jeudi 5 septembre 2024

BRUNO VA-T-IL ENFIN LA FERMER ?

 

La récente déclaration de l’ex-ministre des finances, M. Bruno Le Maire, a fait réagir un certain nombre de personnalités de tous bords politiques. En ma qualité d’ancien élu, je m’associe à ces réactions, tant le propos que j’explicite ci-dessous me paraît outrancier, injuste, et, disons-le, mensonger !

Dans une lettre envoyée lundi 2 septembre 2024 aux parlementaires, M. Bruno Le Maire indique à propos du budget 2024, que celui-ci devrait connaître un déficit plus important que prévu, de l’ordre de 16 milliards d’euros. Coupables selon l’ancien ministre : les collectivités locales et leurs dépenses excessives. Ceci est évidemment un gros bobard !

Cette technique du bouc émissaire est en réalité, un classique en politique. Elle permet de détourner le regard du simple citoyen de l’action des vrais responsables, en lui proposant comme géniteur de tous ses maux une personne, un groupes de personnes, morales ou physiques sur lequel le simple citoyen pourra épancher sa colère. Comme l’écrivait le sociologue Pierre Mouterde : « le fait de choisir, sous la forme d’un ennemi tout trouvé, un bouc émissaire sur lequel on pourra décharger son agressivité rentrée ou ses haines contenues permet à ceux et celles qui ont l’impression d’être socialement en position précaire ou défavorable, de se gorger de sentiments de force et de puissance, et par conséquent, d’avoir l’impression de tenir en lisière les peurs qui les hantent. Et cela parce qu’ils se trouvent à pouvoir soudainement faire corps avec un groupe qui se soude autour d’eux et fait bloc devant l’image d’un danger appréhendé qu’on a dressé devant eux et illusoirement présenté comme étant à la source de tous leurs maux » (1).

Notre sympathique ex-ministre des finances met donc en cause les collectivités locales et leurs dépenses excessives pour expliquer les dérapages budgétaires. Malheureusement, « il se trompe » de coupables. En effet, comme de nombreux lecteurs de ce blog le savent, les collectivités territoriales, tels que communes ou syndicats intercommunaux, ne peuvent présenter un budget en déficit. Les dépenses doivent y être équilibrés par celui des recettes appropriées. Mais, me direz-vous, certaines dépenses sont telles que les communes doivent emprunter pour les réaliser. Effectivement, les communes peuvent emprunter mais seulement pour investir, et en aucun cas pour assurer le fonctionnement communal, une différence majeure avec l’Etat, qui lui ne se prive pas d’emprunter pour son fonctionnement. De plus, le montant de ces emprunts doit rester limité, tant en montant global qu’en termes de charge de la dette, c’est à dire en termes de remboursement des sommes empruntées. On considère qu’une commune dont le taux moyen de la charge de la dette est d’environ 6 à 12% fonctionne de façon correcte. En dessous, elle n’investit pas assez pour ses administrés, et au-dessus de 18%, les clignotants rouges s’allument en Préfecture, pouvant décider celle-ci à prendre la main sur le budget communal. Au national, le montant des recettes prévues pour 2024 s’élève à 310 milliards d’euros, et celui des dépenses à 450 milliards générant un déficit de l’ordre de 140 milliards d’euros qui sera couvert par l’emprunt… En 2023, la charge de la dette représentait environ 55 milliards d’euros, soit… 18% des recettes. On est donc bien dans une situation qui vaudrait à une commune ou à un syndicat intercommunal, plus que des remontrances de la Préfecture.

Deuxième point, les budgets communaux se doivent d’être « sincères ». Ceci signifie que lors des prévisions de budget, les recettes ne doivent pas être surestimées et les dépenses ne doivent pas être masquées. C’est d’ailleurs ce que nous a avons fait pendant nos 12 ans de mandat municipaux au cours desquels les élus responsables des finances ont systématiquement maximisé les dépenses et minimisé les recettes. Malheureusement, ce n’est pas ce que fait l’Etat depuis 2 ans avec, entre autres, un budget prévisionnel très optimiste en termes de rentrées. La cour des comptes s’en est émue, et l’a écrit en termes polis dans un rapport récent : « Les raisons de cette dégradation sont multiples mais tiennent, en premier lieu, à une loi de finances initiale peu ambitieuse. […] En cours d’année, les rentrées fiscales se sont révélées inférieures aux prévisions, alors que dans le même temps, la charge de la dette augmentait plus rapidement que prévu et que le besoin de financement de l’État atteignait son pic historique » (2).

Enfin, dernier point que M. Bruno Le Maire se garde bien d’évoquer : le non-versement de certaines rentrées fiscales dues aux communes. Lors d’une discussion récente avec le maire d’une ville voisine, celui-ci me confiait que sa commune attendait toujours les subsides promis par la région Ile-de-France, ainsi que les compensations de la TVA de 2023, connues sous le terme de FCTVA. Ce FCTVA, acronyme de « fond de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée » est, et je cite le site gouvernemental qui lui est consacré, « une dotation versée aux collectivités territoriales et à leurs groupements, et destinée à assurer une compensation, à un taux forfaitaire, de la charge de TVA que ces derniers supportent sur leurs dépenses réelles d’investissement et qu’ils ne peuvent pas récupérer par la voie fiscale ». Il se trouve que ce FCTVA constitue une des principale aides de l’Etat aux collectivités territoriales en matière d’investissement. Si ces subsides ne reveinent pas aux communes, il faudra les compenser par de l’emprunt ou par des augmentations d’impôts de type taxe foncière. Notre ancien ministre des finances ne manque donc pas d’air lorsqu’il accuse les collectivités locales, et donc majoritairement les communes et communautés d’agglos ou de communes, d’être responsables de l’accroissement des déficits publics. Qu’il balaye devant sa porte pour commencer !

Au vu de ce qui précède, et si j’étais cavalier, j’aurais donc tendance à dire « Bruno, ferme-là s’il te plait et retourne à la rédaction de tes bouquins ». Dans le micmac actuel, le seul point positif de la nomination d’un nouveau premier ministre est la constitution d’un nouveau gouvernement à venir, dont M. Bruno Le Maire pourrait être exclu. Ceci dit, il n’y a aucune certitude à cela au vu du coup de barre à droite impulsé par l’actuel président en lien avec le choix de M. Michel Barnier à Matignon. J’y reviendrai bientôt, tant cette décision me semble constituer un coup de canif, voire de poignard dans le contrat liant le président à la nation. Mais ceci est une autre histoire, comment le dirait le très britannique Rudyard Kipling…



Références :

1. Pierre Mouterde. En finir avec la droite ! Réflexions autour de la mécanique du bouc émissaire. Les nouveaux cahiers du socialisme, 23, 148, 2020.

2. Le budget de l’Etat en 2023. Résultats et gestion. Rapport de la Cour de Comptes. Synthèse. Avril 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ccomptes.fr/fr/documents/69402



Crédit illustration : 

Montage personnel

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