jeudi 10 août 2023

QUAND LE GOUVERNEMENT VEUT FAIRE LES POCHES DE SES OPÉRATEURS...


En plein milieu de l’été, fin juillet, le gouvernement par la voix de son ministre des finances, annonce vouloir « récupérer la moitié des trésoreries abondantes » des opérateurs de l'État. Ces opérateurs sont nombreux : on y trouve les agences de l’eau, pôle emploi, Météo France, et plusieurs agences de recherche telles que l’INSERM, le CEA, les universités, ou le CNRS. La présentation qu’en font certains médias est par ailleurs erronée, suggérant que ces opérateurs dégagent des bénéfices et qu'il est donc, quelque part, légitime que ces bénéfices retournent en partie à l’état. Sauf que…

Sauf que considérer que les universités, l’INSERM ou le CNRS sont ultra-riches et l’on peut donc aller leur « faire les poches », est une galéjade. Je ne parle, à partir de ce point, que du CNRS que je connais bien, puisque cette bonne maison m’a rémunéré pendant presque 40 ans. Également, je voudrais tout de suite tordre le coup aux rumeurs propagées à tour de bras par certains sur les réseaux dits sociaux, et qui m’ont été rapportées pour justifier ces coupes budgétaires. Les chercheurs ne travailleraient pas et bénéficient d’une totale impunité. C’est évidemment faux. Pendant plusieurs années, le CNRS a été l’un des deux premiers opérateurs de recherche au niveau mondial par le volume de ses publications au classement international Scimago. On pourrait objecter que peut-être que sur le volume, vu les effectifs, c’est peu significatif. Or, le CNRS est classé entre les première et quatrième places, selon les années, au classement international de la prestigieuse revue scientifique « Nature » qui inclut également la qualité de la publication. De même, le CNRS se classe depuis plus de 10 ans, tous les ans, dans les 5 à 10 premiers déposants de brevets en France… J’ajoute que le CNRS contribue au rayonnement de la France à l’international par le biais de partenariats scientifiques, sous l’égide l’Union Européenne, ou établis directement entre instituts. J’avais pour ma part pas mal œuvré avec des laboratoires de l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign, et mis en place un partenariat avec l’Université de Malaisie à Kuala Lumpur, largement soutenu par les instances diplomatiques…

Revenons sur au sujet premier. Le CNRS dégagerait des bénéfices, et l’État aurait donc toute légitimité à les ponctionner. Pour démonter cette assertion, il faut rentrer un peu dans les éléments budgétaires. Le budget annuel du CNRS est de l’ordre de 4 milliards d’euros, réparti comme suit (grossièrement) : 1 milliard de ressources propres, et 3 milliards de dotation d’Etat, dont la plus grande part, autour de 85%, sert au payement des salaires des quelques 30/33 000 personnes qui constituent la maison. Reste donc environ 15%, soit un peu moins de 500 millions d’euros pour « faire de la recherche », c’est à dire assurer le paiement des fluides des laboratoires, les achats de petits et gros matériel, de consommables, etc. Un rapide calcul, exact mathématiquement mais faux dans la réalité, montre que chaque chercheur, ingénieur ou technicien dispose de 500 millions divisés par 33 000 pour financer son activité annuelle. Cela fait donc 15 000 euros ! Or ces 15 000 euros partent en général en grande partie dans les financements de type infrastructure (y compris dans la rénovation de bâtiments), dans les grands équipements, dans les fluides, etc. Il reste donc peu au quotidien ! Ainsi, sur les 5 dernières années de mon parcours, la dotation annuelle par chercheur (dénommée dans notre jargon « points chercheur » ou « dotation de base ») reçue dans les différents laboratoires que je fréquentais s’établissait dans la réalité entre 1 000 et 2 500 euros par an et par chercheur… Bref une misère. En gros, une fois un ordinateur acheté, il ne restait plus grand-chose pour travailler. Quand on sait que le prix des kits de type PCR (pour parler d’une méthode dont maintenant le grand public connait l’existence) se monte (ordre de grandeur) à 400 euros pour 20 réactions, et qu’il n’est pas rare que nous réalisions un millier de PCR par an, on comprend que la dotation dite de base soit totalement insuffisante pour rester compétitif. Pour cette raison, les équipes de recherches soumettent, qui a tel ministère, qui à telle agence, qui à l’Union Européenne, des projets de recherches, financés après évaluation. Pour information, le taux de rejet s’établit entre 75 et 90% ! En général un projet dure de 2 à 5 ans. Je ne discuterai pas du processus d’évaluation qui mériterait à lui seul des pages entières de remarques, pour indiquer seulement qu’une équipe de biologie comme celles dans lesquelles j’ai travaillé ou que j’ai dirigées (une douzaine de personnes) doit disposer, pour bien fonctionner, de presque 100 000 à 250 000 euros de financement annuel complémentaire.

Ces financements cumulés constituent, avec d’autres revenus propres au CNRS, ses fonds propres. Il nous est demandé de fournir un calendrier prévisionnel des dépenses, toujours difficile à établir compte tenu des incertitudes inhérentes à l'activité de recherche. Il arrive donc qu’à la fin de l’année comptable, toutes les sommes prévues d’être dépensées, ne le soient pas. Cette masse est donc reportée sur l’année suivante, comme le font ou presque les communes ou les établissements de coopération intercommunale d’ailleurs, mais elle apparait en globalisé dans le budget du CNRS. Il est également possible de demander aux instances qui ont financé un projet, une extension à coût zéro sur une année supplémentaire. Dans ce cas, le projet est prolongé d’un an, mais sans aucun financement. Là aussi, on assiste donc à un report des sommes prévues d’être dépensées en année N sur l’année suivante N+1, et là aussi, ces sommes étant globalisés, on peut avoir l’impression que le CNRS fait des bénéfices… Néanmoins, ces budgets étant affectés à une opération de recherche (le projet), elles ne sont pas susceptibles d’être récupérées par Bercy ; ce serait illégal. En revanche, lorsque ces sommes proviennent de la dotation de base, pour des raisons X ou Y, comme par exemple une année favorable au plan des contrats de recherche, elles peuvent alors être récupérées par l’Etat. Pourtant le fait de ne pas les dépenser obligatoirement en année N prend tout son sens, puisque le labo dispose des ressources affectées qui suffisent cette année à son fonctionnement. Tout se passe comme si le propos du ministre des finances proposant de ponctionner cette ressource était une incitation à dépenser coute que coute, même en achetant des matériels non nécessaires. Je rassure le lecteur, nous avons trouvé une parade à cette absurdité, que je ne développerai pas ici… Enfin, d’autres phénomènes sont à prendre en compte dans cette histoire. Le premier porte sur les annulations d’achats. Quand on passe une commande, les sommes correspondantes sont alors dites engagées, mais non dépensées. Elles ne le seront qu’à réception de la facture et à sa mise en paiement. On a donc trois colonnes dans le budget d'un laboratoire : le disponible (budget disponible en début d’année ou restant en cours d’année), l’engagé (par définition, non disponible, mais pas encore dépensé), et le dépensé (le disparu en quelque sorte). Il se trouve que certaines des commandes passées sont parfois annulées, par exemple pour l’indisponibilité du matériel. Cela a été assez fréquent lors de la pandémie de COViD19. Dans ce cas, l’engagé ré-abonde le disponible… Quand ces annulations ont lieu en fin d’année, par exemple en novembre, le disponible regonfle, donnant l’impression que le labo n’a pas eu besoin de cette somme. Pourtant, il en aura besoin en tout début d’année après le mois de blocage financier permettant la clôture du budget et la prise de connaissance de l’estimation du budget de l’année suivante. Là aussi, ces sommes peuvent être importantes : j’ai eu l’exemple dans mon équipe d’une commande d’un montant approximatif de 10 000 euros annulée en octobre et que nous avons pu repasser seulement dès le budget de l’année suivante disponible… C’est typiquement ce que Bercy veut « piquer » aux laboratoires. La deuxième source de ressources propres provient de ce que l’on appelle les « queues de contrat ». Lorsque les projet de recherche se termine, il reste en général un peu de l’argent reçu des agences à dépenser. S’il ne l’est pas, l’opérateur CNRS bascule cette somme affectée à un projet, en somme non affectée, donc en ressource propres pour l’équipe. Souvent, l’équipe se sert de ce reste pour poursuivre les projets, car il est rare que ceux-ci s’arrêtent automatiquement après la fin administrative du financement, surtout si des résultats prometteurs arrivent ! Néanmoins, cette ressource n’étant plus affectée, puisque le projet n’existe plus légalement, elle est susceptible d’être prélevée par Bercy…

J’ai été un peu long, mais il me semblait nécessaire de bien expliquer pourquoi l’idée de repiquer aux opérateur de recherches est mauvaise. Ce que je décris en effet pour le CNRS vaut sans aucun doute aussi pour l’INSERM et pour les universités. En fait, ces opérateurs sont victimes d’une vision ministérielle erronée. On ne peut pas parler de bénéfices, mais simplement d’excédents conjoncturels de trésorerie, excédents nécessaires de toutes façons au monde de la recherche l’année suivant leur occurrence. Ces opérateurs de recherche sont ainsi victimes de la méconnaissance crasse de leur monde chez nos politiques, dont aucun (ou presque) ne sort de formation par la recherche. Enfin, cette idée de « piquer dans la poche des opérateurs » est quand même emblématique du gouvernement actuel, qui a supprimé nombre de ressources budgétaires disponibles, qui affaiblit tout le secteur public, de l’école à l’hôpital, tout en multipliant les cadeaux fiscaux au monde des entreprises. Ainsi, en 2019, quelques 157 milliards d'euros d’aide au secteur privé auraient été distribués. C’est grosso modo plus de deux fois le budget de l'éducation nationale, et c’est 6 fois le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui se monte à environ 25 milliards d’euros… Tout cela pour entendre le ministre des finances parler de récupérer un petit milliard et demi, et fragiliser encore plus la recherche publique française. C’est du grand n’importe quoi ! 



Crédit illustration :

Ministère des Finances. Page Wikipédia.
Photo d’Arthur Weidmann (travail personnel)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Minist%C3%A8re_de_l%27%C3%89conomie_et_des_Finances_%28France%29#/media/Fichier:Minist%C3%A8re_de_l'%C3%89conomie_et_des_Finances_Mars_2022.jpg



 

 

samedi 5 août 2023

ASSOCIATIONS FORGEOISES : DE NOUVEAUX PROBLÈMES !



J’ai déjà raconté sur ce blog, à plusieurs reprises, les démêlés de diverses associations avec la municipalité. Il eut été dommage que pendant l’été, cette saga s’arrêtât. Voici donc un nouvel épisode d’une histoire qui ne prendra fin sans doute que lors du départ de cette équipe municipale, ou après sa condamnation par une autorité administrative…

La nouvelle « victime » de la mauvaise volonté municipalité a été cette fois l’association de parents d’élèves FCPE. Cette dernière a organisé au mois de juin une opération du type « vide ta chambre », c’est-à-dire une brocante axée sur les échanges de jouets, jeux et éventuellement de vêtements des enfants scolarisés. Alors qu’un tel événement ne devrait pas poser de problèmes organisationnels majeurs dans une commune « normale », il s’est avéré que sa mise à Forges en place a davantage relevé du parcours du combattant que de la promenade de santé.

Fin février, l’association contacte la mairie en lui demandant s’il est possible d’utiliser à cet effet la salle Messidor un dimanche de mai, date laquelle ce local est peu susceptible d’être utilisé par d’autres associations. La mairie refuse, arguant, comme à son habitude, du coup prohibitif du prêt de la salle à une association. Un mot ici pour dire que cet argument est des plus spécieux. En effet, renseignement pris auprès de diverses associations de ma connaissance, il apparaît que la mairie prête très systématiquement cette salle à plusieurs d’entre elles, et cela de façon parfaitement gracieuse. Ce faisant, la réponse de la municipalité est donc illégitime, et possiblement illégale puis qu’instaurant de fait une inégalité de traitement des associations. Ce n’est pas la première fois que je dénonce dans ce blog cette inégalité qui s’apparente, maintenant de façon très évidente, à un traitement « à la gueule du client ». Cette illégalité dans la prise de décision est d’autant plus vérifiée que la mairie refuse également le prêt de la salle au motif qu’il existerait déjà une brocante à Forges les Bains et qu’elle ne voit pas l’intérêt d’en organiser un autre. Sauf qu’il s’agit là d’une demande non pas municipale mais associative, et que la mairie n’a pas à décider de ce qui est bon pour l’association ou non… L’association dépose donc un recours gracieux en mairie mi-mars, mais sans succès. Nouvel élément au dossier : lors de la réunion entre élus et une dizaine d’associations dont la FCPE, fin mars, Madame la maire, très en forme, évoque la notion de trouble à l’ordre public ! Derrière, dit-elle, on peut mettre, je cite approximativement son propos « n’importe quoi ». Si effectivement la loi reste en partie imprécise sur cette notion, le fait d’organiser une brocante à des heures diurnes, à distance de toute habitation, ne peut être assimilé à un trouble à l’ordre public. L’argument ne tiendrait pas une seconde au tribunal administratif (TA).

Dans le même temps, l’association écrit au contrôle de légalité en préfecture. Celui-ci prend bonne note du problème mais indique qu’il faut relancer la mairie ou envisager une action au TA. L’association change alors son fusil d’épaule et propose d’organiser le « vide ta chambre » sur le parking de la place haute de l’église, à coût nul pour la commune. Là miracle, possiblement devant la pugnacité de l’association, et peut être informé du recours par la préfecture, je n’en sais rien, la mairie accède finalement à la demande mais propose la cour du centre socioculturel. C’est une bonne solution effectivement, et l’association l’accepte bien volontiers. Également, la municipalité accepte la connexion d’une rallonge électrique et le prêt de tables (deux ou trois pour être exact), l’association se chargeant des barnums, et de la fourniture des consommables (boissons, gâteaux et autres douceurs)… Cependant, le diable se cache dans les détails. L’association demande ainsi à la mairie l’affichage sur les panneaux municipaux de l'évènement. Refus ! Autre coup en vache: l’association demande la possibilité d’utiliser les toilettes du centre socioculturel où aura lieu l’événement pour les exposants et visiteurs. Refus ! Ces derniers n’auront qu’à aller aux toilettes publiques, situées à 250 mètres, derrière l’église ! Hasard ou pas, le jour du « vide ta chambre », l’élu de permanence venu ouvrir ne disposait pas des clefs des toilettes publiques. Il a donc accepté d’ouvrir les toilettes du centre socioculturel… 

On voit bien ici le traitement « à la gueule du client » que j’évoquais plus haut, puisque la veille du vide ta chambre, au même endroit, une association sportive organisait en fin de journée son repas de fin d'année avec, bien entendu, libre accès aux toilettes. Il est vrai que plusieurs membres de l’actuelle municipalité ou leurs proches sont également proches ou membres du club de sport en question. De même, pour la kermesse des écoles organisée par une autre association de parents d'élèves, il semblerait que celle-ci ait bénéficié du prêt et de l'installation de tables, chaises et barnums par les employés municipaux, et également de la fourniture par la mairie des boissons pour les buvettes. Je rappelle aussi que selon les informations dont je dispose, des bénéfices de la kermesse sont allés à... l'association de parents d'élèves, alors que les bénéfices du vide ta chambre sont allés non pas à la FCPE mais à la coopérative scolaire. Passons, c'est un autre sujet !

Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas de jalousie vis-à-vis de telle ou telle structure. Il s’agit simplement de dénoncer un comportement inadmissible des autorités municipales, qui s’assoient de plus en plus souvent sur leurs obligations légales. Ces mêmes élus annonçaient fièrement dans leur programme de campagne la fin d'une soi-disant inégalité de traitement des associations dans la mandature précédente, inégalité qui n'existait que dans leur esprit, mais qui, paradoxalement aujourd'hui, constitue la triste réalité forgeoise. 

Je n’ai pas relaté dans son entièreté les échanges entre mairie et association pour la mise en place de ce vide ta chambre. Tout ceci montre, malheureusement, qu'il faut une énergie énorme pour tenter d’organiser un événement dans cette commune, la mairie se retranchant sous les prétexte les plus divers pour ne pas en favoriser la possibilité. Je reviendrai prochainement sur l’argument du coût tant celui-ci est mensonger. Il me faut au préalable disposer du budget communal et l’analyser, même si j’en connais les grandes lignes… Reste à essayer de comprendre pourquoi la municipalité s’inscrit depuis trois ans dans une démanche paralysant l’activité associative. Mon sentiment est que la plupart des élus forgeois n’ont jamais eu d’activité responsable ou bénévole dans ces associations, qu’ils ont une vision très autocentrée du monde (l’entre-soi que j’ai déjà évoqué dans d’autres articles), et qu’ils ont globalement une incompréhension complète de ce que sont le tissu social, le vivre-ensemble, et les effets d’externalités positives. Il n’y a donc clairement rien de bon à attendre de l’équipe en place. Ce qu’elle n’a pas compris en trois ans de mandat, elle ne le comprendra pas dans les mois ou années à venir !


Crédits illustration :

D'après un dessin de Lasserpe pour « Associations mode d'emploi ».