On le sait, notre pays fait face depuis des années à un problème de finances publiques, les dépenses excédant les recettes. Ceci conduit à financer le déficit par l’emprunt, creusant ainsi la dette et obérant l’action publique sur le long terme… On en voit les conséquences depuis des années, tant la dégradation des services publics est prégnante, de la justice à l’hôpital, des forces de sécurité à l’école… Aujourd’hui, ce billet jette un regard sur la situation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), dans une situation plus que critique…
Avant d’aborder le cœur du sujet, il convient que je précise ma pensée. Pour avoir travaillé avec différents services de l’État, j’ai constaté que d’une façon globale notre secteur public souffre d’un excès d’administratifs et d’un manque d’opérationnels. Il y a donc ici des efforts à faire pour rétablir une plus juste répartition des effectifs. Cependant, le problème majeur ne se situe pas là, mais plutôt au niveau de la façon dont les budgets ont été conçus depuis longtemps. Premier point, par volonté et dogmatisme politiques, les recettes de l’État ont été sensiblement rabotées depuis des années. Ainsi, rien qu'en 5 ans, de 2017 à 2022, la politique menée par M. Emmanuel Macron a conduit à une réduction de 80 milliards des recettes publiques. La Cour des Comptes s’en est émue dans un rapport où elle indiquait qu’il était « nécessaire de préserver les recettes des administrations publiques » (1). Ces pertes de recettes sont liées à la suppression ou à la baisse d’impôts tels la taxe d’habitation, l’impôt sur les sociétés ou des impôts de production. On peut y ajouter l’existence de niches fiscales peu efficaces, voire contre-productives tels le crédit d’impôt recherche (autour de 7 à 8 milliards aujourd’hui) et les aides bénéficiant directement aux industries des hydrocarbures, très polluantes. Terminons par les exonérations de cotisations qui « plombent les recettes de la Sécu, comme les primes exceptionnelles défiscalisées ou encore la suppression du forfait social. Résultat, pour 2022, les pertes brutes de recettes liées à ces allègements dépasseraient 83 milliards d’euros, selon les estimations du gouvernement, un montant que la Cour considère comme « sous-évalué » » (2).
Deuxième point : s’ajoutent à ce qui précède l’évasion et la fraude fiscales, pour un montant estimé de 80 à 100 milliards (3), un sujet que nos élites politiques ne semblent pas très pressées de prendre à bras le corps. Ainsi, le nombre d’agents de l’État en charge des finances publiques et des contrôles ne cesse de diminuer depuis 20 ans (3 000 postes perdus), comme diminuent les contrôles sur site des entreprises et des particuliers, malgré les annonces en trompe l’œil du gouvernement (4). On est passé par exemple de 38 359 vérifications générales de comptabilité des entreprises en 2008 à 21 324 en 2022 (alors que leur nombre a cru), et de 4 166 examens de situation fiscale personnelle de particuliers en 2008 à 2 293 en 2024 (4). Sans commentaires !
Tout ce qui précède fait donc que nombre de services publics n’ont plus les moyens de fonctionner correctement. Et comme dans toutes situations budgétaires dégradées, deux domaines sont les premiers à faire les frais de nouvelles restrictions : la culture et la recherche… J’en veux pour preuve les propos récent de M. Antoine Petit, actuel président du CNRS, nommé par M. Emmanuel Macron. M. Petit a indiqué au personnel de son centre de recherches (24 000 personnes) qu’il ne financerait plus de façon conséquente que 25% des laboratoires de recherches (soit 1 sur 4), qu’il appelle à la façon « start-up nation » de son mentor, du terme ronflant de « keylabs ». Faut-il voir là la traduction d’une certaine forme du « darwinisme social » dont il avait fait preuve en énonçant qu’il fallait « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale » ? Possible. La réalité est pourtant moins clinquante. Les premiers essais de keylabs n’ont, en effet, pas été du tout concluants. « Il serait dommage de ne pas rappeler le glorieux bilan d’un des plus anciens et des plus connus : celui opéré par le Professeur Raoult qui, à la tête de l’université Aix-Marseille-II, en préleva les « meilleurs » chercheurs pour constituer ce qu’on n’appelait pas encore un KeyLab : l’IHU Méditerranée Infection. Le rayonnement de ce KeyLab fut tel qu’il fut salué par M. Elon Musk, le 16 mars 2020, par un tweet qui déclencha l’exaltation de la classe politique mondiale : « Maybe worth considering chloroquine for COVID-19 ». […] Le 9 avril 2020, sur les conseils insistants de M. Bernard Arnault, M. Macron rendait visite à la star mondiale autour de laquelle s’organisait ce KeyLab pionnier. Des mois plus tard, en septembre 2021, il rendrait publique son évaluation mûrement réfléchie : « Il faut rendre justice à Didier Raoult qui est un grand scientifique ». La même année, René Ricol (commissaire général à l’investissement) confirma le verdict : « Quoi qu’on en dise, l’IHU de Didier Raoult à Marseille est un succès » » (5). La suite de l’histoire on la connait : des rétraction d’articles, des poursuites pour des expériences menées sur des humains sans autorisation… Au vu de tout cela, il faudrait donc être très borné pour contester le bien-fondé de ces keylabs ! Nous sommes bien sûr dans ce propos sur du second degré !
Derrière les mouvements de mentons virils des promoteurs de ces keylabs, se cache une vérité plus dérangeante ; celle de la chute des budgets dévolus à l’ESR. Selon mes collègues du collectif Rogue ESR, si le budget brut alloué à l’ESR est en augmentation régulière depuis 15 à 20 ans, il n’en va pas du tout de même si on le calcule à euros constants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation. Dans ces conditions, il baisse depuis la loi de programmation de 2021 de 1,6% par an, nous ramenant ce jour aux valeurs de 2011, presque 15 ans en arrière. Et pire, si l’on s’intéresse au budget par étudiant, celui-ci baisse depuis 2012 en moyenne de 1,25% par an, nous ramenant aux valeurs d’avant 2005. Le graphe ci-dessous (tiré de 5) est en l’espèce très parlant.
Légende : budget total de l’Université et de la recherche décomposé en trois parties : la charge de service public pour l’Université, la charge de service public pour la recherche et la part de budget transférée au privé ou à des institutions publiques.
(A) Représentation sans compensation de l’inflation. (B) Représentation en euros de 2024, avec compensation de l’inflation (INSEE). (C) Budget de l’Université (programme 150) rapporté au nombre d’étudiants à l’Université, avec compensation de l’inflation (projections de la Banque de France) (5).
La conséquence de tout cela se traduit dans la production scientifique : « Depuis l’adoption de la loi de programmation de la recherche, les budgets pour l’Université et pour la recherche publique chutent rapidement, du fait de l’inflation. […] Le projet annuel de performances accélère son ambition de déclin rapide de la production scientifique française. La cible de production scientifique était de 1,3% de la production mondiale en 2023, de 1,2% en 2024. Elle est désormais de 0,9%. La cible de production scientifique était de 6,6% de la production européenne en 2023, de 6,2% en 2024. Elle est désormais de 5,2%. L’indicateur comparant la production scientifique française à celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni a été supprimé. La haute fonction publique est donc consciente de ce que les réformes structurelles menées conduisent à un décrochage scientifique beaucoup plus rapide que la simple baisse des budgets — l’utilisation d’indicateurs quantitatifs ineptes n’enlève rien à ce constat » (5).
En lien avec ce que je décrivais plus haut dans l’article, des solutions existent. Il faut pour cela avoir le courage de supprimer le crédit impôt recherche dont l’efficacité est remise en cause par la Cour des Comptes, et qui représente à lui seul presque 2 fois et demi le budget du CNRS. Rogue ESR propose aussi de réformer d’urgence « le financement public de l’alternance (20,4 milliards d’euros auxquels il faut ajouter 7,2 milliards d’euros d’apprentissage) » (5) pour le réallouer en partie au service public. « Les économies budgétaires réalisables sont considérables : les centre de formation en alternances, sociétés commerciales, redistribuent 32,5% des excédents sous la forme de dividendes aux actionnaires » (5)...
L’enseignement supérieur et la recherche sont sur la paille, c’est donc un fait. Nous n’en sortirons qu’en construisant un modèle alternatif à celui qui a conduit à 20 ans de décrochage scientifique, de précarisation, de paupérisation et d’insignifiance bureaucratique. Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin !
Références :
1. Anonyme. La situation et les perspectives des finances publiques. Rapport de la Cour des Comptes. Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-situation-et-les-perspectives-des-finances-publiques-13
2 Christian Chavagneux. Baisses d’impôts : il faut arrêter le quoi qu’il en perde ! Alternatives Économiques. Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.alternatives-economiques.fr/christian-chavagneux/baisses-dimpots-faut-arreter-quoi-quil-perde/00103988
3. Tristan Gaudiaut. Fraude fiscale : La fraude fiscale surpasse la fraude sociale. Statista. Octobre 2024.
Consultable en ligne :
https://fr.statista.com/infographie/29761/comparaison-fraude-fiscale-fraude-sociale-montants-detectes-et-estimes/
4. Anonyme. Lutte contre la fraude fiscale : parlons chiffres et revenons sur terre. ATTAC-France. Mars 2024.
Consultable en ligne :
https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/lutte-contre-la-fraude-fiscale-parlons-chiffres-et-revenons-sur-terre
5. Anonyme. Analyse du projet de loi de finance 2025. Rogue ESR. Octobre 2024.
Consultable en ligne :
https://rogueesr.fr/category/billets/
Crédit illustration (haut de page) :
Tiré de :
https://dialectical-ecologist.fr/un-financement-perenne-pour-une-recherche-scientifique-independante-et-de-qualite/
D'après Rhodo.
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