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lundi 24 mars 2025

INQUIÉTANT PAPIER DU SAN FRANCISCO CHRONICLE...


J'ai eu la chance de travailler pendant 2 ans aux Etats-Unis, à la fin des années 80, dans un hôpital et deux universités américaines, dans l'Illinois puis en Californie. Je garde certaines habitudes de ces séjours, entre autres celle de lire de temps en temps les journaux de référence états-uniens, dont le Washington Post et le New York Times. J'y ajoute des journaux moins connus mais qui me rappellent mes lieux de séjours outre-Atlantique, à savoir le Chicago Tribune et le San Francisco Chronicle.

Ce dernier journal est l'un des plus importants journaux de Californie. Crée en 1865, plutôt démocrate aujourd'hui, il appartient à la Hearst Corporation fondée, elle, par le magnat de la presse William Randolf Hearst, celui-là même dépeint dans le film « Citizen Kane » d'Orson Welles. Or je viens de voir passer dans ce dernier journal un article très inquiétant (1), signé par M. Brett Wagner. Aujourd'hui retraité, cet auteur a été professeur en matière de sécurité nationale à l'U.S. Naval War College et chercheur adjoint au Center for Strategic and International Studies. Cet institut est bien entendu très proche des milieux de défense des Etats-Unis. Depuis 2000, il est d'ailleurs dirigé par M. John Hamre, qui fut le 26e ministre de la défense. J'ai traduit ce document en intégralité ci-dessous. Il est intitulé « Trump se prépare-t-il à invoquer l'Insurection Act » (loi fédérale des États-Unis qui autorise le président déployer l'armée sur le territoire des Etats-Unis pour mettre un terme aux troubles civils, à l'insurrection et à la rébellion). Voici ce qu'il dit :

« L'horloge tourne en regard d'une partie cruciale mais peu remarquée de la première série de décrets du président Donald Trump, celle qui charge les secrétaires du ministère de la défense et du ministère de la sécurité intérieure de soumettre un rapport conjoint, dans les 90 jours, recommandant « d’invoquer ou non la loi sur l’insurrection ». 

Beaucoup d’entre nous retiennent désormais leur souffle, sachant que ce rapport et ce qu’il contient pourraient nous conduire sur la pente glissante d'un pouvoir présidentiel incontrôlé, sous la direction d’un homme ayant une sympathie marquée pour les dictateurs à la poigne de fer. Le récent « massacre du vendredi soir » au Pentagone - c'est à dire le licenciement du plus haut officier en uniforme du pays et la révocation d'autres garde-fous bien connus (c'est-à-dire les meilleurs avocats en uniforme de l'armée de terre, de la marine et de l'air) se dressant entre le président et son intention déclarée de longue date de déclarer la loi martiale à son retour au pouvoir - a ajouté au suspense. Coïncidence? En attendant de le savoir, c'est le moment de regarder cela de plus près. 

Supposons, par exemple, que Trump invoque la loi sur l’insurrection et déclare la loi martiale. Il ne serait même pas tenu, de par la loi, d’alléguer une « insurrection ». Il suffirait d’affirmer qu’une « obstruction illégale » a rendu « impossible l’application des lois des États-Unis » (comme l’a fait le président Dwight D. Eisenhower lorsqu’il a ordonné à la Garde nationale de l’Arkansas d’imposer la déségrégation dans les écoles de Little Rock, Arkansas). Or, c’est là que toutes les fausses affirmations et les mensonges purs et simples propagés par Trump et ses alliés politiques entreront en jeu : Trump alléguant faussement, par exemple, qu’une ville entière du Colorado a été prise par des gangs de rue vénézuéliens, qu’une ville de l’Ohio a été envahie par des réfugiés haïtiens qui mangent tous les chats et tous les chiens, et d’autres affirmations non étayées selon lesquelles « des millions et des millions » de « clandestins » affluent dans notre pays chaque semaine (ou chaque jour selon la personne qui mentira alors). 

Chacune de ces fausses affirmations et purs mensonges pourraient être distillés pour déclarer la loi martiale en phrases accrocheuses (commençant par le terme « attendu que ») pour établir la prémisse juridique qui permettra d'invoquer la loi sur l’insurrection, et de poser le prédicat pour fouiller chaque maison, où bon leur semblera, sous prétexte de rechercher des immigrants sans papiers qui n’existent pas. Malgré la complexité logistique qui y est liée, et sans parler de facteurs tels que la taille du territoire et de la population des États-Unis, une mise en œuvre de la loi martiale pourrait cependant être rapide. Prenons par exemple cette ville du Colorado, Aurora : pendant les mois qui ont précédé l’élection, Trump et ses sbires ont répandu des mensonges insensés, promettant de vastes descentes des services de l’immigration s’ils étaient élus.

Il se trouve qu’Aurora possède déjà son propre bureau d’immigration et de douane, et qu’une base militaire existante vient d’être utilisée comme centre de détention « temporaire ». Le projet 2025 propose en outre d’aller au-delà du plan de Trump, en cours mais qui serait progressivement abandonné, visant à héberger jusqu’à 30 000 détenus en continu dans la base de la marine américaine de Guantanamo Bay, à Cuba. Pour cela, il est proposé d'amener Guantanamo chez nous, chez vous, en créant des Guantanamo supplémentaires dans tout le pays. L’un de ces potentiels Guantanamo qui, je crois, est à l’étude est l’ancien centre de détention de Leavenworth, un ancien avant-poste du « complexe industriel carcéral » à but lucratif du pays, situé près de Kansas City, dans le Missouri. Les habitants des environs sont en armes, dans l’espoir d’empêcher la réouverture du site, précédemment fermé en raison de violations flagrantes des droits de l’homme. J'ai récemment fait un voyage pour le voir et j'ai été horrifié à l'idée que des centaines, voire de milliers de familles sans papiers pourraient être rassemblées là comme le bétail qui paissait de l'autre côté de la route.

Bien entendu, n’importe lequel de ces Guantanamos pourrait également être utilisé pour détenir des américains, puisque Trump tâte le terrain en matière de suppression du droit du sol de certains de nos concitoyens. Le vice-président J.D. Vance a même suggéré que si les tribunaux se prononçaient contre le président au sujet de la suppression du droit du sol [droit de naissance dans le texte], alors son cher leader pourrait simplement ignorer l'ordonnance. « Mais qu’en est-il de la désobéissance civile ? » demanderiez-vous ; « Vous ne pouvez pas transformer l’Amérique en Corée du Nord du jour au lendemain ! » La seule chose qui a arrêté Trump la dernière fois qu’il a ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur les manifestants américains (« ne pouvez-vous pas simplement leur tirer dessus ? Il suffit de leur tirer dans les jambes ou quelque chose du genre ? ») a été le refus de son secrétaire à la défense et général en chef de l’époque d’exécuter son ordre. Quatre ans plus tard, l'investisseur en capital-risque qui devrait être notre prochain général en chef est un des chéris des mouvements d'action politique conservatrice qui, selon Trump, portait un chapeau MAGA lorsque tous deux se sont rencontrés en Irak...

D’autres postes vacants attendent aussi d’être pourvus. Il en est ainsi de meilleurs avocats en uniforme de l’armée de terre, de la marine et de l’air, des généraux trois étoiles chargés d’examiner les ordres du commandant en chef et du secrétaire à la défense, afin d'en évaluer la légalité. Cherchant à lever tout doute sur les raisons pour lesquelles les officiers précédents avaient été limogés, l'actuel secrétaire à la défense Pete Hegseth a récemment expliqué que cette mesure avait été prise de manière préventive, pour les empêcher de bloquer « les ordres donnés par un commandant en chef ». Merci d'avoir tout haut ce qui devait resté caché. On dirait que Trump est sur la bonne voie pour trouver les bons « béni-oui-oui » cette fois-ci... 

En attendant, ne quittez pas Elon Musk des yeux. En effet, est-ce un hasard si le président a laissé totale liberté à l’homme le plus riche du monde pour accéder à tous les ordinateurs du gouvernement, ​​permettant à son plus grand donateur de campagne - le propriétaire de l’une des plus grandes sociétés d’intelligence artificielle au monde - d’accéder à tout ce que le gouvernement sait sur vous, au moment même où il pourrait se préparer à imposer la loi martiale ? C’est un fait qu’aucun d’entre nous ne devrait considérer comme une simple coïncidence ».

Ce texte est donc très inquiétant puisqu'il indique que depuis sa nomination, tout se passe comme si M. Donald Trump, après avoir éliminé tous les contre-pouvoirs, s'apprêtait à déclarer la loi martiale aux Etats-Unis, sous des prétextes totalement fallacieux, le tout avec l'aide de M. Elon Musk et de ses affidés. 

J'espère pour les Etats-Unis et pour la sécurité du monde que les propos traduits ci-dessus resteront au niveau de l'erreur d'analyse. Malheureusement, plus les jours passent, plus on s'aperçoit de l'énormité de la dérive - par de nombreux cotés totalitaire - de l'actuel gouvernement des Etats-Unis. Or, le pire est toujours possible. Comme le disait M. Claude Malhuret dans son discours devenu célèbre dans le monde entier (2) : « Jamais aucun [président américain] n’a piétiné la constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux. Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Il n’a fallu qu’un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution ». Ne pas l'oublier...    


Références :

1. Brett Wagner. Is Trump preparing to invoke the Insurrection Act? Signs are pointing that way.
The San Francisco Chronicle. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://www.sfchronicle.com/opinion/openforum/article/insurrection-act-president-trump-20201819.php 

2. François Vignal. « Cour de Néron », « bouffon sous kétamine », « roi du deal » : l’intégralité du discours du sénateur Claude Malhuret sur les Etats-Unis. Public Sénat. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://www.publicsenat.fr/actualites/international/cour-de-neron-bouffon-sous-ketamine-roi-du-deal-lintegralite-du-discours-du-senateur-claude-malhuret-sur-les-e 

 

Crédit illustration :

Dessin de Barry Blitt pour "The new Yorker". Janvier 2025.
Vu sur le Courrier International.
Consultable en ligne :
https://www.courrierinternational.com/une/une-du-jour-donald-trump-dictateur-en-devenir

 

 


lundi 30 décembre 2024

MAUVAISE ANNÉE POUR LA DÉMOCRATIE !

 


Oui, mauvaise année pour la démocratie et aussi, malheureusement, pour nos démocraties… Un petit tour d’horizon que je n’espère pas trop déprimant pour finir cette année et commencer la suivante.

Il y a eu tellement de mauvaises nouvelles en 2024 que je ne sais plus par où commencer. Aussi je me propose de sérier les questions du niveau le plus lointain au niveau le plus proche. Commençons par les conflits armés, tant ceux-ci sont présents dans les actualités. En Ukraine, la situation est toujours aussi meurtrière, avec selon les chiffres obtenus de différentes sources, plus d’1 250 000 personnes qui auraient été tuées ou blessées. Parmi celles-ci, 300 000 soldats (225 000 Russes et 75 000 Ukrainiens) tués depuis 2022 et 800 000 blessés (400 000 Russes et autant d’Ukrainiens). On peut ajouter à cela les quelques 50 000 civils qui ont été tués, blessés, déportés ou qui ont disparu du coté ukrainien pour l’écrasante majorité… Tout cela résultant de la folie d’un dictateur, M. Vladimir Putin en l’occurrence, qui n’admet pas le souhait des Ukrainiens de s’éloigner de la zone d’influence russe. Une étape cruciale a été la destitution, constitutionnelle pourtant, du président ukrainien qui était très favorable à la Russie, en 2014, par le parlement. Pour les lecteurs qui s’intéressent à la genèse du conflit, de l’Euromaïdan à la situation de ce jour, via l’annexion de la Crimée et du Dombass, les pages Wikipédia qui s’y rapportent sont remarquables et proches de ce que l’on peut lire dans les ouvrages de références (voir par exemple 1,2). Une des raisons de s’inquiéter est l’internationalisation du conflit. D’un côté, la Russie est clairement aidée par l’Iran, par la Corée du Nord qui fournit maintenant des contingents, et probablement discrètement par la Chine, qui fournit de l’électronique permettant à la Russie de contourner en partie les blocus de matériel imposés en représailles. De l’autre côté, le monde occidental ne peut plus laisser M. Vladimir Putin menacer le territoire européen, l‘Ukraine aujourd’hui, et possiblement les Etats Baltes plus tard. Nous livrons donc des quantités massives d’armement, avec, pour le moment, aucune participation de troupes de l’OTAN, à l’exception possible de formateurs militaires. Seule raison d’espérer, l’épuisement des belligérants pourrait conduire à un cessez le feu, et possiblement une « mauvaise paix » dans cette région du monde. Question démocratie, puisque c’est le sujet de cet article, nous avons là, avec « l’union » Russie, Iran, Corée du Nord et Chine, quatre pays tenus par une belle brochette de pouvoirs autoritaires. Or en Europe, plusieurs dirigeants de pays où des coalitions d’extrême-droite sont au pouvoir, se comportent finalement en alliés objectifs de la Russie, M. Viktor Orban en Hongrie et M. Robert Fico, en Slovaquie en tête. La montée de l’extrême-droite en Autriche, en Allemagne et en Flandres, voire en France, avec leur dirigeants pro-russes, constitue donc un risque gravissime pour l’Union Européenne et pour nos démocraties, aussi imparfaites soient elles.

Autre conflit inquiétant, le Moyen Orient. La situation qui était déjà mauvaise, a rapidement dégénéré après l’attaque révoltante du Hamas sur des populations israéliennes civiles, sauvagement massacrées. Tout aussi révoltante a été l’action du gouvernement israélien, qui, sous couvert de défense du pays, un droit effectivement imprescriptible, a mené des opérations militaires qui ont conduit à d'autres séries de massacres de civils dans la bande de Gaza. Le bilan est catastrophique. Plus de 4 000 israéliens ont été tués, blessés ou déportés. Plus de 150 000 Gazaouis ont été tués ou blessés, très majoritairement des femmes et des enfants, et plus de deux millions ont été déportés sur le territoire, soit 90% de la population (3). Là aussi les pages Wikipédia sont riches d’informations (4). On constatera avec effroi que l’armée israélienne a répondu aux massacres des populations civiles israéliennes par le Hamas par des massacres de populations gazaouis d’une magnitude sans commune mesure. Des hôpitaux ont été visés comme des usines de production électrique, des écoles, et mêmes de crèches... À tel point que des juristes, plusieurs pays, des ONG, soupçonnent Israël de commettre un génocide à Gaza, et d’avoir cumulé crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Une Commission d'enquête de l'ONU accuse aussi Israël de ces mêmes « crimes de guerre et crimes contre l’humanité », et, logiquement, elle accuse également le Hamas de « crimes de guerre » commis en Israël. La Cour Pénale Internationale a délivré également un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien M. Benyamin Netanyahou et son ministre de la défense, M. Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés. Là aussi, trois membres du Hamas, Ms. Ismaël Haniyeh, Mohammed Deïf et Yahya Sinwar feront l’objet d’un autre mandat pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire d’Israël et de l’État de Palestine. Pour ces trois derniers, l’action sera sans aucun doute éteinte en raison de leurs morts, attribuées à Israël. 

En tentant de prendre du recul, outre le bilan catastrophique de ce conflit (et encore ai-je passé sous silence la situation au Liban), il me semble que nous n’avons pas réalisé que nos démocraties et au-delà l’idéal démocratique en sortent laminés. Deux raisons à cela. La première est qu’Israël se veut et se décrit comme un état démocratique. Mais peut-on vraiment dire cela d’un état qui ne respecte pas les résolutions de l’ONU, qui ne respecte pas le droit de ses minorités et dont les dirigeants font, à tout le moins, l’objet de suspicions de génocide, de crime de guerre et de crime contre l’Humanité ? Est-ce l’image que nous, peuples en théorie fidèles aux lumières, souhaitons donner de nos valeurs ? La seconde est liée à la première. Comment expliquer l’assourdissant silence de nos démocraties face à ce qui se passe en Israël et en Palestine, ou au Liban. Tout s’est passé, depuis plus d’un an, comme si nos démocraties occidentales regardaient ailleurs, sans réaliser que ce silence interroge sur ce « deux poids, deux mesures » qui différencie le traitement réservé à un état peu recommandable comme Israël, et celui réservé à un autre état aussi peu recommandable, la Russie ? Ce silence, mâtiné de quelques plus que timides froncements de sourcils, interroge aussi sur le consentement tacite de nos dirigeants vis-à-vis du génocide possiblement perpétré à Gaza. Plus grave, dans l’œil d’autres pays, d’autres citoyens du monde, il rend nos pays occidentaux et par conséquence nos démocraties possiblement complices des crimes commis en Palestine. J’exagère, direz-vous ? Alors, comment interpréter les déclarations de certains de nos ministres disant que M. Benjamin Netanyahou bénéficierait d’une « immunité » s’il se rendait sur le sol français… contrairement à toutes nos obligations de signataire des traités internationaux relatives aux cours de justice internationales.

Autre raison de s’inquiéter : l’élection de M. Donald Trump aux Etats-Unis. Dans ce cas particulier, la validité de l’élection n’est pas à remettre en cause contrairement d’ailleurs à ce qu’avait tenté de faire ce même personnage lors de sa défaite de 2020. Non, le risque pour la démocratie réside ici dans le recours à la collecte de données personnelles à des fins de ciblage politique, à la large diffusion de publicités mensongères, à la circulation de messages soutenant les théories du complot, bref aux mensonges. Cela pour permettre l’élection d’un individu poursuivi en justice et condamné pour trente-quatre chefs d’accusation dans l’affaire des falsifications comptables en lien avec les paiements secrets faits à une actrice pornographique*… Deuxième défaite de la démocratie : cette déliquescence résulte en grande partie du contrôle exercé sur les réseaux sociaux et de l’argent injecté par deux milliardaires que je qualifierais de déjantés. Bref, tout cela s’inscrit dans un contexte maintenant connu de vérité alternative, un concept qui fait que le vrai et le faux ont finalement la même valeur (5,6). Seul motif d’espérer, cette déchéance morale pourrait conduire à une situation de pourrissement interne des Etats-Unis qui affaiblirait complètement le pays, provoquant enfin un sursaut démocratique. J’avoue croire peu à cette perspective et espère aujourd’hui simplement que les Etats-Unis n’entraineront pas l’UE dans une longue et douloureuse chute. Pour cela, encore faudrait-il un réveil de l’UE et une remise en cause sérieuse de son alignement sur les Etats-Unis…

La situation intérieure française ne permet pas non plus d’espérer beaucoup pour notre démocratie. Je ne fais pas partie de ceux qui remettent en cause les résultats d’élections, ni le choix de notre président, M. Emmanuel Macron, de dissoudre l’assemblée. De même, je ne vois aucun motif constitutionnellement valide pour penser qu’il pourrait être destitué. En revanche, je suis très contrarié par le fait que ce même président n’ait pas respecté, non pas la Constitution, mais son esprit. Il a ainsi « joué la montre », en cachant derrière un faux semblant, ses choix politiquement discutables. Il a outrepassé ses prérogatives en arguant qu’il était guidé par une volonté de nommer quelqu’un qui pourrait éviter d’être censuré, alors que ce choix de censure - ou non - aurait dû être celui du Parlement, et pas celui de l’exécutif. Enfin, il a, à deux reprises, choisi de nommer un premier ministre issu de minorités parlementaires. Ces mêmes deux premiers ministres ont nommé des ministres également issus de ces groupes parlementaires minoritaires, qui tentent par tous les moyens d’appliquer la même politique délétère rejetée par une majorité de Français, si l’on agrège le NFP et le RN. L’agrégation est osée, j’en conviens, mais elle a néanmoins conduit à la censure du gouvernement de M. Michel Barnier et elle n'empêchera pas plus sans doute celle du gouvernement actuel. Une autre menace pour la démocratie française réside dans le poids de plus en plus lourd que pèse des milliardaires dans l’audiovisuel et les médias, à l’image de la situation aux USA ou au Royaume Uni. L’impact de cette mainmise se fait sentir dans les médias de masse tels Europe 1, C8 ou CNews appartenant au groupe Bolloré, où l’on n’hésite plus maintenant à tenir propos ouvertement racistes ou mensongers (7). Elle se fait aussi sentir dans les palais de la République où ces mêmes milliardaires murmurent à l’oreille de nos décideurs (8). Comment s’étonner ensuite des dénis de démocratie que je décris ci-dessus, qui conduiront inéluctablement à renforcer les scores du RN dans un amalgame entre « tous pourris », « à quoi cela sert de voter pour reprendre les mêmes », « on a tout essayé sauf l’extrême droite » ou « il nous faudrait une bonne dictature » …  

Le ton de cet article peut paraitre lourd en cette fin d’année, mais je ne vois pas de raison d’être particulièrement joyeux. Peut-être suis-je assez sensible à ces situations de conflit et de mensonge, car je suis totalement absent des réseaux dits sociaux, où la vérité alternative fait loi. Peut-être aussi parce que je traine derrière moi quelques 40 ans de recherche publique, au cours desquels j’ai toujours tenté, sur des sujets parfois délicats comme les dossiers OGM, et avec d’autres, de démêler le vrai du faux pour faire émerger non pas la vérité, ce serait présomptueux, mais un consensus étayé… Or comme je l’ai montré je le crains, nos sociétés dites démocratiques s’éloignent de plus en plus de cet idéal. Et même au plan loco-local, dans notre commune, les choses ne vont pas bien. Le vivre-ensemble personnifié par les associations ne s’est jamais aussi mal porté, le fonctionnement démocratique de la commune est à l’arrêt et la désinformation et le mensonge y ont aussi largement cour (9). Mais bonne année quand même !

* Note ajoutée le 31/12 : et condamné hier 30/12/24 au civil pour agression sexuelle !

 

Références

1. Guerre russo-ukrainienne. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_russo-ukrainienne

2. Révolution de la Dignité (Maïdan)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_de_la_Dignit%C3%A9

3. Anonyme. À Gaza, deux millions de déplacés internes sont confinés sur 11 % du territoire. Le Courrier International. Aout 2024.

4. Guerre Israël-Hamas (depuis 2023)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_Isra%C3%ABl-Hamas_(depuis_2023)

5. Brian Myles. Le trumpisme en continu. Le devoir. Novembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/823360/editorial-presidentielle-americaine-trumpisme-continu?

6. Alexandra Schwartzbrod. Présidentielle américaine : la démocratie dans tous ses états. Libération. Novembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/presidentielle-americaine-la-democratie-dans-tous-ses-etats-20241104_FUBNNHIVG5EC5EVCJY2SVWE2LE/

7. Caroline Constant, Tom Demars-Granja, Honorine Letard. Quelle riposte à la bollorisation des médias ? L’Humanité. Septembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias

8. On lira avec intérêt l’enquête du « Nouvel Obs » d’Octobre 2024, à ce sujet. Une petite partie est consultable en ligne :
https://www.nouvelobs.com/politique/20241030.OBS95680/l-influent-bernard-arnault.html

9. On lira les articles de ce blog traitant regroupés sous l’onglet Forges les Bains dans la version web de ce site, ou que l’on peut trouver dans la version téléphone par exemple sous le titre « Les petits et gros mensonges de la municipalité ». Voir par exemple :
https://dessaux.blogspot.com/2024/06/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/09/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/11/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html

 

Crédit illustration :

Image du film éponyme, de et avec Jean Yanne.

 

dimanche 21 juillet 2024

PLONGÉE DANS LA FACHOSPHÈRE 2.0


Comme je l'indiquais dans un précédent article, l'émergence du Rassemblement National (RN) n'a pas commencé lors de la dernière élection européenne, ni même lors de l'élection présidentielle de 2022. Nous sommes confrontés là à un processus de long terme, alimenté de façon extrêmement efficace par les réseaux dits-sociaux, où pullulent robots rédactionnels (ou bots) et petites mains chargées d'alimenter la haine de « l'autre » (les trolls). Celui-ci y est alors facilement désigné aux populations défavorisées et déclassées comme seuls responsables de leurs malheurs, dans une stratégie du bouc-émissaire éprouvée. Reste au RN à en ramasser les bénéfices !

Tout cela est fortement lié au développement de liens internet, via les réseaux sociaux, où l'on retrouve ce qu'il est convenu d'appeler de façon très générique « la fachosphère 2.0 ». Selon mon ancien collègue du CNRS, M. David Chavalarias, directeur de recherche au Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales (CAMS, EHESS), et directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France (ISC-PIF, CNRS), cette fachosphère est largement soutenue par une puissance étrangère, la Russie pour ne pas la nommer. Ses travaux, très étayés, méritent d'être connus. En ce sens, je reprends à son incitation une de ses récentes publications en ligne, que l'on peut retrouver sur son blog (1). Comme à mon habitude, ses propos, dont je publie des extraits, sont en italiques, mes commentaires en caractères droits.

Son article commence donc par une citation de M. Dimitri Medvedev, Vice-président du Conseil de sécurité de Russie, extraite de sa chaine Telegram, en date de Février 2024 : « Notre tâche consiste à soutenir ces hommes politiques et leurs partis [note : c'est à dire les partis anti-système] en Occident de toutes les manières possibles, en les aidant apertum et secretum à obtenir des résultats décents lors des élections. Certains d’entre eux passeront du statut d’opposants non systémiques à celui de nouveaux membres de l’establishment politique. Et leur accession à la gouvernance de l’État pourrait radicalement améliorer le paysage politique dans le monde occidental ». 

En France, le parti anti-système le plus compatible avec les ambitions géopolitiques de Vladimir Poutine est le Rassemblement national, dont certains cadres lui ont maintes fois exprimé leur sympathie. Entre autres, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est prononcé le 24 juin 2024 contre « l’envoi de missiles longue portée ou de matériel militaire » en Ukraine. Il a également rappelé son opposition à l’envoi de troupes françaises sur le terrain dans ce conflit. De manière générale, une analyse structurelle de l’espace politique français tel qu’il est reflété par les prises de paroles et interactions sur X/feu-Twitter montre clairement qu’il y a un positionnement quasi dichotomique en France entre les partis de gouvernement qui sont fermement opposés à la guerre du Kremlin contre l’Ukraine, et feraient tous les efforts possibles pour empêcher Vladimir Poutine de la remporter, et l’extrême-droite (RN & Patriotes) qui a une attitude plus complaisante envers son régime et ses actions.

Le problème de Poutine est simple : comment faire perdre les élections aux partis politiques opposées à sa domination ? [...] Contrairement aux États-Unis, qui ont par le passé interféré dans des élections de pays démocratiques en accompagnant des putchs violents, la stratégie géopolitique du Kremlin, héritée de l’ère soviétique, est la plupart du temps indirecte et à long terme. Le KGB avait son proverbe de prédilection : « la goutte d’eau creuse la pierre, non par force, mais en tombant souvent ». Vladimir Poutine, qui s’est arrangé pour régner quasiment à vie, a le temps. Il pratique une subversion des démocraties occidentales qui s’étire dans le temps dans le but de déstructurer leurs sociétés de manière systémique et globale.

Au long cours et de faible intensité, elle consiste en une modification globale de l’espace informationnel qui va de campagnes sur les réseaux sociaux à la création de faux sites d’information, en passant par l’utilisation des régies publicitaires des grands réseaux sociaux permettant le ciblage de populations. [...] Cette stratégie sur le long terme est couplée avec des actions à court terme et opportunistes qui exploitent l’actualité, telles que le piratage d’infrastructures ou des actes de vandalisme sur le territoire (par exemple les tags des Étoiles de David, les tags de mains rouges sur le Mémorial de la Shoah ou l’incendie d’infrastructures). Combinées, ces « mesures actives » qui agissent sur l’espace médiatique et les circuits de circulation d’information, instaurent un climat antisystème. En effet, elles insèrent des « virus médiatiques » dans la vie publique « capables de s’auto-entretenir et s’auto-reproduire », le but étant de « modifier la conscience collective, en particulier dans certains groupes ». Elles amène un pays, « mine de rien », à un point de bascule propice aux alternances de régime politique et de formes institutionnelles [...].

Si le Rassemblement national correspond au portrait robot de ces partis anti-systèmes que Medvedev et le Kremlin ont annoncé vouloir soutenir, il y reste un problème de taille : le front républicain. Cette tradition française, qui amène les adversaires politiques à préférer un mandat bancal plutôt qu’à 30 ans de régime autoritaire, a permis de faire barrage contre le Rassemblement National à chaque fois qu’il fut en position de remporter une élection à portée nationale. Le front républicain est la porte de secours de la démocratie, il faut donc, pour le Kremlin, la condamner. 

En ligne avec ce qui précède, et pour donner raison à M. David Chavalarias, on notera que cette condamnation du front républicain émane principalement du RN... Par ailleurs les liens entre RN, sites complotistes ou fachosphère 2.0 ont bien été analysés par cet auteur, lui permettant de générer une cartographie numérique des liens qui unissent les différents comptes présents sur les réseaux sociaux. En illustration de ce billet, on trouvera une analyse de proximité de ces comptes qui permet « de les regrouper par courants idéologiques [...]. Le Nouveau front populaire, dont la communauté s’est considérablement renforcée au fil des jours, apparait comme déconnectée du super-bloc « d’en face », composé de Renaissance et du bloc des extrêmes-droites. Cette configuration suggère qu’un éventuel partage de l’espace en deux camps lors d’un second tour séparerait les deux partis de gouvernement plutôt que de les unir contre l’extrême-droite. Cela présage également de triangulaires compliquées. Il est à remarquer que la communauté Les Républicains, supposée se démarquer des autres, a complètement disparu en tant que communauté autonome dans ce paysage. Carte calculée sur la période du 10 au 27 Juin 2024 ; 3 500 comptes analysés (seuls les liens représentant 5 retweets ou plus sont affichés - Source de données CNRS/ISC-PIF : collecte des timelines publiques des personnalités politiques ayant un compte sur X).

Or, [...] pour briser le front républicain, il faut trouver des enjeux sociétaux bi-polarisés tels que leur ligne de fracture traverse l’électorat des partis de gouvernement ainsi que les positionnements politiques de leurs leaders. Dès lors, il convient de se demander quels seraient les thèmes de débats les plus favorables au Kremlin ? En utilisant la même base de données que celle mentionnée ci-dessus, le collègue du CNRS démontre que les prises de positions sur la guerre en Ukraine permettent de distinguer les positions, d'un côté des partis d’extrême-droite (RN, Reconquête, et les Patriotes), de celles, de l'autre, des partis de gouvernement y compris ceux constituant le Nouveau Front Populaire (NFP). Le même type d'étude, menée sur la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, montre cette fois que « la ligne de fracture de l’opinion autour de la guerre à Gaza sépare les partis de gauche et les partis de droite et d’extrême-droite, ouvrant ainsi une brèche entre les partis de gouvernement » (Cf. figure ci-dessous).  Autour de la question de l’antisémitisme, la ligne de fracture « divise un ensemble de comptes qui font le pont entre Renaissance et le bloc d’extrême-droite, qui s’inquiètent sur la montée de l’antisémitisme et accuse LFI d’antisémitisme, et de l’autre côté LFI qui s’en défend ». Sur la question de l'islamo-gauchisme, il ressort de l'étude que ce narratif a été « développé majoritairement par le bloc d’extrême-droite avec quelques relais sur la passerelle Renaissance-Extrême-droite, ce qui fait réagir LFI ». Enfin, la question du réchauffement climatique, pourtant largement absente des débats lors des européennes comme des législatives, ont été « abordées essentiellement par EELV et dans une moindre mesure par LFI ».

 

Ci-dessus, analyse effectuée sur le même ensemble de comptes X que celui étudié plus haut, présenté sur la figure d'illustration en tête de page. Cette nouvelle figure montre « les contiguïtés de positionnement des leaders et militants politiques » sur le thème de ma guerre à Gaza, et révèle la fracture gauche - droite des partis de gouvernement. Les comptes y sont placés exactement de la même manière que sur la figure d'illustration en tête d'article, mais seuls les liens reflétant les échanges relevant de la problématique visée sont affichés.

 

De ce qui précède, on remarque qu'un thème « ressort de manière saillante parmi ces thèmes actualité : la guerre à Gaza. Voici le principal pied de biche inséré entre les électeurs des partis de gouvernement qu’active le Kremlin pour les rendre irréconciliables et faire voler en éclat le front républicain. Il est couplé évidemment avec ses corollaires que sont la montée de l’antisémitisme et des attitudes hostiles envers l’islam. Ces corollaires suivent les mêmes lignes de fractures.

Il est important de comprendre que ce conflit au Proche-Orient se révèle être le cadre idéal pour combiner des actions de subversion à long terme de modification de la perception de groupes sociaux, et des actions opportunistes à court terme qui jouent sur l’émotion et le pathos. [...] Sur le long terme, le Kremlin a favorisé l’introduction dans le débat public du concept « islamo-gauchisme », avant que sa popularité n’explose du fait de sa reprise par une Ministre de la République en 2021. Selon toute vraisemblance, les comptes sur X les plus actifs avant cette explosion n’étaient autres que des trolls du Kremlin. C’est un exemple de « virus cognitif », inventé par l’extrême-droite, dont le Kremlin augmente la viralité de manière active. Il amène aujourd’hui une partie de la population à penser que certains groupes politiques conspirent contre la République en s’alliant à des ennemis étrangers, ici l’islam radical. Ces groupes sont de fait infréquentables.

Sur le court terme, cette perception est renforcée par plusieurs actions. Il y a des actions sur le territoire réel, telles que celles évoquées plus haut, qui amplifient dans l’opinion publique la perception de la montée de l’antisémitisme ou du racisme, de manière très concrète. A cela s’ajoute des actions sur les territoires numériques comme par exemple la création de faux comptes tel que @ChtiAudacieux créé en Février 2024 sous le nom de « MuslimChti » qui se positionne en islamiste radical et provoque les communautés d’extrême-droite. Nous trouvons encore des comptes ou sites d’information qui visent à radicaliser certaines communautés. Ainsi, le cinquième compte le plus relayé de cette campagne post-dissolution sur X (entre le 10 et le 27 juin) est un compte anonyme, @FRN7, qui a ouvert plusieurs comptes du même nom au printemps 2020 sur Instagram (compte suspendu), Odysée et Facebook. Resté inactif pendant deux ans sur ces deux dernières plateformes, son historique est typique d’un compte opéré par le Kremlin, ou du moins sous l’emprise de sa propagande. Toutes les théories du complot et les bêtes noires du Kremlin y sont mises en scène, dans des vidéos soigneusement éditées. Dans nos cartes Twitter Politoscope de 2020 et 2021, @FRN se situe dans la communauté anti-système, proche de l’extrême-droite, qui s’est formée pendant la pandémie sous la houlette de personnalités pro-russes comme Florian Philippot (ex. n°2 du RN), François Asselineau ou Nicolas Dupont-Aignan.

Mais depuis mai 2024, @FRN s’est déplacé dans l’espace informationnel pour intégrer la communauté LFI via des comptes intermédiaires, probablement faux eux aussi. Il s’est arrangé pour créer de nouvelles connexions de manière à y diffuser ses contenus, soit par re-tweets actifs, soit via la recommandation algorithmique (ex: X/Twitter vous recommande « @Y à aimé …» parce qu’il croit que @Y partage vos goûts). Le type de contenus que diffuse en continu @FRN pendant ces législatives de 2024 est extrêmement anxiogène et donc très adapté à cette stratégie [...]. Il s’agit exclusivement d’images et de vidéos des massacres perpétués par le gouvernement de Netanyahou à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle. 

Or cette guerre à Gaza est une véritable aubaine pour le président russe. [...] Voilà en effet, le couple de forces du moment et la fenêtre d’opportunité pour Vladimir Poutine qui cristallise des efforts de longue haleine. D’un côté le Kremlin s’efforce d’amplifier la perception des horreurs de la guerre à Gaza auprès de la communauté LFI afin qu’elle impose le cadre du conflit israélo-palestinien aux européennes et aux législatives, avec ses corollaires sur la montée de l’antisémitisme, du racisme et d’attitudes hostiles envers l’islam. Cela favorise sa radicalisation et, en conséquence, la polarisation politique entre extrême-gauche et extrême-droite. De l’autre, les communautés juives traumatisées par le 7 Octobre, et la droite, sont matraquées depuis des années par des narratifs tel que celui de l’islamo-gauchisme [...].

Le fait que le Kremlin amplifie les divisions dans les sociétés occidentales ne veut pas non plus dire qu’il est la source de tous les maux de la Nation. Bien au contraire, ses opérations ne fonctionnent jamais aussi bien que lorsqu’elles peuvent s’appuyer sur d’authentiques dysfonctionnements. Mais elles auront pour résultats d’éliminer certaines voies de résolution des problèmes pour orienter les électeurs vers une alternance plus autoritaire qui convient le mieux aux intérêts du Kremlin.

Ne faisons pas la même erreur que de nombreux autres pays en sous-estimant la capacité de nuisance de M. Vladimir Poutine. Beaucoup de contre-feux ont été allumés par l’extrême-droite française, et probablement par des trolls du Kremlin, qui soit minimisent son impact, soit tentent d’influencer les votes en prônant de ne pas tenir compte des nombreuses alertes en provenance du milieu académique ou des services de renseignement. L’alignement des intérêts du Kremlin avec ceux des extrêmes-droites occidentales est un fait incontestable affirmé de la bouche même des représentants de M. Vladimir Poutine.

Si la feuille de route de la subversion a été correctement suivie, la majorité de la population pourrait être à ce point désorientée qu’elle en viendrait, lors de ces élections ou des suivantes, à réclamer des dirigeants « forts », qui « savent comment parler aux Russes », et les élire. Cela s’est produit par exemple en 2024 en Slovaquie, avec l’élection d’un Président prorusse suite à une intense campagne de désinformation en ligne du Kremlin, les législatives de 2023 ayant préalablement donné la majorité à un parti d’extrême-droite prorusse.

Rappelons-nous les mots de l’ex-agent du KGB Tomas Schuman : la plupart des actions de subversion sont manifestes et facilement identifiables. Le seul problème est qu’elles sont « étirées dans le temps ». En d’autres termes, « le processus de subversion est un processus à si long terme qu’un individu moyen, en raison de la courte durée de sa mémoire historique, est incapable de le percevoir comme un effort cohérent et délibéré ». De là l’intérêt des macroscopes développés au CNRS, c’est-à-dire des outils mathématiques et informatiques qui permettent d’observer à grande échelle et sur de longues périodes les processus d’évolution et de déstructuration des sociétés, un peu comme le visionnage en accéléré du développement d’une liane pour comprendre comment elle s’accroche à son arbre.

Ainsi outillés, nous pourrons peut-être mieux prendre conscience des stratégies de subversion qui peuvent, sur une partie de la société et par effet domino, mener à terme à une décohésion sociale globale. Cette prise de conscience est le premier pas vers une résolution des conflits qui minent la société française.

 

Référence et crédit illustration :

1.David Chavalarias. 23h59 à l’horloge de Poutine. Son site. Juin 2024.
Consultable en ligne :
https://hackmd.iscpif.fr/s/HJQny14PA#

Son site : https://iscpif.fr/chavalarias/ 


 

mardi 9 juillet 2024

DIRE LE VRAI NE SUFFIT PAS, IL FAUT DIRE LE JUSTE

Ce billet reprend en quasi totalité un article de blog publié par mes collègues du collectif Rogue ESR (Enseignement Supérieur et Recherche). Il analyse les causes qui ont conduit, aux yeux de ce collectif, à la situation que nous connaissons, suite à la dissolution de l'Assemblée par M. le Président de la République. Le Rassemblement National (RN), dernier avatar du Front National (FN), n'est pas arrivé à la place qu'il occupe ex-nihilo. En réalité, les Européennes et les Législatives ont uniquement joué un rôle de catalyseur, de révélateur. Au delà de cette analyse, et mes collègues de Rogue ES font en grande partie l'impasse là dessus, il reste à évaluer les possibilités réelles qu'offre la nouvelle composition de l'Assemblée Nationale en termes de gouvernement. J'y reviendrai brièvement à la fin de cet article. Comme à mon habitude, la citation du collectif est en italiques, mes commentaires et ajouts en caractères droits.

« Passé le soulagement d’un soir, ne subsiste que l’immensité de la tâche à accomplir pour transformer quelques mois de sursis en une bifurcation historique qui éloigne durablement le spectre d’un gouvernement d’extrême-droite et rouvre l’horizon d’une aube démocrate.

Il me semble important ici de citer, comme le font les collègues de Rogue, Albert Camus qui disait dans l'Homme révolté : « Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme ».

Les travaux de sociologie politique montrent que le vote national-identitaire procède de la conjonction de plusieurs mécanismes : le racisme et sa politisation par la « préférence nationale » et le droit du sang ; la hantise du déclassement, conséquence directe de l’extension du marché et de la mise en concurrence à l’intégralité de la vie sociale ; la rhétorique dévoyées des « privilégiés » qui oppose un peuple autochtone désireux de vivre correctement du fruit de son labeur d’un côté aux élites intellectuelles et économiques et de l’autre aux « immigrés » et aux « assistés » supposés détourner à leur profit ce qui reste d’État providence ; le désir de préserver un mode de vie ou un « entre-soi ». Cette conjonction est favorisée par la reprise des thèmes et des éléments de langage de l’extrême-droite par une large partie de la classe politique, et par la sphère médiatique, notamment par des groupes possédés par des entrepreneurs politiques ; cette reprise, enfin, est elle-même facilitée par le soutien des franges libertariennes et néo-conservatrices des milieux d’affaire. Derrière l’émergence d’une extrême-droite hybride entre néolibéralisme autoritaire et suprémacisme national-identitaire dans l’ensemble des pays occidentaux, il y a de fait l’érosion tendancielle de la croissance et, en même temps, l’accroissement aux forceps du taux de profit : « France now has […] an unusually dominant billionaire class whose total wealth is equal to 22 per cent of GDP, ahead of even the US » (1 ; pour ceux qui ne pratiquent pas l'anglais, la traduction est « La France compte désormais […] une classe de milliardaires inhabituellement dominante dont la richesse totale est égale à 22 pour cent du PIB, devant même les États-Unis »).

La minorité présidentielle porte ainsi une responsabilité écrasante dans la transition du FN/RN de 7 députés en 2021 à 143 aujourd’hui. Le pouvoir sortant s’est engagé dans une dérive illibérale interminable, au point d’avoir, le premier, noué une « coalition de projet » avec Mme Le Pen, en décembre dernier, pour faire adopter sa loi sur l’asile et l’immigration ; l’artisan de cet accord s’appelait… M. Ciotti. L’exigence de l’heure est donc de congédier « tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (V. Hugo) et leur monde fait d’arrangements sordides, de concessions à la xénophobie et de démagogie médiatique. Les rapports de force dans le futur hémicycle mettront du temps à devenir lisibles. Une chose est sûre, toutefois : le Parlement ne suffira pas à la tâche, et la société civile — associations, organisations non gouvernementales, syndicats, collectifs — doit prendre une part active à l’institution d’une démocratie propre à juguler la polycrise qui lamine nos existences. La Ve République est morte honteusement, au détour d’une manœuvre tactique du prétendu « maître des horloges ». Rendre un avenir à notre société impose d’en passer par un nouveau moment constituant et, sauf en pensée magique, la Constituante n’émergera pas spontanément d’un parlement ingouvernable issu de la décomposition d’un régime césariste.

Cette intervention directe de la société civile n’est donc pas une simple conséquence de l’impasse arithmétique d’une Assemblée divisée en trois blocs d’importance analogue. Elle vient de plus loin, de la faillite même de la monarchie élective sur laquelle se fondait la Ve République. Chaque élection abîme un peu plus notre société. L’abandon de toute forme d’attachement à la vérité par les prétendants au pouvoir conduit à ce que candidats et électeurs s’entre-déchirent, dans un spectacle navrant que la raison pousse à fuir. Les élections ne sont plus un moment d’expression et de résolution des contradictions qui habitent notre société, mais un moment de surdité et d’intensification de ces contradictions, dont la majorité des citoyens sort plus frustrée et inquiète qu’elle n’y est entrée. Une élection qui se joue sur les plateaux de MM. Drahi et Bolloré ne saurait offrir la délibération démocratique nécessaire à sortir de la société de l’insignifiance et à nous bâtir un avenir commun. La démocratie ne sera réinstituée que si la société civile organisée s’attèle à ce travail.

Les fronts sont multiples. Il y a urgence à défasciser la sphère médiatique, en s’inspirant des ordonnances de 1944 conçues par le Conseil national de la résistance (CNR) et en commençant par le renouvellement des fréquences TNT par l’Arcom. Place de la République, hier soir, dans la douceur de ce bref soulagement, des slogans chantés par la jeunesse le disaient déjà : «
Casse-toi Hanouna », « Bolloré la TNT c’est pas à toi ».

Il y a urgence aussi à ce que les organisations du mouvement démocratique, écologique et social interpellent les élus de centre-gauche pour empêcher la poursuite de la destruction de la société.


[...] Quelles contributions concrètes pouvons-nous apporter à cet effort ? Il est au moins un thème politique se situant au point d’articulation de la crise démocratique, sociale, économique et écologique : l’aménagement du territoire. Le prendre à bras-le-corps nécessite de tourner la page du bonapartisme et mettre à bas le mythe des métropoles intelligentes en concurrence avec les villes-mondes des autres pays de l’OCDE, qui contribue directement à offrir à l’extrême-droite les territoires relégués au rang d’arrière-pays paupérisé, vivier de travailleurs précaires et de salariés déclassés, où la jeunesse n’a pas d’avenir. [...] Mais l’aménagement du territoire est aussi un enjeu pour la construction d’une société post-carbonée. Le réchauffement climatique implique de relocaliser la production de biens agricoles et manufacturés, conformes aux besoins de la population, au plus près de leur utilisation. Investir dans l’aménagement du territoire est à même de réunir un large consensus, incluant ce qui reste du centre-droit démocratique, dont les derniers bastions sont souvent dans des circonscriptions rurales et périurbaines ».

Comme je l'écrivais en introduction, cet article du Collectif Rogue ESR, fait l'impasse sur le Hic et Nunc, le « ici et maintenant »... Certes, appeler à une contribution large de la société civile est un projet majeur et réjouissant, mais de long terme. Qui plus est, il n'est pas possible de s'affranchir des fondamentaux de notre démocratie et de notre Ve République. En d'autres termes, la question posée est comment gouverner dans l'immédiat, sans majorité à l'Assemblée Nationale (AN) ? Un premier ministre et des ministres issus du NFP conduiront - cela a déjà été annoncé - à une motion de censure du gouvernement si une seule tête d'un membre de la France Insoumise (LFI) y paraît. Cette motion a de fait toutes les chances d'être majoritaire (2). Il semble également totalement illusoire d'envisager un gouvernement NFP sans une participation de LFI. Une coalition entre les Macronistes et les Républicains ? Même des discussions ont eu lieu, cela ne donne pas de majorité à l'AN (2)  ! Une coalition entre Macronistes et le NFP ? Certes, une telle coalition pourrait dégager une majorité, même en l'absence des députés LFI, mais il faudrait alors y agréger les divers gauches et quelques régionalistes. Et quelle trahison, une telle option constituerait vis à vis de nombre d'électeurs du NFP... Soyons réalistes : il n'y a aucune majorité à l'Assemblée pour gouverner. Dire le contraire serait tromper les électeurs ! Nous sommes donc en face d'une situation de blocage. Avant de voir se constituer cette grande alliance de la politique et de la société civile, il va pourtant falloir gérer le quotidien, et en l'espèce, pour citer Germaine Tillion, « dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste »...

 

Références :

1. Ruchir Sharma. Capitalism is in worse shape in Europe. The Financial Time. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ft.com/content/5d12c8ed-c184-4d15-af6d-6523f7f875c8

2.Mathieu Lehot-Couette, Valentin Pigeau. Résultats des élections législatives 2024 : découvrez la composition de la nouvelle Assemblée Nationale. France-Info TV. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-resultats-des-elections-legislatives-2024-decouvrez-en-direct-la-composition-de-l-assemblee-nationale_6645201.html


Crédit illustration :

Richard Ying, Tangui Morlier. Document Wikicommons.


mercredi 27 mars 2024

MÉLI-MÉLO, L’EXCEPTION FORGEOISE

Un très court article pour m’étonner du fait que la commune de Forges est la seule commune de la communauté de communes du pays de Limours (CCPL), avec Courson, à ne pas être partenaire du méli-mélo 2024.

Le méli-mélo est un festival local, organisé par l’association éponyme dans plusieurs communes de la CCPL. Pendant trois semaines, en fin d’hiver ou au début du printemps, se succèdent diverses activités culturelles, avec pour objectif premier « de découvrir de nouvelles pratiques artistiques. C'est aussi la possibilité pour les associations, les organismes qui le souhaitent de présenter un spectacle en commun ». Par ailleurs, « le Méli-Mélo organise aussi des animations pour des classes de tous les niveaux, de la maternelle au Lycée : ateliers de percussions, de chansons, conférences – débats » (voir site du méli-mélo)... Bref, un joyeux mélange, à l’image du nom du festival.

Cette année, la 28ème édition, se conclura demain par une conférence de M. Bernard Terris, ancien adjoint au maire de Forges, et en l’espèce, président de l’association Danaya. Cette association forgeoise a pour objectif « d’œuvrer à la souveraineté, particulièrement alimentaire, mais aussi de santé, d’éducation et économique, des pays du tiers-monde ». Pour cela, Danaya indique que « tous les moyens écologiques, et particulièrement agroécologiques, à la disposition de l’association pourront être utilisés, par le développement de projets locaux, l’information, la formation et la diffusion de toutes les méthodes et les expériences connues par l’association de par le monde » (voir site Danaya). A mon sens, cette association a tout compris de ce peut être l’aide aux pays en difficulté dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « le développement durable ».

Pour être entièrement honnête, Bernard Terris est un ami, et je me félicite de le voir revenir à Forges pour nous présenter son action au sein de l’association, mais également en sa qualité de chargé de mission du réseau Sahel-Désertification, et membre du groupe de travail « désertification » accrédité auprès de la convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification. Sa conférence intitulée « la grande muraille verte, une solution pour l'Afrique ? » est prévue demain jeudi 28 mars à 20h30, salle Messidor. Mon étonnement vient du fait que cet ancien Forgeois, très impliqué au niveau international, et qui vient donc nous parler du Sahel et de la désertification aussi à Forges, ne se traduise pas par un partenariat de la commune avec le méli-mélo. Ceci est d’autant surprenant que toutes les communes de la CCPL sont partenaires, sauf Courson, et qu’elles ont contribué directement ou indirectement à l’organisation des festivités dans leur territoire.

Je n’ai pas d’explication claire à ce refus de partenariat. Je constate cependant qu’à Forges, le citoyen est très souvent vu comme un simple consommateur, à qui on propose marché de la fête des mères, de la Saint-Valentin, marché de ceci, marché de cela, mais rarement – pour ne pas dire jamais - un « marché » alimenté en nourriture intellectuelle non marchande. De plus, l'actuelle municipalité a rarement marqué une appétence pour le développement durable, particulièrement lorsque cette thématique est portée par des citoyens. En ce qui concerne le refus de partenariat, je ne peux donc que faire le lien avec l’absence d’intérêt marqué de la commune pour l’activité associative, déjà dénoncée à de multiples reprises sur ce blog, associée à une absence de plus en plus flagrante d’évènements culturels dans notre commune, depuis quatre ans. Cela rend la conférence de demain d’autant plus intéressante !


Crédit illustration :

Programme du méli-mélo