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samedi 2 décembre 2023

À FORGES, UN SYMBOLE DE NOËL TRÈS PERTURBANT !

Noël approche, et l’on commence à voir, de ci, de là, les traditionnels éléments décoratifs de fin d’année. Dans notre commune, un de ces éléments, déjà apparu l’année dernière, semble s’être multiplié au cours des douze derniers mois. Et il est plus que symbolique…

Autant le préciser tout de suite, je n’ai rien contre les symboles de Noël. Même s’il s’agit d’une fête religieuse avant tout, c’est aussi, nolens volens, une fête familiale, un repère dans l’année qui perd de fait et en grande partie aujourd’hui sa signification religieuse. Étonnant retour de l’histoire d’ailleurs, puisque la date exact de la naissance de Jésus de Nazareth est inconnue. Le choix de la date de Noël au 25 décembre correspond en fait à la période postérieure au solstice d’hiver, à celle du retour de la lumière aux plus fort des ténèbres, ce qui a pu facilement être associé avec la naissance « d’un messie » (1) dans un contexte de développement du christianisme.

Il est raisonnable de penser que l’étalage des décorations lumineuses de cette fin d’année s’explique de la même façon, que ces décorations se trouvent sur nos maisons ou dans notre sapin. On trouvera d’ailleurs dans la référence précédente l’origine de ces sapins de Noël. Leur présence ramène loin dans l’antiquité romaine, où il était fréquent d’utiliser des variétés végétales « sempervirentes » pour décorer les maisons, c’est à dire des plantes restant toujours vertes tout au long de l’année, symboles de vie. L’arrivée du sapin est bien postérieure, et elle reste sujette à de multiples explications (1,2,3) qui retracent cependant la provenance de cet usage en Europe de la Baltique, ou en Alsace, ou dans une région se trouvant aujourd’hui en Allemagne.

Autres éléments décoratifs, les chaussettes, ou plutôt les bas de Noël. Ceux-ci trouveraient leur origine dans la légende de Saint Nicolas, qui voulait aider un homme pauvre et veuf à payer les dots de ses trois filles. Craignant que cet homme ne refuse son aide, et que ses filles ne trouvent mari, il plaça alors une boule d’or dans les bas des jeunes femmes qui séchaient devant la cheminée… Selon les origines, ces mêmes boules ont ensuite agrémenté les sapins de Noël, bien que plusieurs auteurs indiquent qu'initialement, ces décoration auraient plutôt été des fruits secs dont se régalaient petits et grands…

Impossible de terminer ce rapide tour d’horizon sans parler du Père Noël, dont la naissance est attribuée, en grande partie à tort, à la firme américaine Coca-Cola. En effet, il existe de fortes ressemblances entre le personnage bardé de rouge et blanc, symbole de Noël, et Saint Nicolas lui-même, souvent représenté avec barbe blanche et longue cape rouge… De plus, on trouve des allusions au Père Noël dès le XIXe siècle, dans deux contes de Noël écrit par Clement Clarke Moore, professeur de théologie et de littérature grecque, et poète américain. Dans « The night before Christmas » (la veille de Noël), un personnage semblable au Père Noël apparaît dans son traîneau tiré par des rennes. « Ce même auteur rédigea un texte intitulé « A Visit From St Nicholas » (la visite de St Nicolas) qui parut dans le journal « Sentinel » de New York le 23 décembre 1823. Ce texte parlait de lutins qui distribuaient des cadeaux aux enfants par la cheminée et se déplaçaient dans une carriole tirée par 8 rennes » (4). La représentation caractéristique n’apparut qu’en 1863 dans le magazine « Harper’s Illustrated Weekly », ou Santa Claus (déformation de Sinter Klass, nom batave de Saint Nicolas, importé par les émigrants hollandais aux Etats Unis) fut dessiné par Thomas Nast, vêtu d’un costume garni de fourrure blanche et portant un large ceinturon de cuir (4). Coca-Cola ne fit que réemployer ces représentations dans les années 30, en demandant au dessinateur Haddon Sundblom d’utiliser la même charte de couleur que celle utilisée par la firme américaine. Le Père Noel était déjà rouge et blanc, mais il devenait alors conforme au standard graphique de Coca-Cola.

Venons-en au fait. On retrouve ces couleurs de Noël sur les éléments décoratifs de notre commune, qui semblent s’être multipliés ces derniers temps, et qui sont… des barrières ! Oui, les lecteurs m’ont bien lu, des barrières comme symboles de Noël. A Forges, on fait du lourd, sans se rendre compte du message subliminal. La barrière représente, en effet, ce qui divise, ce qui sépare, pas ce qui unit. La barrière est d’ailleurs le symbole des frontières, de l’exclusion, de ce qui tient l’autre à distance. Elle est aussi symbole de fixité, d’absence de mouvement, tout ce que nous constatons dans notre commune depuis trois ans. La barrière permet de dire une différence, entre riches et pauvres, entre dominants et dominés, entre le dehors et le dedans, sans doute entre monde matériel et monde spirituel, mais aussi et surtout entre eux et nous… C’est donc un symbole fort qu’ont choisi les élus de notre commune, repliés dans leur entre-soi, qui sont - et comment s’en étonner - précisément en grande partie ceux qui ont refusé l’accueil de l’autre, du faible, du plus petit voilà quelques années lors du pénible épisode des migrants. Il y a là une cohérence incroyable entre les faits et le symbole. Par voie de conséquence, le rouge et le blanc qui ornent ces « drôles » d’éléments décoratifs forgeois me font davantage penser ici aux couleurs des rubans de police, de la « rubalise », et à celle des panneaux d’interdiction routiers, qu’au costume du sympathique barbu que nous connaissons.

Allez, malgré tout, joyeux Noël à Forges !




Références :

1.Anonyme. Aux origines de Noël, le solstice d'hiver… Futura Sciences.
Consultable en ligne :
https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-origines-noel-solstice-hiver-7151

2. Amy McKeever. Sapin de Noël : entre histoire et traditions païennes. National Geographic. Décembre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/culture-histoire-paienne-tradition-sapin-noel

3. Sapin de Noël. Page wikipedia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sapin_de_No%C3%ABl

4. Anonyme. L’histoire du Père Noel. Noël vert.
Consultable en ligne :
https://www.noel-vert.com/lunivers-de-noel/histoire-pere-noel/



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Document personnel

mardi 5 septembre 2023

L’ABAYA OU LE BONNETEAU DE LA RENTRÉE SCOLAIRE


Impossible, à moins de n’avoir plus aucun contact avec l’information, d’avoir loupé les déclarations de notre jeune et sémillant ministre de l’éducation nationale, M. Gabriel Attal, indiquant l’interdiction du port de l’abaya à l’école dès la rentrée. Cette décision comporte une facette positive, et pose dans le même temps un certain nombre de questions. Elle sert surtout, à mon sens, à masquer les véritables problèmes que les gouvernements Macron n, n+1, n+2, etc. s'échinent à ne pas traiter, on verra pourquoi...

Un mot pour parler de cette abaya, vêtement consistant en une robe longue et large, à l’origine portée par les femmes des populations bédouines, puis adoptée par certaines au Moyen-Orient et au Maghreb, plus rarement en Indonésie et en Malaisie. Contrairement à ce qui est propagé par certains, l’abaya n’est pas un vêtement explicitement religieux. Il n’en n’est fait nulle part mention dans le Coran. Nombre de dignitaires musulmans confirment d’ailleurs ce fait. Ne soyons cependant pas aveugles : l’abaya se porte de plus en plus dans certains pays musulmans, depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’organisations islamistes conservatrices. Il ne peut donc être exclu que des pressions soient exercées sur certaines jeunes, au sein de familles traditionalistes, pour « inciter » leurs filles à s’affubler de ce vêtement, y compris en France. Il s’agirait donc dans ce cas d’une forme d’oppression à connotation religieuse, et même si l’abaya n’en comporte aucune à l’origine, on se trouverait alors en face d’une instrumentalisation de l’objet.

Je ne rentrerai pas dans le débat actuel autour de la « police du vêtement » ou de la stigmatisation de certains, car ce serait participer au bruit de fond ambiant, et donc devenir facilitateur des objectifs poursuivis par notre ministre. Soit dit en passant, les règles vestimentaires existent dans tous les pays du monde y compris en Europe, souvent en lien avec un contexte religieux, certes, mais pas toujours. Remarquablement, la très grande majorité concerne la population féminine, pour laquelle ces règles constituent souvent le socle d’une forme de contrôle social. Je disais plus haut que cette décision relative au port de l’abaya, pour discutable qu’elle soit (ce, au sens premier du terme, c’est-à-dire sujette à discussion), voire disputable (quasiment au sens de la disputatio médiévale, visant à progresser dans une recherche commune de la vérité), présente un seul aspect positif : celui de ne pas laisser les chefs d’établissements seuls face à une décision à prendre. Quelle que soit la solidité des arguments relatifs à l’interdiction du port de ce vêtement, et l'avenir de cette décision en Conseil d'État, au moins la règle est maintenant claire et les élèves et leurs parents informés.

Au-delà, cette décision relève à mon sens du tour de bonneteau, ce jeu où l’on dissimule la carte ou l’objet à trouver sous des gobelets que l’on déplace en trompant le joueur. Le ministre procède ici de même, en désignant quasiment dès sa nomination un pseudo problème comme prioritaire, alors que les vraies priorités, comme la vérité dans les X-files, est ou sont ailleurs ! Le port de l’abaya et les problèmes rencontrés concernent ainsi 500 établissements scolaires selon le ministre lui-même, moins pour certains spécialistes, sur les quelques 60 000 établissements que compte notre pays. On est donc face à un « problème » dont l’occurrence est inférieure à 0,85 %. Difficile d’y voir une priorité, d’autant plus que bien d’autres problèmes concernent eux, un très grand nombre d’établissements... Parmi ces problèmes, parlons tout de suite du manque d’enseignants. À mon sens, celui-ci résulte de deux facteurs principaux. Le premier est la dévalorisation sociale du métier d’enseignant. Depuis des années, ceux-ci ont été moqués, traités de fainéants ayant accepté le poste que pour les congés, voire insultés… Le problème vient d’en haut, de nombre de nos politiques dont l’expression populiste n’avait pour objectif que de dévaloriser la profession, sans doute pour ramasser quelques voix complémentaires très à droite où le prof-bashing (désolé pour l’anglicisme) est un sport national. Dois-je rappeler les propos de M. Nicolas Sarkozy, président de la république et repris de justice à la syntaxe par ailleurs souvent approximative, disant lors d’une interview « [qu’un] professeur travaille six mois par an », ceux de M. Xavier Darcos « …nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches », ou ceux de Mme Sibeth N’Diaye, affirmant sans rire, lors du confinement, que « …les enseignants ne travaillent pas parce que les établissement sont fermés », alors qu’il leur faillait gérer les cours à distance sans moyens dédiés. Tout cela pour ne citer que trois exemples. Certes, les professeurs ne sont pas tous bons ou excellents, et la structure éducation nationale (EN) où le « pas de vagues » règne en maitre, ne les aide pas dans leurs missions. Mais même « moyens », nos enseignants ne méritent pas le mépris auquel ils sont confrontés. Ce mépris, qui est de fait un mépris de classe, a percolé dans la population et se retrouve dans les discours de café du commerce où l’on dit pis que pendre de ces pauvres profs, ce jusque dans notre commune où des enseignants grévistes ou malades ont été accusés par nos si compatissants élus de prendre élèves ou parents en otages !

Le deuxième problème est consubstantiel au premier. Les salaires, même légèrement revalorisés restent faibles, et surtout pour les non-titulaires, travailleurs quasiment corvéables à merci. Quand on dispose d’un master de mathématiques, soit un bac+5, mieux vaut se faire embaucher par une entreprise du monde de la banque ou de l’assurance, plutôt que comme vacataire par l’EN, les salaires de débutants étant au bas mot dans un rapport de 1 à 2, voire 2,5. Résultats des courses : entre dévalorisations sociale et financière, on ne peut que constater une désaffection de nos jeunes pour les métiers de l’enseignement. C’est pour cette raison, i.e. le manque de professeurs, que la récente réforme du lycée a acté la disparition d’enseignements de mathématiques en première et terminale, l’EN n’étant plus en mesure, matériellement, de les assurer. Il en est de même pour le non redoublement, car il faudrait disposer, pour pouvoir les autoriser sans alourdir les effectifs par classe, de 10% d’enseignants du primaire en plus. C’est en grande partie aussi pour cette même raison, le manque de professeurs, que les élèves de certains départements défavorisés, Seine-Saint-Denis en tête, perdent par rapport à ceux d’autres départements une année de scolarité sur la totalité de leur parcours. Cette année encore, et contrairement aux engagements du gouvernement, il manquera plus de 3 150 professeurs, dont plus de 1 300 dans les écoles et 1 850 dans les collèges et lycées. Il manquera aussi plus de 1 500 infirmiers et infirmières scolaires. Je doute d’ailleurs que le gouvernent change quoi que ce soit à cette situation. Tout au plus utilisera-t-il des « astuces » pour pallier les manques évoqués, car il anticipe de facto une baisse régulière des effectifs dans le primaire, puis, dans le secondaire. Celle-ci est évaluée à 500 000 élèves entre 2022 et 2027, dont 400 000 dans le premier degré et plus de 100 000 dans le second degré. Dans ce contexte tendu, la question de l’abaya me semble, non pas dérisoire, mais certainement aucunement prioritaire à traiter... Elle est en revanche beaucoup plus facile à « aborder », même si la décision actuelle ne la règle en rien au fond. Elle est aussi, sans aucun doute, plus payante politiquement surtout si l'on estime qu'il y aurait, motivant cette agitation subite, des arrières-pensées électorales en regard de la montée du RN ! Bref, l’abaya, tu la vois, tu ne la vois plus, un peu comme ces cartes qui disparaissent mystérieusement dans ce jeu d’escrocs qu’est le bonneteau...



Crédit illustration :

Message de Cécile Duflot sur le réseau X.
Vu sur :
https://www.topito.com/top-differences-robe-abaya





mardi 2 mai 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… ÉCOLOGISTES

L’écologie politique en France : René Dumont candidat (1974)
 
Je poursuis, dans la lignée de mon article précédent, m’intéressant ce jour aux « écologistes politiques », parmi lesquels je compte aussi quelques relations et amis.


Je le dis tout de suite, je m’intéresse aux questions écologiques depuis très longtemps, depuis la campagne électorale menée par René Dumont en 1974. Je n’avais pas le droit de vote à l’époque, mais je m’étais très attaché à comprendre les propos de cet agronome. Si on les reprend aujourd’hui, presque 50 ans plus tard, on ne peut que constater qu’il avait vu juste sur nombre de points. Vêtu de son traditionnel pull-over rouge, ce militant de la cause environnementale circulait beaucoup à vélo avant que cela ne soit habituel. Il se présentait aussi à la télévision avec une pomme et un verre d’eau sur sa table, pour dire que ces ressources étaient précieuses et qu’elles allaient un jour manquer. Je me rappelle très bien qu’il annonçait aussi les pénuries de carburants fossiles et la hausse de leur coût qui s’en suivrait. Les thèmes qui lui étaient chers, et je cite ici la page Wikipédia qui lui est consacrée (1), étaient « le contrôle des naissances, les économies d'énergie, la coopération internationale avec les pays en développement, et la protection et la remédiation des sols… ». Ajoutons à cela que la politique qu’il prônait, et je cite toujours la même source, était « pacifiste, contre le capitalisme agressif [l'agronome n'a rien contre la propriété foncière si elle n'est pas à l'origine d'un partage trop inégal des fruits du travail et si les droits des agriculteurs sont respectés], pour la solidarité entre les peuples » prenant en compte les intérêts et les fragilités des pays dits en voie de développement.

Ces différents volets ont ensuite été développés dans un courant que l’on appelle l’écologie politique, dont la définition est malaisée, probablement parce qu’elle s’est incarnée dans des mouvements aussi divers que les mouvements pour la paix, les anti-nucléaires, l’écologie libertaire, ou plus près de nous, les zadistes, l’écoféminisme, Greenpeace ou d’une certaine façon, le véganisme, une liste non limitative. Une des « externalités positives » de l’écologie politique est qu’elle a sans aucun doute permis une prise de conscience généralisée de l’urgence qu’il y a à intégrer dans nos activités de tous les jours les contingences imposées par notre vie sur une planète finie. Cette prise de conscience a percolé même parmi les tenants d’un capitalisme échevelé. Je ne citerai par exemple que M. Elon Musk, libertaire et capitaliste assumé, qui déclarait au sujet de nos défis à venir « le changement climatique est la plus grande menace à laquelle l’humanité est confrontée au cours de ce siècle ». Le créateur de Tesla ajoutait que l’objectif de son entreprise était « de contribuer à accélérer le passage d'une économie fondée sur l'exploitation minière et l'énergie fossile à une économie électrique solaire » sans que cette dernière constitue « une solution exclusivement durable ». Il écrivait également que le schéma directeur de son entreprise était une espèce de « guide pour transformer les transports et sauver la planète de la pollution ». On peut ensuite, bien entendu, discuter de la pertinence qu'il y a à développer des véhicules électriques ou des pollutions que cette production implique. On peut également discuter de ses autres objectifs, tels l’exploration spatiale ou la mise en place de satellites, à l’aune de considérations tant philosophiques qu’environnementales. Il agit d’autres questions ; reste que la prise de conscience est là, Chez M. Elon Musk comme chez d'autres "capitaines d'industrie" .

Alors quels sont les griefs que je peux avoir vis à avis de mes amis écologistes ? J’en exprimerai deux. Le premier est, pour une partie non négligeable de l’écologie politique et surtout militante, de s’être construite sur une vision quasi religieuse - et quelque peu biaisée - des équilibres biologiques. Je m’explique. Il me semble, mais peut être me trompè-je, que certains écologistes activistes développent une vision messianique de la nature et du vivant, et en en faisant quasiment des objets de culte. Dans une intéressante étude à laquelle je souscris, M. Stéphane François, politologue et historien des idées, écrivait : « l’écologie comporte de facto un aspect néo-païen qui fait d’elle une sorte de religion néo-animiste fondée sur la sacralisation de la nature et sur le retour de cultes archaïques consacrés à la déesse Terre » (2). Cette analyse est intéressante car elle explique alors, dans un raisonnement que l’on peut bien sur contester, pourquoi une part non négligeable de l’écologie militante est opposée à ce qu’elle appelle la technique et à la science. Dans la vision originelle de ses promoteurs « l’écologie radicale [est] une philosophie de la vie, distincte de l’écologie-science et centrée sur l’idée de réalisation de soi ». Dans ce référentiel, « l’homme ne serait qu’une des nombreuses formes de la réalité vivante, sans valeur intrinsèque supérieure ». Celui-ci s’inscrirait dans un monde à l’image de celui relevant de l’hypothèse Gaïa, une théorie panthéiste qui promeut une vision déiste de la nature en opposition avec les concepts des religions du Livre, porteuses, elles, d’une modernité technoscientifique. Dans l’article en référence, M. Stéphane François cite d’autres auteurs influencés par cette vision païenne de la nature. Ainsi, M. Mirce Eliade, historien des religions, écrivait : « la science moderne n’aurait pas été possible sans le judéochristianisme qui a évacué le sacré du cosmos et l’a ainsi « neutralisé » et « banalisé » […] Par sa polémique antipaïenne, le christianisme a désacralisé le cosmos […] et a rendu possible l’étude objective, scientifique de la nature […] La « technique », la civilisation occidentale, est le résultat indirect du christianisme, qui a remplacé le mythe dans l’Antiquité » (3). On peut être d'accord ou non avec cette grille de lecture. Au moins explique-t-elle pourquoi il existe une opposition quasi systématique d’écologistes radicaux avec tout ce qui pourrait apparaître comme issu de la science. Ainsi, le dernier avatar de cette position quasi-religieuse se retrouve dans le refus de nombreux écologistes militants de refuser la vaccination, particulièrement celle reposant sur la technologie ARN, à l’image des témoins de Jéhovah refusant les transfusions sanguines… On se rappellera ainsi les propos tenus par Le CriiGen, organisation environnementale militante, sur cette vaccination, propos qui ne m’ont pas étonné connaissant les liens entre cet organisme et la mouvance antivax. Ainsi, deux membres notables du CriiGen, M. Michel Georget (maintenant décédé) et Mme Isabelle Chivilo, sont ou ont été des militants antivaccination notoires (4).

Le deuxième reproche que je ferai à mes amis écologistes découle du premier : votre combat, pour juste qu’il soit, ne vous autorise pas à travestir les consensus scientifiques, ni à manipuler l’opinion. J’ai personnellement été confronté à cette manipulation de la part d’écologistes militants ou radicaux, en particulier dans le débat autour des variétés végétales dites OGM (organismes génétiquement modifiés). J’ai passé plus de 15 ans de ma carrière d’écologue à étudier les conséquences de la culture de tels organismes, et je crois très bien connaitre le sujet. J'ai toujours dit sans contrainte de ma tutelle ce que j'avais observé : parfois un impact, parfois aucun, en tous cas aucun de quantifiable... J’avais donc, il y a maintenant de nombreuses années, été interviewé par le journal du CNRS au sujet de l’action de faucheurs qui avaient détruit un essai en champ de vignes génétiquement modifiées. Ces essais étaient destinés à précisément évaluer les impacts environnementaux de la culture. J’avais alors utilisé les termes d’obscurantiste et dénoncé un certain nombre des approximations, pour ne pas dire des mensonges, propagées par ces activistes (5). Cela m’avait valu les foudres d’un écologiste militant, M. Fabrice Nicolino, qui avait attaqué et sensiblement déformé mes propos dans un journal et dans son blog (6). Deux ans plus tard, je discutais avec des militants de la Confédération Paysanne, peu suspect d'activisme pro-OGM, qui nous félicitaient,  pour le travail fait lors d’une très grosse étude d’impact de ces mêmes variétés. Celle-ci avait été copilotée par un des mes collègues de l’INRA et par moi même, pour le compte du Ministère de l’agriculture et du Ministère de l’écologie… De même, j’avais eu à discuter auprès de l’Offfice Parlementaire des Choix Scientifique et Technologiques du travail de M. Gilles-Eric Séralini, chercheur résolument anti-OGM, dont l’étude sur des rats nourris aux OGM l'avait conduit, dans un aveuglement militant, à des conclusions erronées masquées par une communication très contrôlée. J’avais alors parlé d’instrumentalisation de la science, une position que je maintiens aujourd’hui encore. J’avais également du expliquer que nous consommons des produits OGM depuis plus de 40 ans, contrairement, là aussi, à ce qu’assènent un certain nombre d'écolos militants. Ainsi, toutes les lignées d’orge cultivées en France sont OGM au sens de la directive de l’UE qui les définit (7). Il en va donc de même de nos bières, nos mueslis, notre whisky, etc. En l'occurrence, ici je ne juge pas, je ne promeus pas, je constate et j'énonce un simple fait ! Dans le même ordre d'idées, je n'ai pas la place de développer ici l'analyse des propos tenus par certains écologistes autour du nucléaire, mode de production d’énergie pourtant fortement décarboné, et qui aura tué bien moins de personnes dans le monde que le charbon ou le pétrole…

Ainsi mes chers amis écologistes, je considère que vos alertes sur les dangers environnementaux que nous encourons sont pertinentes. Je considère aussi que vous « mettez dans le mille » avec votre questionnement autour de la surexploitation de notre planète, sans aucun doute liée à notre système capitaliste. Vous avez cent fois raisons de nous alerter de tout cela, mais vous ne devez pas céder aux sirènes des intégristes naturalistes. Ceux-ci proposent, sans doute sans s’en rendre compte, une vision qui s’apparente à « un antihumanisme, aux assises misanthropes : le genre humain, responsable des désastres écologiques, doit disparaître []. Dans certains cas extrêmes, nous assistons même à un renversement : l’homme y est parfois inférieur aux animaux, voire traité d’espèce nazie » (1). Comprenez qu’en tolérant en votre sein de tels attitudes ou propos, vous donnez les bâtons pour vous faire frapper par vos opposants, des tenants d’une économie sans frein aux négationnistes du changement climatique. Or, ceux-ci sont suffisamment puissants et organisés pour ne pas les aider de la sorte. Revenez à une vision plus raisonnable, plus rationnelle – et surtout plus honnête – des enjeux, et de nos difficultés. Vous gagnerez en crédibilité. C'est urgent !



Références :


1. René Dumont. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Dumont

2. Stéphane François (2012). Antichristianisme et écologie radicale. Revue d'éthique et de théologie morale 272, 79-98.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-4-page-79.htm#pa1

3. Mircea Eliade (1973). Fragments d’un journal I. 1945-1969. Gallimard, Paris.

4. Anonyme. OGM, vaccins, même combat. Agriculture et environnement. Septembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.agriculture-environnement.fr/2021/09/13/ogm-vaccins-meme-combat

5. Julien Bourget (2010). Fauchage des vignes OGM, une perte pour la recherche. Le journal du CNRS 250, 17.
Consultable en ligne :
http://fr.1001mags.com/parution/cnrs-le-journal/numero-250-novembre-2010/page-16-17-texte-integral

6. Fabrice Nocolino. Mettre en taule les obscurantistes (avis autorisé du CNRS). Planète sans visa.
Décembre 2010.
Consultable en ligne :
https://fabrice-nicolino.com/?p=1024

7. Anonyme. Ces OGM méconnus que la France produit par millions. TerraEco. Aout 2013.
Consultable en ligne :
https://www.terraeco.net/Ces-OGM-meconnus-que-la-France,50776.html


Crédit illustration :

Document INA - autorisation de partage non commercial.
https://clio-texte.clionautes.org/ecologie-politique-france-canditature-rene-dumont-1974.html

S'agissant d'une capture d'écran TV, la qualité du document reste médiocre. Merci de m'en excuser.

 



samedi 14 janvier 2023

DÉSINFORMATION DE NOS JEUNES À L'HEURE DES RÉSEAUX SOCIAUX



Je viens de parcourir une note particulièrement intéressante, et en même temps inquiétante, de la fondation Jean-Jaurès. Cette dernière reprend une enquête très récente de l'IFOP (1), portant sur les croyances des plus jeunes de nos concitoyens sur des thématiques scientifiques, sur le « paranormal », en lien avec l'influence des réseaux sociaux. Je suis donc remonté à la source, directement sur le site de l'institut de sondage, pour y lire l'étude en question. Elle est à mon sens tout bonnement consternante !

L'IFOP nous indique que cette enquête a été menée sur un échantillon d'un tout petit peu plus de 2000 personnes, âgées de 11 à 24 ans. L'institut précise, je cite, que « la représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas au regard de critères démographiques (sexe, âge), socio-culturels (statut de scolarisation, niveau de diplôme), professionnels (situation en matière d’emploi, catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée) et géographiques (région, catégorie d'agglomération) ». Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec la statistique, il s'agit d'obtenir dans l'échantillon précité de 2000 personnes, une proportion d'hommes et de femmes conforme à celle de la population française, avec des répartitions des âges, des niveaux de diplôme, du statut de scolarisation etc., également conformes à celles de la réalité. Des corrections complémentaires peuvent être apportées dans l'hypothèse où l'échantillon analysé, ce que l'on appelle la cohorte en statistique, ne serait pas parfaitement représentatif de la population cible. Ces ajustements sont dénommés « redressements », générant des données dites redressées ou corrigées . On s'assure ainsi que l'échantillon analysé est bien globalement représentatif de la population cible.

Première question posée : avez-vous l’impression que la science apporte à l’homme plus de bien que de mal, plus de mal que de bien ou à peu près autant de mal que de bien ? La majorité relative des jeunes, soit 41%, retient cette dernière proposition, alors que 33 % sont d'un avis plus positif et 17 % d'un avis plus négatif. Au-delà de ces données brutes, il est intéressant de constater que la même question a été posée en 1972. La comparaison des réponses révèle que les avis positifs ont régressé de 22 % en 50 ans et les avis ne négatifs ont, eux, augmenté de 11 %. Si l'on regarde maintenant le profil des répondants pour qui la science apporte plus de mal que de bien, on constate que cette opinion est beaucoup plus répandue parmi les jeunes des catégories socioprofessionnelles les plus modestes, avec 29% chez les ouvriers et assimilés contre 12% chez les cadres. Une inégalité de réponse est également perceptible chez les catégories les plus pauvres avec 22% d'avis négatifs pour les personnes disposant de revenus mensuels inférieurs à 900 € et 6% pour les personnes disposant de revenus mensuels supérieurs à 2500 €. Par ailleurs, les personnes exprimant cet avis majoritairement négatif se retrouvent en proportion un peu plus forte parmi les musulmans et les protestants (27 et 24 %, respectivement) que parmi les catholiques et les athées (14 et 13 %, respectivement), et en proportion également un peu plus forte parmi les sympathisants du rassemblement national (RN, 20%). Dernier élément intéressant, cet avis est beaucoup plus prégnant chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (27%) que chez les personnes n'utilisant pas cette ressource informatique (10%).

L'adhésion à ce qu'il est convenu d'appeler des « vérités alternatives » ou des « croyances » révèle également des disparités remarquables. Ainsi, vis-à-vis de données scientifiques, quasiment 20 % des jeunes de 18 à 24 ans pensent que les pyramides ont été bâties par des extraterrestres, ou que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune. Plus grave, un tiers des jeunes pense que les vaccins à ARN causent des dommages systématiques irréversibles aux organes des enfants, un quart pense que les traitements à base de chloroquine sont efficaces contre la CoViD19, et un quart pense également que l'on peut avorter sans risque avec des tisanes à base de plantes. Un petit tiers d'entre eux (29 %) affirme également que le réchauffement climatique est un phénomène naturel contre lequel il est impossible de lutter. Vis-à-vis de données politiques, un petit tiers pense que l'élection américaine de 2020 a été faussée aux dépens de M. Donald Trump, et un quart que l'attaque du Capitole a été une mise en scène destinée à accuser les partisans de l'ancien président américain. L'étude note que la croyance dans les vérités alternatives et beaucoup plus répandue chez les utilisateurs de Tik Tok sur deux thèmes : les effets toxiques de la vaccination contre la CoViD19, et les résultats de l'élection américaine de 2020.

En regard des théories platistes, la catégories des plus pauvres et celle des habitants des banlieues dites populaires sont plus enclines à y adhérer. Ainsi, 33 % des habitants de ces banlieues pensent que la terre pourrait être plate, alors que cette hypothèse ne retient l'attention d'aucun des jeunes habitants des banlieues dite aisées. En termes de réseaux sociaux, les utilisateurs de la messagerie Telegram semblent plus réceptifs (40%) que ceux qui n'utilisent jamais ce service (14 %).

En ce qui concerne les effets délétères de la vaccination contre la CoViD19, les avis les plus négatifs se retrouvent également au sein des catégories les plus modestes (42%), des banlieues dites populaires (38%), des croyants et des religieux (50%), des sympathisants du RN (48%), et parmi les utilisateurs quotidiens de Tik Tok (41%).

Une autre question a concerné l'évolution biologique. Un gros quart (27%) des jeunes de 18 à 24 ans estiment que les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution mais qu'ils ont été créés par une force spirituelle. Cette croyance est plus répandue chez les femmes que chez les hommes (31 vs. 22%), au sein des catégories les plus pauvres, parmi les croyants et les religieux (60%), et parmi eux, chez les musulmans (71% ; 27% chez les catholiques). Cette conviction est également plus présente chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (37 %) que chez ceux qui n'utilisent pas cette ressource (25 %).

Lorsque l'on croise tous ces résultats, plus des deux tiers des jeunes (69%) de 18 à 24 ans pensent qu'au moins une des affirmations proposées par l'IFOP est vraie, avec une adhésion bien plus marquée parmi les catégories les plus pauvres (77%) que parmi les catégories les plus aisées (47%). Une même différence d'adhésion est relevée entre croyants (85%) et athées (62%), entre sympathisants du RN (84%) et écologistes (57%) et entre utilisateurs de sites de microblogging (ex. Twitter, Telegram, TikTok ; 81%) et non utilisateurs (68 %).

Cette adhésion aux vérités alternatives est très présente chez les lycéens (80%) et elle reste très curieusement notable chez les étudiants en master, y compris chez ceux qui se sont dirigés vers les matières scientifiques (58%). De même un jeune sur deux pense que l'astrologie est une science ou qu'elle explique les caractères des individus ! Cette dernière croyance n'est, elle, partagée que par 36% des seniors. Une même divergence générationnelle est observée en regard des prédictions des voyants auxquelles croient 38% des jeunes et seulement 12% des seniors. Parmi les jeunes, 65% de ceux qui consultent Tik Tok régulièrement croient à l'astrologie, à la voyance, à la numérologie, à la sorcellerie, ou à la cartomancie contre 52% de ceux qui n'utilisent pas ce service Internet. Également presque un jeune sur deux croit aux esprits ou au mauvais œil, contre 15 et 10 % respectivement chez les seniors. Ces croyances sont plus marquées chez les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux (56%) que chez les jeunes qui ne les utilisent pas (36%).

Ces résultats sont extrêmement inquiétants parce qu'ils sont constitutifs, à mon sens, d'une régression intellectuelle, possiblement liée d'ailleurs à une régression sociale, puisque l'on constate que l'adhésion aux thèses infondées, au complotisme, aux superstitions à caractère occulte, est beaucoup plus forte chez les jeunes des populations défavorisées (faibles revenus et localisation dans des banlieues pauvres). Possiblement en lien avec ce qui précède, il ne faudrait pas non plus nier l'adhésion des jeunes musulmans à certaines vérités alternatives. Ces résultats sont également inquiétants car ils mettent en évidence l'influence grandissante de sources « d'information » discutables. Ainsi, pour citer Ms. François Kraus et Thomas Pierre, de l'IFOP (1) : « alertant sur la sécession d’une fraction importante de la jeunesse avec le consensus médiatique, ces chiffres tiennent donc beaucoup au mode d’information et plus particulièrement à l’usage des réseaux sociaux comme Twitter ou TikTok.[...] Les désordres informationnels de l’ère internet viennent sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles.[...] Cet essor des croyances complotistes ou infondées s’inscrit dans une révolution des pratiques informatives où la défiance à l’égard de l’information verticale issue des autorités s’est accompagnée d’une confiance plus grande dans sa transmission horizontale via les réseaux sociaux. Or, cela peut s’avérer problématique au regard du nombre de jeunes (41%) utilisant TikTok comme moteur de recherche qui estiment qu’un influenceur qui a beaucoup d’abonnés peut être une source fiable. Symptomatique d’un nivellement de l’expertise, ce chiffre révèle le manque de raisonnement critique d’une partie de la jeunesse à l’égard des influenceurs populaires ». Je suis totalement en accord avec leur analyse. Ceci fait que je ne suis donc pas prêt de me réconcilier avec l'usage des réseaux dits sociaux, tant que ceux-ci n'assureront pas une modération des propos qui y sont tenus. L'arrivée de M. Elon Musk à la tête de Twitter ne s'inscrit pas, malheureusement dans cette démarche... Sous couvert de liberté de parole, auréolés de symboles tel que le village global, il me semble que ces réseaux sociaux sont en fait en train d'aliéner les masses, et principalement les masses populaires, d'une façon bien plus efficace que ne pourrait le faire le plus pervers des dictateurs...



Référence :

1. Enquête sur la mésinformations des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l'heure des réseaux sociaux.
Enquête de l'IFOP pour la fondation Reboot et la fondation Jean-Jaurès.
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Presentation_119379_Reboot-FJJ-Volet-A_11.01.23.pdf


Crédit illustration :

Site de l'IFOP
https://www.ifop.com/publication/generation-tiktok-generation-toctoc-enquete-sur-la-mesinformation-des-jeunes-et-leur-rapport-a-la-science-et-au-paranormal-a-lheure-des-reseaux-sociaux/





jeudi 30 juin 2022

LA BIBLE ET LE COLT (2)



Dans un article précédent, daté d'il y a bientôt deux ans, et intitulé comme celui-ci « la Bible et le colt », j'expliquais de façon succincte comment la nomination d'un juge hyper-conservateur à la Cour Suprême américaine risquait d'avoir des conséquences majeures sur la vie démocratique de ce pays. J'y mentionnais, entre autres, le risque d'un possible coup d'État juridique qu'aurait pu tenter le président de l'époque, M. Donald Trump, sans penser, à ce moment-là, que ce dernier envisagerait quelques mois plus tard de renverser par la force le gouvernement légalement élu.

Toujours dans cet article, je m'inquiétais en filigrane des conséquences que pouvait avoir l'élection de Mme. Amy Coney Barrett, la juge en question, sur le droit environnemental et le droit des minorités. J'avais oublié de mentionner le droit d'avorter, objet des nouvelles dispositions juridiques de la Cour Suprême américaine visant, sans l'expliciter, à son interdiction dans les Etats les plus conservateurs de la Bible Belt. Ceux-ci se situent essentiellement au centre et au sud des Etats-Unis.

Le plus surprenant dans cette décision, au-delà de l'interdiction de l'avortement qu'elle va permettre dans plus de la moitié des états américains, c'est le fait qu'elle a été rendue au motif que la constitution américaine ne mentionne pas ce droit comme un droit fondamental. Or la constitution, aux États-Unis, est souvent perçue comme un texte « sacré » qu'il est quasiment impossible de remettre en question. C'est ainsi, au nom de cette constitution, que la liberté de port d'armes a pu déraper vers la possibilité offerte à tout citoyen américain de détenir une ou plusieurs armes à feu, armes dont certaines ne sont rien d'autre que des armes de guerre. On en voit les conséquences au travers des massacres qui se sont multipliés assez régulièrement dans ce pays. Le ratio d'homicides pour 100 000 habitants est grosso modo 5 à 6 fois plus élevé aux USA qu'il ne l'est dans les pays de l'UE. Cette fascination pour « le colt » est sans aucun doute culturelle mais dire cela relève plus du constat que de l'explicatif. Je me rappelle ainsi une soirée caritative à laquelle j'avais été invité lors de mon séjour de deux ans aux États-Unis. J'avais été placé à table à côté de l'officier de police (une femme charmante) qui assurait la sécurité de l'événement de façon discrète, car des oeuvres d'art coûteuses étaient proposées lors de cette vente aux enchères. Quand elle m'avait dit qu'elle était l'officier de police de service, je lui avais demandé si elle pouvait me montrer « sa plaque », car je n'en avais jamais vu de près. Elle avait été très surprise car, m'a-t-elle dit, n'importe quel américain aurait demandé à voir son arme ! On avait alors brièvement échangé autour de ce thème, et déjà, à l'époque (c'est-à-dire 35 ans plus tôt), cette policière s'inquiétait de la place qu'occupaient les armes à feu dans les foyers américains. Personnellement, je n'ai eu à utiliser ces instruments que lors de mon séjour sous les drapeaux, et je me suis promis de ne plus jamais y toucher une fois libéré. J'ai jusqu'à présent tenu mon engagement, sans difficultés il est vrai, tant mon aversion pour ces objets de mort est forte. Pour revenir à cette fascination américaine, je suis intimement persuadé qu'elle est liée à la conquête de l'Ouest, épisode ou la progression des colons blancs - essentiellement anglo-saxons - vers l'Ouest américain au détriment des populations autochtones, a largement « bénéficié » l'usage de ces armes à feu. À mon sens, les États-Unis se sont construits par le colt, instrument de puissance, et ceci explique peut-être cela.

Pour revenir à la justification présentée par la cour suprême, en regard de sa décision sur l'avortement, il me semble que la présentation constitutionnaliste qu'elle en fait n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les motivations réelles de cette décision sont en  réalité à rechercher dans le fait religieux et dans la place grandissante que prennent les mouvements chrétiens que l'on peut qualifier pour certains de quasi extrémistes, aux Etats-Unis. N'oublions jamais que le fait religieux dans ce pays majoritairement protestant, est extrêmement vivace, en particulier dans la « Bible Belt » que je mentionnais plus haut. Aux manettes, on trouve les évangélistes blancs, qui constituent un des groupes sociologiques les plus puissants et mobilisés des Etats-Unis. Ce groupe prend depuis des années des positions en faveur de la peine de mort, pour le retour de la prière dans les écoles publiques, contre le droit à l’avortement et l'égalité homme-femme, et contre les droits des minorités noires, hispaniques, LGBT, etc. Il s'agit donc, quelque part, d'un mouvement que l'on pourrait qualifier de suprémaciste blanc. Ce mouvement est bien sûr intimement lié au dernier mandat de M. Donald Trump qui ne doit son élection qu'au soutien indéfectible de ce groupe socio-religieux. Plus de 80 % des chrétiens évangélistes ont ainsi voté pour l'ancien président américain en 2016. Il serait néanmoins faux de croire que cette quasi-fusion au parti des Républicains ne date que de la précédente mandature présidentielle américaine. Elle avait déjà commencé sous le mandat de M. Georges W. Bush en 1988, et dans une moindre mesure dès les années 70, après que des écoles confessionnelles évangéliques aient été financièrement pénalisées pour avoir refusé des élèves noirs. Nous sommes donc en présence, en vérité, d'une politique de long terme visant à noyauter la Cour Suprême, la plus haute juridiction américaine. Cette dernière a en effet un pouvoir extrêmement important puisqu'elle est en capacité d'annuler des décrets présidentiels.

Cette récente décision de la Cour Suprême, en regard du droit à l'avortement, est particulièrement inquiétante. Je ne reviens pas ici sur les conséquences que cette décision aura sur nombre de femmes américaines, et particulièrement sur les femmes les plus pauvres, qui dans la moitié des états n'auront d'autres possibilités pour avorter que se déplacer à des centaines, voire à des milliers de kilomètres, ou de recourir à des techniques abortives d'un autre âge, avec tous les risques que cela comporte pour la femme enceinte. Se voulant défenseurs de la vie, les évangélistes ne risquent finalement que de devenir les promoteurs zélés d'une oeuvre de mort...

La gravité de la décision de la cour suprême présente plusieurs facettes. Elle promeut, de fait, une inégalité entre familles pauvres et familles riches dans un pays déjà miné par ces inégalités. Les « riches » seront en effet toujours en capacité de parcourir la distance nécessaire pour atteindre un état dans lequel l'avortement reste légal. Plus grave à mon sens, bien que moins visible, elle entérine la division des Etats-Unis en deux camps, de plus en plus irréconciliables, représentés d'un côté par les états démocrates de la côte est et de la côte ouest, plus quelques états du centre tel le Michigan ou l'Illinois, et les états républicains du Midwest, de la « rust belt » et de la « Bible belt », c'est-à-dire, grosso modo tous les états du centre et du sud du pays. A mon sens, les États-Unis le sont de moins en moins, et cela pourrait possiblement signer l'amorce d'un déclin national. C'est en tous cas un déclin démocratique, les Etats-Unis pouvant presque être comparés à une théocratie, à l'instar de ce qui se passe en Iran, en Israël, ou dans les pays d'obédience musulmane appliquant la charia. Enfin, comme plusieurs analystes l'ont signalé, la remise en cause du droit à l'avortement pourrait être le prélude à d'autres remises en cause de droits, ou à des retours en arrière. Dopés par la récente décision de la cour suprême, les représentants républicains proches des chrétiens évangélistes ont d'ores et déjà réclamé dans certains états le retour de la prière à l'école publique, des lois contre la pratique de la sodomie, des restrictions à la contraception, l'annulation de la possibilité de marier des couples homosexuels, voire même l'interdiction de mariage entre individus de couleur de peau différente. Signalons aussi que la Cour Suprême vient de rendre une décision aux conséquences environnementales potentiellement catastrophiques en interdisant à l'agence pour la protection de l'environnement (EPA) d'édicter des règles générales pour réguler les émissions des centrales à charbon... Peut-être aurais-je dû intituler cet article la Bible, le colt et le CO2 !

Je voudrais conclure ce billet en précisant que des mouvements réactionnaires assez semblables à ceux des chrétiens évangélistes américains existent en France. Ceux-ci se situent globalement à l'extrême droite de l'échelle politique. On en retrouve les partisans assez régulièrement au sein du Rassemblement National, du parti Reconquête, et dans une moindre mesure chez les Républicains. La France étant un pays où le catholicisme est plus présent que le protestantisme, on retrouve également les tenants de cet hyper-conservatisme au sein de mouvements catholiques tels l'Opus Dei, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (les Lefebvristes), la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, de Chrétien-Solidarité (très lié au RN) ou de Civitas. Si ces mouvements sont encore relativement confidentiels, ils n'en restent pas moins potentiellement violents et dangereux. Pas seulement en raison de la violence physique qui peut être exercée par leurs membres, mais parce qu'à l'instar des intégristes musulmans, ils souhaitent le retour en force du religieux dans le champ politique. Et ils arrivent parfois à mobiliser, non pas des millions de personnes, mais des dizaines de milliers comme cela a été le cas de la « manif pour tous ». Rappelons que ce collectif est formé d'associations presque toutes religieuses, principalement liées au catholicisme, et qu'il est fortement soutenu par la droite dure et l'extrême droite. Il ne faudrait donc surtout pas croire qu'une remise en cause du droit à l'avortement est, en France, inenvisageable. Aujourd'hui peut-être, mais demain...


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lundi 11 octobre 2021

AU SUJET DES ABUS SEXUELS DANS L'EGLISE CATHOLIQUE DE FRANCE


La récente publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église catholique de France a fait l’effet d’une bombe chez certains. Pourtant depuis des années, les signaux d’alarme clignotaient à droite et à gauche, pas seulement en France d’ailleurs. Par ailleurs, pour mesurer l’ampleur du phénomène, il me semble bon de comparer ce qui a été rapporté pour les sévices sexuels dans l’église catholique avec ce qui se passe, soit dans la population générale, soit au sein d’autres structures recevant de jeunes enfants, telle que l’éducation nationale.

Au moins 216 000 mineurs victimes d’abus sexuels de la part de religieux catholiques depuis 70 ans et au moins 330 000 si on compte la totalité des victimes dans l’Église ! Le chiffre paraît - et est - énorme. Si on considère un nombre moyen de paroisses en France au cours des 70 dernières années, soit autour de 15 000 (elles ne sont que 12 000 aujourd’hui) et si l’on arrondit le nombre des victimes à 300 000, cela donne 20 victimes par paroisse... C’est épouvantable. Heureusement (si on peut dire), toutes les paroisses n’ont pas été affectées par ces délits ou ces crimes, mais le rapport Sauvé fait état de l’existence d’a minima 3 000 pédo-criminels ou pédo-délinquants dans l’Église sur cette période de 70 ans, soit plus de 40 par années ! On peut aussi faire un autre calcul : 300 000 crimes et délits sexuels sur 70 ans, cela fait 4 400 par année, soit une douzaine par jour, pendant 70 ans ! Sans commentaire !

L’énormité des chiffres pourrait fausser notre évaluation de l’importance du phénomène. Pour cette raison, il est indispensable de les comparer avec ceux des sévices sexuels repérés dans d’autres institutions. On peut ainsi examiner les taux de prévalence (c’est à dire le pourcentage de mineurs ayant subi des violences sexuelles avant 18 ans) dans différents environnements. Ces taux sont de 1,2% dans l’Église catholique, contre 0,34% dans l’éducation nationale (école publiques), 0,28% dans les clubs de sports et 0,17% dans les clubs à vocation culturelle. Seul le milieu familial est plus porteur de délits ou crimes sexuels, avec un taux de prévalence atteignant 3,7%.

Autre enseignements du rapport : la majorité des victimes sont des garçons (env. 80%) alors que ceux-ci ne représentent que 17% des victimes dans le reste de la société. Dans l’Église, il semble donc clair que les actes pédophiles soient également des actes majoritairement homosexuels. Quant on connaît la proportion d’homosexuels dans les hautes instances de l’Église catholique (voir 1), il est difficile de ne pas y voir un lien, une relation. Attention cependant : cette relation n’est pas « bijective » comme l’on dit en mathématique. S’il semble que la majorité des pédocriminels religieux catholiques aient des tendances homosexuelles, il serait faux ou mensonger, voire homophobe de penser ou d’affirmer que les homosexuels dans l’Église (ou ailleurs) soient des pédophiles en puissance. Je préfère donc écrire cela en caractères gras pour que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mes observations.

Ces chiffres « accablants » (terme utilisé par M. Jean-Marc Sauvé) sont, à mon avis, le résultat de nombreux dysfonctionnements de l’Église, au premier lieu desquels son empressement à ne pas voir les signaux d’alarme qui clignotaient depuis longtemps pour certains, et pas seulement en France. Une litanie (pour rester raccord !) de scandales affectant de jeunes enfants, commis par des religieux catholiques, aurait du faire réagir plus fortement les autorités de Rome. Citons par exemple les scandales qui ont entouré la congrégation des « légionnaires du Christ » dans les années 50 à 60, et en particulier son fondateur, le père Marcial Degollado. Les plaintes des victimes n’ont donné lieu au Vatican qu’à des enquêtes internes, abandonnées puis reprise en particulier par la congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le futur Benoit XVI. Ce dernier se contentera de l’écarter de tout ministère public et sa congrégation lui recommandera de « conduire une existence retirée dans la prière et la pénitence »... Dans toute l’Europe, des actes délictueux ou criminels ont été commis par des religieux catholiques. Plus de 174 ont été rapportés en Autriche dans les années 1960 à 1970 mais ce sont pas loin d’un millier de cas qui ont finalement été identifiés sur quelques décennies. En Belgique, plusieurs centaines de cas ont été compilés dans le rapport de la commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale, dit rapport Adriaenssens (du nom de son président), en septembre 2010. La commission identifie 130 prêtres délinquants ou criminels, dont une toute petite fraction a été condamnée par l’Église ou la justice... La situation irlandaise est également un signal d’alarme oublié. Dès 2005, deux rapports, le rapport Murphy et le rapport Ryan, décrivaient les abus sexuels commis par des prêtres et le silence des évêques qui les avaient couverts, sans jeu de mots déplacé. Au total, ce seront un peu moins de 15 000 de victimes de sévices dans les années 40, 50 et 60 dans des institutions religieuses irlandaises qui seront identifiées et pour certaines indemnisées. J’arrête la liste là, même si l’Église aurait pu aussi s’intéresser à ce qui s’était passé en Australie et aux États Unis, et aux rapports de l'archidiocèse catholique de Chicago, ou du John Jay College of Criminal Justice de New York au début des années 2000.

La situation en France est grave, d’autant que le pourcentage de religieux agresseurs y est élevé, de 2,5 à 2,8 % des prélats, bien qu’inférieur aux 4,8% aux USA et aux presque 8% en Irlande de religieux délinquants ou criminels ! En forçant le trait, il s’est passé dans l’Église catholique ce qui se passe dans certains sectes… Or les crimes et délits sexuels peuvent peser lourd dans la vie des personnes qui en ont été victimes, et les compensations financières ne constituent finalement que des reconnaissances des sévices passés et de leur statut de victime. Il est donc crucial que l’Église catholique remette nombre de choses à plat. En premier lieu, elle doit briser le tabou de la sexualité des religieux et religieuses. Il est nécessaire de rediscuter du célibat et de la chasteté des prélats (dont on voit comment certaines des hautes autorités vaticanes s’affranchissent, 1), mais pas uniquement de cela. La place des femmes dans l’Église, y compris au niveau de la prêtrise, est également à revoir car il est fort probable que nombre des crimes ou délits sexuels répertoriés n’auraient pas été commis par des femmes. Enfin, le « logiciel » de certains prélats doit être « débogué ». Il est en effet totalement inadmissible d’entendre un haut dignitaire catholique français, le président de la Conférence des évêques de France en l’occurrence, estimer que le secret de la confession serait « plus fort que les lois de la République ». Ce type de propos, non-entendable, s’apparente à mon sens, ni plus, ni moins, à celui des fondamentalistes islamiques estimant que la charia est supérieure aux mêmes lois de la République. J’avoue donc me demander si le pouvoir temporel, entendre l’État, ne devrait pas reprendre la main sur le pouvoir religieux catholique, tant l’étendue des crimes et délits commis dans cette institution est effrayant. En parallèle, l’examen de conscience de l’Église, censée défendre le faible contre le fort et toujours prompte à prôner une rigueur morale, est indispensable pour la pérennité de la structure mais aussi vis à vis de ses fidèles et surtout vis à vis victimes des agissements d’une proportion non négligeable de ses religieux et de ses laïcs.


Note ajoutée le 11 octobre : au moment où je mets l’article en ligne, j’entends la chronique de Sophia Aram, l’humoriste du lundi matin de France Inter, qui résonne fortement avec ce billet de blog.


Référence :


1. Sodoma : un livre indispensable pour comprendre le Vatican.
Ce blog.
https://dessaux.blogspot.com/2020/10/sodoma-un-livre-indispensable-pour.html


Crédit illustration :


Les dessins d'Acé. L'Express. Février 2017.

vendredi 20 novembre 2020

LE PROBLÈME N’EST PAS l’ISLAM
MAIS LA DÉRIVE RELIGIEUSE INTÉGRISTE






Les tragiques événements récents conduisent certains hommes et femmes politiques à parler de « problèmes avec l’Islam » comme l'avaient fait plus tôt Mme Nadine Morano ou Ms. François Fillion ou Manuel Valls. Difficile de nier que la plupart des récents attentats survenus en France ont effectivement été commis au nom d’un intégrisme islamiste. Mais concentrer son interrogation sur cette seule religion ne permet pas de cerner, de façon plus générale, la pression qu’exerce le fait religieux, encore aujourd’hui, sur nos sociétés occidentales.


Cet article sera long, mais la question, complexe, mérite des explications détaillées. 

Comme je l’écrivais dans un autre article de blog, il est nécessaire pour être transparent de dire d’où l’on parle. J’ai été élevé dans la tradition chrétienne, mais je me considère aujourd’hui comme agnostique. En d’autres termes, je suis incapable de répondre à la question de savoir si une ou plusieurs « entités transcendantes » - disons des dieux par convention - avec lesquels les humains pourraient communiquer de façon symbolique, sont à l’origine de l’existence et/ou de la structuration de notre univers. Ma formation scientifique ne me permet pas de décider de l’existence ou la non existence d’une ou plusieurs divinités. Elle me fait également dire que notre connaissance de l’univers et de ses lois ne rend cependant pas l’hypothèse de l’existence d’un ou de plusieurs dieux nécessaire pour expliquer ce monde. C’est le principe du rasoir d’Occam. Je reviendrai un jour là dessus.

Ayant explicité ma position, je répète donc qu’il est indéniable que l’intégrisme islamiste (et non islamique car cet adjectif suppose que l’intégrisme serait quasiment co-substantiel à l’Islam) et le terrorisme qui lui est associé, ont fait beaucoup de mal dans notre pays, mais également sur toute la planète. Depuis les années 2000, plus de 260 morts ont été recensées en France (1), en lien avec le terrorisme islamiste, dont 130 pour les seuls attentats du 13 novembre 2015 à Paris. On peut aussi ajouter à cette liste, les 50 décès de soldats de forces françaises en opérations extérieures au Mali, au Tchad ou au Niger (2). Au total, ce sont donc des centaines voire des milliers de familles qui ont perdu un parent, un enfant, un ami, une relation... Sans chercher à excuser, ni à effectuer un macabre décompte, il me semble important de rappeler que ce sont cependant les musulmans qui ont été les premières victimes de ce terrorisme. Ainsi, rien qu’en Algérie, le groupe islamique armé (GIA) et l'armée islamique du salut (AIS) sont responsables de 100 000 morts lors des années 1990/2000 (3). Depuis l’an 2000, le terrorisme islamiste a également tué plus de 30 000 personnes en Afrique et au Moyen Orient...

A ce stade, il est nécessaire de se pencher sur les motivations des intégristes islamistes. Comme l’indique Wikipédia « L'objectif visé par le terrorisme islamiste est la promotion d'une vision religieuse radicale du monde » (4). Pour cela, les mouvances terroristes cherchent à « contraindre [des États, des populations] à un retour aux lois de Dieu et à la société prophétique de l’islam originel [et] à épurer l’ordre politique en place ». Il s’agit donc de créer un territoire sur lequel les lois seraient dictées par une lecture rigoriste de textes religieux, donc dans lequel le temporel serait réglé par non pas par un choix de valeurs mais par une adhésion à des textes d’essence divine, donc non discutables, non contestables, et d’application universelle.

Cette vision d’un monde dont les codes seraient d’essence divine n’est pas propre à l’Islam. Considérons les autres religions majeures, en s’arrêtant pour des raisons de brièveté aux religions dite du Livre. Sans remonter aux croisades ou à l’inquisition, on ne peut que constater que l’on trouve les mêmes biais dans les religions juives ou chrétiennes. Revenons par exemple sur la création de l’Etat hébreux, Israël, au milieu du XXe siècle. Il me semble nécessaire de rappeler, pour ceux qui n’en connaîtraient pas l’historique, que cet Etat s’est créé pour constituer un état religieux, l’Etat des juifs, dans la violence d’une guerre civile, suite à la résolution 181 des Nations Unies et à la déclaration Balfour. Les "tensions"entre les mouvements sionistes de l’époque en conflit (déjà) et les mouvements pro-palestiniens opposés à la création d’Israël engendreront une guerre civile en Palestine sous mandat britannique qui fera, jusqu’en 1948, des milliers de morts et plus de 350 000 « déplacés » palestiniens. Elle conduira à la guerre israëlo-arabe de 1948. Il n’est pas question pour moi de prendre partie pour l’un ou l’autre mais de rappeler que fin 1949, après la victoire militaire israëlienne, la volonté d’instauration d’un Etat dans lequel les lois sont dictées par des considérations religieuses (ici l’Etat juif) aura fait 30 000 morts parmi les belligérants et leurs soutiens, et conduit au déplacement de plus de 700 000 arabes palestiniens (pour un résumé des conflits lors de la création de l’Etat d’Israël, voir les pages Wikipédia référencées 5) ... Depuis ce temps, le sionisme religieux et sa branche la plus intégriste ont infiltré presque tous les secteurs d’activité en Israël, de l’école à l’armée en passant par les commerces pour aboutir, in fine et aujourd’hui, à détenir des pans entiers du pouvoir politique (6). Cette vision d’un Etat quasi théocratique explique pourquoi certains non juifs y sont considérés, aujourd’hui encore, comme des citoyens de seconde zone, et pourquoi les palestiniens des territoires occupés font l’objet de discriminations rappelant l’apartheid en Afrique du Sud (7).

Cette même volonté de prévalence de lois religieuses sur la loi républicaine se retrouve aussi parmi certains chrétiens. Je ne nierai bien sur pas que notre société est d’inspiration judéo-chrétienne. La lecture du code pénal suffira à en convaincre les rares personnes qui en douteraient encore. Au moins, ces lois d’inspiration religieuse (tu ne tueras pas, tu ne voleras point, tu ne feras pas de faux témoignage, etc.) font, elles, l’objet d’un consensus. En d’autres termes, la société les a validées et acceptées dans leur ensemble sans qu’elles ne soulèvent d’opposition majeure. Là où le bas blesse, c’est lorsque des politiques, des législateurs invoquent des textes religieux, ou s'en inspirent, pour justifier de lois qui font débat dans la société civile. Je pense bien sur aux tentatives portées par des mouvements du type « manif pour tous » en France, d’inspiration catholique quasi-intégriste (8), très soutenue par la droite et l’extrême droite (9), qui souhaiterait revenir pêle-mêle sur les droits des minorités sexuelles, sur la PMA, ou la législation sur l’avortement... Sauf à exagérer, on ne peut cependant parler ici de terrorisme, ni même de terrorisme intellectuel, dans la mesure où ce mouvement n’exerce pas de violence à des fins politiques, pour déstabiliser et frapper massivement l’opinion publique et les États concernés. Néanmoins, cette même mouvance est à l’oeuvre de façon bien plus agressive - et potentiellement délétère pour les femmes - en Hongrie et en Pologne (10), mais également dans d’autres pays dominés par une idéologie religieuse qu’elle soit d’inspiration chrétienne (ex. Brésil, USA, Russie) ou musulmane ( ex. Pakistan, Indonésie, 11). Ceci valide mes propos sur la tendance lourde, actuelle, mondiale, d’instaurer une primauté du fait religieux sur les lois temporelles. Pour cette raison, il nous appartient, à tous, de faire mentir Malraux à qui l’on attribue la célèbre phrase « le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas » (12). Condition nécessaire mais non suffisante, il est indispensable de préserver et de renforcer en France la laïcité comme valeur Républicaine absolue afin de nous protéger des dérives religieuses intégristes, et ce « quoi qu’il en coûte ». 


Références :

1. Anonyme. Terrorisme : le triste bilan des 18 dernières années en Europe. Le point. Marus 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lepoint.fr/europe/terrorisme-le-triste-bilan-des-18-dernieres-annees-en-europe-04-03-2019-2298059_2626.php

2. Pertes militaires françaises au Mali et au Sahel. Wikipedia.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_militaires_françaises_au_Mali_et_au_Sahel

3. Anonyme. 15 ans de guerre civile en Algérie. 20 minutes. Avril 2007.
Consultable en ligne :
https://www.20minutes.fr/monde/151104-20070411-15-ans-guerre-civile-algerie

4. Terrorisme islamiste. Wikipedia.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Terrorisme_islamiste

5. Guerre civile de 1947-1948 en Palestine mandataire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_civile_de_1947-1948_en_Palestine_mandataire

Guerre israélo-arabe de 1948-1949
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_israélo-arabe_de_1948-1949

6. Armin Arefi, entretien avec Charles Enderlin. Le sionisme religieux a phagocyté toutes les institutions d'Israël. Le Point. Octobre 2014
Consultable en ligne :
https://www.lepoint.fr/monde/charles-enderlin-le-sionisme-religieux-a-phagocyte-toutes-les-institutions-d-israel-30-10-2014-1877232_24.php

7. Salomé Vincendon. L’ambassadeur de France aux Etats-Unis qualifie Israël « d'Etat d'apartheid ». BFM TV. Avril 2019.

Ronnie Kasrils. I fought South African apartheid. I see the same brutal policies in Israel. The Guardian. Avril 2019.

8. Samuel Laurent. Derrière la grande illusion de la "Manif pour tous". Le monde. Mars 2013.
Consulttable en ligne :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/03/21/manif-pour-tous-la-grande-illusion_1850515_3224.html

9. Maxime Macé et Pierre Plottu. «Marchons Enfants»: au croisement de la Manif pour tous et de l'extrême droite radicale . Slate. Octobre 2020
Consultable en ligne :
http://www.slate.fr/story/196393/marchons-enfants-alliance-manif-pour-tous-militants-extreme-droite-radicale-service-ordre

10. Andrea Peto et Weronika Grzebalska. En Pologne et en Hongrie, les droits des femmes en péril. The Conversation. Octobre 2016.
Consultable en ligne :
https://theconversation.com/en-pologne-et-en-hongrie-les-droits-des-femmes-en-peril-67195

11. Julien Lecot. Trente-deux pays se liguent contre le droit à l'avortement. LIbération. Octobre 2020
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/planete/2020/10/23/trente-deux-etats-se-liguent-contre-le-droit-a-l-avortement_1803273

12. La phrase est attribuée à Malraux, version attestée par André Froissard, journaliste, dans un article du Point de 1993.
Voir lemonde.fr :
https://dicocitations.lemonde.fr/questions-reponses/question/qui-a-dit-le-xxieme-siecle-sera-spirituel-ou-ne-sera-pas/


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Philippe Geluck. Le Chat.

jeudi 22 octobre 2020

SODOMA : UN LIVRE INDISPENSABLE POUR COMPRENDRE LE VATICAN




Je sais bien que les yeux sont plutôt tournés aujourd’hui vers la religion musulmane, le Coran, ses préceptes, ses enseignements, et l’islamisme fondamentaliste. Je reviendrai sur ces sujets un peu plus tard. Je voulais aujourd’hui parler d’un livre particulièrement intéressant que j’ai terminé voilà peu. Celui-ci a été écrit par Frédéric Martel et s’intitule « Sodoma » (1). 


Sodoma est avant toute une somme de témoignages recueillis principalement au Vatican, et majoritairement auprès de religieux, de prêtres jusqu’aux évêques et archevêques, de nonces jusqu’aux cardinaux. Les recherches de Frédéric Martel montrent qu’au sein de l’église catholique romaine, dont le discours des plus hauts représentants est souvent homophobe, nombre de ces représentants, pour ne pas dire une vaste majorité (80% selon l’auteur) sont eux-mêmes homosexuels. De façon schématique et remarquable, plus le discours homophobe est virulent, plus l’homosexualité de ces prélats est marquée. Pour être aussi honnête que possible dans la description de l’ouvrage, cette tendance homosexuelle peut chez certains rester inassouvie, mais elle est, chez bon nombre d’entre eux réellement vécue, soit auprès d’autres prélats (particulièrement des novices), ou auprès de ce qu’il est convenu d’appeler des « escort boys », fournis entre autres par des réseaux de prostitution de jeunes migrants. 

Soyons clair, les préférences sexuelles des uns et des autres m’importent peu, du moment qu’elles restent légales. Ce qui me choque dans ce document, et ce qui a choqué nombre de lecteurs, c’est la révélation du double-double discours tenu par nombre de membres du clergé catholique. Le premier double discours est celui de la supposée chasteté des prélats, notion assez propre à l’église catholique et en tous cas non imposée aux représentants des cultes protestants, ni aux rabbins, ni aux imams et ni aux hindouistes. Le second double discours est celui que j’évoquais plus haut, à savoir la condamnation « urbi et orbi » des comportements que ces mêmes prélats censeurs s’autorisent. 

Les critiques qui ont suivi la publication de cet ouvrage ont rarement remis en cause le travail de Frédéric Martel. Des spécialistes du Vatican, des historiens du christianisme, des journalistes ont reconnu la valeur de l’enquête. Même le Pape François qui a lu le livre, l’a trouvé « bon » et admis qu’il « connaissait déjà un certain nombre des faits [évoqués] » ce qui donne tout son sens aux propos qu’il tenait déjà en 2017 lors d’une messe à son domicile « C’est un scandale de dire une chose et d’en faire une autre. C’est une double vie » (3)... 

Si l’exposition de ses secrets d’alcôve du Saint-Siège est bien entendue très intéressante, la partie encore plus remarquable de Sodoma - et pourtant bien moins discutée dans la presse peut-être parce que moins « croustillante » et plus difficile d’abords - est celle qui traite des querelles politiques violentes, pour ne pas dire de la guerre, qui s’y déroulent. De façon très schématique, ces conflits opposent deux factions. La première est la faction la plus réactionnaire du clergé du Vatican. Celle-ci est proche de certains mouvements d’extrême droite, ou d’organisations catholiques intégristes tels l’Opus Dei, ou proches de dictatures particulièrement en Amérique du Sud. Elle s’incarne dans des personnalités tels que Mgr. Angelo Sodano, cardinal italien et véritable premier ministre de Jean-Paul II, menant grand train de vie au Vatican et très lié au général Pinochet lors de sa nomination au Chili. Également dans ce clan, se trouvent les cardinaux américain Mgrs. Raymond Burke et colombien Alfonso Trujillo. Ce dernier, en guerre contre les couples homosexuels mais lui-même homosexuel, était très proche des mouvances d’extrême droite et des factions paramilitaires qui s’en prenaient aux prêtres dits de gauche en Amérique du Sud. L’autre faction est celle des prélats tenants de la théologie de la libération (4), mouvement venu d’Amérique du Sud également, dont l’objectif principal est - en accord avec les valeurs chrétiennes - la défense des plus pauvres. Proche des gouvernements socialistes tels que celui de M. Salvador Allende, ce mouvement est également présent en Europe par exemple au travers des jeunesses ouvrières chrétiennes, et en Afrique où il a joué un rôle majeur dans la chute de l’apartheid. 

Sodoma explique bien l'opposition virulente entre les deux mondes décrit plus haut, et le rôle plus que trouble joué par les Papes Jean-Paul II et Benoit XVI et certains de leurs cardinaux. Au travers de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et inspirés par l'Opus Dei, ces derniers, dès 1984, critiquaient les positions de M. Miguel D’Escoto et M. Fernando Cardenal, théologiens de la libération et membres du gouvernement sandiniste, au Nicaragua, et de tout autre membre du clergé proche intellectuellement, dénonçant « cette conception d'un Jésus politique, révolutionnaire, du dissident de Nazareth, n'est pas en harmonie avec l'enseignement de l'Église ». On comprend alors mieux les difficultés auxquelles fait face l’actuel pape François, lui-même plutôt proche de la théologie de la libération, même s’il ne s’en revendique pas, et le courage dont il fait doit faire preuve lorsqu’il décrit dans l'environnement très conservateur du Vatican, les conditions des travailleurs sans-abris de Buenos Aires, « victimes d’un esclavage structurel » ou, plus récemment, lorsqu’il dit au sujet des homosexuels « Ce que nous devons faire, c’est une loi de cohabitation civile, ils ont le droit d’être légalement couverts » ou « Les homosexuels ont le droit d’être dans la famille, ils sont les enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille ». 


Références 

1. Frédéric Martel. Sodoma. Robert Laffont, éditeur. Paris. 2019. 

2. Maike Hickson. Report claims Pope Francis read and liked book on homosexuals at the Vatican. Life site. Mai 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lifesitenews.com/blogs/report-claims-pope-francis-read-and-liked-book-on-homosexuals-at-the-vatican

3. Anonyme. Un athée vaut mieux qu’un catholique hypocrite, suggère le pape. Ouest France. Février 2017.
Consultable en ligne :
https://www.ouest-france.fr/societe/religions/pape-francois/un-athee-vaut-mieux-qu-un-catholique-hypocrite-suggere-le-pape-4818033

4. Voir pour l’explicatif sur cette théologie la page wiki :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_de_la_lib%C3%A9ration

Ainsi que les intéressants articles suivant :

Henrik Lindell. Le pape François est-il un théologien de la libération ? La vie. Mars 2013.
Consultable en ligne :
https://www.lavie.fr/christianisme/le-pape-franccedilois-est-il-un-theacuteologien-de-la-libeacuteration-30349.php

Ruggero Gambacurta-Scopello. Qui sont les théologiens de la libération ? Le monde des religions. Juin 2013.
Consultable en ligne :
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/qui-sont-les-theologiens-de-la-liberation-11-06-2013-3155_110.php


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Article de wikipédia sur cet ouvrage


dimanche 27 septembre 2020

LA BIBLE ET LE COLT







Ce sujet est sans doute très éloigné de nos préoccupations loco-locales, mais il est important car il concerne un pays jouant rôle majeur sur cette planète, les États-Unis d’Amérique. Je voulais revenir aujourd’hui sur la nomination de la juge Mme. Amy Coney Barrett auprès de la cour suprême des USA, car cette nomination symbolise tous les travers de ce grand pays, dans lequel j’ai vécu et travaillé pendant 2 ans et où je conserve encore des amis.

 

Beaucoup de choses ont été écrites sur M. Donald Trump, 45ème président des États-Unis. Il est décrit par plusieurs spécialistes de ce pays, par nombreux journalistes - et plus symptomatiques à mon sens - par certains membres de son entourage direct comme inculte, manipulateur, colérique, paranoïaque. J’ajoute que de nombreux de ses propos permettent de le qualifier de sexiste. À mon sens ce qui le rend particulièrement dangereux en interne et à l’international, ce sont son incompréhension des relations internationales et son populisme exacerbé, que l’on retrouve finalement sous son slogan « America first ». Le chapitre des relations internationales mériterait un article ou un livre complet tant ces derniers temps ont vu croître la méfiance américaine pour ne pas dire son déni vis-à-vis du multilatéralisme et des institutions internationales comme les Nations unies ou l’OTAN. Ce déni s’est même étendu à des accords pourtant signés par ce pays, par exemple au sujet du nucléaire iranien. Certains y voient, et je partage ce sentiment, un symptôme d’un déclin américain (1).

 

En en ce qui concerne le populisme, celui de M. Donald Trump comme celui d’autres personnalités politiques du même acabit (telles Mme. Marine Le Pen en France ou M. Viktor Orban en Hongrie) repose sur des traits caractéristiques, au premier lieu desquels on trouve la soi-disant défense d’un patrimoine culturel, d’un art de vivre potentiellement mis en danger par d’autres, que ces autres soient des immigrés, ou de même des nationaux mais de couleur de peau différente. Il s’agit de la stratégie bien connue du bouc émissaire sur lequel je reviendrai sans doute un autre jour. Le deuxième trait commun aux populistes de tous bords est sans aucun doute la dénonciation des élites intellectuelles et des personnalités politiques qui s’opposent à ce populisme, au motif qu’elles seraient à la fois favorables au multiculturalisme dénoncé au moyen de la stratégie du bouc émissaire, et également corrompues. Dans le cas de M. Donald Trump, on retrouve ces éléments sous la forme des attaques qu’il porte aux journalistes, aux intellectuels, et à ses opposants politiques qu’il insulte assez régulièrement. Ceci transparaît également dans la crise sanitaire actuelle et surtout autour de la question gravissime du réchauffement climatique, où les critiques du président américain sont directement adressées à de nombreux scientifiques reconnus pourtant comme spécialistes. Enfin, dernier point caractérisant les populistes, la présence d’un chef charismatique qui, lui, défend les gens ordinaires contre l’élite qui leur ment. On retrouve cela dans l’usage totalement disproportionné que fait M. Donald Trump des réseaux sociaux, et des mots  « fake news » qu’il emploie régulièrement pour disqualifier les informations qui le dérangent (voir (2) au sujet de mon analyse). Que penser également du fait que ce multimilliardaire américain, au vocabulaire comparable à celui d'une élève de 6ème, ait pu convaincre les populations les plus défavorisées du fait qu’il était un candidat « anti système » ?

 

Cette politique populiste fonctionne plutôt bien aux États-Unis. Même s’il n’a été élu qu’avec une minorité des voix des citoyens américains, le potentiel électoral de M. Donald Trump représente grosso modo un votant sur deux alors qu’en France, le potentiel électoral de Madame Marine Le Pen est estimé au mieux qu’à 20/25 % des électeurs. Ce qui justifie cette différence réside à mon avis dans la façon très différente dont se sont construits les deux pays et dans des différences culturelles persistantes. De façon simplifiée pour ne pas dire simpliste, la France, « vieux pays d’un vieux continent » s’est construite au fil des siècles sur un territoire qu’elle n’a pas conquis mais sur lequel sont arrivés nombre de peuples, des Romains aux Maures, des Wisigoths au Normands... Les États-Unis se sont construits bien plus rapidement et sur ce que l’on est bien contraint d’appeler un phénomène de spoliation des terres (essentiellement appartenant aux différentes tribus des Indiens d’Amérique) par la force, et sur l’exploitation de celle-ci par le biais de l’esclavage. Pendant des années, la culture du colt y a régné en maître, et, plus surprenant vu du côté de ce côté de l’océan, elle y a persisté jusqu’à la période contemporaine. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment les autorités de police aux États-Unis ont pu faire usage d’armes à feu contre des suspects désarmés, ou comment les massacres réguliers d’enfants dans des écoles ou des collèges par des individus très lourdement armés n’ont entraîné aucune modification de la constitution américaine qui protège - et quelque part favorise - la détention d’armes de guerre par des particuliers. 

 

Le deuxième élément explicatif des différences entre France et États-Unis, mais peut-être le plus important, est le fait religieux (3). On peut dire qu’en France, pays heureusement laïque, la religion est une affaire personnelle dans laquelle l’État n’intervient que pour garantir sa pratique. Aux États-Unis, et malgré une théorique séparation des Églises et de l'État, la religion est présente dans tout l'espace public. Ainsi, lorsque vous entrez sur le territoire américain, on vous demande votre religion. On ne me l’a demandé l’Ecole de médecine où je travaillais, puis dans les universités où j’ai exercé dans les années 90. Voilà encore peu de temps, même dans les écoles publiques, une période était dédiée à la prière. Par ailleurs, nombre d'artistes, voire de politiques, finissent leur spectacle, leur discours par un traditionnel « God bless you » (Que Dieu vous bénisse), heureusement impensable en France ! Enfin, n’oublions pas que tout nouveau président américain jure sur la Bible*... Le fait religieux aux États-Unis, pays majoritairement protestant, même s’il tend à régresser légèrement, reste extrêmement vivace en particulier dans ce que l’on appelle la « Bible Belt », c’est-à-dire le sud religieux, toujours raciste, homophobe, et très conservateur des États-Unis, fief des chrétiens évangéliques. Les batailles contre la peine de mort, pour le droit à l’avortement, pour l'égalité de traitement des minorités (qu’elles soient noires, hispaniques, LGBT, etc.), menées essentiellement dans les grandes villes démocrates et par les élites intellectuelles et politiques dénoncées par les  populistes, ont donc assez logiquement entraîné la mobilisation de ces chrétiens évangéliques dans la Bible Blet et dans la « Rust Belt », c’est-à-dire dans les territoires où l’activité industrielle avait sensiblement décliné. Or M. Donald Trump doit son élection passée et ne peut être réélu que s’il s’assure du soutien sans faille de la frange la plus réactionnaire de ces mouvements religieux. La nomination de Mme. Amy Coney Barrett, anti-avortement, pro-armes, membre d'une quasi-secte religieuse catholique, à la cour suprême des États-Unis s’inscrit dans ce processus, qui découle, j’espère l’avoir expliqué de façon relativement claire, de la construction de ce pays par la Bible et le colt. De plus, le refus récent mais réitéré de M. Donald Trump d'accepter par avance le résultat du scrutin s'il venait à perdre, suggère qu'il pourrait envisager un recours auprès de la cour suprême pour valider son maintien à la Maison-Blanche. Dans ces conditions, une cour "à sa botte" ne pourrait lui être que profitable pour organiser ce qui apparaîtra aux yeux de beaucoup comme un coup d'Etat juridique... 

* En fait il est théoriquement possible, si le président était musulman, de jurer sur le Coran, la loi n'obligeant pas à jurer sur la Bible... Il en est de même pour les députés et sénateurs. 

 

Références

 

1. Journée d’étude « Donald Trump et la politique étrangère des Etats-Unis: vers quel (dés)ordre mondial? ». Center for Research on the English-speaking World, Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, jeudi 16 Novembre 2017.
Consultable en ligne : https://journals.openedition.org/transatlantica/8699

2. Pap Ndiaye. Donald Trump : le dernier-né du populisme américain. L’histoire, n° 429. Novembre 2016.

3. Henri Landès. Make America great again? Les chrétiens conservateurs : entre attrait pour Trump et rejet de Clinton. Centre de recherches internationales de Science Po.
Consultable en ligne :
https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/make-america-great-again-les-chretiens-conservateurs-entre-attrait-pour-trump-et-rejet-de-clinto