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mercredi 27 mars 2024

MÉLI-MÉLO, L’EXCEPTION FORGEOISE

Un très court article pour m’étonner du fait que la commune de Forges est la seule commune de la communauté de communes du pays de Limours (CCPL), avec Courson, à ne pas être partenaire du méli-mélo 2024.

Le méli-mélo est un festival local, organisé par l’association éponyme dans plusieurs communes de la CCPL. Pendant trois semaines, en fin d’hiver ou au début du printemps, se succèdent diverses activités culturelles, avec pour objectif premier « de découvrir de nouvelles pratiques artistiques. C'est aussi la possibilité pour les associations, les organismes qui le souhaitent de présenter un spectacle en commun ». Par ailleurs, « le Méli-Mélo organise aussi des animations pour des classes de tous les niveaux, de la maternelle au Lycée : ateliers de percussions, de chansons, conférences – débats » (voir site du méli-mélo)... Bref, un joyeux mélange, à l’image du nom du festival.

Cette année, la 28ème édition, se conclura demain par une conférence de M. Bernard Terris, ancien adjoint au maire de Forges, et en l’espèce, président de l’association Danaya. Cette association forgeoise a pour objectif « d’œuvrer à la souveraineté, particulièrement alimentaire, mais aussi de santé, d’éducation et économique, des pays du tiers-monde ». Pour cela, Danaya indique que « tous les moyens écologiques, et particulièrement agroécologiques, à la disposition de l’association pourront être utilisés, par le développement de projets locaux, l’information, la formation et la diffusion de toutes les méthodes et les expériences connues par l’association de par le monde » (voir site Danaya). A mon sens, cette association a tout compris de ce peut être l’aide aux pays en difficulté dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « le développement durable ».

Pour être entièrement honnête, Bernard Terris est un ami, et je me félicite de le voir revenir à Forges pour nous présenter son action au sein de l’association, mais également en sa qualité de chargé de mission du réseau Sahel-Désertification, et membre du groupe de travail « désertification » accrédité auprès de la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Sa conférence intitulée « la grande muraille verte, une solution pour l'Afrique ? » est prévue demain jeudi 28 mars à 20h30, salle Messidor. Mon étonnement vient du fait que cet ancien Forgeois, très impliqué au niveau international, et qui vient donc nous parler du Sahel et de la désertification aussi à Forges, ne se traduise pas par un partenariat de la commune avec le méli-mélo. Ceci est d’autant surprenant que toutes les communes de la CCPL sont partenaires, sauf Courson, et qu’elles ont contribué directement ou indirectement à l’organisation des festivités dans leur territoire.

Je n’ai pas d’explication claire à ce refus de partenariat. Je constate cependant qu’à Forges, le citoyen est très souvent vu comme un simple consommateur, à qui on propose marché de la fête des mères, de la Saint-Valentin, marché de ceci, marché de cela, mais rarement – pour ne pas dire jamais - un « marché » alimenté en nourriture intellectuelle non marchande. De plus, l'actuelle municipalité a rarement marqué une appétence pour le développement durable, particulièrement lorsque cette thématique est portée par des citoyens. En ce qui concerne le refus de partenariat, je ne peux donc que faire le lien avec l’absence d’intérêt marqué de la commune pour l’activité associative, déjà dénoncée à de multiples reprises sur ce blog, associée à une absence de plus en plus flagrante d’évènements culturels dans notre commune, depuis quatre ans. Cela rend la conférence de demain d’autant plus intéressante !


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Programme du méli-mélo

mardi 6 février 2024

NOTRE SÉNATEUR PRIS DANS UN NAUFRAGE RÉPUBLICAIN

Ayant été élu pendant 12 ans à Forges et ayant représenté notre commune dans nombre de structures intercommunales, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’y croiser ou de rencontrer l’ancien maire de Limours, notre actuel sénateur, M. Jean-Raymond Hugonet. Je l’ai toujours considéré comme un élu investi pour sa commune et au-delà pour notre communauté de communes. Au plan personnel, je ne le connais très peu, mais j’ai régulièrement apprécié sa disponibilité et, me semble-t-il, une certaine capacité d’écoute de son interlocuteur, ce qui ne l’empêchait pas - et c’est fort légitime - de défendre souvent ses idées, disons avec vigueur.

Or, je viens de tomber sur le journal municipal de Limours et l’article de l’équipe d’opposition relatif au vote de la loi immigration au Sénat. Dans cet article, il est indiqué que notre sénateur a voté en faveur de cette loi. J’avoue être extrêmement déçu de cette décision de M. Jean-Raymond Hugonet. Il me faut être clair ici : les critiques que j’émets ne sont pas dirigées contre la personne, mais contre sa position politique, qui m’a surpris d’ailleurs, car ce vote ne correspond pas du tout à l’image que j’ai de lui.

Je ne suis pas opposé à l'idée de réguler les flux migratoires, bien que je préfèrerais des solutions visant à débarrasser le monde des causes qui les engendrent. Comme le disait l'ancien premier ministre, M. Michel Rocard, « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». Ce qui est surprenant, c'est que l'on occulte systématiquement le « mais elle a vocation à y contribuer » qu'il avait ajouté en « off ».  Si l’on regarde d’un peu près cette loi immigration, nous avons été nombreux à dire rapidement que certains de ses aspects étaient simplement une honte pour notre République. Je cite d’ailleurs là les propos de l’opposition limourienne : « on peut déjà dire que les débats du Sénat et les amendements qui y ont été votés, intégrant tous les clichés possibles sur l’immigration, représentent une dérive indigne de la politique de notre pays [] Ce projet de loi qui stigmatise l’étranger comme étant uniquement une menace ou un fraudeur ne fera qu’ajouter des difficultés sans assurer une meilleure maîtrise de l’immigration. De telles dérives pourraient avoir des conséquences dramatiques pour notre société ». En accord et en exemple, j’ai explicité, dans un billet de ce blog publié plus tôt, pourquoi cette loi nous couperait des liens que nous tentons d’établir au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche, avec les futurs cadres dirigeants des pays dits du Sud.

Il y a cependant plus grave en termes de perte de l’esprit républicain. De facto, cette loi organise, via la « préférence nationale » voulue par les élus du RN et des Républicains à leur remorque idéologique, une inégalité entre Français et étrangers d’autant plus injuste qu’elle impose les mêmes devoirs aux uns et aux autres, mais qu’elle ne leur garantit pas les mêmes droits. Nous avons aussi été nombreux à dire, sans être de grands spécialistes, que plusieurs aspects de cette loi étaient sans doute contraires à la Constitution. C’est d’ailleurs en partie l’avis du Conseil Constitutionnel qui a déclaré non conformes à la Constitution 32 articles de cette loi, qui en comptait 86. Attention cependant à ne pas se réjouir trop tôt, car les motifs de cette censure portent principalement sur ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs ». Ces cavaliers sont des dispositions incluses dans le texte, bien qu’étrangères au domaine de la loi votée. Sont entre autres concernées les limitations du regroupement familial, les restrictions des prestations sociales, de l’AME, les restrictions sur les titres de séjour étudiants avec obligation de caution, la fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, une liste non limitative. Il serait donc possible de présenter de nouveaux textes de loi sur ces seuls sujets, mais il n’est pas certain que ceux-ci puissent être votés en termes identiques au Sénat et à l’Assemblée. Toutefois s’ils l’étaient, le Conseil Constitutionnel sera également et sans aucun doute appelé à se prononcer, cette fois-ci « au fond », sur leur constitutionnalité. Notons d’ailleurs que plusieurs articles de loi ont été en totalité ou partiellement censurés au fond par le Conseil Constitutionnel : il agit de l’article 1er qui prévoyait la fixation du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France (aussi appelé élégamment « quotas d’immigrés ») et de l’article 38 autorisant le relevé des empreintes digitales et la photographie d’un étranger sans consentement. Enfin les articles 14 (restriction pendant un an des nouvelles demandes d’admission au séjour après refus) et 42 (assignation à résidence) font l’objet de censure partielle, interdisant leur validation en l’état.

Le troisième élément de ce que je considère comme constitutif d’un naufrage républicain se situe, lui, au niveau de la Présidence de la République et du gouvernement. Se doutant bien de l’existence de cavaliers législatifs, et doutant de la constitutionnalité même de ce texte de loi, c’est M. le Président de la République qui a saisi le Conseil Constitutionnel, appuyé en cela par Mme Y. Braun-Pivet, l’inénarrable présidente de l’Assemblé Nationale, alors que tous deux ont tout fait pour que ces lois passent… Désolé de dire que les seuls qui ont fait preuve, dans ce cirque politique, de courage sont les députés de gauche qui se sont opposés au texte et qui ont, eux aussi, saisi le conseil Constitutionnel… Quelle honte cependant de voir que le premier personnage de la République et le quatrième n’ont pas eu le courage de s’opposer, en toute connaissance de cause, à ce texte dont ils connaissaient l’illégalité. Il s’agit ici, et je cite ici le communiqué du PS, d’une « faute politique et morale » d’un gouvernement et de sa majorité « alignés sur les positions idéologiques historiques de l’extrême droite ». En cela, ce naufrage concerne aussi notre sénateur, lui qui a voté ces lois, mais, et je tiens ici à le souligner, pas notre députée, Mme Marie-Pierre Rixain, qui s’est elle abstenue alors qu’elle appartient au parti présidentiel.

Dernier point, M. Jean-Raymond Hugonet s’est vu accorder un droit de réponse dans le même numéro du journal municipal de Limours. Il y explique les motivations qui l’ont conduit à voter ce texte, au titre desquelles on retrouve, entre autres, je le cite, la possibilité « de faire face à l’ampleur de la crise migratoire que nous connaissons, d’en finir avec le principe de régularisation massive, de considérer le séjour irrégulier comme un délit, de ne pas transformer le regroupement familial en véritable « pompe aspirante », de systématiser le prononcé de l’Obligation de Quitter le Territoire Français, (OQTR) et l’interruption du bénéfice de la protection universelle maladie pour les déboutés du droit d’asile ». Quant au fait que ce texte serait conforme aux attentes des Français, je rappelle qu'au moment du vote contre le maintien de la peine de mort en France, une grande majorité de Français y étaient encore favorables. Également, je n'ai pas senti cette même volonté d'écoute des Français dans leur combat contre l'accroissement de l'âge de départ à la retraite de la part de notre sénateur, même s'il s'est à l'occasion abstenu de voter, mais passons. Enfin, M. Jean-Raymond Hugonet ajoute qu’il a voté le texte de loi immigration car « j’aime profondément mon pays, la République, son histoire, sa culture et que je n’ai pas envie qu’il bascule dans l’obscurantisme… ». Ce faisant, notre sénateur montre sa méconnaissance totale des raisons qui poussent des gens à fuir les guerres et la misère. Plus grave à mon sens, et à l'inverse, encore une fois, de l'image que j'ai de lui, il s’aligne en réalité sur le discours raciste et xénophobe caractéristique de l’extrême droite désignant l’immigré comme un délinquant voire un criminel en puissance, un opportuniste, venu ici pour profiter des allocations chômage ou du système de santé. Ce discours sera sans doute très apprécié par les quelques 250 000 artisans, 400 000 cadres, 400 000 contremaitres, et 1 600 000 employés ou ouvriers immigrés (données INSEE 2019) qui assurent une certaine prospérité au pays…



Référence :

Pour ceux qui voudraient lire l’avis du Conseil Constitutionnel :
https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2023-863-dc-du-25-janvier-2024-communique-de-presse



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Service photo du Sénat
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lundi 29 janvier 2024

DEUX POIDS, DEUX MESURES...



 

Ce billet pour m’étonner du traitement réservé en ce moment aux manifestations du monde agricole par le gouvernement…

En propos liminaire, un mot pour dire que je suis, comme beaucoup de Français, plutôt en accord avec un grande partie des revendications du monde agricole, et qu’en tous cas, je comprends parfaitement la colère paysanne. On ne peut décemment travailler 60 heures par semaine, souvent 6 ou 7 jours sur 7, pour des clopinettes… Je pense cependant que les agriculteurs sont en grande partie victimes du modèle économique européen et pour une fois, je suis également d’accord avec nombre de politiques de LFI, du PS, d’EELV et même de Mme Le Pen quand tous dénoncent les accords de libre-échange délétères que signe l’UE et qui ne bénéficient, in fine, qu’à un très petit nombre d’entités économiques. Comment en effet justifier que l’on puisse importer des produits agricoles de Nouvelle-Zélande, du Chili ou d’Argentine, alors que nous pouvons les produire ici avec un coût environnemental bien meilleur ? Ce, d'autant que nos normes sont en général plus contraignantes que les normes étrangères, et puisque les coûts financiers et environnementaux du transport en provenance du Périgord ou de la vallée du Rhône sont bien inférieurs à celui de produits importés de « l’autre bout du monde »… Un mot en complément pour dire que le consommateur doit aussi apprendre à ne plus vouloir de fraises ou de haricots hors saison, et privilégier la production locale. Nous avons la chance d’habiter un territoire où cela est possible : profitons-en. Cela ne nous empêche pas d’acheter de temps en temps, de façon limitée, des produits exotiques car il n’est pas question non plus pour moi d’imposer une vision écologique qui ferait que l’on n’aurait pas droit de consommer de l’ananas ou des litchis, tant que cela est fait avec modération.

Il me semble aussi que les agriculteurs sont victimes du modèle d’agriculture intensive qu’on leur propose – ou impose – depuis des années et qui a pour effet de les étrangler au profit des filières aval, et également, ne l’oublions pas, des banques. Ceci est néanmoins un autre sujet, bien que lié, et qu’il me semble que la colère agricole ciblant, chez certains, les contraintes environnementales, soit instrumentalisée. Pour ne parler que de ce que je connais pour y avoir travaillé avec des collègues de l’INRA, les autorisations d’usage des pesticides divers, leur règles d’application ou de non application, les doses, les durées entre dernier traitement et récolte, etc., toutes ces normes sont là à la fois pour protéger les utilisateurs, c’est-à-dire les agriculteurs, mais aussi les consommateurs et également l’environnement au sens large, c’est-à-dire, quelque part, le bien public. Comment, dès lors, accepter que des produits étrangers traités avec des pesticides interdits d’usage en France puissent se retrouver sur les étals des supermarchés ou des commerçants de nos marchés ?

Ceci dit, ce billet traduit principalement mon étonnement en regard des réactions gouvernementales vis-à-vis de cette colère paysanne. Si je fais le compte de ce qui se passe depuis quelques jours, on compte quand même des centaines de kilomètres d’autoroutes coupées, des incendies volontaires, dont celui d’un bureau des douanes à Nîmes, de bâtiments de la mutualité agricole en Vendée et à Narbonne, des déversements de paille et de lisiers devant plusieurs préfectures, dont Agen, ou un incendie volontaire a aussi été allumé, et devant le centre des finances publiques de Saintes, un « McDo » dégradé, des supermarchés attaqués, des parking de supermarché largement dégradés comme à Clermont L’Hérault, des cargaisons de camions vidés, y compris des cargaisons non agricoles, les locaux de l’office français de la biodiversité à Trèbes saccagés, etc. J’arrête ici la liste. Tout cela pour dire que si, encore une fois, je comprends la colère du monde agricole, je ne comprends pas le laisser-faire gouvernemental vis-à-vis d’une minorité d’agriculteurs, voire les encouragements ministériels à poursuivre… Je rappelle ici les propos de l’inénarrable ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, qui affirmait voilà peu « ne pas demander l’évacuation » d’autoroute au motif « qu’il n’y avait pas de dégradation ». Ce même ministre disait : « est-ce qu’ils s’en prennent aux policiers et aux gendarmes, est-ce qu’ils s’en prennent aux bâtiments publics, est-ce qu’ils mettent le feu aux bâtiments publics ? Ce n’est pas le cas », ce qui, on vient de le voir, est un gros mensonge, tout en ajoutant « les agriculteurs travaillent et, lorsqu’ils ont envie de démontrer qu’ils ont des revendications, il faut les entendre » et « en tant que ministre de l’intérieur, à la demande du président et du premier ministre, je les laisse faire ».

Ce laisser-faire gouvernemental s’est même traduit plus tard par la phrase bien connue : « on ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS ». Or, en entendant cela, je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle le traitement réservé au monde agricole et celui réservé au monde salarié général, en particulier lors des dernières manifestations conte la contre-réforme des retraites ou de la révision des indemnités chômage. Dans l’ensemble, ces manifestations qui ont rassemblé, en plusieurs fois, plusieurs dizaines de millions de manifestants, se sont globalement déroulées dans le calme, ce qui n’a pas empêché les forces de l’ordre de recourir à des actions violentes contre des manifestants pacifiques. Nombre de mes connaissances moi-même avons eu à subir de jets de grenades lacrymogènes alors qu’il ne se passait strictement rien dans la manifestation. J’ai même vu une fois des forces de l’ordre tenter de scinder un cortège en deux, alors que, là aussi il ne se passait rien, et qu’aucun élément perturbateur n’était présent. J’ai donc le sentiment qu’il s’agissait là de provocations inutiles, destinées éventuellement à générer un incident susceptible de disqualifier les mouvements de protestation. Dans le même ordre d’idée, des interrogations subsistent dans ma tête sur la liberté laissée à certains éléments anarchisants de type « black-block » de semer la pagaille, très en marge des manifestations. Le rendu est que les journaux TV et radio du soir ne parlent évidemment que de ces débordements, oubliant assez soigneusement de présenter les faits majoritaires : des cortèges pacifiques, et surtout, des revendications claires et motivées. De façon plus dérangeante, les propos récents du ministre suggèrent que visiblement les salariés ne souffrent pas au travail, et que l’on peut donc leur envoyer des CRS pour toute réponse. Les dits salariés, comme les pompiers ou les professionnels de santé du secteur sinistré des hôpitaux, qui ont eu à subir cette forme de violence institutionnelle apprécieront. 

 

Crédit illustration :

Dessin de Placide
https://www.leplacide.com/caricature-Les-agriculteurs-ont-d%C3%A9fil%C3%A9-sur-les-champs-9747-28-politique.html
Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.




lundi 8 mai 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… DE LA FRANCE INSOUMISE ET DE LA NUPES


Dernier volet de cette série de billets, portant cette fois sur LFI et la NUPES, tout en distinguant l’une et l’autre.

J’ai aussi quelques amis et relations à LFI. Avant de dire en quoi certaines de leurs positions me conviennent ou non, je commencerai par un rappel historique. LFI n’a, en réalité, pas 10 d’existence. On peut assez légitimement, me semble-t-il, la considérer comme un agrégat (n’y voir aucune connotation péjorative) de personnalités issues de nombreux mouvements de gauche. La composante principale en est le parti de gauche (PG), lancé en 2008 par Ms. Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon, tous deux des « anciens du PS ». M. Marc Dolez s’éloignera ensuite du PG en raison de divergences de vues avec M. Jean-Luc Mélenchon. En 2009, le PG, des éléments du PS, du mouvement républicain et citoyen de M. Jean-Pierre Chevènement, et du parti communiste français (PCF) forment une alliance en vue des élections européennes, le « front de gauche ». Le PG sera très actif entre 2009 et 2016, lors de divers mouvements sociaux, bien que sa présence militante ne se soit pas traduite de façon spectaculaire dans les diverses élections qui ont jalonné cette période. En particulier, le PG essuie un désaveu lors des élections régionales de 2015.

C’est à nouveau à l’occasion d’une élection que le mouvement évolue. En 2016, LFI est créée en vue des présidentielles de l’année suivante, se présentant dès l’origine comme une plate-forme de réflexion commune et ouverte à tous, et pas comme un parti politique, ce qu’elle devient pourtant en 2017. Le candidat proposé aux suffrages est M. Jean-Luc Mélenchon qui, déjouant nombre de sondages, recueillera un peu moins de 20% des voix, le plaçant en 4eme position, presque à égalité avec M. François Fillion, candidat des Républicains. Ce score plutôt impressionnant est dû, selon plusieurs analystes, aux qualités orales de M. Mélenchon, mais également à une campagne de haut vol s’appuyant sur les technologies internet. On se rappellera sans doute les meetings de Lyon et Paris où le candidat apparaitra en direct sous forme d’un hologramme, une première mondiale ! De même, le site YouTube diffusera une vidéo de 5 heures au cours de laquelle les généraux du mouvement, dont l’économiste atterré Jacques Généreux, développeront leur programme. Le succès à la présidentielle se traduira par un demi-succès aux législatives, qui enverront 17 députés LFI à l’Assemblée Nationale. Le succès électoral de 2017 se confirmera en 2022. À la présidentielle, M. Jean-Luc Mélenchon arrivera 3e cette fois, avec presque 22% des voix. Ce résultat sera à l’origine d’un conflit avec le PCF, dont le candidat, M. Fabien Roussel, avait maintenu sa candidature au premier tour. S’il n’est pas certain qu’une candidature unique eût été suffisante pour porter M. Jean-Luc Mélenchon au second tour, un tel renoncement du candidat communiste aurait pu mathématiquement suffire à inverser les positions de M. Mélenchon de de M. Marine Le Pen, arrivée deuxième.

Encore une fois, la perspective des législatives de 2022 conduit à une modifications des périmètres. Dès avril, LFI vise à rassembler divers partis de gauche autour d’une bannière unique. Ce sera la NUPES. Je cite Wikipédia (1) : « des discussions sont engagées, notamment avec Europe Écologie Les Verts (EÉLV), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Le mouvement Génération.s, fondé par Benoît Hamon, rejoint en premier LFI, dès le 29 avril. Dans la nuit du 1er au 2 mai, un accord est conclu avec EÉLV sous la bannière commune de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES). Le 3 mai, le Parti communiste français rejoint cette union. Le 4 mai, le Parti socialiste annonce avoir conclu un accord, demandant encore à être ratifié par une instance interne, avec la France insoumise. Cet accord est validé dans la nuit du 5 au 6 mai par le conseil national du PS. En parallèle, le NPA annonce dans un communiqué ne pas être en mesure de trouver d'accord pour rejoindre l'union ». La NUPES réalisera une excellente campagne électorale aux législatives. Je cite de nouveau Wikipédia (1): « à l'issue du premier tour des législatives, la coalition NUPES fait quasiment jeu égal avec la coalition de la majorité présidentielle Ensemble avec 21 000 voix de moins qu'elle. Au second tour, la NUPES se classe second parti de France, et première force d'opposition, avec 131 députés élus (contre 245 pour la coalition présidentielle). Parmi ces 131 députés, 75 sont issus de LFI ».

J’arrête ici cet historique bien qu’il m’ait semblé nécessaire pour comprendre la genèse de LFI et de la NUPES. Au plan programmatique, autant le dire tout de suite, je suis favorable à plusieurs propositions de LFI, dont une réflexion sur une nouvelle constitution pour une 6e République. On voit bien aujourd’hui les dérives de la 5e République, portée par M. Michel Debré dans les années 50 et taillée sur mesure pour le Général De Gaulle. Son défaut majeur, à mon sens, est d’accorder un pouvoir bien trop important au Président de la République, même s’il reste possible pour l’Assemblée de censurer le gouvernement. Ceci dit, cela ne s’est produit qu’une seule fois depuis presque 60 ans, le premier gouvernement Pompidou ayant été censuré en 1962 (2). On mesure dès lors combien le « coup est passé finalement très près » lors du vote de la motion de censure proposée par le groupe LIOT voilà quelques semaines, et repoussée par seulement 9 voix, en regard de l’usage du 49.3 pour avaliser la contre-réforme des retraites (3). Je soutiens également l’abrogation des lois travail, en particulier celles relatives à la réglementation du travail de nuit et à l’inversion de la hiérarchie des normes (primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche). Je soutiens de même l’instauration de pratiques plus vertes et plus vertueuses, pour protéger les biens communs que sont l’air, l’eau, l’énergie, et la santé et la suppression des traités de libre échange qui se traduisent systématiquement par des moins disant sociaux, économiques et environnementaux. Je suis en revanche en désaccord avec le retour d’un âge de retraite à 60 ans. Je considère que la retraite ne peut être acquise que par une durée de cotisation donnée, et que l'âge à laquelle elle est accessible doit dépendre de la pénibilité du travail effectué, en lien avec l’âge de début de carrière. Je suis également en désaccord sur la mise en place d’un plan de transition énergétique vers 100% d’énergies renouvelables, car il est intenable sans des économies drastiques d’énergie pour le moment non financées et non finançables, et assez irréalistes. Il suffit pour s'en convaincre de lire ce que dit l'ADEME d'un tel scénario. D’autres mesures sont discutables, telle la révocation des élus par référendum, s’agissant là d’en définir les modalités pour assurer un fonctionnement fluide des institutions et le non recours systématique à de telles procédures pour des raison de basse politique. Je souhaite également réexaminer la position de LFI sur l’Union Européenne, qui me semble plutôt opaque possiblement parce qu'objet de divergences de vue en interne.

Au-delà de ce qui précède, je ferai un certain nombre de critiques à LFI. La première est que selon plusieurs observateurs, dont certains internes au mouvement, il semblerait que le fonctionnement de LFI ne soit pas très démocratique. Soyons clair, cela pourrait bien être un reproche fait à nombre de partis. Mais quand on se veut intransigeant et capable de « laver plus blanc que blanc », on doit l’être en interne. L’affaire Guénolé est à cet égard emblématique. Ce militant LFI a en effet dénoncé assez vertement « le simulacre » de démocratie interne à LFI, parlant même de « dictature » et de « méthodes staliniennes ». L’affaire aurait pu s’arrêter là si l’intéressé n’avait pas fait l’objet de dénonciations sans preuve pour harcèlement sexuel (4). Dans un intéressant ouvrage, « la chute de la maison Mélenchon », M. Thomas Guénolé révèle en effet certains aspects des arrières cuisines de LFI, et cela ne sent pas trop bon, en particulier pour l’ancien candidat à la présidence et pour sa proche conseillère, Mme Sophia Chikirou. Tous deux sont accusés d’autoritarisme pathologique, et de pratiquer « la délégitimation systématique et le procès en opportunisme […] contre tous ceux qui critiquent ». L’ex-candidat est y même décrit comme un tyran colérique et paranoïaque. C’est bien là d’ailleurs bien là un problème de fond pour LFI, et ma deuxième critique. Alors que M. Mélenchon a incontestablement contribué à la création de LFI et de la NUPES, il en est sans doute aussi le pire ennemi. Il a ainsi tenté par le biais des avocats du parti de retarder la sortie du livre de M. Guénolé. En sus, on se rappellera sans aucun doute sa réaction disproportionnée lors de la perquisition au siège du parti de gauche ou de LFI, suffisamment grave pour que le parquet de Paris ouvre une enquête pour « menaces ou actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique », enquête étendue à Ms. Alexis Corbière et Adrien Quatennens. Comment ne pas évoquer ici aussi le comportement de ce dernier, qui bien que relevant du domaine privé, est orthogonal aux prises de positions de LFI sur le respect dû aux femmes ? Comment expliquer le soutien de M. Jean-Luc Mélenchon à ce dernier, alors même que LFI comporte en son sein une instance de suivi des violences sexistes et sexuelles (CVSS) ? Peut-être, faut-il se référer à ce que dit Mme. Hélène Franco, magistrate et ancienne militante LFI, à ce sujet : « ce comité est devenu au fil du temps un rasoir à deux lames. La première sert à dire à l’extérieur que l’on s’occupe du sujet et évite que l’on dépose plainte. La seconde, c’est pour dégager les emmerdeurs, ceux qui veulent des places ou contestent le fonctionnement interne » (5). En plus, il semble avéré que LFI ait tenté de ficher ses militants ouvertement critiques du comportement de M. Quatennens (6). Bref, un gros désordre et un paradoxe de plus au sein d'un parti qui donne la parole à des députés issus de catégories socio-professionnelles que l'on n'a pas l'habitude d'entendre !

La personnalité de M. Mélenchon est donc à mon sens un vrai problème pour LFI et pour la NUPES. On le voit au travers de la crise qui a agité le PS lors des élections au secrétariat national, où M. Olivier Faure et certains de ses collègues socialistes se sont opposés, entre autres sur l’adhésion à la NUPES, avec en toile de fond l’image de son « leader », M. Jean Luc Mélenchon. En disant cela, je n’oublie pas l’exploit qui est d’avoir réussi, en très peu de temps, à rassembler dans cette NUPES des partis divers, marqué par leur propre histoire, et d’avoir assuré une visibilité réelle de la gauche en général lors des dernière élections. Mes chers amis de la NUPES, vous comptez nombre de personnes de qualité en vos rangs. Je n’en citerai aucune pour n’en oublier aucune ! Par ailleurs, vos divergences sont bien plus limitées que vous ne le pensez, et bien plus limitées que vos points de convergence. Vous représentez un espoir majeur en termes de préservation environnementale. Vous êtes aussi cet espoir majeur pour nombre de personnes des classes moyennes ou défavorisées, laminées par la politique anti-sociale voulue par M. Emmanuel Macron, soutenue sans le dire ouvertement par nombre de Républicains. Vous représentez aussi et surtout à mes yeux une contreproposition solide aux faux semblants mis en avant par le rassemblement national (RN), à qui la politique de l’actuelle majorité ouvre un boulevard. Passez sur vos divergences, comme l’ont fait les socialistes de façon brouillonne mais courageuse voilà peu, n’oubliez pas le PCF dans la mesure où celui-ci ne poursuivra pas son isolement, et soyez tous ensemble cette « gauche morale », comme le disait M. Marcel Gauchet, historien et sociologue, qui refuse les compromissions de la pseudo-gauche de gouvernement. La France et  nombre de Français ont besoin de vous !


Références :

1. la France Insoumise. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_insoumise#Programme

2. Gouvernement Georges Pompidou. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_Georges_Pompidou_(1)

3. Laurie-Anne Virassamy. Motion de censure après le 49.3 sur la réforme des retraites : qu’ont voté vos députés ? France-Info. Mars 2023.
Consultable en ligne :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/motion-de-censure-apres-le-49-3-sur-la-reforme-des-retraites-qu-ont-vote-vos-deputes-2736946.html

4. Abel Mestre. Thomas Guénolé rompt violemment avec La France insoumise : « C’est une dictature ». Le Monde. Avril 2019.

Anonyme. Mis en cause pour harcèlement sexuel, Guénolé dénonce des « méthodes staliniennes ». Huffington Post. Avril 2019.
Consultable en ligne :
https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/thomas-guenole-signale-pour-harcelement-sexuel-denonce-des-methodes-staliniennes-a-la-fi_143589.html

5. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin. Jean-Luc Mélenchon, ses lieutenants et les féministes « insoumises ». Le Monde. Septembre 2022.

6. Pauline Graulle. Jean-Luc Mélenchon tente d’entraver la publication d’un ouvrage… puis se ravise. Mediapart. Octobre 2019.


Crédit illustration : 

Logo LFI. Page Wikipedia.
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_insoumise




mardi 2 mai 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… ÉCOLOGISTES

L’écologie politique en France : René Dumont candidat (1974)
 
Je poursuis, dans la lignée de mon article précédent, m’intéressant ce jour aux « écologistes politiques », parmi lesquels je compte aussi quelques relations et amis.


Je le dis tout de suite, je m’intéresse aux questions écologiques depuis très longtemps, depuis la campagne électorale menée par René Dumont en 1974. Je n’avais pas le droit de vote à l’époque, mais je m’étais très attaché à comprendre les propos de cet agronome. Si on les reprend aujourd’hui, presque 50 ans plus tard, on ne peut que constater qu’il avait vu juste sur nombre de points. Vêtu de son traditionnel pull-over rouge, ce militant de la cause environnementale circulait beaucoup à vélo avant que cela ne soit habituel. Il se présentait aussi à la télévision avec une pomme et un verre d’eau sur sa table, pour dire que ces ressources étaient précieuses et qu’elles allaient un jour manquer. Je me rappelle très bien qu’il annonçait aussi les pénuries de carburants fossiles et la hausse de leur coût qui s’en suivrait. Les thèmes qui lui étaient chers, et je cite ici la page Wikipédia qui lui est consacrée (1), étaient « le contrôle des naissances, les économies d'énergie, la coopération internationale avec les pays en développement, et la protection et la remédiation des sols… ». Ajoutons à cela que la politique qu’il prônait, et je cite toujours la même source, était « pacifiste, contre le capitalisme agressif [l'agronome n'a rien contre la propriété foncière si elle n'est pas à l'origine d'un partage trop inégal des fruits du travail et si les droits des agriculteurs sont respectés], pour la solidarité entre les peuples » prenant en compte les intérêts et les fragilités des pays dits en voie de développement.

Ces différents volets ont ensuite été développés dans un courant que l’on appelle l’écologie politique, dont la définition est malaisée, probablement parce qu’elle s’est incarnée dans des mouvements aussi divers que les mouvements pour la paix, les anti-nucléaires, l’écologie libertaire, ou plus près de nous, les zadistes, l’écoféminisme, Greenpeace ou d’une certaine façon, le véganisme, une liste non limitative. Une des « externalités positives » de l’écologie politique est qu’elle a sans aucun doute permis une prise de conscience généralisée de l’urgence qu’il y a à intégrer dans nos activités de tous les jours les contingences imposées par notre vie sur une planète finie. Cette prise de conscience a percolé même parmi les tenants d’un capitalisme échevelé. Je ne citerai par exemple que M. Elon Musk, libertaire et capitaliste assumé, qui déclarait au sujet de nos défis à venir « le changement climatique est la plus grande menace à laquelle l’humanité est confrontée au cours de ce siècle ». Le créateur de Tesla ajoutait que l’objectif de son entreprise était « de contribuer à accélérer le passage d'une économie fondée sur l'exploitation minière et l'énergie fossile à une économie électrique solaire » sans que cette dernière constitue « une solution exclusivement durable ». Il écrivait également que le schéma directeur de son entreprise était une espèce de « guide pour transformer les transports et sauver la planète de la pollution ». On peut ensuite, bien entendu, discuter de la pertinence qu'il y a à développer des véhicules électriques ou des pollutions que cette production implique. On peut également discuter de ses autres objectifs, tels l’exploration spatiale ou la mise en place de satellites, à l’aune de considérations tant philosophiques qu’environnementales. Il agit d’autres questions ; reste que la prise de conscience est là, Chez M. Elon Musk comme chez d'autres "capitaines d'industrie" .

Alors quels sont les griefs que je peux avoir vis à avis de mes amis écologistes ? J’en exprimerai deux. Le premier est, pour une partie non négligeable de l’écologie politique et surtout militante, de s’être construite sur une vision quasi religieuse - et quelque peu biaisée - des équilibres biologiques. Je m’explique. Il me semble, mais peut être me trompè-je, que certains écologistes activistes développent une vision messianique de la nature et du vivant, et en en faisant quasiment des objets de culte. Dans une intéressante étude à laquelle je souscris, M. Stéphane François, politologue et historien des idées, écrivait : « l’écologie comporte de facto un aspect néo-païen qui fait d’elle une sorte de religion néo-animiste fondée sur la sacralisation de la nature et sur le retour de cultes archaïques consacrés à la déesse Terre » (2). Cette analyse est intéressante car elle explique alors, dans un raisonnement que l’on peut bien sur contester, pourquoi une part non négligeable de l’écologie militante est opposée à ce qu’elle appelle la technique et à la science. Dans la vision originelle de ses promoteurs « l’écologie radicale [est] une philosophie de la vie, distincte de l’écologie-science et centrée sur l’idée de réalisation de soi ». Dans ce référentiel, « l’homme ne serait qu’une des nombreuses formes de la réalité vivante, sans valeur intrinsèque supérieure ». Celui-ci s’inscrirait dans un monde à l’image de celui relevant de l’hypothèse Gaïa, une théorie panthéiste qui promeut une vision déiste de la nature en opposition avec les concepts des religions du Livre, porteuses, elles, d’une modernité technoscientifique. Dans l’article en référence, M. Stéphane François cite d’autres auteurs influencés par cette vision païenne de la nature. Ainsi, M. Mirce Eliade, historien des religions, écrivait : « la science moderne n’aurait pas été possible sans le judéochristianisme qui a évacué le sacré du cosmos et l’a ainsi « neutralisé » et « banalisé » […] Par sa polémique antipaïenne, le christianisme a désacralisé le cosmos […] et a rendu possible l’étude objective, scientifique de la nature […] La « technique », la civilisation occidentale, est le résultat indirect du christianisme, qui a remplacé le mythe dans l’Antiquité » (3). On peut être d'accord ou non avec cette grille de lecture. Au moins explique-t-elle pourquoi il existe une opposition quasi systématique d’écologistes radicaux avec tout ce qui pourrait apparaître comme issu de la science. Ainsi, le dernier avatar de cette position quasi-religieuse se retrouve dans le refus de nombreux écologistes militants de refuser la vaccination, particulièrement celle reposant sur la technologie ARN, à l’image des témoins de Jéhovah refusant les transfusions sanguines… On se rappellera ainsi les propos tenus par Le CriiGen, organisation environnementale militante, sur cette vaccination, propos qui ne m’ont pas étonné connaissant les liens entre cet organisme et la mouvance antivax. Ainsi, deux membres notables du CriiGen, M. Michel Georget (maintenant décédé) et Mme Isabelle Chivilo, sont ou ont été des militants antivaccination notoires (4).

Le deuxième reproche que je ferai à mes amis écologistes découle du premier : votre combat, pour juste qu’il soit, ne vous autorise pas à travestir les consensus scientifiques, ni à manipuler l’opinion. J’ai personnellement été confronté à cette manipulation de la part d’écologistes militants ou radicaux, en particulier dans le débat autour des variétés végétales dites OGM (organismes génétiquement modifiés). J’ai passé plus de 15 ans de ma carrière d’écologue à étudier les conséquences de la culture de tels organismes, et je crois très bien connaitre le sujet. J'ai toujours dit sans contrainte de ma tutelle ce que j'avais observé : parfois un impact, parfois aucun, en tous cas aucun de quantifiable... J’avais donc, il y a maintenant de nombreuses années, été interviewé par le journal du CNRS au sujet de l’action de faucheurs qui avaient détruit un essai en champ de vignes génétiquement modifiées. Ces essais étaient destinés à précisément évaluer les impacts environnementaux de la culture. J’avais alors utilisé les termes d’obscurantiste et dénoncé un certain nombre des approximations, pour ne pas dire des mensonges, propagées par ces activistes (5). Cela m’avait valu les foudres d’un écologiste militant, M. Fabrice Nicolino, qui avait attaqué et sensiblement déformé mes propos dans un journal et dans son blog (6). Deux ans plus tard, je discutais avec des militants de la Confédération Paysanne, peu suspect d'activisme pro-OGM, qui nous félicitaient,  pour le travail fait lors d’une très grosse étude d’impact de ces mêmes variétés. Celle-ci avait été copilotée par un des mes collègues de l’INRA et par moi même, pour le compte du Ministère de l’agriculture et du Ministère de l’écologie… De même, j’avais eu à discuter auprès de l’Offfice Parlementaire des Choix Scientifique et Technologiques du travail de M. Gilles-Eric Séralini, chercheur résolument anti-OGM, dont l’étude sur des rats nourris aux OGM l'avait conduit, dans un aveuglement militant, à des conclusions erronées masquées par une communication très contrôlée. J’avais alors parlé d’instrumentalisation de la science, une position que je maintiens aujourd’hui encore. J’avais également du expliquer que nous consommons des produits OGM depuis plus de 40 ans, contrairement, là aussi, à ce qu’assènent un certain nombre d'écolos militants. Ainsi, toutes les lignées d’orge cultivées en France sont OGM au sens de la directive de l’UE qui les définit (7). Il en va donc de même de nos bières, nos mueslis, notre whisky, etc. En l'occurrence, ici je ne juge pas, je ne promeus pas, je constate et j'énonce un simple fait ! Dans le même ordre d'idées, je n'ai pas la place de développer ici l'analyse des propos tenus par certains écologistes autour du nucléaire, mode de production d’énergie pourtant fortement décarboné, et qui aura tué bien moins de personnes dans le monde que le charbon ou le pétrole…

Ainsi mes chers amis écologistes, je considère que vos alertes sur les dangers environnementaux que nous encourons sont pertinentes. Je considère aussi que vous « mettez dans le mille » avec votre questionnement autour de la surexploitation de notre planète, sans aucun doute liée à notre système capitaliste. Vous avez cent fois raisons de nous alerter de tout cela, mais vous ne devez pas céder aux sirènes des intégristes naturalistes. Ceux-ci proposent, sans doute sans s’en rendre compte, une vision qui s’apparente à « un antihumanisme, aux assises misanthropes : le genre humain, responsable des désastres écologiques, doit disparaître []. Dans certains cas extrêmes, nous assistons même à un renversement : l’homme y est parfois inférieur aux animaux, voire traité d’espèce nazie » (1). Comprenez qu’en tolérant en votre sein de tels attitudes ou propos, vous donnez les bâtons pour vous faire frapper par vos opposants, des tenants d’une économie sans frein aux négationnistes du changement climatique. Or, ceux-ci sont suffisamment puissants et organisés pour ne pas les aider de la sorte. Revenez à une vision plus raisonnable, plus rationnelle – et surtout plus honnête – des enjeux, et de nos difficultés. Vous gagnerez en crédibilité. C'est urgent !



Références :


1. René Dumont. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Dumont

2. Stéphane François (2012). Antichristianisme et écologie radicale. Revue d'éthique et de théologie morale 272, 79-98.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-4-page-79.htm#pa1

3. Mircea Eliade (1973). Fragments d’un journal I. 1945-1969. Gallimard, Paris.

4. Anonyme. OGM, vaccins, même combat. Agriculture et environnement. Septembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.agriculture-environnement.fr/2021/09/13/ogm-vaccins-meme-combat

5. Julien Bourget (2010). Fauchage des vignes OGM, une perte pour la recherche. Le journal du CNRS 250, 17.
Consultable en ligne :
http://fr.1001mags.com/parution/cnrs-le-journal/numero-250-novembre-2010/page-16-17-texte-integral

6. Fabrice Nocolino. Mettre en taule les obscurantistes (avis autorisé du CNRS). Planète sans visa.
Décembre 2010.
Consultable en ligne :
https://fabrice-nicolino.com/?p=1024

7. Anonyme. Ces OGM méconnus que la France produit par millions. TerraEco. Aout 2013.
Consultable en ligne :
https://www.terraeco.net/Ces-OGM-meconnus-que-la-France,50776.html


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Document INA - autorisation de partage non commercial.
https://clio-texte.clionautes.org/ecologie-politique-france-canditature-rene-dumont-1974.html

S'agissant d'une capture d'écran TV, la qualité du document reste médiocre. Merci de m'en excuser.

 



vendredi 28 avril 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… SOCIALISTES

Illustration.
 

Voilà quelque temps que je songeais à une série d’articles autour des différentes sensibilités constituant ce qu’il est convenu d’appeler la gauche de l’échiquier politique. Je commence par mon ressenti vis-à-vis du parti socialiste (PS), dont j’ai été assez proche, intellectuellement parlant, jusqu’à l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République.

A dire vrai, j’ai beaucoup d’admiration pour ce que représente, au plan historique, le PS. En quelques mots, celui-ci est issu du Parti Socialiste Français, lui-même résultant de la fusion de trois mouvements, dont l’un, porté par Paul Brousse était largement influencé par le marxisme. Un autre de ces mouvements, le parti des socialistes indépendants, comptait dans ses rangs Jean Jaurès. Ce dernier aura largement contribué à la mise en place de la loi de séparation des églises et de l’Etat, en 1905. À cette même date, la fusion du Parti Socialiste Français avec le Parti Socialiste de France conduit à la formation de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, la SFIO, codirigée par Jean Jaurès et par Jules Guesde. Jusqu’au front populaire, la SFIO hésitera « entre discours révolutionnaire et pratiques réformistes et parlementaires, ni purement réformiste, ni réellement révolutionnaire » (1). Cette ambivalence se retrouvera tout au cours de l’histoire du PS. Malgré les scissions, dont l’une conduira à la formation du Parti Socialiste Unifié (PSU), malgré les départs, les recompositions (telle celle du congrès d’Alfortville en 1969), la SFIO perdurera jusqu’au congrès d’Epinay en 1971. Celui-ci verra le regroupement des différentes sensibilités de la grande famille socialiste, à l’exception du PSU, sous le nom de Parti Socialiste, vocable proposé par M. Pierre Joxe (2). M. François Mitterrand est alors nommé premier secrétaire, et M. Pierre Mauroy secrétaire à la coordination, c'est-à-dire numéro 2 officieux du PS.

Cette courte revue historique vous dit d’ores et déjà, mes chers amies et amis socialistes, quels grands personnages ont marqué l’histoire de votre parti. Citons entre autres, Jean Jaurès, déjà mentionné plus haut, pacifiste et humaniste, fondateur de « l’Huma », à qui on ne peut que reprocher sa prise de position précoce dans l’affaire Dreyfus, mais aussi Léon Blum, déporté en 1941, qui refusa courageusement les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, ou Pierre Mendès-France, honni des réactionnaires de droite, furieux de voir le nom de France porté par un israélite, qui conclura la paix en Indochine et actera l’indépendance de la Tunisie. On peut également penser ce que l’on veut de M. François Mitterrand, dont certaines amitiés sont discutables, mais on ne peut nier qu’il fut l’un des plus grands hommes politiques de la seconde moitié du XXe siècle. Rappelons qu’il a soutenu la suppression de la peine de mort, nommé la première premier ministre femme à Matignon, accordé la 5e semaine de congés payés, entre autres réformes sociales… Tout cela sans compter sa remarquable érudition. Les présidents qui lui succèderont ne signeront qu’une lente décadence de la fonction présidentielle : M. Jacques Chirac comme M. Nicolas Sarkozy arrivant même à se signaler comme les deux premiers présidents de la République condamnés par la justice, l’un pour détournement de fonds et abus de confiance, l’autre pour financement illégal de campagne électorale, corruption et trafic d’influence, et sous le coup d’une mise en examen pour association de malfaiteurs, rien que cela ! Quant au « président normal », j’y reviendrai plus loin dans ce billet. J’avais, de mon côté, eu la chance de rencontrer deux fois M. Michel Rocard, lors de réunions publiques. On avait pu échanger et je dois dire que j’étais très admiratif de sa hauteur de vue, de son niveau de réflexion, et de la simplicité avec lequel on pouvait l’aborder. J’étais néanmoins en en désaccord avec sa vision de la nouvelle gauche, qui, quelques 35 ans plus tard, se traduira par l’élection de M. François Hollande, et la mise en place de politiques socialement délétères.

C’est donc ici que je m’accorderai quelques coups de patte envers mes chers amies et amis socialistes. Le parti, me semble-t-il, a toujours, depuis son origine et tout au long de l’existence de la SFIO, hésité entre un positionnement à gauche, voire même quasi révolutionnaire à l’origine, et un positionnement que l’on pourrait qualifier de centriste. De même, depuis 1968, il existe un clivage entre les tenants d’une alliance des gauches, y compris avec le parti communiste français, et des personnalités comme Ms. Michel Rocard ou Jacques Delors. Ces deux derniers furent les promoteurs de la traduction en français des ouvrages de M. Fredrich Hayek, penseur et économiste qui aura influencé la révolution libérale des années 1980, largement incarnée par M. Ronald Reagan aux Etats-Unis et Mme M. Thatcher au Royaume Uni. Ce clivage s’est également bien ressenti dans la comparaison des positions politiques de personnalités telles que Ms. Dominique Strauss-Kahn (lui aussi ayant eu maille à partir avec la justice, soit dit au passage), Laurent Fabius, François Lamy, et plus récemment, de Ms. François Hollande et Manuel Valls, avec celles de personnalités comme Ms. Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg, ou Benoît Hamon. On retrouve là la théorie des « deux gauches irréconciliables » chère à M. Manuel Valls. Je partage son point de vue, à ceci près que « la gauche de gouvernement », telle que l’appelle l’ancien premier ministre, est tout sauf une gauche, même si on ne doit pas oublier la loi Taubira, dite du mariage pour tous, ou des avancées sur la fin de vie. D’une façon générale, de très nombreuses positions, décisions, et discours de cette gauche de gouvernement ont révélé in fine un positionnement centriste, voire de centre-droit, et une certaine forme de mépris pour les Français. Je cite en vrac les « sans-dents », les mensonges sur « la finance, mon ennemi », les lois Macron sur le travail de nuit et du dimanche, la loi El-Khomri, qui réécrit totalement la partie du code du travail relative à l’aménagement du temps de travail et permet aux accords d’entreprises de déroger aux accords de branches en matière de temps de travail, d’heures supplémentaires ou de congés, et les privatisations de « pépites industrielles » telles que Safran, EADS, les aéroports de Toulouse et de Paris, pour n’en citer que quelques-unes.

Comment, mes chers amies et amis socialistes, avez-vous pu laisser passer tout cela ? Vous qui avez sans aucun doute adhéré au PS, ou avez agi en compagnons de route en regard des engagements humanistes de ce parti ? Comment avez-vous toléré ces régressions, alors que tout dans votre ADN, vous poussait au progrès social ? À quels appels avez-vous cédé, quels chants des sirènes vous auront fait dévier de votre course naturelle, pour conduire votre navire au naufrage ? Le problème majeur, outre celui de l’affaiblissement massif du PS, est que ces épisodes néolibéraux auront brouillé le paysage politique, et les notions mêmes de droite et de gauche. Comme le dit fort justement  M. Jean-Claude Michea, philosophe et essayiste, « depuis maintenant plus de trente ans, dans tous les pays occidentaux, le spectacle électoral se déroule essentiellement sous le signe d’une alternance unique entre une gauche et une droite libérale qui, à quelques détails près, se contentent désormais d’appliquer à tour de rôle le programme économique défini et imposé par les grandes institutions capitalistes internationales ». Ce dernier rappelle d’ailleurs « le rôle moteur que la gauche française (Jacques Delors, Pierre Bérégovoy et Pascal Lamy en tête) a joué dans la construction d’une Europe procédurière et marchande », son « ralliement progressif – depuis maintenant plus de trente ans – en France comme dans tous les autres pays occidentaux, au culte du marché concurrentiel de la compétitivité internationale des entreprises et de la croissance illimitée » (3). Et pour reprendre la conclusion de cet auteur, à laquelle j’adhère, cela aura pour conséquence principale que ces « trente années de ralliement inconditionnel au libéralisme économique et culturel [auront] largement contribué à discréditer [la gauche] aux yeux des catégories populaires, aujourd’hui plus désorientées et désespérées que jamais » (3).

Il est temps de sortir de ce sommeil des lotophages, pour reprendre l’analogie avec les sirènes de l’Odyssée d’Ulysse, afin de reconstituer avec les autres forces de gauche, un bloc capable de s’opposer aux politiques socialement délétères, telle la contre-réforme des retraite proposée, ou plutôt imposée par le gouvernement de M. Emmanuel Macron. Votre chance est que certains de vos anciens coreligionnaires, ex. membres du PS et de sa pseudo « gauche de gouvernement », tels Ms. Olivier Dussopt, Gabriel Attal, Stanislas Guérini, sans oublier la cheffe de gouvernement, Mme Elisabeth Borne ont révélé leur vraie nature. Vous devez ce sursaut à Guesde, Brousse et Jaurès !



Références

1 Notre histoire. Parti socialiste / Fédération 75.
Consultable en ligne :
https://www.parti-socialiste.paris/histoire

2. Congrès d’’Épinay. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A8s_d%27%C3%89pinay

3. Jean-Claude Michea, cité par Gérard Mauger. Le PS est-il « de gauche » ? Savoir/Agir, 23, 95-98 (2013).
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2013-1-page-95.htm


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Jean Jaurès par Nadar. Wikipédia.
Image du domaine public.
http://www.museehistoirevivante.com/img/expositions/2009/Jaures/Jaures8.jpg


lundi 24 octobre 2022

LE CONCEPT DE « CARRYING CAPACITY »



Au cours de ma carrière scientifique, je me suis souvent dit qu'il serait bon que nos concitoyens soient un peu plus informés des fondamentaux en sciences. Pour cette raison, et parce que j’ai été, et reste, payé avec de « l’argent public», il m'a toujours semblé important de mener des actions de vulgarisation scientifique auprès de ce qu'il est convenu d'appeler « le grand public ». C'est ce que je continue de faire, à mon rythme et selon mes envies, via certains des articles de ce blog, justifiant ainsi le terme de citoyen que j'utilise pour celui-ci.

Une des raisons de cette effort de vulgarisation est que s'il est légitime d'avoir une opinion, un avis sur un sujet donné, il m'a toujours semblé que cet avis devait être formé sur la connaissance de faits aussi objectifs que possible, et non pas sur des présupposés. En ce sens, et même si je trouve la formulation un peu « raide », je comprends parfaitement ce que voulait dire M. Harlan Ellison, écrivain américain de science-fiction, quand il disait « vous n'avez pas le droit d'avoir une opinion, mais vous avez le droit d’avoir une opinion éclairée ».

La notion d'écologie que je voulais présenter aujourd’hui s’appelle la « car-rying capacity », notion que l'on a traduite en - mauvais - français en capacité de portage. Je préfère le terme de capacité biologique ou de capacité de charge. Cette notion trouve son origine dans le domaine de la microbiologie, lorsque nos prédécesseurs du XIXe siècle ont cherché à comprendre et modéliser le développement des micro-organismes. Le terme n'est en revanche apparu que dans le premier quart du XXe siècle. Cette notion dit en substance que « la capacité de charge d'un environnement est la taille maximale de la population d'une espèce biologique qui peut être soutenue par cet environnement spécifique, compte tenu de la nourriture, de l' habitat, de l'eau et des autres ressources disponibles. La capacité de charge est définie comme la charge maximale de l'environnement, qui correspond en écologie des populations à l'équilibre de la population, lorsque le nombre de décès dans une population est égal au nombre de naissances » (1). Il est à noter que cette notion prend en compte les facteurs qui relèvent des ressources, mais qu'elle ne s'intéresse que moyennement à l'impact de certains des autres facteurs susceptibles d'affecter la taille de la population d'une espèce donnée (telle que les interactions entre espèces, par exemple au travers de la prédation) sauf à les réintégrer dans un coefficient utilisée pour le calcul de l'évolution de taille des populations, dit « taux intrinsèque d'accroissement naturel ». Je ne vais pas plus dans le détail. Si des lecteurs sont intéressés par ces questions, ils peuvent me contacter via le lien de contact en tête de page du blog (en version ordinateur), et je tenterai de répondre à leur demande.

La notion de capacité de charge a été très utilisée dans les calculs mis en oeuvre pour optimiser les processus de fermentation, au sens large puis elle a été étendue aux productions agricoles et à l'élevage. Un développement spectaculaire a été son application aux sociétés humaines, avec, il faut le souligner tout de suite, un risque d'erreur lié au fait que cette capacité de portage sous-entend, comme je l'ai indiqué plus haut, l'existence d'un équilibre populationnel, dans lequel « le nombre de décès dans une population est égal au nombre de naissances ».

Avec la limitation exposée ci-dessus en tête, et en moyennant fortement des facteurs qui font que les conditions de vie en Suède diffèrent sensiblement de celles au Pakistan, au hasard, plusieurs spécialistes ont calculé voilà des dizaines d'années la capacité de charge maximale de notre planète en fonction des ressources de l'époque. Celle-ci s'élevait de 9 à 10 milliards d'individus, une valeur qui semblait encore valide dans les années 2010 (2). Ce chiffre doit cependant être modulé en fonction de la nature des prélèvements humains sur la planète. Ceux-ci semblent en effet sensiblement dépasser la capacité productive de la Terre. De plus, l'impact croissant du réchauffement climatique conduira sans aucun doute, par le biais de l'élévation du niveau des mers, de la réduction des surfaces arables et des rendements des cultures, à une limitation des ressources, donc à une révision de ce chiffre. Comme je l'indiquais, cette capacité de charge dépend de nombreux facteurs, et entre autres la façon dont sont utilisées les ressources. Une étude de CJ. Peters et collaborateurs (3), publiée en 2016, évaluait la capacité de charge du territoire des USA en fonction de 10 régimes alimentaires différents. Elle montrait qu'un régime végan strict mais respectant les critères d'apports journaliers nécessaires, permettrait de nourrir 735 millions d'Etat-Uniens, contre 400 millions en conservant le régime actuel. Une autre étude publiée deux ans plus tard (4) confirmait que si toute la population américaine passait à un régime alimentaire végan, il serait alors possible de nourrir 350 millions de citoyens US en sus. Je ne dis pas ici qu'il faut devenir végétarien ou adepte du véganisme, ce que je ne suis pas d'ailleurs. Je souhaitais simplement montrer au travers de ces données que la capacité de charge d'un environnement donné dépend fortement du type et du mode d'utilisation des ressources.

La capacité de charge de notre planète n'est donc pas un chiffre intangible, fixé une fois pour toute, d'autant que le pic d'accroissement de la population humaine a été atteint dans les années 60 avec un taux de 2,2 % (voir illustration). Depuis cette date, nous sommes passé à 1,5% au début des années 90, puis à 1% actuellement, ce qui signifie que la croissance globale de la population se ralentit. Il n'est donc pas impossible, et je pense qu'il est en fait assez probable, que ce taux deviendra négatif au cours de ce siècle, entraînant une diminution de la population mondiale. La question est de savoir quand elle interviendra. Celle-ci reste débattue mais plusieurs évaluations estiment qu'elle pourrait être notable dès le milieu du XXIe siècle. Si je me fie à la page Wikipédia sur le sujet, la population mondiale pourrait se limiter à 9 milliards et quelques d'individus, puis redescendre autour de 4 à 8 milliards selon les scénarios (5). Ce serait une excellente nouvelle pour la planète, à mon avis, dans l'hypothèse ou aucune catastrophe d'origine anthropique ou non, affecterait cette estimation.


Références :

1. Capacité de charge. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Capacit%C3%A9_porteuse

2. N .Wolchover. How Many People Can Earth Support? Livescience.Com; Live Science, Novembre 2011.

3. CJ Peters et coll. Carrying capacity of U.S. agricultural land: Ten diet scenarios. Elem. Sci. Anthr. 4, 000116 (2016).

4. Alon Shepon et coll. The opportunity cost of animal based diets exceeds all food losses. Proc. Natl. Acad. Sci. 115:3804-3809 (2018).

5. Population mondiale. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Population_mondiale



Crédit illustration :   

Image tirée de la référence 5, ci-dessus.
Les valeurs indiquées sont les taux d'acroissement en rouge, et le nombre d'individus « gagnés » en un an en gris.