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jeudi 9 octobre 2025

« CHAT CONTROL », NOUVELLE MENACE SUR LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES !

Très peu médiatisé, possiblement en raison des contextes nationaux et internationaux, le projet européen dit « Chat Control » pose pourtant de potentiels risques en matière de libertés publiques. Le lecteur trouvera ci-dessous quelques éléments qui permettent d’y voir plus clair. Par ailleurs, pour être totalement transparent, il convient de préciser que cet article a été écrit par l’auteur du blog, mais en s’appuyant - pour de larges extraits - sur une synthèse fournie par l’outil Chat GPT. L’authenticité des informations et références données par l’IA ont été néanmoins été vérifiées par l’auteur.

La proposition de règlement européen surnommée « Chat Control » a été lancée par la Commission Européenne le 11 mai 2022, sous l’impulsion de la commissaire Ylva Johansson, membre du parti social-démocrate suédois des travailleurs. Son intitulé officiel est « règlement établissant des règles pour prévenir et combattre les abus sexuels sur les enfants ». L’objectif affiché, fort louable au demeurant, est de lutter plus efficacement contre la diffusion en ligne de matériels pédopornographiques (aussi appelés CSAM, Child Sexual Abuse Material, 1). Le texte suit la procédure législative ordinaire de l’UE. La Commission a formulé la proposition initiale, puis le Parlement européen et le Conseil de l’UE (États membres) doivent conjointement l’adopter, ce qui a donné lieu à de vives négociations. Fin 2023, le Parlement – notamment sa commission LIBE (LiBertés civiles) – a exprimé de fortes réserves. Au même moment, les eurodéputés ont largement vidé de sa substance le projet initial : ils ont voté l’interdiction d’une surveillance indiscriminée des chats privés et affirmé la protection du chiffrement (2). Cette version amendée n’obligerait les contrôles qu’à l’encontre de cibles spécifiques et suspectées, contrairement au projet de départ qui imposait un scan généralisé de tous les messages sur toutes les plateformes. Depuis, les gouvernements européens restent divisés sur cette question. C’est finalement la présidence danoise du Conseil (débutée en juillet 2025) qui a remis le dossier sur la table comme priorité absolue. La Première ministre danoise, Mme. Mette Frederiksen, partisane de l’initiative, a relancé des négociations intensives en s’appuyant sur des éléments des compromis belge et hongrois de 2024 (3). Le texte danois réintroduit notamment l’idée d’un scannage obligatoire y compris avant chiffrement (en anglais, clientside scanning) et d’une classification des services en fonction du risque.

La proposition « Chat Control » suscite de vives inquiétudes en matière de vie privée, de protection des données et de libertés publiques. Ses détracteurs estiment qu’elle instaurerait une forme de surveillance de masse des communications privées sans précédent, en contradiction avec les droits fondamentaux garantis par l’UE (4). En effet, le règlement obligerait le scan automatique du contenu de tous les messages, images et vidéos échangés en ligne, y compris sur les messageries chiffrées de bout en bout ! Une telle intrusion généralisée violerait directement le secret des correspondances (articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE protégeant la vie privée et les données personnelles ; 5) . Aucune suspicion préalable ne serait requise pour fouiller ainsi les échanges de 450 millions d’Européens, ce qui pose un grave problème de proportionnalité aux yeux de nombreux juristes et défenseurs des droits.

En lien avec ce qui précède, le service juridique du Conseil de l’UE a estimé que le fait de filtrer les communications interpersonnelles de l’ensemble des citoyens serait incompatible avec le droit au respect de la vie privée et la jurisprudence européenne, qui proscrit les systèmes de surveillance généralisée non ciblée (4). De même, les autorités européennes de protection des données (EDPS et EDPB) ont, dans un avis conjoint de 2022, averti que le texte pourrait aboutir à un « scannage généralisé et indiscriminé du contenu de pratiquement toutes les communications électroniques », avec un effet dissuasif majeur sur l’exercice de la liberté d’expression en ligne (6). En clair, si les internautes savent que tous leurs messages sont passés au peigne fin, ils pourraient s’autocensurer et renoncer à communiquer librement par crainte d’être signalés aux autorités. Plus inquiétant, sans doute, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU a lui aussi mis en garde contre ces conséquences et souligné qu’une telle surveillance sans discrimination serait difficile à justifier au regard du droit international des droits de l’Homme (7).

D’une façon générale, le diable se cache dans les détails. Si l’on ne peut contester la pertinence de la lutte contre la pédocriminalité, et sans nier l’importance du problème, le projet tel que présenté revient à essayer d’éliminer un moustique avec un bazooka. Il existe de plus des raisons techniques d’inquiétude. Une d’entre elles est le signalement de « faux positifs ». Les algorithmes de filtrage d’images et de textes ne sont, en effet, pas infaillibles : ils peuvent identifier à tort des contenus anodins comme potentiellement pédopornographiques (4). Des chiffres montrent que la grande majorité des signalements automatisés actuels sont infondés. Par exemple, en Irlande, seulement 20% des rapports transmis à la police sur la base de détections se révèlent concerner réellement du matériel d’abus d’enfants – 80% s’avèrent donc être des faux positifs ou du contenu non condamnable. De même, la police fédérale suisse a indiqué que 86% des signalements issus des scanners privés (comme sur Gmail ou Outlook) impliquaient en réalité des citoyens innocents, mis en cause à tort par la technologie. Deux conséquences graves à cela. Premièrement, des individus innocents seront montrés du doigt et possiblement soumis à la haine qui se déversera alors sur les réseaux dits sociaux. Deuxièmement, les autorités de police et de justice se verront ralenties par des de multiples enquêtes relatives aux signalements infondés.

Enfin, les défenseurs des droits craignent un glissement délétère. Une fois l’infrastructure technique en place pour scanner tous les messages à la recherche de CSAM, qu’est-ce qui empêcherait à l’avenir de l’étendre à d’autres contenus (5, 7) ? Et par voie de conséquence, quid des entraves potentielles à la liberté d’expression et au travail des journalistes, avocats ou défenseurs des droits qui verraient leur nécessaire confidentialité disparaître ? Plusieurs observateurs font le parallèle avec des régimes autoritaires : une telle censure automatisée pourrait demain servir à traquer la dissidence politique, ou tout autre contenu indésirable, si le périmètre du scan venait à s’élargir (5, 7). A l’heure où certains milieux sont plus prompts à dénoncer un pseudo « écoterrorisme » que les malfaiteurs qui peuplent leurs rangs, ou d’autres traquent leurs opposants politiques en qualifiant leurs opinions « d’extrémistes », et à un moment où la montée de ce qui ressemble fortement à un certain fascisme dans plusieurs pays européens est avérée, il y a là, me semble-t-il, de justes raisons de s’inquiéter…



Références :

1. Anonyme. Prévention des abus sexuels sur enfants en ligne. Conseil de l'Union européenne.
Consultable en ligne :
https://www.consilium.europa.eu/en/policies/prevent-child-sexual-abuse-online/#:~:text=Voluntary%20detection%20and%20reporting%20by,mean%20abuse%20can%20continue%20undetected

2. Jade Emy. Victoire de la vie privée : Le contrôle du Chat a été reporté pour la deuxième fois ! Octobre 2023.
Consultable en ligne :
https://securite.developpez.com/actu/349872/Victoire-de-la-vie-privee-Le-controle-du-Chat-a-ete-reporte-pour-la-deuxieme-fois-Voici-pourquoi-les-plans-de-balayage-CSAM-de-l-UE-doivent-echouer-d-apres-Tutanota/

3. Yaël Ossowski. Opinion Euroviews. Return of chat control: Something is rotten in the state of Denmark. Euronews. Août 2025.
Consultable en ligne :
https://www.euronews.com/next/2025/08/08/return-of-chat-control-something-is-rotten-in-the-state-of-denmark

4.Anonyme. Règlement établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://en.wikipedia.org/wiki/Regulation_to_Prevent_and_Combat_Child_Sexual_Abuse

5. Rafael Pinto Borges. EU Chat Control law is a step towards mass surveillance. Brussels signal. Août 2025.
Consultable en ligne :
https://brusselssignal.eu/2025/08/eu-chat-control-law-is-a-step-towards-mass-surveillance/#:~:text=The%20law%E2%80%99s%20implications%20are%20profoundly,By

6. Anonyme. Avis conjoint 4/2022 de l’EDPB et du CEPD sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants. European data protection board. Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.edpb.europa.eu/system/files/2023-02/edpb_edps_jointopinion_202204_csam_fr.pdf

7. Anonyme. UN Human Rights Commissioner warns against chat control. Patrick Breyer website. Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.patrick-breyer.de/en/un-human-rights-commissioner-warns-against-chat-control/#:~:text=,censorship.%E2%80%9D

 

Crédit illustration :

Andy Yen. C’est au tour de l’Union européenne d’admettre que le « Chat Control » ne fonctionnera pas. Proton Blog.
https://proton.me/blog/fr/eu-chat-control

 

Remerciements :

Merci à M. Delgado pour avoir attirée mon attention sur ce sujet et pour les références de lecture.. 

 

 



jeudi 24 avril 2025

QUI SE CACHE DERRIÈRE L’INQUIÉTANT PRÉSIDENT AMÉRICAIN ?



Voilà quatre mois que M. Donald Trump a pris ses fonctions de président des Etats-Unis. En quatre mois, il aura déstabilisé le monde entier sur les plans sécuritaire, économique et environnemental. Il aura aussi dégradé une situation intérieure pas aussi brillante que présentée et surtout, il aura engagé son pays sur la voie de l’autoritarisme et possiblement de la dictature. C’est pour cela qu’il semble important de savoir s’il « roule seul » ou s’il ne constitue que l’avant-garde de forces bien plus importantes et dangereuses pour la sécurité mondiale.

Le bilan des quatre mois de l’administration Trump mériterait à lui seul un article pour en détailler les divers axes majeurs. En ce sens, le brillant discourt de M. Claude Malhuret (1) peut être réécouté à la fois pour sa pertinence et sa qualité de présentation, même si le constat qu’il y dressait reste encore partiel. Ce billet ne se veut ni ne peut prétendre à l’exhaustivité mais il tente de dégager quelques lignes de forces autour desquelles s’articule la politique états-unienne actuelle.

Les points marquants de ces quatre mois se regroupent autour de trois grands axes interpénétrés : l’économique, le politique, et le social, et ce au national comme à l’international. Or, de nombreux éléments factuels corroborent le fait que le projet Trump s’apparente clairement au « projet 2025 » de la Heritage Foundation (2). Ainsi, selon CNN plus de 140 personnes travaillant pour la campagne de M. Donald Trump ont contribué à la rédaction du projet 2025, dont six sont ses secrétaires de cabinet et un septième son premier adjoint au chef de cabinet (3). Par ailleurs, le vice-président lui-même, M. James D. Vance, a contribué à la rédaction du projet 2025 dont il a écrit l’avant-propos (4). Cet opus de plus de 900 pages promeut des idéaux extrêmes, alignés sur les éléments les plus radicaux de la chrétienté dont il se revendique. Il propose quatre objectifs principaux : démanteler l'administration, défendre les frontières de la nation, restaurer la famille en tant qu’élément central de la vie américaine, et garantir certains droits individuels aux citoyens, droits conçus comme étant d’essence divine…

Bien que cet élément ne soit pas présenté comme tel, le projet 2025 vise également au renforcement du pouvoir présidentiel. Ceci passe par la mise au pas « du département de la Justice (DOJ), du Federal Bureau of Investigation (FBI), du département du Commerce, de la Commission fédérale des communications et de la Federal Trade Commission (FTC) » (2). La suppression ou l’inactivation de plusieurs agences est également envisagée dans le projet 2025, dont celles œuvrant dans le domaine du changement climatique et de la santé, ainsi que la suppression du ministère de l’éducation nationale. Or les faits sont sans ambiguïté : ces agences et ce ministère sont bien dans le viseur de l’administration Trump, qui a eu parmi ses premières priorités de sortir des accords de Paris, de rouvrir des droits de forage pétrolier en Alaska, de faire disparaitre des serveurs les données de l’agence météorologique nationale, et de confirmer sa volonté de supprimer le ministère de l’éducation… En ce qui concerne la santé des Etats-Uniens, vaste sujet, le projet 2025 incite à ce que le département de la santé et des services sociaux (Department of Health and Human Services ou HHS) redevienne connu « sous le nom de Département de la Vie ». En ce sens, le projet 2025 combat le droit à l’avortement, qu’il souhaite criminaliser. Par ailleurs, rappelons que le ministre de la santé américaine n’est autre que le complotiste anti-vaccination bien connu, M. Robert F. Kennedy. Celui-ci s’est illustré en indiquant que le vaccin anti-Covid avait aggravé la pandémie dans certains pays, en établissant un lien qui n’existe pas entre autisme et vaccination, ou en affirmant que son ennemi juré le Dr. Anthony Fauci, immunologiste, et conseiller en chef de huit présidents américains, aurait formé une alliance de type Etat-profond dans le domaine de la santé avec M. Bill Gates et des chefs d’Etats étrangers...

Il n’est donc pas étonnant que derrière M. Donald Trump, se trouve un aréopage de personnalités issues de différents milieux, mais possédant des intérêts convergents. On peut globalement identifier trois secteurs d’influence, là aussi interpénétrés : des paléo-conservateurs chrétiens d’extrême droite, des capitalistes bon teint, et des libertariens dont le plus célèbre est dans doute M. Elon Musk.

Au titre des capitalistes bon teint soutiens de la politique de M. Donald Trump, nous retrouvons un ensemble de personnalités des milieux d’affaires, avec des individus issus des entreprises des énergies carbonées, mais également des personnalités issues du secteur dit de la « tech », Gafa en tête. On peut citer en sus du précédent nommé, M. Jeff Bezos, patron d’Amazon, M. Mark Zuckerberg, patron de Meta, ou Ms. Sundar Pichai et Sergei Brin, de Google. On trouve aussi des banquiers d’affaire tels M. Howard Lutnick, ancien patron de la banque d’investissement Cantor Fitzgerald et toute une série de responsables qui ont rapidement retirés leurs établissements de l'alliance bancaire pour le climat. Ceci est le cas des responsables de Morgan Stanley, Citigroup, Bank of America, Wells Fargo et Goldman Sachs… En termes d’objectifs, on peut y voir des entreprises qui cherchent à maximiser leur taux de profit, en soutenant des politiques de dérégulation massive, et/ou antisociale à base de « cost-killing ».

Les libertariens sont sans doute les plus complexes à cerner. Ils semblent cependant relever pour un grand nombre d’entre eux, d’un mouvement assez peu connu en France, appelé le « dark enlightenment ». Cette tendance néo réactionnaire, apparentée à la fachospère (on rappellera ici les saluts nazis produits par Ms. Stephen Bannon et Elon Musk), se veut anti-démocratique, anti-égalitariste et s’inscrivant fondamentalement « en réaction aux valeurs des Lumières » (5). Ainsi, ce mouvement vise à « favoriser un retour aux constructions sociétales traditionnelles et aux formes de gouvernement telles que le monarchisme absolu » (5). Proche et influencé par le libertarisme, « le mouvement plaide pour des cités-États capitalistes autoritaires qui se disputent les citoyens. Il rejette également les visions progressistes comme des menaces pour la civilisation occidentale » (5). Ce mouvement promeut également une certaine forme de racisme qu’il appuie sur des pseudos théories scientifiques. Pour ces néoréactionnaires, le statut socio-économique est « un indicateur puissant du QI ». Également, la méritocratie, thème repris in extenso par l’administration Trump, doit être mise en avant. Pour eux, il existe des arguments en faveur de l'infériorité raciale des Noirs, infériorité supprimée par la civilisation occidentale. La conquête spatiale, thème cette fois cher à M. Elon Musk, est un élément important de la sphère néo-réactionnaire, car elle est perçue « comme un filtre génétique hautement sélectif » qui « favorisera principalement les Blancs et les Asiatiques » (5).

Les paléo-conservateurs chrétiens d’extrême droite que l’on retrouve dans le projet 2025, ont les traits du vice-président, M. J.D. Vance, mais aussi de la porte-parole du gouvernement Trump, Mme Karoline Leavitt, elle-même à l’origine du chapitre « gouvernance conservatrice » du « programme de formation » du projet 2025. C’est aussi le cas de Ms. Peter Navarro, Brendan T. Carr, Michael Anton, Paul S. Atkins ou Steven G. Bradbury tous contributeurs du projet et membres de l’administration Trump. Comme l’écrivaient des membres du collectif Rogue ESR : « hostiles au programmes sociaux, [ces individus] souhaitent annihiler les droits civiques et entraver l’État pour le rendre incapable de justice sociale. Les MAGA militent contre l’impôt et dénoncent l’emprise des parasites d’en-bas sur l’État, attaquent les droits des femmes et s’en prennent aux migrants, aux minorités sexuelles et à leurs défenseurs, y compris universitaires. C’est à cette composante que l’on doit la stratégie [de l‘inondation permanente] consistant à sidérer par le déploiement permanent de la souveraineté grotesque » (6), entendre par là par le déploiement permanent de propos décalés, absurdes, voire injurieux, établis en mode de gouvernance.

Rien d’étonnant que ces trois cercles, paléo-conservateurs chrétiens d’extrême droite, capitalistes bon teint, et libertariens s’entendent finalement plutôt bien pour mettre à bas les institutions démocratiques et la société civile américaine, ainsi que « les droits civiques, les organismes de régulation climatique, environnementale, sanitaire et agro-industrielle, et les institutions scientifiques accusées de produire le fondement scientifique des régulations, de soutenir les droits des minorités sexuelles et ethniques, de documenter les inégalités et les injustices économiques et sociales » (6).

Le schéma est complet si on ajoute à cela que ces trois cercles du pouvoir « gèrent harmonieusement leurs différences en matière géopolitique puisqu’il s’agit de vassaliser des pays étrangers à des fins de prédation de matières premières et de captation de valeur par inféodation, [mais aussi] de soutenir les alliances entre extrême-droite et conservateurs partout en occident pour éradiquer le progressisme et les aspirations démocratiques ». Deux certitudes : Trump n’est pas seul dans ses délires, et dans « ce moment de bascule générale, nous avons très peu de temps pour tenter de juguler le désastre » (6).


Références :

1. Claude Malhuret. Discours prononcé à la tribune du Sénat. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://clio-texte.clionautes.org/discours-claude-malhuret-trump-ukraine.html

2. Collectif. Projet 2025. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_2025

3. Steve Contorno. Trump claims not to know who is behind Project 2025. A CNN review found at least 140 people who worked for him are involved. CNN, juillet 2024.

4. Martin Pengelly. JD Vance writes foreword for Project 2025 leader's upcoming book ». The Guardian, juillet 2024.

5. Collectif. Dark Enlightenment. Wikipedia.
Consultable en ligne :
https://en.wikipedia.org/wiki/Dark_Enlightenment

6. Rogue ESR. La triple alliance étatsunienne. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://rogueesr.fr/category/billets/


Crédit illustration :

Image Pipxabay générée par IA :
https://pixabay.com/fr/illustrations/dark-vador-atout-donald-trump-8295914/





lundi 24 mars 2025

INQUIÉTANT PAPIER DU SAN FRANCISCO CHRONICLE...


J'ai eu la chance de travailler pendant 2 ans aux Etats-Unis, à la fin des années 80, dans un hôpital et deux universités américaines, dans l'Illinois puis en Californie. Je garde certaines habitudes de ces séjours, entre autres celle de lire de temps en temps les journaux de référence états-uniens, dont le Washington Post et le New York Times. J'y ajoute des journaux moins connus mais qui me rappellent mes lieux de séjours outre-Atlantique, à savoir le Chicago Tribune et le San Francisco Chronicle.

Ce dernier journal est l'un des plus importants journaux de Californie. Crée en 1865, plutôt démocrate aujourd'hui, il appartient à la Hearst Corporation fondée, elle, par le magnat de la presse William Randolf Hearst, celui-là même dépeint dans le film « Citizen Kane » d'Orson Welles. Or je viens de voir passer dans ce dernier journal un article très inquiétant (1), signé par M. Brett Wagner. Aujourd'hui retraité, cet auteur a été professeur en matière de sécurité nationale à l'U.S. Naval War College et chercheur adjoint au Center for Strategic and International Studies. Cet institut est bien entendu très proche des milieux de défense des Etats-Unis. Depuis 2000, il est d'ailleurs dirigé par M. John Hamre, qui fut le 26e ministre de la défense. J'ai traduit ce document en intégralité ci-dessous. Il est intitulé « Trump se prépare-t-il à invoquer l'Insurection Act » (loi fédérale des États-Unis qui autorise le président déployer l'armée sur le territoire des Etats-Unis pour mettre un terme aux troubles civils, à l'insurrection et à la rébellion). Voici ce qu'il dit :

« L'horloge tourne en regard d'une partie cruciale mais peu remarquée de la première série de décrets du président Donald Trump, celle qui charge les secrétaires du ministère de la défense et du ministère de la sécurité intérieure de soumettre un rapport conjoint, dans les 90 jours, recommandant « d’invoquer ou non la loi sur l’insurrection ». 

Beaucoup d’entre nous retiennent désormais leur souffle, sachant que ce rapport et ce qu’il contient pourraient nous conduire sur la pente glissante d'un pouvoir présidentiel incontrôlé, sous la direction d’un homme ayant une sympathie marquée pour les dictateurs à la poigne de fer. Le récent « massacre du vendredi soir » au Pentagone - c'est à dire le licenciement du plus haut officier en uniforme du pays et la révocation d'autres garde-fous bien connus (c'est-à-dire les meilleurs avocats en uniforme de l'armée de terre, de la marine et de l'air) se dressant entre le président et son intention déclarée de longue date de déclarer la loi martiale à son retour au pouvoir - a ajouté au suspense. Coïncidence? En attendant de le savoir, c'est le moment de regarder cela de plus près. 

Supposons, par exemple, que Trump invoque la loi sur l’insurrection et déclare la loi martiale. Il ne serait même pas tenu, de par la loi, d’alléguer une « insurrection ». Il suffirait d’affirmer qu’une « obstruction illégale » a rendu « impossible l’application des lois des États-Unis » (comme l’a fait le président Dwight D. Eisenhower lorsqu’il a ordonné à la Garde nationale de l’Arkansas d’imposer la déségrégation dans les écoles de Little Rock, Arkansas). Or, c’est là que toutes les fausses affirmations et les mensonges purs et simples propagés par Trump et ses alliés politiques entreront en jeu : Trump alléguant faussement, par exemple, qu’une ville entière du Colorado a été prise par des gangs de rue vénézuéliens, qu’une ville de l’Ohio a été envahie par des réfugiés haïtiens qui mangent tous les chats et tous les chiens, et d’autres affirmations non étayées selon lesquelles « des millions et des millions » de « clandestins » affluent dans notre pays chaque semaine (ou chaque jour selon la personne qui mentira alors). 

Chacune de ces fausses affirmations et purs mensonges pourraient être distillés pour déclarer la loi martiale en phrases accrocheuses (commençant par le terme « attendu que ») pour établir la prémisse juridique qui permettra d'invoquer la loi sur l’insurrection, et de poser le prédicat pour fouiller chaque maison, où bon leur semblera, sous prétexte de rechercher des immigrants sans papiers qui n’existent pas. Malgré la complexité logistique qui y est liée, et sans parler de facteurs tels que la taille du territoire et de la population des États-Unis, une mise en œuvre de la loi martiale pourrait cependant être rapide. Prenons par exemple cette ville du Colorado, Aurora : pendant les mois qui ont précédé l’élection, Trump et ses sbires ont répandu des mensonges insensés, promettant de vastes descentes des services de l’immigration s’ils étaient élus.

Il se trouve qu’Aurora possède déjà son propre bureau d’immigration et de douane, et qu’une base militaire existante vient d’être utilisée comme centre de détention « temporaire ». Le projet 2025 propose en outre d’aller au-delà du plan de Trump, en cours mais qui serait progressivement abandonné, visant à héberger jusqu’à 30 000 détenus en continu dans la base de la marine américaine de Guantanamo Bay, à Cuba. Pour cela, il est proposé d'amener Guantanamo chez nous, chez vous, en créant des Guantanamo supplémentaires dans tout le pays. L’un de ces potentiels Guantanamo qui, je crois, est à l’étude est l’ancien centre de détention de Leavenworth, un ancien avant-poste du « complexe industriel carcéral » à but lucratif du pays, situé près de Kansas City, dans le Missouri. Les habitants des environs sont en armes, dans l’espoir d’empêcher la réouverture du site, précédemment fermé en raison de violations flagrantes des droits de l’homme. J'ai récemment fait un voyage pour le voir et j'ai été horrifié à l'idée que des centaines, voire de milliers de familles sans papiers pourraient être rassemblées là comme le bétail qui paissait de l'autre côté de la route.

Bien entendu, n’importe lequel de ces Guantanamos pourrait également être utilisé pour détenir des américains, puisque Trump tâte le terrain en matière de suppression du droit du sol de certains de nos concitoyens. Le vice-président J.D. Vance a même suggéré que si les tribunaux se prononçaient contre le président au sujet de la suppression du droit du sol [droit de naissance dans le texte], alors son cher leader pourrait simplement ignorer l'ordonnance. « Mais qu’en est-il de la désobéissance civile ? » demanderiez-vous ; « Vous ne pouvez pas transformer l’Amérique en Corée du Nord du jour au lendemain ! » La seule chose qui a arrêté Trump la dernière fois qu’il a ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur les manifestants américains (« ne pouvez-vous pas simplement leur tirer dessus ? Il suffit de leur tirer dans les jambes ou quelque chose du genre ? ») a été le refus de son secrétaire à la défense et général en chef de l’époque d’exécuter son ordre. Quatre ans plus tard, l'investisseur en capital-risque qui devrait être notre prochain général en chef est un des chéris des mouvements d'action politique conservatrice qui, selon Trump, portait un chapeau MAGA lorsque tous deux se sont rencontrés en Irak...

D’autres postes vacants attendent aussi d’être pourvus. Il en est ainsi de meilleurs avocats en uniforme de l’armée de terre, de la marine et de l’air, des généraux trois étoiles chargés d’examiner les ordres du commandant en chef et du secrétaire à la défense, afin d'en évaluer la légalité. Cherchant à lever tout doute sur les raisons pour lesquelles les officiers précédents avaient été limogés, l'actuel secrétaire à la défense Pete Hegseth a récemment expliqué que cette mesure avait été prise de manière préventive, pour les empêcher de bloquer « les ordres donnés par un commandant en chef ». Merci d'avoir tout haut ce qui devait resté caché. On dirait que Trump est sur la bonne voie pour trouver les bons « béni-oui-oui » cette fois-ci... 

En attendant, ne quittez pas Elon Musk des yeux. En effet, est-ce un hasard si le président a laissé totale liberté à l’homme le plus riche du monde pour accéder à tous les ordinateurs du gouvernement, ​​permettant à son plus grand donateur de campagne - le propriétaire de l’une des plus grandes sociétés d’intelligence artificielle au monde - d’accéder à tout ce que le gouvernement sait sur vous, au moment même où il pourrait se préparer à imposer la loi martiale ? C’est un fait qu’aucun d’entre nous ne devrait considérer comme une simple coïncidence ».

Ce texte est donc très inquiétant puisqu'il indique que depuis sa nomination, tout se passe comme si M. Donald Trump, après avoir éliminé tous les contre-pouvoirs, s'apprêtait à déclarer la loi martiale aux Etats-Unis, sous des prétextes totalement fallacieux, le tout avec l'aide de M. Elon Musk et de ses affidés. 

J'espère pour les Etats-Unis et pour la sécurité du monde que les propos traduits ci-dessus resteront au niveau de l'erreur d'analyse. Malheureusement, plus les jours passent, plus on s'aperçoit de l'énormité de la dérive - par de nombreux cotés totalitaire - de l'actuel gouvernement des Etats-Unis. Or, le pire est toujours possible. Comme le disait M. Claude Malhuret dans son discours devenu célèbre dans le monde entier (2) : « Jamais aucun [président américain] n’a piétiné la constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux. Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Il n’a fallu qu’un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution ». Ne pas l'oublier...    


Références :

1. Brett Wagner. Is Trump preparing to invoke the Insurrection Act? Signs are pointing that way.
The San Francisco Chronicle. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://www.sfchronicle.com/opinion/openforum/article/insurrection-act-president-trump-20201819.php 

2. François Vignal. « Cour de Néron », « bouffon sous kétamine », « roi du deal » : l’intégralité du discours du sénateur Claude Malhuret sur les Etats-Unis. Public Sénat. Mars 2025.
Consultable en ligne :
https://www.publicsenat.fr/actualites/international/cour-de-neron-bouffon-sous-ketamine-roi-du-deal-lintegralite-du-discours-du-senateur-claude-malhuret-sur-les-e 

 

Crédit illustration :

Dessin de Barry Blitt pour "The new Yorker". Janvier 2025.
Vu sur le Courrier International.
Consultable en ligne :
https://www.courrierinternational.com/une/une-du-jour-donald-trump-dictateur-en-devenir

 

 


lundi 30 décembre 2024

MAUVAISE ANNÉE POUR LA DÉMOCRATIE !

 


Oui, mauvaise année pour la démocratie et aussi, malheureusement, pour nos démocraties… Un petit tour d’horizon que je n’espère pas trop déprimant pour finir cette année et commencer la suivante.

Il y a eu tellement de mauvaises nouvelles en 2024 que je ne sais plus par où commencer. Aussi je me propose de sérier les questions du niveau le plus lointain au niveau le plus proche. Commençons par les conflits armés, tant ceux-ci sont présents dans les actualités. En Ukraine, la situation est toujours aussi meurtrière, avec selon les chiffres obtenus de différentes sources, plus d’1 250 000 personnes qui auraient été tuées ou blessées. Parmi celles-ci, 300 000 soldats (225 000 Russes et 75 000 Ukrainiens) tués depuis 2022 et 800 000 blessés (400 000 Russes et autant d’Ukrainiens). On peut ajouter à cela les quelques 50 000 civils qui ont été tués, blessés, déportés ou qui ont disparu du coté ukrainien pour l’écrasante majorité… Tout cela résultant de la folie d’un dictateur, M. Vladimir Putin en l’occurrence, qui n’admet pas le souhait des Ukrainiens de s’éloigner de la zone d’influence russe. Une étape cruciale a été la destitution, constitutionnelle pourtant, du président ukrainien qui était très favorable à la Russie, en 2014, par le parlement. Pour les lecteurs qui s’intéressent à la genèse du conflit, de l’Euromaïdan à la situation de ce jour, via l’annexion de la Crimée et du Dombass, les pages Wikipédia qui s’y rapportent sont remarquables et proches de ce que l’on peut lire dans les ouvrages de références (voir par exemple 1,2). Une des raisons de s’inquiéter est l’internationalisation du conflit. D’un côté, la Russie est clairement aidée par l’Iran, par la Corée du Nord qui fournit maintenant des contingents, et probablement discrètement par la Chine, qui fournit de l’électronique permettant à la Russie de contourner en partie les blocus de matériel imposés en représailles. De l’autre côté, le monde occidental ne peut plus laisser M. Vladimir Putin menacer le territoire européen, l‘Ukraine aujourd’hui, et possiblement les Etats Baltes plus tard. Nous livrons donc des quantités massives d’armement, avec, pour le moment, aucune participation de troupes de l’OTAN, à l’exception possible de formateurs militaires. Seule raison d’espérer, l’épuisement des belligérants pourrait conduire à un cessez le feu, et possiblement une « mauvaise paix » dans cette région du monde. Question démocratie, puisque c’est le sujet de cet article, nous avons là, avec « l’union » Russie, Iran, Corée du Nord et Chine, quatre pays tenus par une belle brochette de pouvoirs autoritaires. Or en Europe, plusieurs dirigeants de pays où des coalitions d’extrême-droite sont au pouvoir, se comportent finalement en alliés objectifs de la Russie, M. Viktor Orban en Hongrie et M. Robert Fico, en Slovaquie en tête. La montée de l’extrême-droite en Autriche, en Allemagne et en Flandres, voire en France, avec leur dirigeants pro-russes, constitue donc un risque gravissime pour l’Union Européenne et pour nos démocraties, aussi imparfaites soient elles.

Autre conflit inquiétant, le Moyen Orient. La situation qui était déjà mauvaise, a rapidement dégénéré après l’attaque révoltante du Hamas sur des populations israéliennes civiles, sauvagement massacrées. Tout aussi révoltante a été l’action du gouvernement israélien, qui, sous couvert de défense du pays, un droit effectivement imprescriptible, a mené des opérations militaires qui ont conduit à d'autres séries de massacres de civils dans la bande de Gaza. Le bilan est catastrophique. Plus de 4 000 israéliens ont été tués, blessés ou déportés. Plus de 150 000 Gazaouis ont été tués ou blessés, très majoritairement des femmes et des enfants, et plus de deux millions ont été déportés sur le territoire, soit 90% de la population (3). Là aussi les pages Wikipédia sont riches d’informations (4). On constatera avec effroi que l’armée israélienne a répondu aux massacres des populations civiles israéliennes par le Hamas par des massacres de populations gazaouis d’une magnitude sans commune mesure. Des hôpitaux ont été visés comme des usines de production électrique, des écoles, et mêmes de crèches... À tel point que des juristes, plusieurs pays, des ONG, soupçonnent Israël de commettre un génocide à Gaza, et d’avoir cumulé crimes de guerre et crimes contre l’Humanité. Une Commission d'enquête de l'ONU accuse aussi Israël de ces mêmes « crimes de guerre et crimes contre l’humanité », et, logiquement, elle accuse également le Hamas de « crimes de guerre » commis en Israël. La Cour Pénale Internationale a délivré également un mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien M. Benyamin Netanyahou et son ministre de la défense, M. Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés. Là aussi, trois membres du Hamas, Ms. Ismaël Haniyeh, Mohammed Deïf et Yahya Sinwar feront l’objet d’un autre mandat pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire d’Israël et de l’État de Palestine. Pour ces trois derniers, l’action sera sans aucun doute éteinte en raison de leurs morts, attribuées à Israël. 

En tentant de prendre du recul, outre le bilan catastrophique de ce conflit (et encore ai-je passé sous silence la situation au Liban), il me semble que nous n’avons pas réalisé que nos démocraties et au-delà l’idéal démocratique en sortent laminés. Deux raisons à cela. La première est qu’Israël se veut et se décrit comme un état démocratique. Mais peut-on vraiment dire cela d’un état qui ne respecte pas les résolutions de l’ONU, qui ne respecte pas le droit de ses minorités et dont les dirigeants font, à tout le moins, l’objet de suspicions de génocide, de crime de guerre et de crime contre l’Humanité ? Est-ce l’image que nous, peuples en théorie fidèles aux lumières, souhaitons donner de nos valeurs ? La seconde est liée à la première. Comment expliquer l’assourdissant silence de nos démocraties face à ce qui se passe en Israël et en Palestine, ou au Liban. Tout s’est passé, depuis plus d’un an, comme si nos démocraties occidentales regardaient ailleurs, sans réaliser que ce silence interroge sur ce « deux poids, deux mesures » qui différencie le traitement réservé à un état peu recommandable comme Israël, et celui réservé à un autre état aussi peu recommandable, la Russie ? Ce silence, mâtiné de quelques plus que timides froncements de sourcils, interroge aussi sur le consentement tacite de nos dirigeants vis-à-vis du génocide possiblement perpétré à Gaza. Plus grave, dans l’œil d’autres pays, d’autres citoyens du monde, il rend nos pays occidentaux et par conséquence nos démocraties possiblement complices des crimes commis en Palestine. J’exagère, direz-vous ? Alors, comment interpréter les déclarations de certains de nos ministres disant que M. Benjamin Netanyahou bénéficierait d’une « immunité » s’il se rendait sur le sol français… contrairement à toutes nos obligations de signataire des traités internationaux relatives aux cours de justice internationales.

Autre raison de s’inquiéter : l’élection de M. Donald Trump aux Etats-Unis. Dans ce cas particulier, la validité de l’élection n’est pas à remettre en cause contrairement d’ailleurs à ce qu’avait tenté de faire ce même personnage lors de sa défaite de 2020. Non, le risque pour la démocratie réside ici dans le recours à la collecte de données personnelles à des fins de ciblage politique, à la large diffusion de publicités mensongères, à la circulation de messages soutenant les théories du complot, bref aux mensonges. Cela pour permettre l’élection d’un individu poursuivi en justice et condamné pour trente-quatre chefs d’accusation dans l’affaire des falsifications comptables en lien avec les paiements secrets faits à une actrice pornographique*… Deuxième défaite de la démocratie : cette déliquescence résulte en grande partie du contrôle exercé sur les réseaux sociaux et de l’argent injecté par deux milliardaires que je qualifierais de déjantés. Bref, tout cela s’inscrit dans un contexte maintenant connu de vérité alternative, un concept qui fait que le vrai et le faux ont finalement la même valeur (5,6). Seul motif d’espérer, cette déchéance morale pourrait conduire à une situation de pourrissement interne des Etats-Unis qui affaiblirait complètement le pays, provoquant enfin un sursaut démocratique. J’avoue croire peu à cette perspective et espère aujourd’hui simplement que les Etats-Unis n’entraineront pas l’UE dans une longue et douloureuse chute. Pour cela, encore faudrait-il un réveil de l’UE et une remise en cause sérieuse de son alignement sur les Etats-Unis…

La situation intérieure française ne permet pas non plus d’espérer beaucoup pour notre démocratie. Je ne fais pas partie de ceux qui remettent en cause les résultats d’élections, ni le choix de notre président, M. Emmanuel Macron, de dissoudre l’assemblée. De même, je ne vois aucun motif constitutionnellement valide pour penser qu’il pourrait être destitué. En revanche, je suis très contrarié par le fait que ce même président n’ait pas respecté, non pas la Constitution, mais son esprit. Il a ainsi « joué la montre », en cachant derrière un faux semblant, ses choix politiquement discutables. Il a outrepassé ses prérogatives en arguant qu’il était guidé par une volonté de nommer quelqu’un qui pourrait éviter d’être censuré, alors que ce choix de censure - ou non - aurait dû être celui du Parlement, et pas celui de l’exécutif. Enfin, il a, à deux reprises, choisi de nommer un premier ministre issu de minorités parlementaires. Ces mêmes deux premiers ministres ont nommé des ministres également issus de ces groupes parlementaires minoritaires, qui tentent par tous les moyens d’appliquer la même politique délétère rejetée par une majorité de Français, si l’on agrège le NFP et le RN. L’agrégation est osée, j’en conviens, mais elle a néanmoins conduit à la censure du gouvernement de M. Michel Barnier et elle n'empêchera pas plus sans doute celle du gouvernement actuel. Une autre menace pour la démocratie française réside dans le poids de plus en plus lourd que pèse des milliardaires dans l’audiovisuel et les médias, à l’image de la situation aux USA ou au Royaume Uni. L’impact de cette mainmise se fait sentir dans les médias de masse tels Europe 1, C8 ou CNews appartenant au groupe Bolloré, où l’on n’hésite plus maintenant à tenir propos ouvertement racistes ou mensongers (7). Elle se fait aussi sentir dans les palais de la République où ces mêmes milliardaires murmurent à l’oreille de nos décideurs (8). Comment s’étonner ensuite des dénis de démocratie que je décris ci-dessus, qui conduiront inéluctablement à renforcer les scores du RN dans un amalgame entre « tous pourris », « à quoi cela sert de voter pour reprendre les mêmes », « on a tout essayé sauf l’extrême droite » ou « il nous faudrait une bonne dictature » …  

Le ton de cet article peut paraitre lourd en cette fin d’année, mais je ne vois pas de raison d’être particulièrement joyeux. Peut-être suis-je assez sensible à ces situations de conflit et de mensonge, car je suis totalement absent des réseaux dits sociaux, où la vérité alternative fait loi. Peut-être aussi parce que je traine derrière moi quelques 40 ans de recherche publique, au cours desquels j’ai toujours tenté, sur des sujets parfois délicats comme les dossiers OGM, et avec d’autres, de démêler le vrai du faux pour faire émerger non pas la vérité, ce serait présomptueux, mais un consensus étayé… Or comme je l’ai montré je le crains, nos sociétés dites démocratiques s’éloignent de plus en plus de cet idéal. Et même au plan loco-local, dans notre commune, les choses ne vont pas bien. Le vivre-ensemble personnifié par les associations ne s’est jamais aussi mal porté, le fonctionnement démocratique de la commune est à l’arrêt et la désinformation et le mensonge y ont aussi largement cour (9). Mais bonne année quand même !

* Note ajoutée le 31/12 : et condamné hier 30/12/24 au civil pour agression sexuelle !

 

Références

1. Guerre russo-ukrainienne. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_russo-ukrainienne

2. Révolution de la Dignité (Maïdan)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_de_la_Dignit%C3%A9

3. Anonyme. À Gaza, deux millions de déplacés internes sont confinés sur 11 % du territoire. Le Courrier International. Aout 2024.

4. Guerre Israël-Hamas (depuis 2023)
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_Isra%C3%ABl-Hamas_(depuis_2023)

5. Brian Myles. Le trumpisme en continu. Le devoir. Novembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/823360/editorial-presidentielle-americaine-trumpisme-continu?

6. Alexandra Schwartzbrod. Présidentielle américaine : la démocratie dans tous ses états. Libération. Novembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/presidentielle-americaine-la-democratie-dans-tous-ses-etats-20241104_FUBNNHIVG5EC5EVCJY2SVWE2LE/

7. Caroline Constant, Tom Demars-Granja, Honorine Letard. Quelle riposte à la bollorisation des médias ? L’Humanité. Septembre 2024.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/en-debat/arcom/quelle-riposte-a-la-bollorisation-des-medias

8. On lira avec intérêt l’enquête du « Nouvel Obs » d’Octobre 2024, à ce sujet. Une petite partie est consultable en ligne :
https://www.nouvelobs.com/politique/20241030.OBS95680/l-influent-bernard-arnault.html

9. On lira les articles de ce blog traitant regroupés sous l’onglet Forges les Bains dans la version web de ce site, ou que l’on peut trouver dans la version téléphone par exemple sous le titre « Les petits et gros mensonges de la municipalité ». Voir par exemple :
https://dessaux.blogspot.com/2024/06/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/09/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html
https://dessaux.blogspot.com/2024/11/les-petits-et-gros-mensonges-de-la.html

 

Crédit illustration :

Image du film éponyme, de et avec Jean Yanne.

 

mercredi 2 octobre 2024

RETAILLEAU : POPULISTE, DANGEREUX, MINABLE...



Plusieurs des récentes déclarations de notre ministre de l’intérieur sont très inquiétantes car elles marquent un virage sensible vers les positions de l’extrême droite. Clin d’œil aux idées nauséabondes du Rassemblement National (RN) qui pour le moment soutient le gouvernement Barnier, ou plus grave, alignement sur ces positions, l’avenir le dira…

Premier dérapage en date, M. Bruno Retailleau affirme dans un entretien donné au Journal du Dimanche - nouvel acquisition de l’empire Bolloré - que « L’Etat de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs, mais la source de l’Etat de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain ». Le propos en lui-même est contradictoire. Pour comprendre cela, il faut savoir que l’Etat de droit est une position qui stipule que l’Etat est l’équivalent d’une personne morale et qu’il est donc, en quelque sorte, responsable de ses actes (pour des explications plus détaillés, voir 1). Ceci implique que l’Etat comme les citoyens, doit être respectueux des règles de droit, auxquelles il est soumis. Quand M. Bruno Retailleau dit que l’Etat de Droit n’est ni intangible ni sacré, il affirme que l’Etat pourrait s’affranchir des règles qu’il impose à ses citoyens. On se retrouverait donc dans une situation où le pouvoir serait inattaquable, irresponsable. Ce ne serait plus le peuple qui serait souverain, mais le pouvoir en place. Bref, on se trouverait plus en démocratie, mais dans une situation de quasi dictature. Dangereux, non ?

Derrière cela, ne nous leurrons pas, se cache une vision d’extrême droite. Rappelons-nous que le Conseil Constitutionnel a censuré une grande partie du texte de loi relatif à l’immigration au motif qu’il s’y trouvait des cavaliers législatifs ou que des dispositions étaient contraires à la Constitution (2). Ceci n’est possible que parce que l’Etat de droit existe. Celui-ci, en effet, dispose que l’Etat doit respecter la hiérarchie des normes, au sommet desquelles se trouve notre Constitution. Or, celle-ci protège non seulement les citoyens français, mais aussi les personnes se trouvant sur notre territoire. Il semblerait que ceci soit insupportable à l’extrême droite, dont tous les discours visent à porter atteinte à l’égalité de traitement des citoyens français et des étrangers, que ces derniers soient en situation régulière ou non ; cette égalité est garantie par notre Constitution. Par ses propos, M. Bruno Retailleau s’inscrit donc dans la droite ligne du RN.

Deuxième dérapage en date, les propos tenus toujours par M. Retailleau sur l’immigration qui ne serait « pas une chance pour notre pays ». Il ajoute que l’immigration n’est pas une chance car nous ne serions « pas capables d’accueillir » et parce que l’immigration concerne aussi « des individus qui peuvent parfois être dangereux ». On est ici en pleine démagogie populiste, en plein amalgame. Sur ce sujet, il ne faut cependant pas se voiler la face, et donc nier l’existence de problèmes liés à l’immigration, mais il faut aussi raison garder et examiner la situation en termes de rapport coûts / bénéfices, aux sens économique, humain, social… J’avais écrit plus tôt (2) que ce discours « désignant l’immigré comme un délinquant voire un criminel en puissance, un opportuniste, venu ici pour profiter des allocations chômage ou du système de santé » était totalement erroné. J’en voulais pour preuve le fait que l’INSEE dans ses données 2019 indiquaient que la France et son activité économique bénéficie de « la présence de quelques 250 000 artisans, 400 000 cadres, 400 000 contremaitres, et 1 600 000 employés ou ouvriers immigrés ». Je peux attester également qu’il suffit de lever le nez de son écran de télé et de CNews pour s’apercevoir du nombre d’immigrés travaillant sur les chantiers du BTP ou sur nos routes, nos voies ferrées, etc. Je connais pas mal de patrons de petites et grosses boites qui m’indiquent que ces immigrés occupent des emplois que les bons petits Français bien blancs, bleus ne veulent pas occuper… Dans d’autres domaines, nous sommes confrontés à des pénuries de compétences. Il suffit de prendre rendez-vous dans un hôpital ou de se rendre dans les services d’urgence, par exemple à Bligny ou à Dourdan, pour voir que les services ne fonctionnent que grâce à la présence de médecins, infirmiers et aides-soignants d’origine étrangère… Nos labos de recherche également fonctionnent avec 20 à 25 % d’étudiants ou de thésards étrangers. Rappelons aussi que selon l'Insee, en Île-de-France, 60% des aides à domicile sont des immigrées, comme le sont 50 % des cuisiniers et 40 % des employés de l’hôtellerie-restauration. De même, selon la Dares, en 2017, près de 40 % des employés de maison étaient issus de l'immigration. Je conclurais cela en citant un rapport de l'Institut Montaigne (4) de 2020 qui indique que la Seine-Saint-Denis, département qui comprend la plus grande part de personnes issues de l'immigration en France (31,6 % selon l'Insee), est « le 8e département contributeur au financement de la protection sociale et celui qui reçoit le moins de protection sociale par habitant ». Exit donc le mythe de l’immigré profiteur. Bref, on perçoit dès lors le fait que remettre tout le monde dans des charters pour l’Afrique, l’Asie ou n’importe où n’aura qu’une seule conséquence : l’appauvrissement de notre pays, et l’arrêt du fonctionnement de nombreux services.

Plusieurs personnalités étrangères ou françaises d’origine étrangère ont par ailleurs réagi aux propos insultants de M. Bruno Retailleau. Je cite ici un excellent article du Huffington Post (3) qui donne la parole à ces personnes. « Mes parents ont immigré en France. Ils nous ont poussés, mon frère, ma sœur et moi à faire des études, à évoluer, à vouloir nous en sortir. Je suis avocat. Je suis élu. Mais merci Monsieur le ministre de me le rappeler : ce n’était pas de chance, pour la France » (Me. Seydi Ba, avocat au barreau de Paris). « Ce ministre vient de jeter sous le bus l’ensemble des Français issus de l’immigration, dont la présence au sein de la communauté nationale serait une malchance. S’il ne démissionne pas, c’est que nous sommes officiellement entrés dans un régime raciste » (Joan Stavo-Debauge, sociologue au CEMS-EHESS-Paris). « Non Bruno Retailleau, l’immigration est depuis toujours une chance pour les migrants et pour la France. Pour moi, comme beaucoup d’immigrés, la France m’a tout donné et je lui ai tout donné » (Mahmoud Zureik, épidémiologiste, directeur de recherche à l'INSERM). « Bruno Retailleau est une honte pour la France » (Nassira El Moaddem, journaliste à I-Télé, Canal+, France 2 et France Inter).

Je vais ajouter ma voix à celles qui précèdent. Il se trouve que malgré mon patronyme, je suis plus « étranger » que Français, ce qui ne m’a pas empêché, je peux le dire maintenant puis que ceci est prescrit, d’avoir été accrédité « confidentiel défense » et « secret défense » pendant mon service militaire en Allemagne… En ce qui concerne ma généalogie, ma mère était italienne. Mon père, né d’une mère italienne et d’un père né en Bolivie d’une famille française émigrée, est resté pendant plusieurs années de « nationalité incertaine ». Cela ne l’a pas empêché d’être mobilisé en 1936, puis en 1939, de combattre lors de la seconde guerre mondiale dans les forces française libres au sein de l’escadrille Gascogne. Ses opérations en Afrique du Nord, en Italie et en Allemagne lui ont valu la médaille militaire et la croix de guerre. Il a plus tard travaillé pour le consortium Euratom à Ispra sur le projet de réacteur atomique d’essai, ainsi qu’au sein des centrales de Marcoule et Cadarache, où il était auditeur de sécurité électrique. Plus tôt, entre les deux guerres, mon grand-père, lui, a œuvré pour les services secrets français, le « deuxième bureau ». Au sein de l’ambassade de France à Lisbonne, et officiellement représentant en machines à coudre (sic !), il a mené plusieurs missions en Afrique du nord et au Moyen-Orient. Au décès de mon père, lorsqu’il a fallu prouver que ma mère était française pour lui permettre d’obtenir une pension de réversion, cela a pris presque 9 mois. Ni les faits d’armes de son mari, ni ceux de son beau-père, ni les cartes d’identité française de ces trois personnes, ni leurs passeports français, ni leurs cartes d’électeurs n’ont suffit à convaincre le ministère de l’intérieur et celui des anciens combattants des droits de ma mère… Par chance, je suis tombé en fouillant un énième fois les papiers familiaux sur une décision du tribunal de police de Paris où mes parents s’étaient mariés, qui stipulait que mon père était supposé français et que par conséquent ma mère l’était aussi de par son mariage… Vous comprendrez pourquoi je considère avec d'autres que les propos populistes de M. Bruno Retailleau sont non seulement dangereux et stupides, mais aussi et surtout profondément indignes et minables.


Références :

1. Frank Baron. Qu'est-ce que l'État de droit ? Vie publique. Juillet 2018.
Consultable en ligne :
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270286-quest-ce-que-letat-de-droit

2. Notre sénateur pris dans un naufrage républicain. Ce blog. Février 2024.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2024/02/notre-senateur-pris-dans-un-naufrage.html

3. Marceau Taburet. Bruno Retailleau pense que « l’immigration n’est pas une chance » pour la France, des concernés lui répondent. Le Huffington Post. Septembre 20204.
Consultable en ligne :
https://fr.news.yahoo.com/bruno-retailleau-pense-l-immigration-093419479.html

4. Hakim El Karoui. Les quartiers pauvres ont un avenir. Rapport de l’Institut Montaigne. Septembre 2020.