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dimanche 10 mars 2024

PRENEZ LES TRANSPORTS EN COMMUN !

Le titre de ce billet reprend une injonction que nous entendons tous à la radio, en particulier lors des publicités pour des véhicules, qu’ils soient électriques ou thermiques. J’ai eu l’occasion de me rendre en trois occasions à Paris dernièrement, et soucieux de l’effort à faire je m’y suis rendu par les transports en commun, deux fois, et une fois par la route car je devais déposer un équipement lourd et volumineux (une vingtaine de kilos environ) dans un atelier en vue de sa révision. Dans tous ces cas ce qui aurait dû n’être qu’un déplacement tout à fait banal s’est révélé être une vraie galère.

Pour le déplacement en voiture, j’ai visé un jour et un horaire de faible circulation et j’ai donc entamé ma traversée de Paris en longeant la Seine à partir du quai du point-du-jour à Boulogne-Billancourt. Tout s’est bien passé jusqu’à l’entrée dans Paris ou la voie sur berge qui comportait habituellement deux files s’est retrouvé réduite à une file, la seconde ayant été transformée en piste cyclable. Bien que l’intention puisse apparaître louable, elle a pour conséquence de générer des embouteillages très importants de l’entrée de Paris à la sortie vers la Concorde. Cela est d’autant plus frustrant que la piste cyclable n’est absolument pas utilisée. Sur toute la longueur évoquée ci-dessus, je n’ai croisé en tout et pour tout que 3 cyclistes… Arrivé à la Concorde, nouvelle surprise : la moitié de la place et maintenant inaccessible aux engins motorisés. Si cela ne pose pas de problème en termes de surface, le marquage des voies de circulation est cauchemardesque. Il est très difficile de s’y retrouver et plusieurs véhicules roulant en sens inverse se sont trouvés en face à face… Ensuite, sur les grands boulevards, la circulation est également très difficile en raison de l’alternance et du croisement des voies pour bus, des pistes cyclables et des files réservées aux véhicules. J’ai néanmoins fini par atteindre ma destination, ou presque, puisque l’atelier de réparation se trouve dans une zone interdite aux véhicules ! Un vrai délire ! J’ai donc dû demander à des éboueurs comment me rendre dans la zone et ils m'ont indiqué un agent communal que je n’avais pu identifier et qui était chargé de procéder à l’ouverture d’une barrière de sécurité permettant l’accès à la zone. J’aurai ainsi mis plus de 2 heures pour effectuer le trajet entre mon domicile forgeois et l’atelier situé dans le 10e arrondissement parisien. Que les lecteurs ne se méprennent pas sur mon positionnement. Je pense qu’il est intéressant de favoriser le développement de mobilités alternatives dans les grandes villes, en particulier le vélo, ainsi que d’y développer des voies réservées aux véhicules de transport en commun. Il reste a minima, à OR.GA.NI.SER la coexistence de ces différents modes de déplacement. Or, à Paris, semble régner à la fois une sorte d’anarchie circulatoire, et une absence de réflexion sur la nécessité de maintenir un minimum d’espace pour les voitures, en particulier pour les véhicules des artisans ou les véhicules de livraison. Une de mes relations dans l’artisanat me dit d’ailleurs qu’il refuse maintenant les contrats à Paris intramuros en raison de l’impossibilité d’accéder aux rues et stationnements avec sa camionnette, et la multiplication des PV pour stationnement illégal. La leçon que je tire de mon expérience récente est que dorénavant, si j’ai de nouveau besoin de l’intervention d’un service après-vente, je choisirais sans hésiter un SAV situé en province plutôt qu’à Paris, quitte à me rendre à Chartres ou Orléans par exemple. En termes de bilan carbone, ce n’est pas vraiment top mais j'en profiterai pour jouer au touriste !

Dans les deux cas où j’ai pris les transports en commun, je n’avais rien de lourd à transporter. Premier trajet au départ de la gare autoroutière de Briis, une belle réalisation locale ceci dit ! Premier problème, beaucoup de monde pour attendre le bus, et deuxième problème, des bus supprimés. Selon mes voisins d’attente, ceci est fréquent sur la ligne 91-03. J’arrive à Massy après 25 minutes, et je saute dans le RER B. Nouveau problème : il fait autour de 2 degré dehors et… autant dans le train où le chauffage ne fonctionne pas. Les vitres dégoulinent de la vapeur d’eau condensée que nous émettons en respirant. Tant bien que mal, j’arrive à Denfert, où l’on m’indique un problème sur la ligne du métro, à l’arrêt. Obligé de modifier son itinéraire au dernier moment, avec une rallonge du temps de parcours notable ! Le retour vers Forges s’est en revanche bien passé.

Deuxième trajet, vers Paris, un autre jour. Echaudé par les problèmes sur la ligne 91-03, je décide d’aller en voiture prendre le RER B. Premier constat, il est impossible de se garer pas trop loin d’une gare RER entre Gif et Massy, sans devoir payer un stationnement. Dans certaines communes, le stationnement est resté gratuit, mais des zones bleues ont fleuri, avec des durée de stationnement restreintes à 2 heures, ou une demi-journée. C’est génial pour ceux qui travaillent dans la capitale, non ? Comment veut-on inciter les Franciliens à utiliser les transports en commun si les parkings de rabattements sont, soit inaccessibles, soit payants ? Car même si des abonnement sont disponibles en certains endroits, le budget stationnement s’ajoute au budget transport en commun, les sommes cumulées pouvant alors atteindre 200 euros par mois ! Au moins la CCPL a, elle, perçu ce problème et maintient-elle l’accès au parc de Briis gratuit. Je stationne finalement à Massy car il y passe plus de RER B que plus loin sur la ligne. Pas de problème ensuite de Massy à Paris. En revanche, de nouveau une grosse galère au retour. D’où j’étais dans Paris, c’est-à-dire aux Invalides, il était plus facile pour moi de prendre le RER C jusqu’à Massy, ce qui me permettait également de voyager assis. Arrivée à la station, je constate qu’aucun train ne va à Massy. Je me renseigne au guichet (ouvert, miracle !) et l’agent, fort gentil, me dit que non, ce jour plus de train pour Massy (un samedi soir vers 18h00 !), sans qu’il sache pourquoi. Ceci est indiqué nulle part, aucune information n'est donnée dans les hauts parleurs. Seuls les panneaux des trains aux départs révèlent l’absence de ces trains. Il me suggère donc de faire donc faire un changement à Saint-Michel et reprendre le B. En attendant, je repère le quai des trains du RER C vers Austerlitz et Juvisy / Etampes, et voyant un train à l’arrêt je vérifie que je peux y monter. Surprise, ce train ne va pas dans cette direction, mais il repart vers Boulainvilliers et Gennevilliers. Assez abasourdi, je vérifie une deuxième et une troisième fois. Oui, nous sommes bien sur le quai des trains qui se rendent à Austerlitz et le train à l’arrêt va bien à l’opposé. Je vois d’ailleurs que d’autres voyageurs n’y comprennent rien… Ce jour-là, il y avait visiblement peu d’étrangers, mais d’ici à quelques mois ce sera – malheureusement – les JO à Paris. J’imagine la pagaille indescriptible que ce sera lorsque des centaines de voyageurs de nationalité différentes, et ne comprenons pas tous le Français devront faire place à de telles incohérences. J’en ai discuté avec ma sœur d’adoption qui est une des co-responsable d’un très gros syndicat à la RATP, et elle m’a bien indiqué que le manque de personnel, le manque d’entretien des matériels en trainant une disponibilité plus réduite des rames, et le contexte de la privatisation à venir n’arrangent rien. Pour elle, nous ne serons jamais prêts pour juillet, et si tout ce passe bien, cela tiendra du miracle… D’autant que l’aventure ne se termine pas là : le même agent sympa me dit aussi que mon billet n’est pas valable sur le RER C pour aller à Massy, c’est un billet pour le RER B. Il n’y a rien marqué sur le billet en ce sens, pourtant, juste que c’est un billet pour Massy… Il me dit que c’est un problème connu et que bien que je puisse être sanctionné, les amendes ne sont en général pas données. En incidente, est-ce à cela où l’on arrivera avec la privatisation ? Il faudra alors un billet par ligne de métro selon que l’on parcourt de Nation à Etoile par le nord ou le sud ? On nage en plein délire. Enfin « last but not least », le RER B que j’attrape à Saint-Michel était un semi-direct pour Massy, puis omnibus Massy Saint-Rémy. Arrivé à Massy, le conducteur dit qu’il doit changer de mission, et qu’il sera direct Orsay puis omnibus Orsay Saint-Rémy. Il me semble que la plupart des gens ont bien entendu cet appel et sont descendus en grommelant. Il faut cependant savoir que cette pratique est interdite à la SNCF où l’on ne peut changer les arrêts d’un train en cours de mission. Sur le RER B, géré par la SNCF et la RATP, c’est pourtant possible ! Je ne peux ici que répéter ce que j’écrivais plus haut. Avec de tels problèmes, je ne sais pas comment vont se dérouler les prochaines olympiades parisiennes. En attendant, comme le dit la pub, « à nous de vous faire préférer le train » et à vous de « privilégiez les transports en commun »…



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https://leblogduscooter.fr/actualites-4-personnes-au-m2-metro-parisien






mardi 6 février 2024

NOTRE SÉNATEUR PRIS DANS UN NAUFRAGE RÉPUBLICAIN

Ayant été élu pendant 12 ans à Forges et ayant représenté notre commune dans nombre de structures intercommunales, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’y croiser ou de rencontrer l’ancien maire de Limours, notre actuel sénateur, M. Jean-Raymond Hugonet. Je l’ai toujours considéré comme un élu investi pour sa commune et au-delà pour notre communauté de communes. Au plan personnel, je ne le connais très peu, mais j’ai régulièrement apprécié sa disponibilité et, me semble-t-il, une certaine capacité d’écoute de son interlocuteur, ce qui ne l’empêchait pas - et c’est fort légitime - de défendre souvent ses idées, disons avec vigueur.

Or, je viens de tomber sur le journal municipal de Limours et l’article de l’équipe d’opposition relatif au vote de la loi immigration au Sénat. Dans cet article, il est indiqué que notre sénateur a voté en faveur de cette loi. J’avoue être extrêmement déçu de cette décision de M. Jean-Raymond Hugonet. Il me faut être clair ici : les critiques que j’émets ne sont pas dirigées contre la personne, mais contre sa position politique, qui m’a surpris d’ailleurs, car ce vote ne correspond pas du tout à l’image que j’ai de lui.

Je ne suis pas opposé à l'idée de réguler les flux migratoires, bien que je préfèrerais des solutions visant à débarrasser le monde des causes qui les engendrent. Comme le disait l'ancien premier ministre, M. Michel Rocard, « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Ce qui est surprenant, c'est que l'on occulte systématiquement le « mais elle a vocation à y contribuer » qu'il avait ajouté en « off ».  Si l’on regarde d’un peu près cette loi immigration, nous avons été nombreux à dire rapidement que certains de ses aspects étaient simplement une honte pour notre République. Je cite d’ailleurs là les propos de l’opposition limourienne : « on peut déjà dire que les débats du Sénat et les amendements qui y ont été votés, intégrant tous les clichés possibles sur l’immigration, représentent une dérive indigne de la politique de notre pays [] Ce projet de loi qui stigmatise l’étranger comme étant uniquement une menace ou un fraudeur ne fera qu’ajouter des difficultés sans assurer une meilleure maîtrise de l’immigration. De telles dérives pourraient avoir des conséquences dramatiques pour notre société ». En accord et en exemple, j’ai explicité, dans un billet de ce blog publié plus tôt, pourquoi cette loi nous couperait des liens que nous tentons d’établir au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche, avec les futurs cadres dirigeants des pays dits du Sud.

Il y a cependant plus grave en termes de perte de l’esprit républicain. De facto, cette loi organise, via la « préférence nationale » voulue par les élus du RN et des Républicains à leur remorque idéologique, une inégalité entre Français et étrangers d’autant plus injuste qu’elle impose les mêmes devoirs aux uns et aux autres, mais qu’elle ne leur garantit pas les mêmes droits. Nous avons aussi été nombreux à dire, sans être de grands spécialistes, que plusieurs aspects de cette loi étaient sans doute contraires à la Constitution. C’est d’ailleurs en partie l’avis du Conseil Constitutionnel qui a déclaré non conformes à la Constitution 32 articles de cette loi, qui en comptait 86. Attention cependant à ne pas se réjouir trop tôt, car les motifs de cette censure portent principalement sur ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs ». Ces cavaliers sont des dispositions incluses dans le texte, bien qu’étrangères au domaine de la loi votée. Sont entre autres concernées les limitations du regroupement familial, les restrictions des prestations sociales, de l’AME, les restrictions sur les titres de séjour étudiants avec obligation de caution, la fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, une liste non limitative. Il serait donc possible de présenter de nouveaux textes de loi sur ces seuls sujets, mais il n’est pas certain que ceux-ci puissent être votés en termes identiques au Sénat et à l’Assemblée. Toutefois s’ils l’étaient, le Conseil Constitutionnel sera également et sans aucun doute appelé à se prononcer, cette fois-ci « au fond », sur leur constitutionnalité. Notons d’ailleurs que plusieurs articles de loi ont été en totalité ou partiellement censurés au fond par le Conseil Constitutionnel : il agit de l’article 1er qui prévoyait la fixation du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France (aussi appelé élégamment « quotas d’immigrés ») et de l’article 38 autorisant le relevé des empreintes digitales et la photographie d’un étranger sans consentement. Enfin les articles 14 (restriction pendant un an des nouvelles demandes d’admission au séjour après refus) et 42 (assignation à résidence) font l’objet de censure partielle, interdisant leur validation en l’état.

Le troisième élément de ce que je considère comme constitutif d’un naufrage républicain se situe, lui, au niveau de la Présidence de la République et du gouvernement. Se doutant bien de l’existence de cavaliers législatifs, et doutant de la constitutionnalité même de ce texte de loi, c’est M. le Président de la République qui a saisi le Conseil Constitutionnel, appuyé en cela par Mme Y. Braun-Pivet, l’inénarrable présidente de l’Assemblé Nationale, alors que tous deux ont tout fait pour que ces lois passent… Désolé de dire que les seuls qui ont fait preuve, dans ce cirque politique, de courage sont les députés de gauche qui se sont opposés au texte et qui ont, eux aussi, saisi le conseil Constitutionnel… Quelle honte cependant de voir que le premier personnage de la République et le quatrième n’ont pas eu le courage de s’opposer, en toute connaissance de cause, à ce texte dont ils connaissaient l’illégalité. Il s’agit ici, et je cite ici le communiqué du PS, d’une « faute politique et morale » d’un gouvernement et de sa majorité « alignés sur les positions idéologiques historiques de l’extrême droite ». En cela, ce naufrage concerne aussi notre sénateur, lui qui a voté ces lois, mais, et je tiens ici à le souligner, pas notre députée, Mme Marie-Pierre Rixain, qui s’est elle abstenue alors qu’elle appartient au parti présidentiel.

Dernier point, M. Jean-Raymond Hugonet s’est vu accorder un droit de réponse dans le même numéro du journal municipal de Limours. Il y explique les motivations qui l’ont conduit à voter ce texte, au titre desquelles on retrouve, entre autres, je le cite, la possibilité « de faire face à l’ampleur de la crise migratoire que nous connaissons, d’en finir avec le principe de régularisation massive, de considérer le séjour irrégulier comme un délit, de ne pas transformer le regroupement familial en véritable « pompe aspirante », de systématiser le prononcé de l’Obligation de Quitter le Territoire Français, (OQTR) et l’interruption du bénéfice de la protection universelle maladie pour les déboutés du droit d’asile ». Quant au fait que ce texte serait conforme aux attentes des Français, je rappelle qu'au moment du vote contre le maintien de la peine de mort en France, une grande majorité de Français y étaient encore favorables. Également, je n'ai pas senti cette même volonté d'écoute des Français dans leur combat contre l'accroissement de l'âge de départ à la retraite de la part de notre sénateur, même s'il s'est à l'occasion abstenu de voter, mais passons. Enfin, M. Jean-Raymond Hugonet ajoute qu’il a voté le texte de loi immigration car « j’aime profondément mon pays, la République, son histoire, sa culture et que je n’ai pas envie qu’il bascule dans l’obscurantisme… ». Ce faisant, notre sénateur montre sa méconnaissance totale des raisons qui poussent des gens à fuir les guerres et la misère. Plus grave à mon sens, et à l'inverse, encore une fois, de l'image que j'ai de lui, il s’aligne en réalité sur le discours raciste et xénophobe caractéristique de l’extrême droite désignant l’immigré comme un délinquant voire un criminel en puissance, un opportuniste, venu ici pour profiter des allocations chômage ou du système de santé. Ce discours sera sans doute très apprécié par les quelques 250 000 artisans, 400 000 cadres, 400 000 contremaitres, et 1 600 000 employés ou ouvriers immigrés (données INSEE 2019) qui assurent une certaine prospérité au pays…



Référence :

Pour ceux qui voudraient lire l’avis du Conseil Constitutionnel :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2023-863-dc-du-25-janvier-2024-communique-de-presse



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Service photo du Sénat
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lundi 29 janvier 2024

DEUX POIDS, DEUX MESURES...



 

Ce billet pour m’étonner du traitement réservé en ce moment aux manifestations du monde agricole par le gouvernement…

En propos liminaire, un mot pour dire que je suis, comme beaucoup de Français, plutôt en accord avec un grande partie des revendications du monde agricole, et qu’en tous cas, je comprends parfaitement la colère paysanne. On ne peut décemment travailler 60 heures par semaine, souvent 6 ou 7 jours sur 7, pour des clopinettes… Je pense cependant que les agriculteurs sont en grande partie victimes du modèle économique européen et pour une fois, je suis également d’accord avec nombre de politiques de LFI, du PS, d’EELV et même de Mme Le Pen quand tous dénoncent les accords de libre-échange délétères que signe l’UE et qui ne bénéficient, in fine, qu’à un très petit nombre d’entités économiques. Comment en effet justifier que l’on puisse importer des produits agricoles de Nouvelle-Zélande, du Chili ou d’Argentine, alors que nous pouvons les produire ici avec un coût environnemental bien meilleur ? Ce, d'autant que nos normes sont en général plus contraignantes que les normes étrangères, et puisque les coûts financiers et environnementaux du transport en provenance du Périgord ou de la vallée du Rhône sont bien inférieurs à celui de produits importés de « l’autre bout du monde »… Un mot en complément pour dire que le consommateur doit aussi apprendre à ne plus vouloir de fraises ou de haricots hors saison, et privilégier la production locale. Nous avons la chance d’habiter un territoire où cela est possible : profitons-en. Cela ne nous empêche pas d’acheter de temps en temps, de façon limitée, des produits exotiques car il n’est pas question non plus pour moi d’imposer une vision écologique qui ferait que l’on n’aurait pas droit de consommer de l’ananas ou des litchis, tant que cela est fait avec modération.

Il me semble aussi que les agriculteurs sont victimes du modèle d’agriculture intensive qu’on leur propose – ou impose – depuis des années et qui a pour effet de les étrangler au profit des filières aval, et également, ne l’oublions pas, des banques. Ceci est néanmoins un autre sujet, bien que lié, et qu’il me semble que la colère agricole ciblant, chez certains, les contraintes environnementales, soit instrumentalisée. Pour ne parler que de ce que je connais pour y avoir travaillé avec des collègues de l’INRA, les autorisations d’usage des pesticides divers, leur règles d’application ou de non application, les doses, les durées entre dernier traitement et récolte, etc., toutes ces normes sont là à la fois pour protéger les utilisateurs, c’est-à-dire les agriculteurs, mais aussi les consommateurs et également l’environnement au sens large, c’est-à-dire, quelque part, le bien public. Comment, dès lors, accepter que des produits étrangers traités avec des pesticides interdits d’usage en France puissent se retrouver sur les étals des supermarchés ou des commerçants de nos marchés ?

Ceci dit, ce billet traduit principalement mon étonnement en regard des réactions gouvernementales vis-à-vis de cette colère paysanne. Si je fais le compte de ce qui se passe depuis quelques jours, on compte quand même des centaines de kilomètres d’autoroutes coupées, des incendies volontaires, dont celui d’un bureau des douanes à Nîmes, de bâtiments de la mutualité agricole en Vendée et à Narbonne, des déversements de paille et de lisiers devant plusieurs préfectures, dont Agen, ou un incendie volontaire a aussi été allumé, et devant le centre des finances publiques de Saintes, un « McDo » dégradé, des supermarchés attaqués, des parking de supermarché largement dégradés comme à Clermont L’Hérault, des cargaisons de camions vidés, y compris des cargaisons non agricoles, les locaux de l’office français de la biodiversité à Trèbes saccagés, etc. J’arrête ici la liste. Tout cela pour dire que si, encore une fois, je comprends la colère du monde agricole, je ne comprends pas le laisser-faire gouvernemental vis-à-vis d’une minorité d’agriculteurs, voire les encouragements ministériels à poursuivre… Je rappelle ici les propos de l’inénarrable ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, qui affirmait voilà peu « ne pas demander l’évacuation » d’autoroute au motif « qu’il n’y avait pas de dégradation ». Ce même ministre disait : « est-ce qu’ils s’en prennent aux policiers et aux gendarmes, est-ce qu’ils s’en prennent aux bâtiments publics, est-ce qu’ils mettent le feu aux bâtiments publics ? Ce n’est pas le cas », ce qui, on vient de le voir, est un gros mensonge, tout en ajoutant « les agriculteurs travaillent et, lorsqu’ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre » et « en tant que ministre de l’intérieur, à la demande du président et du premier ministre, je les laisse faire ».

Ce laisser-faire gouvernemental s’est même traduit plus tard par la phrase bien connue : « on ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS ». Or, en entendant cela, je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle le traitement réservé au monde agricole et celui réservé au monde salarié général, en particulier lors des dernières manifestations conte la contre-réforme des retraites ou de la révision des indemnités chômage. Dans l’ensemble, ces manifestations qui ont rassemblé, en plusieurs fois, plusieurs dizaines de millions de manifestants, se sont globalement déroulées dans le calme, ce qui n’a pas empêché les forces de l’ordre de recourir à des actions violentes contre des manifestants pacifiques. Nombre de mes connaissances moi-même avons eu à subir de jets de grenades lacrymogènes alors qu’il ne se passait strictement rien dans la manifestation. J’ai même vu une fois des forces de l’ordre tenter de scinder un cortège en deux, alors que, là aussi il ne se passait rien, et qu’aucun élément perturbateur n’était présent. J’ai donc le sentiment qu’il s’agissait là de provocations inutiles, destinées éventuellement à générer un incident susceptible de disqualifier les mouvements de protestation. Dans le même ordre d’idée, des interrogations subsistent dans ma tête sur la liberté laissée à certains éléments anarchisants de type « black-block » de semer la pagaille, très en marge des manifestations. Le rendu est que les journaux TV et radio du soir ne parlent évidemment que de ces débordements, oubliant assez soigneusement de présenter les faits majoritaires : des cortèges pacifiques, et surtout, des revendications claires et motivées. De façon plus dérangeante, les propos récents du ministre suggèrent que visiblement les salariés ne souffrent pas au travail, et que l’on peut donc leur envoyer des CRS pour toute réponse. Les dits salariés, comme les pompiers ou les professionnels de santé du secteur sinistré des hôpitaux, qui ont eu à subir cette forme de violence institutionnelle apprécieront. 

 

Crédit illustration :

Dessin de Placide
https://www.leplacide.com/caricature-Les-agriculteurs-ont-d%C3%A9fil%C3%A9-sur-les-champs-9747-28-politique.html
Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.




dimanche 14 janvier 2024

L’ANNÉE COMMENCE SUR LES CHAPEAUX DE ROUES !



En matière de politiques locale et nationale, ce début d’année ne cesse de m’étonner. Au plan local, la mairie est encore une énième fois dans l’illégalité la plus complète, avec de nouvelles demandes qui excèdent les prérogatives municipales. J’y reviendrai plus tard. Au plan national, le « remaniement » ministériel apporte également son lot de surprises, et pas seulement en regard de la nomination d’un tout jeune premier ministre.


Ce n'est d'ailleurs pas la personnalité du Premier ministre que je serais tenté de questionner mais plutôt ce que signifie sa nomination à ce poste, tant qu’elle me semble emblématique de la Macronie et de son idéologie. Tout d’abord, il convient de rappeler que ce jeune homme a commencé sa carrière politique au PS, comme proche de M. Dominique Strauss-Kahn. Comme beaucoup d’autres membres du PS, il a opportunément fait le choix de se rapprocher du parti présidentiel lorsque le vent a tourné. Il coche d’ailleurs nombre de cases validant l’entrée en Macronie, entre formation élitiste, goût immodéré pour la communication, et propos méprisants face aux revendications sociales. Je rappellerai ici ses critiques sur la soi-disant culture de la grève à la SNCF, où ceux liés aux « casserolades » en réponse à la contre-réforme des retraites, que je cite ici : « ceux qui ont le temps d’accueillir des ministres de 14h à 18h en pleine semaine, à priori, ce ne sont pas les Français qui travaillent, qui ont des difficultés à boucler les fins de mois » (1).

Il fait donc parti de ces « jeunes brillants » dont raffole notre Président, tout à fait dans l’idéologie de la « France qui gagne ». Comme l’indique M. Nicolas Framont, sociologue « Fils d’un avocat puis producteur de cinéma, [M. Gabriel Attal] grandit dans les beaux quartiers de Paris. Il fait sa scolarité à l’école Alsacienne, un établissement privé sélectif où la bourgeoisie envoie ses enfants pour qu’ils bénéficient d’un enseignement de pointe, comportant pédagogie alternative, nombreux voyages scolaires et ouverture internationale. Dans leur livre Fils et filles de… (2015), les journalistes Aurore Grotius et Anne-Noémie Dorion décrivent un établissement qui permet aux familles riches de réserver à leurs enfants un entre-soi complet et un enseignement respectueux de leurs personnalités, pour garantir les meilleurs résultats scolaires. On peut dire que l’école Alsacienne est la première étape de tout parcours «brillant», mais que pour y parvenir il faut simplement être né au bon endroit ».

Son goût pour la com, domaine où il excède, lui a valu d’assurer le rôle de porte-parole du gouvernement pendant des années. En dépit d’une élection comme député de la Xe circonscription des Hauts de Seine (LREM), notre premier ministre aura d’ailleurs connu nombre de cabinets ministériels. Sous les ors du pouvoirs, son parcours est d’ailleurs questionnable tant il semble avoir progressé sans bilan défendable. Rappelons qu’il est à l’origine de l’instauration de Parcoursup, dont on connait les défauts majeurs et dont il serait bon, un jour, de faire le bilan. Rappelons là aussi que face à la grogne estudiantine pourtant modérée face aux conséquences délétères possibles de cette nouveauté, M. Gabriel Attal avait parlé avec mépris d’attaques infondées, menées par des étudiants « bobos égoïstes » (2)… Un peu difficile à entendre quand on sait que nombre de ces étudiants ont des fions de mois très difficiles, travaillent, et pour certains, sautent des repas faute de moyens. Ce questionnement au sujet de son bilan vaut aussi pour son passage au Ministère de l’Éducation Nationale, où son action s’est davantage portée sur de grands discours autour de prises de position démagogiques et sur son soutien indéfectibles aux classes moyennes, que sur des actions concrètes (à part la mise en place de cours de « bienveillance »), ce qui m’avait conduit à rédiger un billet sur le bonneteau de la rentrée scolaire (3).

Au titre des interrogations, certains auteurs, dont M. Juan Branco, trouvent à sa carrière un léger parfum de népotisme. Selon l’encyclopédie Wikipédia (4) : « Il aurait été employé au cabinet de Marisol Touraine dès 2012 grâce, selon l'auteur, à sa proximité avec la fille de l'ancienne ministre. De même, son ascension au sein de la Macronie serait la conséquence de l'influence de son compagnon Stéphane Séjourné, un conseiller d'Emmanuel Macron ». M. Stéphane Séjourné, un des pontes de la Macronie, a en effet été pacsé pendant 5 ans avec M. Gabriel Attal. De façon remarquable, M. Stéphane Séjourné vient aussi du PS, courant Strauss-Kahn, et lui aussi a rejoint LREM très tôt, ce qui lui a permis une ascension politique extrêmement rapide. Je cite Wikipédia : « après qu'il s'est engagé dans la première campagne présidentielle d'Emmanuel Macron, ce dernier le nomme conseiller politique à ses côtés lorsqu'il est élu président de la République. En décembre 2018, il quitte l'Élysée pour devenir directeur de campagne et candidat de la liste LREM pour les élections européennes de 2019. Élu député européen, il préside le groupe Renew Europe à partir de 2021, après avoir présidé sa délégation française. Il est de nouveau conseiller d'Emmanuel Macron de fin 2020 à octobre 2021, après avoir continué d'exercer cette fonction officieusement. En septembre 2022, il est nommé secrétaire général de Renaissance, nouveau nom de La République en marche. Lors du remaniement ministériel de janvier 2024, il est nommé ministre de l'Europe et des Affaires étrangères dans le gouvernement Gabriel Attal… » (5). Je parlais plus haut de népotisme…

Ce gouvernement Attal 1 est par ailleurs l’image de la Macronie. Ni de gauche, ni de droite, il est maintenant clair que Renaissance et la mouvance présidentielle sont ni de gauche, ni de gauche. On s’en doutait déjà un peu tant les réformes antisociales se sont multipliées au cours des 5 à 6 dernières années. On perçoit également un virage à droite, voire à l’extrême-droite marqué, avec la loi immigration, mais également avec l’entrée au gouvernement de personnalités issues des Républicains, dont Mme Rachida Dati ou Mme Catherine Vautrin. Cette dernière, ancienne ministre de la cohésion sociale entre 2004 et 2007, est nommée au ministère du travail, de la santé et des solidarités. Elle s’était faite remarquer par son vote contre le mariage pour tous en 2013. Enfin les barons républicains déjà en place, à savoir Ms. Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et Sébastien Lecornu se maintiennent eux à des postes clefs, respectivement à l’intérieur, aux finances et aux armées. On notera également l'absence du ministère du logement alors qu’il manque plusieurs centaines de milliers de logements en France, dont des logements sociaux et à un moment où l’immobilier traverse d’énormes difficultés liées à la hausse des taux d’intérêt. Loger les mal-logés n’est pas une priorité du gouvernement, à l’évidence…

Enfin, comment ne pas évoquer la nomination de Mme Oudéa-Castéra à l’éducation nationale ? On verra comment elle gèrera cela, et où sont ses priorités, compte tenu du fait qu’elle conserve également son poste de ministre des sports et des jeux olympiques ! Or en ce qui concerne l’éducation nationale, il y a plus qu’urgence à agirEmblématique de la Macronie, issue de la très grande bourgeoisie, cette haute fonctionnaire passée par l’ENA, a fait partie de la même promotion que notre actuel président de la République. Elle a été chargée de mission chez AXA, puis une des très hauts cadres de la société Carrefour. Elle fut aussi directrice générale de la fédération française de tennis (FFT) en sa qualité d’ancienne tennis-woman. Son salaire annuel atteignait 1,4 million d’euros par an chez Carrefour et 500 000 euros à la FFT. Elle est aussi la conjointe de M. Frédéric Oudéa, président-directeur général de la Société générale jusqu’en 2023 puis président de Sanofi à partir de mai 2023. Autant dire que le couple ne doit pas avoir trop de problèmes de fins de mois ! Ne voyez là aucune jalousie de ma part, simplement des éléments explicatifs pour dire que des personnes comme M. Gabriel Attal, ou, ici, Mme Oudéa-Castéra sont totalement hors-sol. Je ne reproche pas à la ministre cette scolarisation dans le privé. En revanche, je m'étonne de son choix de scolariser ses enfants dans le secteur privé, dans un lycée faisant d’ailleurs l’objet d’enquêtes approfondies pour des dérives sexistes et homophobes alléguées, comme résultat de sa « frustration de voir des paquets d'heures pas sérieusement remplacées » à école publique ? C’est, selon elle, ce qui l’aurait poussée « comme des centaines de milliers de familles [à rechercher] une solution différente ». Sans doute protégée par ses hauts revenus, elle oublie d’analyser que c’est pourtant la politique menée par l’actuel parti présidentiel, et par les gouvernements successifs - dont elle-même a fait partie – qui est responsable de cette situation… Comme le dit M. Olivier Faure, premier secrétaire du PS, c’est comme si Mme Oudéa-Castra disait « l'école publique dont je suis désormais la ministre n'était pas assez bien pour mes enfants alors je les ai scolarisés dans un lycée privé dont les valeurs sont, selon les enquêtes qui y ont été réalisées, loin des valeurs républicaines ». Il est vrai que les valeurs de la République, en ce moment…



Références :

1. John Timsit. Pour Gabriel Attal, «ceux qui ont le temps d'accueillir des ministres, ce ne sont pas a priori les Français qui travaillent». Le Figaro. Avril 2023.
Consultable en ligne :
https://www.lefigaro.fr/politique/ceux-qui-ont-le-temps-d-accueillir-des-ministres-ce-ne-sont-pas-a-priori-les-francais-qui-travaillent-lache-gabriel-attal-20230425

2. Cyrille Dupuis. Gabriel Attal, l’ex-conseiller de Marisol Touraine à Matignon. Le quotidien du médecin. Janvier 2024.

3. L’abaya ou le bonneteau de la rentrée scolaire. Ce blog.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2023/09/labaya-ou-le-bonneteau-de-la-rentree.html

4. Crépuscule (pamphlet). Encyclopédie Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cr%C3%A9puscule_(pamphlet)

5. Stéphane Sajourné. Encyclopédie Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_S%C3%A9journ%C3%A9



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Auteurs :
. Conseil de l’Union Européenne
https://newsroom.consilium.europa.eu/permalink/p174977
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. Sam Barnes/Web Summit via Sportsfile.

jeudi 21 décembre 2023

LA HAINE NE SAURAIT CONSTITUER UN PROGRAMME

Personne n'a pu échapper au débat récent relatif aux lois régissant l'immigration et, plus largement, le sort réservé aux étrangers (hors UE) dans notre pays. Je ne rappelle pas ici les éléments du débat, tant ceux-ci sont connus. Impossible néanmoins de ne pas constater que de nombreuses dispositions de la loi violent des principes fondamentaux de l'égalité de droit, particulièrement pour deux catégories : les étudiants et les étrangers employés en France, puisqu'ils induisent de facto une différence de traitement et de droits, mais aucunement de devoirs, ce qui aurait pu justifier cette différence. Tout ceci fait que cette loi ressemble fortement à de la discrimination institutionnalisée.

En particulier, nombre des personnes affectées par les dispositions légales à venir et qui payent des taxes, impôts et cotisations sociales se voient maintenant refuser le droit d'accès à certaines prestations que ces paiements devraient autoriser. D'une façon plus générale, difficile de ne pas voir dans ce vote, un virage vers la droite la plus extrême, celle qui prolifère sur les décombres des idéologies fondant le racisme ordinaire, à savoir la peur de l'autre et la facilité qu'il y a à le dénoncer comme responsable de tous les maux de la société (le parfait bouc-émissaire, donc). Cette « dénonciation » cible particulièrement, dans sa rhétorique, les strates de populations les plus défavorisés, économiquement et - désolé d'être aussi abrupt dans ma formulation - « intellectuellement ». C'est une façon de détourner le légitime ressenti de leur déclassement vers de pseudos coupables. Ce virage, pris main dans la main par les Républicains et par une majorité de la macronie, est inquiétant à plus d'un titre. Il est surtout déshonorant pour le mouvement présidentiel et pour le Président de la République lui-même qui déclarait pourtant que le vote d'électeurs l'ayant choisi contre la candidate de l'extrême droite l'obligeait. Il reste à espérer, pour éviter un naufrage moral, que le conseil constitutionnel censure les articles les plus répugnants de ce texte...

Un mot, avec mes anciens collègues du collectif Rogue ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), pour m'inquiéter des conséquences sur la population étudiante. Au cours de ma carrière, j'ai encadré nombre d'étudiants étrangers : italiens, espagnols, polonais, mais aussi tunisiens, marocains, algériens, pakistanais, boliviens, brésiliens, argentins, américains, canadiens et malaisiens. Tous ont gardé de très bonnes relations avec notre système de recherche, et celles-ci nous favorisent dans le cadre de nos activités. Certains de ces étudiants sont repartis dans leur pays d'origine où ils occupent des fonctions académiques, prestigieuses parfois, et toujours en lien avec la France. D'autres sont restés dans notre pays, et sont chercheurs au CNRS, à l'INRAE, à l'INSERM, ou enseignants d'université, et pour deux ou trois d'entre eux, ils ont obtenu la nationalité française, avec un petit coup de pouce de ma part... Inutile de dire que les propositions contenues dans le nouveau texte de loi vont clairement rendre bien plus difficile la formation en France des futures (je n'aime pas trop ce terme) « élites » étrangères. On se demande quel danger pour notre pays celles-ci représentent, hors d'un danger fantasmé...

Voici en lien le texte proposé par des collègues du collectif Rogue ESR, avec lesquels je suis en total accord : 

« Mardi 19 décembre, sous l’égide de Mme la Première Ministre Elisabeth Borne et de M. Eric Ciotti, une coalition allant du MoDem au Rassemblement national a adopté un projet de loi inscrivant dans le droit français la discrimination des non-ressortissants pour l’accès aux prestations sociales — en d’autres termes, la mesure que MM. Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret popularisèrent dans les années 1980 sous le nom de « préférence nationale ». Mme Marine Le Pen n’a pas manqué de se féliciter de cette onction gouvernementale à une revendication historique de son parti. 

En nombre de voix, le soutien du Rassemblement national a joué un rôle décisif dans l’adoption du texte. Alors que la réforme des retraites avait marqué de fait l’entrée des mal-nommés Républicains dans la majorité gouvernementale sous la forme d’un soutien sans participation, la loi immigration acte aujourd’hui la formation d’une coalition liberticide et xénophobe intégrant des forces politiques exclues des majorités gouvernementales depuis 1945. 

D’aucuns feindront de se rassurer en espérant un deus ex machina sur le tapis vert, du fait du caractère « manifestement inconstitutionnel » de la loi, pour reprendre les termes mêmes du ministre de l’Intérieur, lui-même ancien contributeur à la presse de L’Action Française, fanfaronnant mardi 19 décembre à la tribune du Sénat. Effectivement, le texte adopté piétine la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. Mais même si le Conseil constitutionnel censurait la loi, le fait que ces textes aient été sciemment bafoués suffirait amplement à justifier notre alarme. En outre, la désinvolture avec laquelle ce jugement au doigt mouillé a été prononcé devant le Sénat en dit beaucoup sur le peu de cas que le gouvernement fait des fondements d’une démocratie parlementaire. Mais il est vrai qu’hier fut aussi le jour du déclenchement du vingt-troisième article 49.3 en 18 mois : désormais l’Assemblée Nationale ne semble donc autorisée à voter la loi que lorsque les vues du gouvernement sont au diapason des votes du Rassemblement national. Autant dire que Mme Le Pen est à la fois leader de l’opposition parlementaire et co-rédactrice de l’agenda législatif du gouvernement Borne-Macron ».

Une autre paragraphe pour dire que cette situation inédite provoque plus que des tiraillements dans la majorité présidentielle. Plusieurs ministres ont annoncé leur démission, dont la ministre de l'ESR, Mme Sylvie Retailleau que je connais bien, et à qui, en anecdote, je faisais la bise alors que j'étais en activité au CNRS. Je ne comprends pas d'ailleurs sa position tant l'image que j'ai d'elle ne correspond en aucun cas aux fondamentaux contenus dans ce texte de loi... C'est aussi ce que dit, à mots cachés, le texte de Rogue ESR : « Une fois passée la comédie des déclarations de principe, une bonne partie des démissions tant annoncées se font encore attendre, y compris à cette heure celle de Mme Retailleau. Si leur dimension symbolique serait appréciable, ces démissions resteraient anecdotiques sur le plan politique tant il est illusoire d’imaginer qu’elles pourraient limiter à elles seules la radicalisation du gouvernement. Au moins sauveraient-elles l’honneur des démissionnaires.

Quelques présidences d’universités ont marqué une opposition à la loi dans un communiqué conjoint. On peut douter de sa portée effective si l’on observe la part importante des signataires ayant participé à la mise en place du dispositif cyniquement appelé « Bienvenue en France », dont les événements du 19 décembre confirment qu’il s’agissait d’une répétition générale de l’inscription de la « préférence nationale » dans la loi. 

Or, les conséquences de la loi Immigration adoptée hier sont proprement calamiteuses pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche. Elles seront majeures pour les échanges internationaux et les partenariats avec de très nombreux pays, pour les chercheurs étrangers, et pour tous les étudiants extracommunautaires. Le versement obligatoire d’une caution, l’application impérative à toutes les universités de frais d’inscription astronomiques de 2 770€ en licence et 3 770€ en master ainsi que la suppression des APL conduiront des dizaines de milliers d’étudiantes et d’étudiants à se détourner des universités françaises, de notre pays et de notre culture, désormais perçus comme une terre d’exclusion et non plus d’accueil ». 

A mon sens, nous marchons avec ce nouveau texte, à l'envers. Il est de toutes façons illusoire de croire que ces lois vont empêcher l'immigration de personnes qui n'ont plus rien à perdre dans leur pays, soit économiquement, soit parce que celui-ci est en guerre. Il faudrait d'ailleurs se poser, la question de savoir quelle est la contribution de la France dans les situations que ces migrants rencontrent dans leur pays... Ces gens là se déplaceront de toutes façons. Le seul moyen de leur permettre de rester sur leur terre natale est de favoriser leur conditions de vie sur place. Quelques ONG et autres associations l'ont bien compris. Je mentionnerai ici le cas de Danaya, association forgeoise, qui a oeuvré et continue d'oeuvrer dans ce but, contre vents mauvais et marée brune aux relents pétainistes. La seule différence que les nouvelles lois génèrera est d'accroître les dangers qui les guettent dans leur long voyage vers l'Europe, face aux passeurs, puis leur précarité une fois en France. Il est illusoire, également, de croire que l'on pourra reconduire des irréguliers à la frontière car leur pays d'origine ne les accueillera pas ! Or ceci constitue une obligation absolue. En ce sens les fameuses OQTF (obligation de quitter le territoire français) sont une fumisterie. On se rappellera à cet égard le traitement réservé à des fonctionnaires de police français qui avaient « accompagné » une personne concernée par une OQTF dans son supposé pays d'origine et qui se sont retrouvés... en prison là-bas, suspectés de violences sur le reconduit ! Et je ne parle pas des centaines de milliers voire des millions de personnes déplacées à venir, pour des raisons climatiques, dans le cadre du changement global auquel nous avons également contribué, certes peut être moins que d'autres pays développés, mais bien plus que les pays du sud... Évidemment, lutter contre les leviers qui engendrent l'immigration est bien plus compliqué que de pondre une loi aussi honteuse soit-elle, car légiférer donne au bon peuple l'impression que nos gouvernants agissent. Reste que la haine ne saurait constituer un programme.  

 

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Dessin de Cambon pour Urtikan.net

lundi 2 octobre 2023

LIBERTÉ DE LA PRESSE : DES DÉRIVES NON DÉMOCRATIQUES



Comme à mon habitude, je publie ci-dessous la lettre de la présidente d'Anticor, association dont je suis membre et qui tente de luter, à son niveau, contre la corruption et contre l'opacité de certaines affaires publiques. Ce dernier message est intéressant dans la mesure où il traite de ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Lavrilleux », du nom de cette journaliste dont le travail d'investigation a montré comment la France a directement ou indirectement aidé l'Egypte dans des opérations de basse police... Celle-ci a été arrêtée et placée en garde à vue, elle a été menacée lors d'interrogatoires, a subi des pressions inadmissibles dignes de certaines Républiques bananières, son appartement a été fouillé, dans l'espoir de trouver la ou les sources qui l'ont informée, en violation totale des lois francaises. Or, ce qui est grave dans ce dossier c'est qu'il révèle une lente dérive de notre gouvernement vers des pratiques non démocratiques...

Le texte de la présidente d'Anticor apparait en italiques. Les sections tronquées ou ajoutées par mes soins sont signalées entre crochets.

« Anticor est une association qui utilise l’arme judiciaire pour mener à bien ses combats. Elle porte devant la Justice des alertes concernant des atteintes à la probité. Pour que cela soit possible, il faut que les médias puissent écrire, révéler, il faut que les lanceurs d’alerte soient protégés et il faut un agrément anticorruption ! Or, l’association ne fait que constater que les entraves à son activité se multiplient. C’est une tendance inquiétante : le secret se propage, la liberté recule.

Le secret des affaires, qui vise à protéger les intérêts financiers des entreprises, leur permet aussi une opacité certaine sur leurs activités, peu important que ces activités puissent être moralement répréhensibles comme l’optimisation fiscale. Le secret de la vie privée permet aussi à une fondation d’entreprise qui bénéficie indirectement de centaines de millions d’euros d’argent public de garder sa comptabilité secrète. La vie privée, concept inhérent à la personne humaine, permet à des structures qui devraient être d’intérêt général, d’avoir de la pudeur fiscale. Aujourd’hui, c’est le secret défense qui fait parler de lui. Nous le rencontrons souvent dans les procédures lorsque des contrats commerciaux internationaux sont en jeu : dans l’affaire Kazakhgate, impliquant la vente de 45 hélicoptères au Kazakhstan, dans l’affaire des Rafale, ces 36 avions de combat vendus à l’Inde, dans l’affaire de l’attribution de la coupe du monde au Qatar…

Dans un article récent, Médiapart pose la question : « À quoi sert le « secret-défense » ? À protéger des agents en mission ou à protéger des intérêts commerciaux ? À garantir la réussite d’une opération ou à cacher des compromissions ? »

Cette question doit être posée dans un contexte où la liberté de la presse se trouve menacée par le secret-défense. En effet, le 19 septembre 2023, Ariane Lavrilleux, journaliste chez Disclose a été mise en garde à vue dans le cadre d'une enquête judiciaire pour violation du secret défense. Cette journaliste a publié une enquête sur la mission de renseignement française « SIRLI », débutée en février 2016 au profit de l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste, qui aurait été détournée par l'État égyptien pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-lybienne.

Après une perquisition à son domicile, Ariane Lavrillieux a été placée en garde à vue durant 39 heures. Cela représente une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources des journalistes, qui constitue une des « pierres angulaires de la liberté de la presse et la condition sans laquelle, faute de sources, la presse ne serait plus en mesure de fournir au public des informations sur des questions d'intérêt général », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’Homme. Or, sans protection des sources, sans liberté de la presse, la lutte contre la corruption ne serait qu’un vœu pieux. Car c'est justement grâce à une presse libre, à des journalistes indépendants et dont les sources sont protégées qu'Anticor peut dénoncer les atteintes à notre pacte républicain.

Mais au-delà du cas d'Ariane Lavrilleux, Anticor s’inquiète de l’état des médias en France, alors que ceux-ci sont concentrés dans la main de quelques-uns. L’association Acrimed publie et met à jour un état des lieux de cette concentration : https://www.acrimed.org/Medias-francais-qui-possede-quoi. Nous savons pourtant que le pluralisme des entreprises de presse est une condition de la démocratie.
[...] Alors que demain, le Président de la République ouvrira les états généraux de l'information, il est nécessaire de porter une voix citoyenne de défense de nos libertés, y compris celle d’être informés.


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Dessin d'Adrien René pour le concours international de dessin de presse 2020.


mardi 26 septembre 2023

NAHEL N'EST PAS UN DÉLINQUANT, LE POLICIER QUI A TIRÉ, PAS UN ASSASSIN



Voilà quelque temps déjà que je pensais à rédiger ce billet, mais je ne m’y suis décidé que récemment. Je voulais tout d’abord m’accorder le temps de la réflexion, et également collecter des informations auprès de personnes compétentes de mon entourage en matière de maintien de l’ordre et de fonctionnement des opérations de police. Cela me permet aussi de ne pas réagir à chaud, et somme toute, de coller quand même à l’actualité en lien avec les manifestations récentes contre les violences policières.

Je reviens donc rapidement sur les faits connus de tous maintenant. Le 27 juin dernier, un jeune homme de 17 ans, M. Nahel Merzouk, a été tué par un coup de feu tiré par un policier après une course poursuite dans les rues de Nanterre. Il est décédé quelques minutes plus tard après que le véhicule qu’il conduisait se soit encastré dans un poteau routier. Deux passagers qui l’accompagnaient ont été arrêtés, l’un sur le champ, l’autre plus tard. Selon les informations rendues publiques par les forces de l’ordre, le jeune homme décédé, au volant d’un puissant véhicule de location, aurait commis plusieurs infractions routières, et aurait refusé de s’arrêter à un contrôle de police. Les policiers l’auraient poursuivi et ils l’auraient rattrapé alors que sa voiture se trouvait prise dans un encombrement. Un témoin a diffusé la vidéo du tir mortel du policier qui se trouvait en partie appuyé sur l'aile avant gauche de la voiture et qui a fait feu au moment où le véhicule redémarrait.

Très vite, un emballement médiatique a pu être constaté. Celui-ci mêlait des personnalités de droite et d’extrême droite qui décrivaient M. Nahel Merzouk comme un jeune délinquant et qui estimaient que le policier ayant tiré était en état de légitime défense. A gauche de l’échiquier, certains n’hésitaient pas à parler de « d’exécution sur la voie publique par un policier » … Des cagnottes sont alors ouvertes en ligne, pour soutenir, qui la famille de M. Nahel Merzouk, qui M. Florian M., le policier à l’origine du tir mortel. Ce battage médiatique, associé à l’effet amplificateur délétère des réseaux dits sociaux, déclenchent des vagues de manifestations, de révoltes voire d’émeutes essentiellement urbaines, ce pendant des jours. Celles-ci auront un lourd bilan : 3 morts, plus de 1500 blessés, la dégradation de plus de 2500 bâtiments officiels, dont 105 mairies et 178 écoles, de plus d’un millier de commerces, auxquels s’ajoutent plus de 6 000 véhicules dont des bus, le tout pour un coût estimé d’un peu moins d’un milliard d’euros…

Mon premier sentiment en regard de cette affaire, et de ce qui s’en est suivi, est celui d’un horrible gâchis, avec, en premier lieu, un décès d’un jeune homme de 17 ans et une famille à jamais effondrée. A ce sujet, les tenants d’un ordre policier aux relents vichistes ont voulu faire passer M. Nahel Merzouk pour un délinquant multirécidiviste. Ceci est faux, puisque son casier judiciaire est vierge. Il apparait néanmoins dans le FAJ, fichier des antécédents judiciaires, qui recense les victimes comme les personnes impliquées à quelque niveau que ce soit dans des délits mineurs, ou, plus graves dans des crimes. A cet égard, l’intéressé y est mentionné pour une conduite sans permis, et des refus d’obtempérer. On peut également s’étonner qu’un jeune homme de 17 ans, non titulaire du permis, ait pu conduire une voiture de location (qui plus est immatriculée en Pologne). Tout cela pourrait éventuellement constituer une infraction aux règles, mais voilà : pour que cela soit avéré, il aurait fallu une décision de justice. Le décès de l’intéressé éteignant cette action, il reste donc que M. Nahel Merzouk n’a jamais été condamné pour quelque raison que ce soit. Il n’est donc, au regard de la loi et de la société, aucunement un délinquant, n’en déplaise aux spécialistes des propos racistes que l’on a beaucoup entendu dans ce dossier.

Ce sont les mêmes tenants d’une droite radicale qui se sont offusqué de voir le policier placé en garde à vue, puis en détention provisoire. Selon mes sources policières, il faut savoir que la garde à vue dans ce genre d’affaire est sinon monnaie courante, en tous cas parfois nécessaire, le temps de l’enquête préliminaire. Deux enquêtes sont en cours : une administrative confiée à l’IGPN et l’autre, pénale, confiée à un juge d’instruction. Plusieurs points d’intérêt ici, selon mes sources. Tout d’abord, il faut savoir que les enquêtes de l’IGPN, contrairement à une idée reçue, sont particulièrement poussées. Les bœuf-carottes comme les appellent les policiers sont très pointilleux sur les questions réglementaires, mais leurs constats ne sont pas toujours suivis d’action par les responsables des services. Ici l’enquête est motivée par l’incohérence entre les propos des deux policiers interrogés dont le policier tireur, qui ont argué de la légitime défense. N’étant pas spécialiste des techniques d’arrestation et de maintien de l’ordre, je m’en remets à ce qui m’a été dit par mes sources : toutes trois se sont déclarées très surprises de ce que montrait la vidéo relative au tir mortel, la position et l’attitude du policier ne leur paraissant pas répondre aux dispositions habituelles de ces interventions. C'est aussi l'avis du parquet qui motive le maintien en détention préventive. Il reste que la poursuite qui a précédé le tir n’a pas été filmée, et il est donc difficile d’appréhender le contexte global de cette intervention, ainsi que le stress éventuel subi par le polilcier. Par ailleurs, il faut savoir que ce dernier, mis en cause, a bien été suspendu, mais suspendu avec traitement, bien que placé pendant plusieurs semaines en détention provisoire. Celui-ci est par ailleurs mis en examen pour homicide volontaire. Là aussi, l’extrême droite a réagi fortement sans se rendre compte qu’il vaut mieux pour ce policier, dans le cadre de cette triste affaire, être mis en examen pour cela que pour « homicide par imprudence », aussi appelé « homicide involontaire ». Les raisons sont simples. L’homicide involontaire est un délit punissable de 10 ans de prison dans les cas les plus graves, certes, mais cela reste un délit. En conséquence, si ce motif de mise en examen avait été retenu, cela aurait signifié que le policier ne sera pas jugé aux assises mais en correctionnelle, où ne siègent que des magistrats. De plus, il ne peut dans ce cas « plaider » la légitime défense, qui n’est pas en cohérence avec l’acte d’une éventuelle riposte. D’une façon générale, la légitime défense suppose que la personne ait volontairement commis son acte. Par conséquent, la justice estime que dans le cas d’un homicide involontaire, la légitime défense ne peut pas être invoquée. La qualification d’homicide volontaire est, elle, de nature criminelle. La peine encourue est donc au pire la réclusion criminelle à perpétuité, mais il serait très surprenant, si l’affaire venait à être jugée devant une telle cour, que les jurés populaires qui y siègent fassent preuve de dureté. Paradoxalement, le policier pourrait donc se voir condamné plus légèrement aux assises qu’en correctionnelle. Il pourrait même y être acquitté si les jurés retiennent la validité de la légitime défense qui vaut, en droit, « irresponsabilité pénale ».

Au-delà de ces arguties juridiques, j’ajoute que la nécessité de devoir un jour se servir de son arme de service pour un policier, quelles que soient les circonstances, constitue généralement une véritable hantise. Se pose néanmoins une question fondamentale qui est celle des règles autorisant le tir par les forces de l’ordre. Jusqu’en 2017, le tir d’une arme à feu n’était globalement admissible que dans le cadre strict de la légitime défense, celle-ci concernant le policier ou tout citoyen menacé. Ce tir devait donc remplir les conditions de la légitime défense à savoir, pour faire simple, un risque vital avéré pour le policier ou le civil concerné, une immédiateté de la riposte et une proportionnalité à l’agression. En d’autres termes, un policier ne pouvait pas tirer sur une personne le menaçant à mains nues… Malheureusement à mon sens, une loi du février 2017, donc votée lors de la mandature de M. François Hollande, est venue brouiller ce cadre juridique de bon sens. L’article 435-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) dispose désormais qu’un policier peut tirer en cas de refus d’obtempérer, s’il ne peut stopper un véhicule autrement que par l’usage d’arme et si le conducteur « est susceptible de perpétrer […] des atteintes à leur vie ou leur intégrité physique et celle d’autrui ». Il s’agissait aussi d’aligner les règles d’engagement des armes à feu de la police avec celles de la gendarmerie. Cette disposition a cependant eu des conséquences néfastes. Contrairement à ce qu’indiquait le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, des études statistiques menées par trois chercheurs, Ms. Paul Le Derff, Sébastien Roché, et Simon Varaine ont démontré que les tirs policiers mortels sur les véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq entre les périodes couvrant les cinq années avant et après le vote de la loi de 2017… De même, si l’on compare la situation d’Allemagne et celle de la France, ces mêmes chercheurs indiquent qu’il y a eu chez nos voisins « un tir mortel en dix ans pour refus d’obtempérer, contre 16 en France depuis un an et demi ». Pourtant la situation de la délinquance et celle de la criminalité ne sont pas dans ce rapport de 1 à 100. Ainsi, le taux d’homicides en France est de 1,3 pour 100 000 à comparer au taux de 1,0 pour 100 000 en Allemagne.

Il est donc plus que temps à mon sens de revoir soigneusement les règles d’engagement des armes à feu par les forces de l’ordre en France. Cela ne suffira sans doute pas à pallier le manque de formation et d’entrainement au tir que m’ont rapporté mes contacts policiers. J’ajoute pour conclure, et c’est là ma vision de citoyen, que dans le « contrat » que je passe avec eux, j’accepte de conférer aux forces de l’ordre des pouvoirs énormes, dont celui de me contrôler quand bon leur semble, si nécessaire de me priver temporairement de liberté par un placement en garde à vue. En contrepartie de cela, je leur demande protection, et surtout, malgré les difficultés du métier, d’exercer ces énormes pouvoirs avec discernement et une honnêteté intellectuelle et morale sans faille. Ceci pourrait ne pas avoir été le cas dans cette triste affaire, sans j’en juge aux propos tenus par ces policiers face aux enquêteurs largement contredits par les images. Enfin, point important, aucun des deux policiers mis en cause n’a fait l’objet d’un jugement, qui pourrait d’ailleurs, comme je l’indiquais plus haut, conduire à leur relaxe. En tout état de cause, ces deux policiers ne sont donc à l’heure actuelle ni un assassin, ni un complice.


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Radio France.
https://mediateur.radiofrance.com/actualites/mort-de-nahel/