Oui, mauvaise année pour la démocratie et aussi, malheureusement,
pour nos démocraties… Un petit tour d’horizon que je n’espère pas trop
déprimant pour finir cette année et commencer la suivante.
Il y a eu tellement de mauvaises nouvelles en 2024 que je ne
sais plus par où commencer. Aussi je me propose de sérier les questions du
niveau le plus lointain au niveau le plus proche. Commençons par les conflits
armés, tant ceux-ci sont présents dans les actualités. En Ukraine, la situation
est toujours aussi meurtrière, avec selon les chiffres obtenus de différentes
sources, plus d’1 250 000 personnes qui auraient été tuées ou blessées. Parmi
celles-ci, 300 000 soldats (225 000 Russes et 75 000 Ukrainiens) tués depuis
2022 et 800 000 blessés (400 000 Russes et autant d’Ukrainiens). On peut
ajouter à cela les quelques 50 000 civils qui ont été tués, blessés,
déportés ou qui ont disparu du coté ukrainien pour l’écrasante majorité… Tout
cela résultant de la folie d’un dictateur, M. Vladimir Putin en l’occurrence,
qui n’admet pas le souhait des Ukrainiens de s’éloigner de la zone d’influence
russe. Une étape cruciale a été la destitution, constitutionnelle pourtant, du
président ukrainien qui était très favorable à la Russie, en 2014, par le parlement.
Pour les lecteurs qui s’intéressent à la genèse du conflit, de l’Euromaïdan à
la situation de ce jour, via l’annexion de la Crimée et du Dombass, les pages Wikipédia
qui s’y rapportent sont remarquables et proches de ce que l’on peut lire dans
les ouvrages de références (voir par exemple 1,2). Une des raisons de s’inquiéter
est l’internationalisation du conflit. D’un côté, la Russie est clairement
aidée par l’Iran, par la Corée du Nord qui fournit maintenant des contingents, et
probablement discrètement par la Chine, qui fournit de l’électronique permettant
à la Russie de contourner en partie les blocus de matériel imposés en
représailles. De l’autre côté, le monde occidental ne peut plus laisser M.
Vladimir Putin menacer le territoire européen, l‘Ukraine aujourd’hui, et
possiblement les Etats Baltes plus tard. Nous livrons donc des quantités
massives d’armement, avec, pour le moment, aucune participation de troupes de l’OTAN,
à l’exception possible de formateurs militaires. Seule raison d’espérer, l’épuisement
des belligérants pourrait conduire à un cessez le feu, et possiblement une « mauvaise
paix » dans cette région du monde. Question démocratie, puisque c’est le
sujet de cet article, nous avons là, avec « l’union » Russie, Iran,
Corée du Nord et Chine, quatre pays tenus par une belle brochette de pouvoirs
autoritaires. Or en Europe, plusieurs dirigeants de pays où des coalitions d’extrême-droite
sont au pouvoir, se comportent finalement en alliés objectifs de la Russie, M.
Viktor Orban en Hongrie et M. Robert Fico, en Slovaquie en tête. La montée de l’extrême-droite
en Autriche, en Allemagne et en Flandres, voire en France, avec leur dirigeants
pro-russes, constitue donc un risque gravissime pour l’Union Européenne et pour nos
démocraties, aussi imparfaites soient elles.
Autre conflit inquiétant, le Moyen Orient. La situation qui
était déjà mauvaise, a rapidement dégénéré après l’attaque révoltante du Hamas
sur des populations israéliennes civiles, sauvagement massacrées. Tout aussi révoltante a été l’action
du gouvernement israélien, qui, sous couvert de défense du pays, un droit effectivement
imprescriptible, a mené des opérations militaires qui ont conduit à d'autres
séries de massacres de civils dans la bande de Gaza. Le bilan est
catastrophique. Plus de 4 000 israéliens ont été tués, blessés ou déportés. Plus
de 150 000 Gazaouis ont été tués ou blessés, très majoritairement des femmes et
des enfants, et plus de deux millions ont été déportés sur le territoire, soit 90%
de la population (3). Là aussi les pages Wikipédia sont riches d’informations
(4). On constatera avec effroi que l’armée israélienne a répondu aux massacres
des populations civiles israéliennes par le Hamas par des massacres de
populations gazaouis d’une magnitude sans commune mesure. Des hôpitaux ont été visés comme des usines de production électrique, des écoles, et mêmes de crèches... À tel point que des juristes,
plusieurs pays, des ONG, soupçonnent Israël de commettre un génocide à
Gaza, et d’avoir cumulé crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Une
Commission d'enquête de l'ONU accuse aussi Israël de ces mêmes « crimes de
guerre et crimes contre l’humanité », et, logiquement, elle accuse également le
Hamas de « crimes de guerre » commis en Israël. La Cour Pénale Internationale
a délivré également un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien M. Benyamin
Netanyahou et son ministre de la défense, M. Yoav Gallant, pour crimes de
guerre et crimes contre l’humanité présumés. Là aussi, trois membres du Hamas, Ms.
Ismaël Haniyeh, Mohammed Deïf et Yahya Sinwar feront l’objet d’un autre mandat
pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire
d’Israël et de l’État de Palestine. Pour ces trois derniers, l’action sera sans
aucun doute éteinte en raison de leurs morts, attribuées à Israël.
En tentant de
prendre du recul, outre le bilan catastrophique de ce conflit (et encore ai-je
passé sous silence la situation au Liban), il me semble que nous n’avons pas réalisé
que nos démocraties et au-delà l’idéal démocratique en sortent laminés. Deux
raisons à cela. La première est qu’Israël se veut et se décrit comme un état
démocratique. Mais peut-on vraiment dire cela d’un état qui ne respecte pas les résolutions de l’ONU,
qui ne respecte pas le droit de ses minorités et dont les dirigeants font, à
tout le moins, l’objet de suspicions de génocide, de crime de guerre et de crime
contre l’Humanité ? Est-ce l’image que nous, peuples en théorie fidèles
aux lumières, souhaitons donner de nos valeurs ? La seconde est liée à
la première. Comment expliquer l’assourdissant silence de nos démocraties
face à ce qui se passe en Israël et en Palestine, ou au Liban. Tout s’est passé,
depuis plus d’un an, comme si nos démocraties occidentales regardaient
ailleurs, sans réaliser que ce silence interroge sur ce « deux poids, deux
mesures » qui différencie le traitement réservé à un état peu
recommandable comme Israël, et celui réservé à un autre état aussi peu recommandable, la Russie ? Ce silence, mâtiné de quelques plus que timides froncements
de sourcils, interroge aussi sur le consentement tacite de nos dirigeants vis-à-vis
du génocide possiblement perpétré à Gaza. Plus grave, dans l’œil d’autres
pays, d’autres citoyens du monde, il rend nos pays occidentaux et par
conséquence nos démocraties possiblement complices des crimes commis en Palestine.
J’exagère, direz-vous ? Alors, comment interpréter les déclarations de certains
de nos ministres disant que M. Benjamin Netanyahou bénéficierait d’une « immunité »
s’il se rendait sur le sol français… contrairement à toutes nos obligations de
signataire des traités internationaux relatives aux cours de justice
internationales.
Autre raison de s’inquiéter : l’élection
de M. Donald Trump aux Etats-Unis. Dans ce cas particulier, la validité de l’élection
n’est pas à remettre en cause contrairement d’ailleurs à ce qu’avait tenté de
faire ce même personnage lors de sa défaite de 2020. Non, le risque pour la
démocratie réside ici dans le recours à la collecte de données personnelles à
des fins de ciblage politique, à la large diffusion de publicités mensongères, à
la circulation de messages soutenant les théories du complot, bref aux mensonges.
Cela pour permettre l’élection d’un individu poursuivi en justice et condamné
pour trente-quatre chefs d’accusation dans l’affaire des falsifications
comptables en lien avec les paiements secrets faits à une actrice pornographique*…
Deuxième défaite de la démocratie : cette déliquescence résulte
en grande partie du contrôle exercé sur les réseaux sociaux et de l’argent
injecté par deux milliardaires que je qualifierais de déjantés. Bref, tout cela
s’inscrit dans un contexte maintenant connu de vérité alternative, un concept
qui fait que le vrai et le faux ont finalement la même valeur (5,6). Seul motif
d’espérer, cette déchéance morale pourrait conduire à une situation de pourrissement
interne des Etats-Unis qui affaiblirait complètement le pays, provoquant enfin
un sursaut démocratique. J’avoue croire peu à cette perspective et espère
aujourd’hui simplement que les Etats-Unis n’entraineront pas l’UE dans une
longue et douloureuse chute. Pour cela, encore faudrait-il un réveil de l’UE et
une remise en cause sérieuse de son alignement sur les Etats-Unis…
La situation intérieure française ne permet pas non plus d’espérer
beaucoup pour notre démocratie. Je ne fais pas partie de ceux qui remettent en
cause les résultats d’élections, ni le choix de notre président, M. Emmanuel
Macron, de dissoudre l’assemblée. De même, je ne vois aucun motif
constitutionnellement valide pour penser qu’il pourrait être destitué. En revanche,
je suis très contrarié par le fait que ce même président n’ait pas respecté,
non pas la Constitution, mais son esprit. Il a ainsi « joué la montre »,
en cachant derrière un faux semblant, ses choix politiquement discutables. Il a
outrepassé ses prérogatives en arguant qu’il était guidé par une volonté de
nommer quelqu’un qui pourrait éviter d’être censuré, alors que ce choix de
censure - ou non - aurait dû être celui du Parlement, et pas celui de l’exécutif. Enfin,
il a, à deux reprises, choisi de nommer un premier ministre issu de minorités
parlementaires. Ces mêmes deux premiers ministres ont nommé des ministres
également issus de ces groupes parlementaires minoritaires, qui tentent par
tous les moyens d’appliquer la même politique délétère rejetée par
une majorité de Français, si l’on agrège le NFP et le RN. L’agrégation est osée,
j’en conviens, mais elle a néanmoins conduit à la censure du gouvernement de M.
Michel Barnier et elle n'empêchera pas plus sans doute celle du gouvernement
actuel. Une autre menace pour la démocratie française réside dans le poids de
plus en plus lourd que pèse des milliardaires dans l’audiovisuel et les médias,
à l’image de la situation aux USA ou au Royaume Uni. L’impact de cette mainmise
se fait sentir dans les médias de masse tels Europe 1, C8 ou CNews appartenant
au groupe Bolloré, où l’on n’hésite plus maintenant à tenir propos ouvertement racistes
ou mensongers (7). Elle se fait aussi sentir dans les palais de la République
où ces mêmes milliardaires murmurent à l’oreille de nos décideurs (8). Comment s’étonner
ensuite des dénis de démocratie que je décris ci-dessus, qui conduiront inéluctablement
à renforcer les scores du RN dans un amalgame entre « tous pourris »,
« à quoi cela sert de voter pour reprendre les mêmes », « on a
tout essayé sauf l’extrême droite » ou « il nous faudrait une bonne
dictature » …
Le ton de cet article peut paraitre lourd en cette fin d’année,
mais je ne vois pas de raison d’être particulièrement joyeux. Peut-être suis-je
assez sensible à ces situations de conflit et de mensonge, car je suis totalement
absent des réseaux dits sociaux, où la vérité alternative fait loi. Peut-être
aussi parce que je traine derrière moi quelques 40 ans de recherche publique, au
cours desquels j’ai toujours tenté, sur des sujets parfois délicats comme les
dossiers OGM, et avec d’autres, de démêler le vrai du faux pour faire émerger
non pas la vérité, ce serait présomptueux, mais un consensus étayé… Or comme je l’ai montré je le
crains, nos sociétés dites démocratiques s’éloignent de plus en plus de cet idéal.
Et même au plan loco-local, dans notre commune, les choses ne vont pas bien. Le
vivre-ensemble personnifié par les associations ne s’est jamais aussi mal porté, le
fonctionnement démocratique de la commune est à l’arrêt et la désinformation et
le mensonge y ont aussi largement cour (9). Mais bonne année quand même !
* Note ajoutée le 31/12 : et condamné hier 30/12/24 au civil pour agression sexuelle !
Références
1. Guerre russo-ukrainienne. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_russo-ukrainienne
2. Révolution de la Dignité (Maïdan)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_de_la_Dignit%C3%A9
3. Anonyme. À Gaza, deux millions de déplacés internes sont
confinés sur 11 % du territoire. Le Courrier International. Aout 2024.
4. Guerre Israël-Hamas (depuis 2023)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_Isra%C3%ABl-Hamas_(depuis_2023)
5. Brian Myles. Le trumpisme en continu. Le devoir. Novembre
2024.
Consultable en ligne :
https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/823360/editorial-presidentielle-americaine-trumpisme-continu?
6. Alexandra Schwartzbrod. Présidentielle américaine : la
démocratie dans tous ses états. Libération. Novembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/presidentielle-americaine-la-democratie-dans-tous-ses-etats-20241104_FUBNNHIVG5EC5EVCJY2SVWE2LE/
7. Caroline Constant, Tom Demars-Granja, Honorine Letard. Quelle
riposte à la bollorisation des médias ? L’Humanité. Septembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias
8. On lira avec intérêt l’enquête du « Nouvel Obs »
d’Octobre 2024, à ce sujet. Une petite partie est consultable en ligne :
https://www.nouvelobs.com/politique/20241030.OBS95680/l-influent-bernard-arnault.html
9. On lira les articles de ce blog traitant regroupés sous l’onglet
Forges les Bains dans la version web de ce site, ou que l’on peut trouver dans
la version téléphone par exemple sous le titre « Les petits et gros
mensonges de la municipalité ». Voir par exemple :
https://dessaux.blogspot.com/2024/06/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/09/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/11/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
Crédit illustration :
Image du film éponyme, de et avec Jean Yanne.