Dans deux articles récents de ce blog, je m'étonnais de l'obstination gouvernementale à vouloir faire passer « quoi qu'il en coûte » une contre-réforme des retraites injuste et inutile, au vu des justifications proposées. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le gouvernement, plusieurs éléments me laissent penser que l'objectif final n'est pas réellement la préservation du système de retraite « à la française ».
Autant le dire tout de suite, je ne suis pas un spécialiste pointu des retraites. En revanche, je suis tout à fait capable de lire des rapports. J'ai donc parcouru ceux du conseil d'orientation des retraites (COR) et je constate que quelles que soient les options retenues, et à moins d'un effondrement général de l'économie, il n'y a pas un péril majeur en la demeure. Certes, le système présente un déficit léger entre maintenant et 2030, plus creusé entre 2030 et 2050, date d'un retour à l'équilibre, mais celui-ci est compensable par plusieurs mesures sans contrainte sur l'âge de départ imposé. Si l'on se limite aux aspects techniques, il existe au moins deux autres façons de réduire ce déficit limité. La première est la baisse des pensions. Cette option ne peut cependant être retenue pour les retraités modestes ou pauvres, particulièrement dans un contexte inflationniste dont on ignore la magnitude et la durée. La seconde possibilité est la hausse des cotisations, option qui semblerait être favorisée par une majorité de Français, selon un sondage récent (1), et qui présente l'avantage d'être modulable en fonction des revenus salariaux. En d'autres termes on pourrait, pour les petits et les moyens salaires, proposer une augmentation très limitée de la cotisation retraite (de l'ordre de 10 € par mois coté salarié et côté patronal), et une augmentation plus forte pour les revenus supérieurs (jusqu'à 150 ou 200 euros mensuels pour des revenus supérieurs à 5000 euros mensuels à partager entre employeurs et employés). Cette option mise en avant par les économistes tel que M. Michaël Zemmour (2) est également proposée par le club des « économistes atterrés » (3).
En termes de recettes, il existe aussi au moins deux autres options envisageables. La première consiste à faire cotiser l'ensemble des revenus salariaux. N'oublions pas que de très nombreux revenus font l'objet d'exonérations de cotisations sociales. Les heures supplémentaires et complémentaires des salariés sont, je cite ATTAC : « exonérées de cotisations sociales salariales d’assurance vieillesse-veuvage et de retraite complémentaire dans la limite de 11,31 %. Existe aussi une déduction forfaitaire patronale pour heures supplémentaires : 1,50 % de déduction forfaitaire par heure supplémentaire ou 10,50 € par jour de repos auquel il est renoncé [...] Les estimations d’exonérations de cotisations sociales sont de l’ordre de 75 milliards € par an, dont 17 milliards concernent les cotisations vieillesse. Cela représente un potentiel de cotisations sociales supplémentaires pour toutes les branches de la Sécurité sociale. D’autre part, les cotisations vieillesse disparaissent au-dessus du plafond de la Sécurité sociale. En ce qui concerne l’assurance vieillesse, ces 17 milliards couvriraient largement le défit annoncé (4)». Dans le même ordre d'idées, ATTAC propose également de réfléchir à l'option de faire cotiser à l'assurance vieillesse, à taux identique à celui des revenus salariaux, les sommes issues de l’intéressement et de la participation. Selon leurs chiffres, les montants récupérables seraient de l'ordre de 6,5 milliards d'euros. Si on ajoute cette somme aux 17 milliards mentionnés plus haut, on disposerait de 23,5 milliards de rentrées complémentaires pour la caisse nationale d'assurance vieillesse. ATTAC indique que cette somme permettrait de combler près de deux fois le déficit annoncé (4).
La seconde option de recettes complémentaires vise à faire cotiser les dividendes reçus par les actionnaires. Là aussi, ATTAC a fait ses calculs. Se fondant sur le montant des profits distribués en 2019 et 2021, et « si on appliquait le taux de cotisation vieillesse de 28,1 %, ce sont respectivement pour ces deux années 31,9 et 31 milliards qui s’ajouteraient au montant des cotisations » (4). L'association précise que cette proposition ne fait pas consensus au sein du mouvement social pour plusieurs raisons. À titre personnel, cependant, j'y vois une logique, puisque les bénéfices distribués sont bien issus du travail des salariés, et qu'ils devraient dès lors cotiser comme tels. En d'autres termes, comme le dit ATTAC, « l’idée principale de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales est donc qu’il ne rompt pas le lien entre le travail et la cotisation ; simplement, il accroît la masse salariale et son poids relatif dans la valeur ajoutée nette par un déplacement du curseur au sein de celle-ci ».
À ce stade, on observe donc qu'il existe une multitude de pistes - et encore en n'ai-je exploré qu'une partie - qui permettraient d'assurer un financement pérenne du système de retraite pour les 30 années à venir. Il faut donc revenir à la question que je posais en en-tête pour essayer de comprendre pourquoi ces propositions ne sont pas retenues. Ma réponse à la question est qu'il ne s'agit en aucun cas de sauver le système de retraite, mais de faire de grosses économies sur le dos des retraités, afin d'assurer des financements complémentaires au budget national. Les sommes ainsi dégagées du PIB pourront alors être réaffectées à d'autres usages, et en particulier aux aides massives aux entreprises. Rappelons, d'ores et déjà, les sommes en jeu. En 2018, le montant de ces aides évoqué par des représentants de l'État se montait à 140 milliards d'euros, ce qui représentaient alors « l’équivalent de 5,6 % du PIB, en augmentation de 215 % sur un tout petit peu plus de 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 7,2 % par an » (5). En 2021, et selon l'Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES), ces aides ont atteint la somme incroyable de 157 milliards d'euros. La loi de finances 2023 apporte également son lot de défiscalisations supplémentaires, en particulier au travers de la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et ce sur les deux ans à venir. Cette suppression représente à elle seule un manque à gagner annuel d'environ 15 milliards d'euros soit à peu près l'équivalent du déficit prévu des retraites jusqu'en 2030...Comment donc ne pas être d'accord toujours avec Michaël Zemmour quand il parle d'une stratégie délibérée de mise en déficit du système des retraites (6)
À ce stade, on observe donc qu'il existe une multitude de pistes - et encore en n'ai-je exploré qu'une partie - qui permettraient d'assurer un financement pérenne du système de retraite pour les 30 années à venir. Il faut donc revenir à la question que je posais en en-tête pour essayer de comprendre pourquoi ces propositions ne sont pas retenues. Ma réponse à la question est qu'il ne s'agit en aucun cas de sauver le système de retraite, mais de faire de grosses économies sur le dos des retraités, afin d'assurer des financements complémentaires au budget national. Les sommes ainsi dégagées du PIB pourront alors être réaffectées à d'autres usages, et en particulier aux aides massives aux entreprises. Rappelons, d'ores et déjà, les sommes en jeu. En 2018, le montant de ces aides évoqué par des représentants de l'État se montait à 140 milliards d'euros, ce qui représentaient alors « l’équivalent de 5,6 % du PIB, en augmentation de 215 % sur un tout petit peu plus de 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 7,2 % par an » (5). En 2021, et selon l'Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES), ces aides ont atteint la somme incroyable de 157 milliards d'euros. La loi de finances 2023 apporte également son lot de défiscalisations supplémentaires, en particulier au travers de la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et ce sur les deux ans à venir. Cette suppression représente à elle seule un manque à gagner annuel d'environ 15 milliards d'euros soit à peu près l'équivalent du déficit prévu des retraites jusqu'en 2030...Comment donc ne pas être d'accord toujours avec Michaël Zemmour quand il parle d'une stratégie délibérée de mise en déficit du système des retraites (6)
Tout se passe donc comme si l'actuel gouvernement était en train de transférer une part du salaire différé qu'est la retraite pour le reverser sous forme de nouvelles exonérations aux entreprises. La contre réforme des retraites ne constitue donc, ni plus ni moins, qu'une privatisation des revenus des salariés - et des fonctionnaires - au bénéfice d'intérêts privés. Le tout pour des montants qui constituent, eux, véritablement « un pognon de dingue » !
Références :
1. Grégoire Poussielgue. Retraites : les Français favorables à une réforme, mais pas à celle d'Emmanuel Macron. Les Echos. Janvier 2023.
Consultable en ligne :
https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/sondage-exclusif-retraites-les-francais-favorables-a-une-reforme-mais-pas-a-celle-demmanuel-macron-1897646
2. Michaël Zemmour. Combien de cotisations faudrait-il pour équilibre le système en 2027 ?
Alternatives économiques. Octobre 2022.
Consultable en ligne :
https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2022/10/27/combien-de-cotisations-faudrait-il-pour-equilibre-le-systeme-en-2027
3. Les économistes atterrés. Dossier retraite.
Consultable en ligne:
https://www.atterres.org/themes/retraites/
4. Jean-Marie Harribey. Faire cotiser… Attac. Février 2023.
Consultable en ligne:
https://france.attac.org/nos-publications/petites-fiches/article/fiche-faire-cotiser
5. Maxime Combes. Plus de 140 milliards d’euros par an : la hausse exponentielle des aides aux entreprises. LVSL. Juillet 2022.
Consultable en ligne:
https://lvsl.fr/plus-de-140-milliards-deuros-par-an-la-hausse-exponentielle-des-aides-aux-entreprises/
6. Jules Brion. Il y a une stratégie de mise en déficit du système de retraites - Entretien avec Michaël Zemmour. Avril 2022.
Consultable en ligne:
https://lvsl.fr/il-y-a-une-strategie-de-mise-en-deficit-du-systeme-de-retraites-entretien-avec-michael-zemmour/
Consultable en ligne:
https://lvsl.fr/il-y-a-une-strategie-de-mise-en-deficit-du-systeme-de-retraites-entretien-avec-michael-zemmour/
Crédit illustration :
Dessin personnel sur une affcihe vue en manifestation
2 commentaires:
Merci beaucoup de faire ce travail de synthèse pour nous, même si comme vous le précisez cet article n'est pas exhaustif. En tout cas, il est très clair.
Bien à Vous.
Nadia Hache.
Merci pour cet article, objectif et salutaire !
Joëlle Ghirlanda
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