jeudi 26 août 2021

LE SIAL, SAISON 2.



C’est la rentrée (enfin pas pour tout le monde !) et les nouvelles séries télévisées arrivent. La nouvelle saison des aventures extraordinaires du SIAL arrive aussi. Suspens garanti !

Nous en étions restés à la fin de la saison 1 au fait que le syndicat d’assainissement n’avait pas mis en place de budget pour l’année 2021. Celui-ci ayant du être prêt au 15 avril et n’étant pas disponible fin mai, je craignais donc une reprise en main du SIAL par les services de M. le Préfet. La saison 2 commence donc sous le signe de la « mise sous tutelle préfectorale » du SIAL, confirmée, avec un scoop (attention « spoiler » !) : l’entrée dans la danse de la chambre régionale des comptes. Celle-ci a rendu son rapport sur la gestion du SIAL. Cette chambre, dans une de ses séances de juillet, confirme le bien fondé de la mise sous tutelle et propose donc un budget pour 2021. Reconnaissant que l’année 2020 a été plutôt « une année blanche » en raison des élections et de la crise sanitaire, elle analyse l’année 2019 comme une année normale d’exécution du budget et ne formule pas de remarque péjorative sur la façon dont les précédentes mandatures ont géré le SIAL. C’était là un des arguments présentés par la nouvelle mandature. Il vient donc de retomber comme un soufflé !

En accord avec ce qui précède, la chambre régionale des comptes valide, sans le dire de la sorte, la nécessité de procéder au renouvellement des membranes d’ultrafiltration de la station de Briis, et en accord elle précise que les recettes prévues en 2021 devraient permettre de procéder à ce changement en 2022. Elle dit aussi que le reversement des redevances d’assainissement par la régie de l’eau attend la mise en place d’une convention, convention que la régie Eau Ouest Essonne a demandée au SIAL depuis des mois, à plusieurs reprises, là aussi sans succès. Mais comme je l’expliquais plus tôt, le SIAL s’est fait une spécialité de ne répondre à rien !

Enfin, la chambre des comptes suggère que soit menée une réflexion sur le rapprochement du SIAL et du syndicat de l'Orge (SYORP). Comme je l’écrivais également plus tôt, c’est une bonne idée, mais un tel rapprochement doit évidemment être préparé conjointement avec la CCPL, et guidée comme l'écrit la chambre « avec le souci de la qualité du service rendu » et de « l’efficience de la politique d’assainissement compte tenu des enjeux environnementaux et sanitaires ». J’en suis bien d’accord. Il est simplement dommage que ces enjeux environnementaux d’assainissement ne paraissent pas aussi évidents à certains des élus forgeois...


Note ajoutée le 27 août :

Un lecteur me demandait si la redevance d'assainissement allait augmenter comme j'en avais mentionné le risque précédemment. La réponse semble être non car ceci ne figure pas dans le rapport de la chambre des comptes. Ceci confirme que les finances du SIAL sont globalement saines. Il aurait donc juste suffi de préparer un budget fondé sur l'existant pour fonctionner mais cela n'a pas été fait... C'est bien bêta !



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Merci à Franquin !

mardi 24 août 2021

ANTE ELECTIONIBUS. II.
L’INSÉCURITÉ EXPLOSE !


Je poursuis cette série sur les futurs thèmes de la campagne électorale présidentielle. L’insécurité en est un, largement exposé et débattu au sein de la classe politique, avec un consensus à droite, de LREM au RN, constatant « une explosion de l’insécurité ». Cette vision des choses est d’ailleurs largement propagée par une fraction de la presse, également à droite, qui maintient le « feu sous la marmite ». Cela correspond-t-il à une réalité ou non ? J’ai tenté aux travers de la consultation de statistiques et de différentes lectures, de me faire une opinion sur cette fameuse explosion, et en particulier sur son lien avec une éventuelle multiplication du nombre des crimes et délits.

Je ne suis pas criminologue, ni sociologue, mais je sais lire des tableaux, des statistiques et des rapports. Autant le dire tout de suite, de ces lectures émerge la perception d'une situation complexe. Ainsi, si l’on peut effectivement noter une augmentation de certains crimes et délits, on peut également noter une diminution d’autres types de crimes et délits. Je m'appuie pour dire cela sur les données disponibles sur le site du Ministère de l’Intérieur (1). Selon celles-ci, entre 2008 et 2020, les homicides, vols violents sans armes (qui étaient pourtant en hausse dans les années 2010/2015), vols violents avec armes, vols de véhicules, ont diminué, avec des baisses spectaculaires par exemple pour les vols violents avec armes (env. -50%) ou vol de véhicules (env. -50%). Sont restés globalement stables les vols dans les véhicules. Ont augmenté les escroqueries, les vols sans violence, les cambriolages, les coups et blessures volontaires. Ont doublé, les violences sexuelles.

Derrière ces chiffres, qui montrent donc une situation contrastée, se cachent également des réalités contrastées. Ainsi, les deux dernières années, marquées par les confinements dus à la crise sanitaire, ont vu une augmentation des violences intra-familiales, allant des coups et blessures aux violences sexuelles. Selon certains commentateurs, et selon l’intéressant site gouvernemental « Vie Publique », la sensibilisation des forces de police et la libération de la parole des victimes ont également conduit à une augmentation de la déclaration de ces actes, ne reflétant donc pas une augmentation de la commission de ceux-ci (2). En accord, « la part des victimes ayant porté plainte pour des faits datant de plus d'un an a augmenté ces dernières années. En particulier, le nombre de victimes ayant déclaré des faits commis plus de cinq ans auparavant a plus que doublé entre 2016 et 2020 (3)».

On observe aussi des variations fortes selon les territoires. Ainsi, pour les homicides, la moyenne nationale s’établit à 13 homicides par million d’habitants sur la période 2018-2020. Ce taux est cependant de 8 à 9 en Pays de la Loire et Bretagne, alors qu’il est de 34 en Corse et de 24 en Alpes-Provence-Côte d’Azur (1). Il est en moyenne de 18 dans les villes de plus de 200 000 habitants, et de 8 à 9 dans les zones rurales et villes de moins de 5000 habitants. Le même constat peut être fait pour les vols violents sans arme, avec un taux de 3 pour 1000 habitants à Paris et sa proche banlieue, contre 0 pour 1000 en zones rurales. Egalement, en 2020, le tiers des vols violents sans arme enregistrés ont lieu à Paris ou en Seine-Saint-Denis (1). A noter : les territoires ultramarins sont toujours plus exposés aux infractions violentes que la métropole. Ainsi le taux d’homicides est de 0,13 pour mille habitants (soit 130 par million) en Guyane, et de 0,06 pour mille habitants en Guadeloupe et Martinique (soit 60 par million d’habitants), à comparer au taux de 0,1 pour mille habitants en métropole (1).

Globalement, on peut donc dire que le nombre d'actes violents, de délits et de crimes n’explose pas puisque, comme je l’ai indiqué, certains augmentent, certes, mais d’autres diminuent, et ce de façon spectaculaire. En revanche, et en accord avec l’opinion de la chercheuse Renée Zauberman, ce n’est pas la violence qui explose mais l'insécurité (4). Or, l’insécurité n’est pas un fait, elle n’est pas une réalité, mais une perception, un sentiment. Alors pourquoi ce sentiment qu'est l'insécurité progresse-t-il ? Outre la crise sanitaire et le chômage systémique, la raison principale reste celle que j’exposais en introduction et que l’encyclopédie Wikipédia résume bien : « certains acteurs politiques et certaines organisations sectaires n'hésitent pas à jouer sur les peurs collectives, voire à les susciter, dans l'optique de s'assurer un pouvoir sur les populations sensibles à ce discours ». En lien, et comme le philosophe et chroniqueur Gaspard Koenig l’écrivait (5), si quelque chose explose, ce n’est pas la violence mais les images de la violence. Nous sommes en effet soumis à une augmentation des images violentes, ne serait-ce qu’au travers des chaines d'informations ressassant en boucle de tels événements, et au travers réseaux sociaux et de leur effet amplificateur. Cette exposition permanente sert des desseins de pouvoir. N’oublions pas en effet que les élections d’au mois deux présidents, Ms. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, doivent beaucoup à la mise en avant de ces thèmes. Ceci a d'ailleurs été bien compris par l’actuel président, M. Emmanuel Macron, qui déclarait voila peu que la société était de plus en plus violente (ce qui est faux, on l’a vu) et que la France vivait dans un sentiment d’insécurité (ce qui est vrai, mais n’est qu’un sentiment). On pourrait y ajouter le verbatim de différentes personnalités tels que « la barbarie » de Mme. Marine Le Pen et M. Retailleau, barbarie respectivement « véritable » pour l’une et « ordinaire » pour le second, « l’ensauvagement » de M. Gérald Darmanin, ou l’inénarrable « été Orange Mécanique » de M. Xavier Bertrand. Nous sommes clairement là face à de la surenchère lexicale !

Il y a fort à parier que ce thème des violences et de l’insécurité sera central lors de la prochaine campagne présidentielle, comme il l’avait été en 2002.  A cet égard, Émilie Née, chercheuse en sciences du langage avait conduit une étude pendant la campagne de 2002 qui révélait que dans le débat public, « le mot « insécurité » avait pour fréquence moyenne 75 occurrences par mois, de juillet 2001 à février 2002 inclus. « À partir du mois de mars et jusqu’au mois de mai, l’emploi de la forme s’intensifiait, avec des fréquences dépassant les 150 occurrences par mois. À partir de mi-avril jusqu’à la fin du mois de mai, ces fréquences dépassent même le seuil de 200 occurrences mensuelles » » (6). Sans nier l'existence de certains chiffres en augmentation, mais parce que le thème est porteur, clivant, parce qu’il est un marqueur de l’extrême-droite et qu’il faut gagner des voix de ce côté, cette explosion plutôt fantasmée est déjà de sortie dans les propos des caciques du RN à LREM en passant par LR. On nous vendra du pathos, de la peur, bien loin de ce que les chiffres de la délinquance objectivent. Il y a donc fort à parier que le distinguo entre délinquance (ou criminalité) et insécurité ne sera pas fait. Comme le disait dans une de ces chansons l’excellent groupe rock « No one is innocent » : « si la peur fait bouger, elle fait rarement avancer ». Problème : il y a derrière cette instrumentalisation de la délinquance un vrai risque pour le pays, pour la démocratie et pour nos libertés (5). Il faudra s’en rappeler lors de la campagne sinon nous aurons à l'échelle du pays ce que nous avons à Forges : d'inutiles caméras de surveillance au lieu d'assistants en école maternelle.



Références :

1. Ministère de l’Intérieur. Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique.
Consultable en ligne :
https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Publications/Hors-collection/Insecurite-et-delinquance-en-2020-bilan-statistique

2. Délinquance : baisse globale en 2020 sauf pour les violences familiales et sexuelles. Vie Publique.
Consultable en ligne :
https://www.vie-publique.fr/en-bref/278368-insecurite-et-delinquance-2020-baisse-globale-en-lien-avec-le-covid-19

3. Olivier Galland et Telos. Délinquance et insécurité: la réalité des chiffres. Slate.fr. Juin 2021.
Consultable en ligne :
https://www.slate.fr/story/210047/delinquance-insecurite-hausse-realite-chiffres-ministere-interieur

4. Louis Fraysse. Sait-on ce qui nourrit le sentiment d’insécurité ? Réforme, l’hebdomadaire protestant d’actualité. Avril 2021.

5. Gaspard Koenig. Le discours sécuritaire : un piège pour la démocratie. Les Echos. Mai 2021.

6. Christine Siméone. La sécurité comme thème de campagne : « Le problème, c’est la généralisation à tort des faits divers ». France Inter. Mai 2021.
Consultable en ligne :
https://www.franceinter.fr/politique/la-securite-comme-theme-de-campagne-le-probleme-c-est-la-generalisation-a-tort-des-faits-divers


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Blog BD Notto;



vendredi 20 août 2021

QUINZE LOGEMENTS A L’HECTARE EN CENTRE BOURG ? VRAIMENT ?



Voici une information que j’ai laissé passer. La commune souhaite clairement limiter les divisions des terrains des particuliers à Forges. Officiellement, ces divisions seraient responsables d’une partie des problèmes d’inondations que nous connaissons par fortes pluies. Sauf que l’argument est infondé et sauf que derrière cette volonté se cachent des motivations qui pourraient être plus troubles qu’évoquées.

Lors d’un des derniers conseils municipaux, la municipalité a annoncé vouloir réduire le nombre de logements à l’hectare à quinze pour les raisons que j’expliquais plus haut. Autant ce chiffre pourrait être envisageable en limite de zone bâties par exemple dans les hameaux (et encore), autant ce chiffre est totalement irréaliste pour les secteurs les plus denses de notre commune.

Il faut en effet savoir que le plan local d’urbanisme (PLU) qui définit les zones urbanistiques et les règles qui s’y appliquent n’est pas, contrairement à ce que pensent certains, le document majeur d’urbanisme à Forges. Le PLU de la commune doit en effet être conforme à deux documents d’urbanisme supérieurs, le schéma directeur de la région Ile de France (SDRIF) et le plan de Parc, puisque Forges est membre du PNR de la Haute Vallée de Chevreuse. Or les règles du SDRIF comme celles du PNR sont clairement incompatibles avec une sous-densification du bâti en centre ville. Ainsi, les recommandations du PNR se situent entre 20 et 90 logements à l’hectare, 20 plutôt en limite de zone construite et 90 dans les zones denses du centre des bourgs, et le dernier SDRIF de 2013 prévoyait une densification de 10% pour la commune de Forges à l’horizon 2030, soit un accroissement de population estimé à 650 habitants. Je rappelle aussi que ces dispositions sont conformes au schéma régional de l’habitat et de l’hébergement, validé par la CCPL en 2017.

Densifier les centres bourgs procède d’une logique réelle dont le premier objectif est - à mon sens - de prévenir la consommation d’espaces naturels, voire le mitage urbain. Nous avons besoin de champs pour produire notre nourriture et nous avons besoin de forêts pour produire les matériaux de construction et de chauffage, même si l’intérêt des forêts ne se limite pas à cela. Outre les considérations ludiques, la forêt comme les zones de culture contribuent aussi à la fixation du CO2, pour autant qu’une gestion forestière soit mise en place. Si Forges peut se féliciter d’avoir conservé presque 85% de sa surface en « zones vertes », c’est bien parce que les municipalités qui se sont succédé depuis 20 ans ont toutes densifié les zones déjà urbanisées ou urbanisables des centres, sans ouvrir de larges espaces naturels à la construction, que cela ait plu ou non d’ailleurs à quelques esprits chagrins.

Sans être grand clerc, il suffit de regarder le SDRIF et le plan de parc pour réaliser qu’un projet de révision de PLU proposant 15 logements à l’hectare en zone dense sera très probablement retoqué par les services déconcentrés de l’Etat.
Alors pourquoi proposer un tel projet, d’autant que ces divisions ne sont pas responsables des ruissellements qui affectent Forges, la plupart ayant une origine agricole, et les eaux pluviales des nouvelles constructions devant être traitées à la parcelle ? Je n’ose envisager le fait que les actuels élus pensent réellement que ce projet passera. Il reste donc deux possibilités. La première est que ce projet vise à satisfaire un certain nombre de Forgeois remontés contre le soi-disant bétonnage de la commune, mais dont certains ont pourtant profité de divisions pour s’installer. J’inclus dans ce dernier groupe des élus actuels qui, eux, n’ont pas hésité à diviser leur terrain ou à profiter de telles opérations, ou de lotissements, pour construire leur logement ! La seconde, compatible avec la première, est que ces divisions permettent à des familles moins fortunées, dont des primo-accédants, de s’installer à Forges. Et cette population, comme celle occupant les logements sociaux, ne semble pas toujours très « bien vue » par la municipalité qui préférerait sans doute un entre-soi plus conforme à sa mentalité centrée sur le « il-faut-que-rien-ne-bouge »... Dans ces conditions, effectivement, qu’importe si un PLU à 15 logements par hectare est irréaliste et retoqué. L’actuelle municipalité pourra toujours en rejeter la faute sur le préfet ou l’Etat qui apparaîtront comme les « méchants » de l’histoire...



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City&you. Qu'est-ce-que le PLU ?



dimanche 15 août 2021

LE PARFAIT TROMPE-L’ŒIL
DU CLASSEMENT DE SHANGHAI

 


La dernière mouture du classement de Shanghai vient de nous être servie. Si le haut du tableau reste occupé par des universités anglo-saxonnes, essentiellement américaines et britanniques, quelques universités françaises apparaissent maintenant dans les 100 premiers établissements mondiaux. Ce classement présente néanmoins des biais importants et la progression récente des universités françaises n’est qu’une progression en trompe-l’œil qui masque une assez triste réalité.

Le classement de Shanghai date du début des années 2000. Il a été crée par une université chinoise cherchait un moyen d’objectiver les financements d’État reçus afin de la hisser parmi les meilleures universités mondiales. Le groupe de chercheurs à l’origine de ce classement créait ensuite une entreprise privée,  la Shanghai Ranking Consultancy, qui publie tous les ans au 15 août le classement des « 1000 meilleures universités du monde ».

Les problèmes que pose ce classement sont multiples. Il y a d’abord la question des critères retenus parmi lesquels figurent le nombre de prix Nobel, de médailles Fields, le nombre d’auteurs publiant dans les prestigieuses revues Nature et Science, et le nombre d’articles publiés par une institution dans l’ensemble des revues scientifiques. Sur ces critères, de nombreux biais existent. Tout d’abord une institution pourra être créditée d’un prix Nobel ou d’une médaille Field dès lors que le récipiendaire se trouvera dans son établissement, même si les recherches qui ont permis l’obtention de ces prix ont été effectuées très majoritairement dans d’autres établissements. Par ailleurs, ne retenir que les revues Nature et Science comme revues de prestige, est un choix discutable. Certes, comme je l’écrivais plus haut, ce revues sont effectivement remarquables et les articles qui y sont publiés généralement très lus. Cependant beaucoup d’autres revues de très haute qualité existent, publiant des articles au moins aussi lus que ceux des deux revues majeures, et tout autant à même de faire progresser la connaissance scientifique. Une remarque similaire peut être faite pour la seule comptabilité des publications de l’ensemble des revues scientifiques, qui ne prend en compte ni l’impact des revues, ni le taux de citation des articles. Il ne s’agit là que de quelques unes des critiques que l’on peut faire à ce célèbre classement.   

Pour poursuivre sur le sujet, il semble aussi que ce classement défavorise les universités françaises, non pas de façon intentionnelle, mais pour plusieurs raisons. Tout d’abord, celui-ci ne prend en compte que la « qualité » des recherches menées au sein des établissements, avec une pondération tenant compte du nombre d’enseignants-chercheurs, mais en aucun cas de la répartition des temps de recherche et temps de travail. Or, contrairement à une idée reçue bien établie, les enseignants-chercheurs français comptent parmi ceux dont l’implication dans l'enseignement est la plus forte, autour de 190 heures de cours par an. Dit comme cela, j’entends déjà rire les détracteurs systématiques de l’activité de recherche en disant que cela ne représente qu’un peu moins d’un mois et demi de travail. Je passe bien sûr sur le temps de préparation des cours (en moyenne une demi-journée de préparation par heure de cours sur un sujet nouveau), sur les surveillances d’examen, les corrections, les réunions pédagogiques, la production des maquettes d’enseignement, etc. Tout ceci fait globalement que l’on estime en France à 50 % du temps de travail le temps que passent les enseignants-chercheurs en enseignement. De mes séjours aux États-Unis, je me rappelle que les professeurs avec lesquels je travaillais là-bas avaient une charge d’enseignement bien plus légère, autour de 50 à 60 heures par an. Un enseignant-chercheur américain est donc naturellement plus productif en termes de recherche qu’un enseignant-chercheur français, c'est mathématique ! Par ailleurs, le classement de Shanghai - qui s’applique pourtant à des universités - ne prend pas en compte la qualité de l’enseignement délivré autrement qu’au travers des critères que j’évoquais plus haut. Si un médaillé Fields ou un prix Nobel est sans aucun doute un chercheur qui a très largement contribué à l’avancement des connaissances de son domaine, celui-ci n’en est pas pour autant, forcément, un excellent enseignant.

Deux autres points défavorisent sensiblement les universités françaises. En premier lieu, l’organisation de la recherche fait qu’au sein des universités, celle-ci est conduite très largement par les chercheurs des organismes de recherche telle que le CNRS, l’INSERM, l’INRIA, le CIRAD, voire l’INRA. Les prix Nobel, les médailles Fields, les publications de ces chercheurs ne sont pas prises en compte dans le classement de Shanghai si la filiation officielle de ses personnels est celle des organismes de recherche puisque ceux-ci ne sont pas considérés comme des universités. On peut donc estimer qu’une part non négligeable des items mentionnés plus haut, fruit de l’activité des personnels des organismes, passe sous les radars de la Shanghai Ranking Consultancy.

Enfin, quid de la fameuse efficacité de l’euro investi ? Ainsi que je décrivais plutôt dans des articles dédiés au fonctionnement de la recherche (1-3), les moyens attribués aux organismes comme aux universités en France sont limités, pour ne pas dire plus. Ainsi, le budget annuel de l’Université Paris-Saclay, première université française du classement, est de l’ordre de 330 millions d'euros auquel s’ajoutent les salaires des 9000 enseignants, soit autour de 450 millions, d’euros, donnant un budget consolidé de l’ordre de 900 millions d’euros. En comparaison, l’université d’Harvard à un budget consolidé de l’ordre de 4 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent les donations de ses riches anciens élèves lors d’appels à dons pouvant atteindre ponctuellement 2 à 3 milliards de dollars, le tout permettant de rémunérer environ 3000 enseignants. L’université d’Harvard accueille environ 18 000 étudiants, celle de Paris-Saclay, un peu moins de 50 000. Le coût annuel par étudiant est donc de 18 000 euros à Paris-Saclay et de.... 220 000 dollars à Harvard, soit 200 000 euros environ. Cette formation est-elle d'une qualité 10 à 12 fois supérieure à celle dispensée à Saclay, ce que son coût suggère, telle est la question ? Or cette efficacité par euro ou dollar investi en matière d’enseignement n’est pas du tout comptabilisée dans le classement de Shanghai. Il est vrai que ce critère, s’il était retenu, poserait un problème d’indicateur(s) bien simplifié en regard du seul comptage des prix Nobel et publications dans des revues dites prestigieuses...

Les biais du classement de Shanghai sont encore bien plus nombreux que ceux que j’évoque ci-dessus. Je voudrais cependant conclure cet article en précisant que cette apparente et satisfaisante 13eme ou 14eme place pour Paris-Saclay cache, en trompe-l'œil,  une vraie misère universitaire*. En sus des difficultés de la recherche en France évoqués plus tôt (1-3), il faut comprendre que cette place qui semble honorable n’a été obtenue qu’aux prix d’artefacts multiples. Le premier, qui a fait du bruit parmi les personnels de la recherche, a été de demander à l’ensemble des chercheurs CNRS, INRIA, INSERM, CEA, etc. travaillatn des des structures liées à Paris-Saclay d’abandonner leur affiliation à leurs organismes, pour ne conserver que l’affiliation à Paris-Saclay. Devant les protestations des chercheurs, bien plus vigoureuses d’ailleurs que celles des organismes de recherche dont les directions ont assez lâchement conservé le petit doigt sur la couture du pantalon, un motus vivendi a été trouvé. C’est l’affiliation à Paris-Saclay qui apparaît la première, suivie de l’affiliation à l’organisme de recherche... Ceci permet donc de gonfler très artificiellement le « CV » de Paris-Saclay en y incorporant le nombre des publications, et des publications de qualité, ainsi que les prix Nobel ou autre médailles Fields, obtenus par des chercheurs rémunérés par d’autres entités. Deuxième biais, et non des moindres, ce classement élogieux a été obtenu en agrégeant à l’université d'origine, Paris-Sud, des structures non universitaires. Ainsi, à Paris-Saclay, des laboratoires entiers du CEA, du CNRS, de l’INRA, des services des hôpitaux tels que le Kremlin-Bicêtre, de l’Institut de physique, pour n’en citer que quelque uns, originellement laboratoires appartenant en propre à ces organismes, ont été regroupés, pour certains à marche forcée, dans l’université. Bref, méfiance donc en ce qui concerne la signification et les interprétations relatives à ce classement. Je rappelle d'ailleurs que l’annexe du décret de création de Paris-Saclay proposait cette création regroupant « 13 % du potentiel de recherche français » avec pour objectif clair de « figurer parmi les plus grandes institutions universitaires mondiales » (4), mais sans une augmentation drastique de ses moyens, ce super « think-tanker » comme je l’appelle, pourrait ressembler à une coquille non pas vide, mais bien creuse, et ce quels que soient les efforts méritoires de mes anciens collègues. 

__________________

* ce que je dis de Paris-Saclay est en grande partie également vrai pour tous les regroupements récents d'universités françaises.

 

Références :

1. Misère de la recherche publique française. I. Organisation et financements
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/05/misere-de-la-recherche-publique.html

2. Misère de la recherche publique française. II. La méconnaissance des dirigeants.
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/06/misere-de-la-recherche-publique.html

3. Misère de la recherche publique française. III. Entre défiance et évaluation permanente.
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/06/misere-de-la-recherche-publique_5.html

4. Soazig Le Nevé. Paris-Saclay, première université française à percer dans le classement de Shanghai. Le monde. Août 2020.

 

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Salle de TP-Université Paul Sabatier de Toulouse.
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jeudi 12 août 2021

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET FLUX MIGRATOIRES



Le dernier rapport du GIEC est particulièrement inquiétant dans la mesure où il révèle une augmentation plus rapide qu’anticipée de la température moyenne mondiale. Parmi les conséquences de cette élévation, la fonte des calottes polaires et des glaciers pourrait se traduire par une augmentation sensible du niveau des mers. Cette augmentation concernera au premier chef des zones côtières basses, dont la plupart sont fortement peuplées, et jouent des rôles fondamentaux en termes de production agricole, entraînant très probablement des flux migratoires massifs.

Selon différentes sources, le niveau moyen de l’océan aurait augmenté de 20 cm au cours du XXe siècle, mais cette élévation s’est accélérée à partir des années 90 puisqu’au cours des seules 30 dernières années, l’élévation atteint plus de 9 cm (voir par exemple 1, 2, 3), avec une moyenne annuelle de l’ordre de 3,5 mm.

Cette élévation est due principalement à 2 phénomènes : le plus évident est celui que j’évoquais plus haut et il est lié à la fonte générale des glaces sur la planète en lien direct avec le réchauffement. Le second phénomène est moins connu : il s’agit de la dilatation de l’eau sous l’effet de l’élévation de la température. Les océans sont un des volants de régulation thermique mondiaux puisqu’on estime qu’ils auraient absorbé 93 % du surplus d’énergie engendré par le réchauffement climatique (3). Depuis les années 70, leur température monte d’environ 0,1 degré par décennie, et ce réchauffement est perceptible jusqu’à 3000 m de profondeur (4). Or une eau chaude occupe plus de place qu’une eau froide ; à l’image de ce qui se passe avec les métaux, elle se dilate sous l’effet de la chaleur. La contribution de la dilatation de l’eau océanique à l’élévation du niveau des mers est encore débattue mais on estime qu’elle pourrait être responsable de 30 à plus de 95 % de l’élévation repérée. Les modélisations basées sur une élévation moyenne de température de l’ordre d’un degré et demi d’ici à la fin de ce siècle, valeur dont on sait grâce au dernier rapport du GIEC qu’elle sera dépassée, prédisaient dans ces conditions une élévation moyenne du niveau des mers de l’ordre de 1 à 3 mètres. Des scénarios pessimistes postulent avec une augmentation atteignant, avec même moins de 4°de réchauffement, une élévation des niveaux des mers minimale de 5 mètres (3,4).

Tous les chiffres précédents résultent bien sur d’estimations. Il est aujourd’hui impossible de prédire très exactement l’élévation du niveau des mers à l’horizon 2100, en particulier parce qu’il existe un fort décalage entre l’augmentation de température de l’air et l’augmentation de la température de l’eau de mer. Il convient cependant de rappeler ici qu’environ 30 % de la population mondiale (soit 2 milliards de personnes) vit à moins de 100 km d’une côte, que la moitié des grandes villes du monde se trouvent sur un littoral et que près de 3 milliards d’êtres humains dépendent des ressources en protéines d’origine marine (3, 4). Or, en cas d’élévation du niveau des mers, ce seront donc ces zones cotières, ces villes et des deltas de fleuves, régions extrêmement fertiles qui seront touchées. Il est instructif de visualiser ce qui se passerait dans le monde en retenant l’hypothèse basse (1 mètre) et l’hypothèse haute (5 mètres). Ceci est possible vrai plusieurs sites en ligne (5). Là encore, il s’agit de simulations à considérer prudemment, mais elle donnent une idée de l’ampleur des catastrophes potentielles. Avec 1 mètre d'élévation, nous perdons en France une bonne partie de la Camargue, une partie des estuaires de la Loire et de la Garonne, une partie des marais du Cotentin et du Bessin et une grande partie de l’Audemarois et du Dunkerquois. Au niveau Européen, c’est en Belgique et aux Pays-Bas que la montée des eaux sera la plus perceptible, avec un risque de submersion de la moitié du territoire hollandais. D’autres régions majeures telles que l’est de Londres, le Cambridgeshire en Angleterre, ainsi que les région de Hambourg et Breme en Allemagne seront aussi touchées. En Italie, le golfe de Venise serait submergé sur une longueur de plus de 200 kilomètres, de Ravène à Trieste. Au niveau mondial, les problèmes seront concentrés dans le delta du Nil, particulièrement dans sa région ouest, les deltas du Gange et de l’Indus en Inde, la baie de Nagoya au Japon, le nord de Jakarta en Indonésie, une partie de la Californie à l’Est de San Francisco, la partie méridionale de la Louisiane au sud de La Nouvelle Orléans aux Etats-Unis pour ne citer que les principales. Avec 5 mètres d’augmentation, les mêmes régions seront davantage touchées, et certaines disparaîtront, comme la zone comprise entre les estuaires de la Garonne et la Charente, et les villes du Havre, Calais, Dunkerque en France. En Europe, Londres est affectée, et exit toute la partie ouest de la Belgique (15 % de son territoire) avec une bonne partie du port d’Anvers sous l‘eau. Les Pays-Bas perdent les 2/3 de leur superficie, et le grand port de Rotterdam n’est plus. Hambourg est en partie submergée. La Crimée redevient une île… Dans le monde, des villes majeures auront aussi disparu ou seront en partie submergées, comme Alexandrie en Egypte, Mumbai en Inde, Shanghai et Changzhou en Chine, Kobe, Osaka, Nagoya, et Tokyo au Japon, Seattle, Jakarta en Indonésie, La Nouvelle Orléeans, Mobile, et New York aux USA.

Ces submersions entraîneront des problèmes d’approvisionnement en nourriture, avec la perte de zones de riziculture, et des problèmes de remontée d’eau salée vers les terres fertiles. Je n’ai également pas mentionné les risques de perte de productions aquacoles ou halieutiques en lien avec le réchauffement de l’océan, la réduction des concentrations d’oxygène dissous et son acidification, conséquence de son absorption du CO2. Egalement, des problèmes de logistique se feront très probablement jour, avec les disparitions de zones de productions et de ports majeurs, d'un niveau imprévisible actuellement, mais dont on peut mesurer l’ampleur à venir au travers de la réduction de la production de microprocesseurs ou mémoires vives en Asie, lors de tremblements de terre, tsunamis, ou événements climatiques pourtant limités à une zone restreinte. Quant on connaît la dépendance de nos sociétés à l’électronique et à l’informatique, des raisons d’inquiétudes existent sur le maintien du fonctionnement de nombreux services...

Enfin, last but not least, nous nous retrouverons confrontés à des problèmes énormes de déplacement de populations. Dans ce domaine, aussi, les prévisions relatives à l’amplitude de ces déplacements donnent des « fourchettes », avec des valeurs basses de l’ordre de 80 à 220 millions de déplacés (6) d’ici à 2050, valeurs en accord avec celle de la Banque Mondiale. Dans le même temps, l'ONU annonce un risque de voir jusqu'à 1 milliard de personnes déplacées sur la même période (7), en raison de l’élévation du niveau des mers, mais aussi des sécheresses dans d’autres régions, combinées à une faible disponibilité d’énergie électrique et de pertes de la biomasse végétale utilisée comme aliment ou pour cuire les aliments (8). Ces flux migratoires ne sont pas à venir. Ils sont déjà à l’oeuvre aujourd’hui, avec nombre de migrants se déplaçant de l’Afrique vers l’Europe ou de l’Amérique centrale vers l’Amérique du Nord, avec les difficultés et les pertes en vies humaines que l’on connaît, mais qu'on ne veut pas voir. En sus de l’obligation de mettre en place de mesures environnementales fortes permettant de limiter réchauffement et élévation du niveau des mers, il faut se préparer à un accroissement des flux migratoires. Quand je vois comment 90 pauvres gens, venus du bout du monde pour échapper à la guerre et à la famine, ont été (mal)traités sur notre commune voilà quelques années déjà, je me dis que le chemin sera long et difficile, mais sans préparation il s’imposera de façon bien plus prégnante et conflictuelle. Qu’on se le dise !



Références :

1. Elévation du niveau des mers.
Page wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89l%C3%A9vation_du_niveau_de_la_mer

2. Nathalie Mayer. De combien va s’élever le niveau de la mer ? Futura Planète. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-va-elever-niveau-mer-577/

3. Plateforme océan et climat - Océan et changement climatique : les nouveaux défis. Focus sur 5 grands thèmes du rapport spécial « Océan et cryosphère », 40 pages. Septembre 2019.
Consultable en ligne :
https://ocean-climate.org/wp-content/uploads/2019/09/fiches-DEF.pdf

4. Océans. Climat.be. Le site fédéral belge pour une information fiable sur les changements climatiques.
Consultable en ligne :
https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/oceans

5. Sites de simulation en ligne :
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php
http://flood.firetree.net/?ll=48.3416,14.6777&z=13&m=7

https://www.floodmap.net/

6. Alassane Diallo, Yvan Renou. Changement climatique et migrations : qualification d’un problème, structuration d’un champ scientifique et activation de politiques publiques. Mondes en développement 2015, 172, 87-107.
Lu sur Cairn-info.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/journal-mondes-en-developpement-2015-4-page-87.htm

7. Dominique Pialot. Migrations : la bombe à retardement climatique. La Tribune. Juillet 2018.
Consultable en ligne :
https://www.latribune.fr/economie/international/migrations-la-bombe-a-retardement-climatique-784546.html

8. Baher Kamal. Climate Migrants Might Reach One Billion by 2050. Inter Press Service – News Agency. Août 2017.
Consultable en ligne :
https://reliefweb.int/report/world/climate-migrants-might-reach-one-billion-2050



Crédit illustration :

Modélisation d'une élévation de 5 mètres du niveau des eaux à l'échelle des Pays Bas.
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php




dimanche 8 août 2021

IL N’Y AURA PROBABLEMENT PAS D’ÉPIDÉMIE D’EBOLA EN FRANCE




Certains prophètes du malheur, du genre collapsologistes, nous prédisent qu’en sus de l’épidémie de CoViD-19, nos pays seront prochainement touchés par la fameuse fièvre hémorragique africaine. Je ne le pense pas et j’explique pourquoi.


Plusieurs raisons permettent d’envisager que la survenue d’une épidémie de fièvre hémorragiques en Europe est hautement improbable. Avant de les présenter, je précise cependant que je pense que l’apparition d’autres épidémies à coronavirus sont, elles, possibles. Certaines pourraient d’ailleurs être bien plus mortelles que l’actuel épidémie de CoViD-19. Je me fonde pour dire cela sur la parenté de l’actuel coronavirus, le SARS-COV2, avec le SARS-COV-1, agent du SARS ou syndrome respiratoire aigu sévère. Le SARS a causé en 2002 et 2003 environ 800 décès dans le monde. Si le taux de létalité moyen de la CoViD-19 est de l’ordre de 2 à 3%, toutes catégories de population confondues, il peut atteindre 18% pour les plus de 65 ans, ce taux augmentant encore avec l’âge. Pour le SARS, le taux de létalité global est de 10 à 15 % et il peut dépasser 50 % chez les personnes de plus de 65 ans (1). Ces deux coronavirus se transmettent d’homme à homme de la même façon, par voie aérienne, principalement par des gouttelettes de salive contaminées. On peut également citer le cas du MERS, syndrome respiratoire du Moyen-Orient, lui aussi causé par un coronavirus, le MERS-CoV. La maladie a affecté 1219 personnes, dont 449 sont décédées, soit un taux de létalité moyen de 37% (2). Cette maladie est contenue, heureusement, car il n’existe pas encore de vaccin, même si des résultats encourageants ont été obtenus en 2020 sur des singes, et même si on peut espérer que les progrès des technologies ARN devraient nous fournir des candidats vaccins rapidement. Il est à noter que ces trois épidémies sont causées par des coronavirus, deux d’entre eux, les SARS-COV1 et COV2 présentant des très fortes similarités avec des virus de chauves-souris, d’où leur origine supposée. Le MERS-CoV ressemble, lui, à un virus du dromadaire. Dans les trois cas, le passage de l’animal à l’homme est supposé résulter de la fréquentation de marché d'animaux vivants (SRAS et CoViD-19), ou de la consommation de lait et de fromage crus, ou du contact avec les excréments de ces animaux (MERS).

La fièvre hémorragique Ebola fait aussi très peur à certains en raison des forts taux de létalité constatés en Afrique (de 30 à 90% environ selon les régions et les souches) et en raison de l’absence supposée de traitement. Cette maladie fait partie du groupe des fièvres hémorragiques causées par une famille de virus non apparentés au coronavirus (bien que virus à ARN), les filoviridae. Un des ces virus, appelé virus Marburg, anciennement virus de la maladie du singe vert, pose également des problèmes en Afrique, où il a été responsable de plusieurs épidémies locales présentant un taux de létalité à peine inférieur au virus Ebola. Comme celui-ci, tous deux ont pour hôte naturel une chauve-souris, la roussette d'Égypte, la contamination humaine résultant de la fréquentation des grottes ou réside cet animal par des Hommes (3), ou de la chasse de singes contaminés par la chauve souris et de leur consommation.

Alors pourquoi pas de risque épidémique majeur en France ? Tout d’abord, ces virus sont très majoritairement localisés en Afrique, en raison de la distribution géographique de leur hôte naturel limité pour le moment à la région sub-sahélienne et de la haute vallée du Nil. Rien ne prouve cependant que cet hôte ne puisse remonter plus au nord, surtout en regard des changements climatiques en cours. De plus, un filoviridae apparenté (le virus Lloviu) a été identifié en Espagne, dans les Asturies, également chez une chauve souris colonisant les régions nord de l’Afrique et sud de l’Europe (4). Malgré la présence humaine dans les grottes où habitent ces chauves souris, aucune maladie associée à ce virus n’a été répertoriée, suggérant que cet agent est non pathogène pour l'Homme. Par ailleurs, le mode de transmission d’Ebola d’Homme à Homme n’est pas aérien, mais résulte de contact avec des fluides de patients (sang, urine, selles et sueur, par contact direct ou par contact avec des surfaces contaminées). La transmission est moins efficace qu'avec un virus à transmission aérienne, d'autant que les patients Ebola ne sont contaminants que lorsqu'ils sont malades et le restent en revanche quelques semaines après leur guérison. La mise en quarantaine des patients et de leurs proches peut donc permettre de circonscrire efficacement l’épidémie. Quant aux soins, même s’il n’existe pas de traitement grand public de la maladie, ceux-ci sont a priori plus faciles d’accès en Europe que dans des régions isolées d’Afrique. Une épidémie aurait donc peu de risque de s’y étendre « car elle y serait plus rapidement circonscrite grâce à l’information, aux infrastructures et aux conditions de soins de santé qui ramèneraient probablement la mortalité sous les 25 % » (5). Confortant ce propos, tous les cas d'Ebola découverts en Europe ont été traités sans aucune contamination des personnels soignants, et sans aucun signe de développement épidémique de la maladie. 

Dernier point : des traitements expérimentaux contre Ebola existent, dont certains mettent en œuvre des anticorps recombinants et ceux-ci ont déjà permis de sauver les vies de tous les patients traités (moins d’une dizaine). L’organisation mondiale de la santé (OMS) a publié il y a quelques années une liste des molécules en cours d’essais (6). L’examen de ces produits montre cependant que la plupart restent d’accès limité voire très limité mais une émergence de la maladie à tendance épidémique en Europe entraînerait sans aucun doute une accélération rapide de la production des molécules à visée thérapeutique. A cet égard, on peut regretter que cela ne soit pas le cas pour l'Afrique ! Enfin, des vaccins ont été développés et certains, en phase III, ont été testés dans les régions africaines à risques. Ces vaccins ne ciblent qu’une ou deux souches de virus Ebola, les plus courantes, mais sont suffisamment actifs pour faire l’objet d’autorisations de mise sur le marché en Europe (2019) et en France (2020). Ainsi, le vaccin vivant atténué (anti-Ebola souche Zaïre), administré en une seule injection, montre une efficacité comprise entre 65% et 100% en prévention de la maladie à virus Ebola, avec des effets indésirables comparables à ceux des autres vaccins injectables de l’adulte (7). Il confère une protection de plusieurs années aux populations vaccinées. Par ailleurs, des essais sont en cours autour de stratégies vaccinales généralistes avec, là aussi des résultats très prometteurs. En particulier, un vaccin recombinant utilisant comme vecteur un adénovirus (vecteur très semblable à celui des vaccins Astra Zeneca contre le SARS-CoV2) semble conférer une immunité croisée contre quasiment toutes les souches de virus Ebola ainsi que contre le virus Marburg évoqué plus haut (8), mais il nécessite d'effectuer des rappels pour être totalement efficace. Tous ces éléments font qu'il n’y a, aujourd’hui, aucune raison de propager des propos qui tendraient à faire croire à une prochaine épidémie d’Ebola en Europe.


Références :


1. Fiche SARS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/sras

2. Fiche MERS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/mers-cov

3. Virus Ebola
Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus_Ebola

4. Negredo et al. Discovery of an Ebolavirus-Like Filovirus in Europe. PLoS Pathogens. Octobre 2011.
Consultable en ligne :
https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1002304

5. Catherine Solano (médecin).
A propos d'Ebola. passeport santé.
Consultable en ligne :
https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=ebola-l-opinion-de-notre-medecin-a-propos-d-ebola


6. Recommandations transitoires - Traitements et vaccins potentiels contre le virus Ebola. Organisation mondiale de la santé. Novembre 2014.
Consultable en ligne :
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/145196/WHO_EVD_HIS_EMP_14.1_fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y


7. Haute autorité de santé. Vaccin contre le virus Ebola : une avancée majeure en réponse à une urgence de santé publique mondiale. Comuniqué de presse. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.has-sante.fr/jcms/p_3159990/fr/vaccin-contre-le-virus-ebola-une-avancee-majeure-en-reponse-a-une-urgence-de-sante-publique-mondiale

8. Andrew J. Pollard et al. Safety and immunogenicity of a two-dose heterologous Ad26.ZEBOV and MVA-BN-Filo Ebola vaccine regimen in adults in Europe (EBOVAC2): a randomised, observer-blind, participant-blind, placebo-controlled, phase 2 trial. Lancet Infectious Diseases. Avril 2021.

et

Bavarian Nordic. Ebola : MVA-BN Filo. Phase 3 trials.
Consultable en ligne :
https://www.bavarian-nordic.com/pipeline/mva-bn-filo.aspx


Crédit illustration :

Le courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/2014/10/08/ebola-la-contagion-des-esprits


jeudi 5 août 2021

MISE EN EXAMEN DU GARDE DES SCEAUX. LA POSITION D'ANTICOR.


Anticor est une association fondée en juin 2002 par le juge M. Éric Halphen et Mme Séverine Tessier, femme politique française engagée pour l'éthique dans la vie publique. L'objet de l'association est la lutte contre la corruption et le rétablissement éthique des pratiques politiques. Cette association, dont je suis membre, regroupe des citoyens et des élus de toutes tendances  engagés pour faire respecter les exigences démocratiques non partisanes.

Je publie aujourd'hui, in extenso, le message que nous avons reçu de l'association tant il me semble important de battre en brèche certaines contre-vérités, pour en pas dire mensonges, propagées par quelques membres du parti dirigeant et leurs acolytes médiatiques, en particulier sur les réseaux dits sociaux.

Le texte qui suit n'est donc pas de moi. J'y souscrits cependant sans réserve tout en rappelant que mise en examen n'est en aucun cas synonyme de culpabilité. 

____________________________________


Chères Sympathisantes, chers Sympathisants,


Le 16 juillet dernier, le Ministre de la Justice a été mis en examen. C'est un tremblement de terre : dorénavant, c'est un Ministre dont des juges indépendants ont estimé qu'il avait peut-être commis une infraction qui va définir la politique pénale de la Nation et demander aux procureurs de France de la mettre en œuvre.

Dans cette affaire, de nombreuses contre-vérités ont été véhiculées par le monde politique et dans la presse.

Il a par exemple été dit que cette affaire est le fait de quelques magistrats syndiqués, qui veulent faire tomber leur ministre. Peu de médias ont retenu que cette affaire a en réalité été initiée par Anticor, qui a porté plainte le 6 octobre 2020, plus de deux mois avant les syndicats de magistrats.

Ensuite, l'idée que ce sont ces syndicats de magistrats qui ont mis en examen le ministre a inondé les réseaux sociaux. Or, c'est la Cour de Justice qui a mis en examen M. Dupond Moretti. La Cour de Justice est une juridiction d'exception exclusivement chargée de juger les membres du gouvernement. Son existence même est une anomalie démocratique car elle met en péril le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.

En revanche, il est faux de considérer, à ce stade de la procédure, que la Cour de Justice est une juridiction politique. Sous couvert d'une complexité exacerbée, personne n'a pris le temps d'en expliquer le fonctionnement.

Nous prenons le temps de cette mise au point, car elle est fondamentale.

La Cour de Justice compte trois formations distinctes [dont] :

- La Commission des requêtes, qui juge de la recevabilité d'une plainte : elle est composée de trois juges de la Cour de cassation, la juridiction suprême de l'ordre judiciaire, deux juges du Conseil d'État, juridiction suprême de l'ordre administratif et de deux magistrats de la Cour des comptes, juridiction à la tête du contentieux financier. Ce sont donc des juges indépendants, qui en janvier 2020, ont considéré que la plainte d'Anticor était recevable et devait être instruite. Ils ont donc renvoyé le dossier au procureur de la République près la Cour de cassation, M. Mollins, qui a, par un réquisitoire circonstancié, saisit la commission d'instruction de la Cour de Justice ;

- La Commission d'instruction, qui auditionne les parties prenantes, m'a auditionnée, en qualité de présidente de l'association, durant plus de quatre heures et a auditionné les dirigeants des syndicats de magistrats, le Premier ministre et le Garde des Sceaux. Cette commission est composée de trois autres juges de la Cour de cassation, qui sont des juges dont l'indépendance est protégée par la Constitution. Ce sont ces trois juges qui ont décidé de la mise en examen du Ministre de la Justice. Cela signifie qu'ils ont considéré que des indices graves ou concordants laissaient penser que le Ministre a commis l'infraction pénale de prise illégale d'intérêts.

Alors que les politiques et médias ont dénoncé une mise en examen politique, il est important de souligner qu'il n'y a rien, à ce stade, de politique dans la composition de la Cour de Justice.

La prochaine étape, dans l'hypothèse où le Garde des Sceaux serait « renvoyé en correctionnelle », est celle du jugement. La formation de jugement de la Cour de Justice est celle qui pose éminemment problématique car elle est, elle, fondamentalement politique. Elle est composée de trois autres juges de la Cour de cassation mais aussi et surtout de douze parlementaires, élus par les assemblées.

Parmi ces parlementaires figurent six députés :
M. Philippe GOSSELIN (LR) ;
M. Charles de COURSON, juge titulaire (centriste)
M. Didier PARIS, juge titulaire (LREM)
Mme Alexandra LOUIS, juge titulaire (LREM)
Mme Naïma MOUTCHOU, juge titulaire (LREM – démissionnaire), remplacée par M. Jean-Michel MIS, juge suppléant (LREM)
Mme Laurence VICHNIEVSKY, juge titulaire (Mouvement démocrate)

Et six sénateurs :
Mme Chantal DESEYNE, juge titulaire (LR)
Mme Catherine DI FOLCO, juge titulaire (LR)
M. Jean-Luc FICHET, juge titulaire (PS)
M. Antoine LEFÈVRE, juge titulaire (LR)
Mme Evelyne PERROT, juge titulaire (Union des démocrates et indépendants)
M. Teva ROHFRITSCH, juge titulaire (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants)

C'est donc cette seule composition de « jugement » qui révèle une intense politisation de la Cour de Justice. C'est la raison pour laquelle Anticor réclame la suppression de cette juridiction depuis toujours. Pour François Colcombet, ancien membre de cette juridiction : « La CJR est une juridiction faite par des élus pour des élus. [...] Il y a une espèce de réflexe de la classe politique qui se protège elle-même. »

En effet, comment dans une démocratie, peut-on justifier que des Ministres, au lieu d'être jugés par des juges comme tout citoyen, soient jugés par des parlementaires, dont certains de leur parti et d'autres, de partis différents, et dont juger n'est pas le métier ?

Cette opinion est d'autant plus fondée que ce privilège de juridiction est aussi une exception française.

Aussi, quand bien même Anticor rappelle qu'à ce stade, toutes les décisions prises dans l'affaire Dupond-Moretti ont été prises par des juges indépendants, l'association maintient que dans une démocratie, une juridiction d'exception pour juger les ministres ne devrait pas exister.

À bientôt,

Élise VAN BENEDEN
Présidente d'Anticor



Crédit illustration :

Page Wikipédia consacrée à M. Dupond-Moretti