cas, le projet est prolongé d’un an, mais sans aucun financement. Là aussi, on assiste donc à un report des sommes prévues d’être dépensées en année N sur l’année suivante N+1, et là aussi, ces sommes étant globalisés, on peut avoir l’impression que le CNRS fait des bénéfices… Néanmoins, ces budgets étant affectés à une opération de recherche (le projet), elles ne sont pas susceptibles d’être récupérées par Bercy ; ce serait illégal. En revanche, lorsque ces sommes proviennent de la dotation de base, pour des raisons X ou Y, comme par exemple une année favorable au plan des contrats de recherche, elles peuvent alors être récupérées par l’Etat. Pourtant le fait de ne pas les dépenser obligatoirement en année N prend tout son sens, puisque le labo dispose des ressources affectées qui suffisent cette année à son fonctionnement. Tout se passe comme si le propos du ministre des finances proposant de ponctionner cette ressource était une incitation à dépenser coute que coute, même en achetant des matériels non nécessaires. Je rassure le lecteur, nous avons trouvé une parade à cette absurdité, que je ne développerai pas ici… Enfin, d’autres phénomènes sont à prendre en compte dans cette histoire. Le premier porte sur les annulations d’achats. Quand on passe une commande, les sommes correspondantes sont alors dites engagées, mais non dépensées. Elles ne le seront qu’à réception de la facture et à sa mise en paiement. On a donc trois colonnes dans le budget d'un laboratoire : le disponible (budget disponible en début d’année ou restant en cours d’année), l’engagé (par définition, non disponible, mais pas encore dépensé), et le dépensé (le disparu en quelque sorte). Il se trouve que certaines des commandes passées sont parfois annulées, par exemple pour l’indisponibilité du matériel. Cela a été assez fréquent lors de la pandémie de COViD19. Dans ce cas, l’engagé ré-abonde le disponible… Quand ces annulations ont lieu en fin d’année, par exemple en novembre, le disponible regonfle, donnant l’impression que le labo n’a pas eu besoin de cette somme. Pourtant, il en aura besoin en tout début d’année après le mois de blocage financier permettant la clôture du budget et la prise de connaissance de l’estimation du budget de l’année suivante. Là aussi, ces sommes peuvent être importantes : j’ai eu l’exemple dans mon équipe d’une commande d’un montant approximatif de 10 000 euros annulée en octobre et que nous avons pu repasser seulement dès le budget de l’année suivante disponible… C’est typiquement ce que Bercy veut « piquer » aux laboratoires. La deuxième source de ressources propres provient de ce que l’on appelle les « queues de contrat ». Lorsque les projet de recherche se termine, il reste en général un peu de l’argent reçu des agences à dépenser. S’il ne l’est pas, l’opérateur CNRS bascule cette somme affectée à un projet, en somme non affectée, donc en ressource propres pour l’équipe. Souvent, l’équipe se sert de ce reste pour poursuivre les projets, car il est rare que ceux-ci s’arrêtent automatiquement après la fin administrative du financement, surtout si des résultats prometteurs arrivent ! Néanmoins, cette ressource n’étant plus affectée, puisque le projet n’existe plus légalement, elle est susceptible d’être prélevée par Bercy…

J’ai été un peu long, mais il me semblait nécessaire de bien expliquer pourquoi l’idée de repiquer aux opérateur de recherches est mauvaise. Ce que je décris en effet pour le CNRS vaut sans aucun doute aussi pour l’INSERM et pour les universités. En fait, ces opérateurs sont victimes d’une vision ministérielle erronée. On ne peut pas parler de bénéfices, mais simplement d’excédents conjoncturels de trésorerie, excédents nécessaires de toutes façons au monde de la recherche l’année suivant leur occurrence. Ces opérateurs de recherche sont ainsi victimes de la méconnaissance crasse de leur monde chez nos politiques, dont aucun (ou presque) ne sort de formation par la recherche. Enfin, cette idée de « piquer dans la poche des opérateurs » est quand même emblématique du gouvernement actuel, qui a supprimé nombre de ressources budgétaires disponibles, qui affaiblit tout le secteur public, de l’école à l’hôpital, tout en multipliant les cadeaux fiscaux au monde des entreprises. Ainsi, en 2019, quelques 157 milliards d'euros d’aide au secteur privé auraient été distribués. C’est grosso modo plus de deux fois le budget de l'éducation nationale, et c’est 6 fois le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui se monte à environ 25 milliards d’euros… Tout cela pour entendre le ministre des finances parler de récupérer un petit milliard et demi, et fragiliser encore plus la recherche publique française. C’est du grand n’importe quoi ! 



Crédit illustration :

Ministère des Finances. Page Wikipédia.
Photo d’Arthur Weidmann (travail personnel)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Minist%C3%A8re_de_l%27%C3%89conomie_et_des_Finances_%28France%29#/media/Fichier:Minist%C3%A8re_de_l'%C3%89conomie_et_des_Finances_Mars_2022.jpg