Comme à mon habitude, je publie ci-dessous la lettre de la présidente d'Anticor, association dont je suis membre et qui tente de luter, à son niveau, contre la corruption et contre l'opacité de certaines affaires publiques. Ce dernier message est intéressant dans la mesure où il traite de ce qu'il est convenu d'appeler « l'affaire Lavrilleux », du nom de cette journaliste dont le travail d'investigation a montré comment la France a directement ou indirectement aidé l'Egypte dans des opérations de basse police... Celle-ci a été arrêtée et placée en garde à vue, elle a été menacée lors d'interrogatoires, a subi des pressions inadmissibles dignes de certaines Républiques bananières, son appartement a été fouillé, dans l'espoir de trouver la ou les sources qui l'ont informée, en violation totale des lois francaises. Or, ce qui est grave dans ce dossier c'est qu'il révèle une lente dérive de notre gouvernement vers des pratiques non démocratiques...
Le texte de la présidente d'Anticor apparait en italiques. Les sections tronquées ou ajoutées par mes soins sont signalées entre crochets.
« Anticor est une association qui utilise l’arme judiciaire pour mener à bien ses combats. Elle porte devant la Justice des alertes concernant des atteintes à la probité. Pour que cela soit possible, il faut que les médias puissent écrire, révéler, il faut que les lanceurs d’alerte soient protégés et il faut un agrément anticorruption ! Or, l’association ne fait que constater que les entraves à son activité se multiplient. C’est une tendance inquiétante : le secret se propage, la liberté recule.
Le secret des affaires, qui vise à protéger les intérêts financiers des entreprises, leur permet aussi une opacité certaine sur leurs activités, peu important que ces activités puissent être moralement répréhensibles comme l’optimisation fiscale. Le secret de la vie privée permet aussi à une fondation d’entreprise qui bénéficie indirectement de centaines de millions d’euros d’argent public de garder sa comptabilité secrète. La vie privée, concept inhérent à la personne humaine, permet à des structures qui devraient être d’intérêt général, d’avoir de la pudeur fiscale. Aujourd’hui, c’est le secret défense qui fait parler de lui. Nous le rencontrons souvent dans les procédures lorsque des contrats commerciaux internationaux sont en jeu : dans l’affaire Kazakhgate, impliquant la vente de 45 hélicoptères au Kazakhstan, dans l’affaire des Rafale, ces 36 avions de combat vendus à l’Inde, dans l’affaire de l’attribution de la coupe du monde au Qatar…
Dans un article récent, Médiapart pose la question : « À quoi sert le « secret-défense » ? À protéger des agents en mission ou à protéger des intérêts commerciaux ? À garantir la réussite d’une opération ou à cacher des compromissions ? »
Cette question doit être posée dans un contexte où la liberté de la presse se trouve menacée par le secret-défense. En effet, le 19 septembre 2023, Ariane Lavrilleux, journaliste chez Disclose a été mise en garde à vue dans le cadre d'une enquête judiciaire pour violation du secret défense. Cette journaliste a publié une enquête sur la mission de renseignement française « SIRLI », débutée en février 2016 au profit de l'Égypte au nom de la lutte antiterroriste, qui aurait été détournée par l'État égyptien pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-lybienne.
Après une perquisition à son domicile, Ariane Lavrillieux a été placée en garde à vue durant 39 heures. Cela représente une attaque sans précédent contre la protection du secret des sources des journalistes, qui constitue une des « pierres angulaires de la liberté de la presse et la condition sans laquelle, faute de sources, la presse ne serait plus en mesure de fournir au public des informations sur des questions d'intérêt général », selon les termes de la Cour européenne des droits de l’Homme. Or, sans protection des sources, sans liberté de la presse, la lutte contre la corruption ne serait qu’un vœu pieux. Car c'est justement grâce à une presse libre, à des journalistes indépendants et dont les sources sont protégées qu'Anticor peut dénoncer les atteintes à notre pacte républicain.
Mais au-delà du cas d'Ariane Lavrilleux, Anticor s’inquiète de l’état des médias en France, alors que ceux-ci sont concentrés dans la main de quelques-uns. L’association Acrimed publie et met à jour un état des lieux de cette concentration : https://www.acrimed.org/Medias-francais-qui-possede-quoi. Nous savons pourtant que le pluralisme des entreprises de presse est une condition de la démocratie.
[...] Alors que demain, le Président de la République ouvrira les états généraux de l'information, il est nécessaire de porter une voix citoyenne de défense de nos libertés, y compris celle d’être informés.
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