Impossible, à moins de n’avoir plus aucun contact avec l’information, d’avoir loupé les déclarations de notre jeune et sémillant ministre de l’éducation nationale, M. Gabriel Attal, indiquant l’interdiction du port de l’abaya à l’école dès la rentrée. Cette décision comporte une facette positive, et pose dans le même temps un certain nombre de questions. Elle sert surtout, à mon sens, à masquer les véritables problèmes que les gouvernements Macron n, n+1, n+2, etc. s'échinent à ne pas traiter, on verra pourquoi...
Un mot pour parler de cette abaya, vêtement consistant en une robe longue et large, à l’origine portée par les femmes des populations bédouines, puis adoptée par certaines au Moyen-Orient et au Maghreb, plus rarement en Indonésie et en Malaisie. Contrairement à ce qui est propagé par certains, l’abaya n’est pas un vêtement explicitement religieux. Il n’en n’est fait nulle part mention dans le Coran. Nombre de dignitaires musulmans confirment d’ailleurs ce fait. Ne soyons cependant pas aveugles : l’abaya se porte de plus en plus dans certains pays musulmans, depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion d’organisations islamistes conservatrices. Il ne peut donc être exclu que des pressions soient exercées sur certaines jeunes, au sein de familles traditionalistes, pour « inciter » leurs filles à s’affubler de ce vêtement, y compris en France. Il s’agirait donc dans ce cas d’une forme d’oppression à connotation religieuse, et même si l’abaya n’en comporte aucune à l’origine, on se trouverait alors en face d’une instrumentalisation de l’objet.
Je ne rentrerai pas dans le débat actuel autour de la « police du vêtement » ou de la stigmatisation de certains, car ce serait participer au bruit de fond ambiant, et donc devenir facilitateur des objectifs poursuivis par notre ministre. Soit dit en passant, les règles vestimentaires existent dans tous les pays du monde y compris en Europe, souvent en lien avec un contexte religieux, certes, mais pas toujours. Remarquablement, la très grande majorité concerne la population féminine, pour laquelle ces règles constituent souvent le socle d’une forme de contrôle social. Je disais plus haut que cette décision relative au port de l’abaya, pour discutable qu’elle soit (ce, au sens premier du terme, c’est-à-dire sujette à discussion), voire disputable (quasiment au sens de la disputatio médiévale, visant à progresser dans une recherche commune de la vérité), présente un seul aspect positif : celui de ne pas laisser les chefs d’établissements seuls face à une décision à prendre. Quelle que soit la solidité des arguments relatifs à l’interdiction du port de ce vêtement, et l'avenir de cette décision en Conseil d'État, au moins la règle est maintenant claire et les élèves et leurs parents informés.
Au-delà, cette décision relève à mon sens du tour de bonneteau, ce jeu où l’on dissimule la carte ou l’objet à trouver sous des gobelets que l’on déplace en trompant le joueur. Le ministre procède ici de même, en désignant quasiment dès sa nomination un pseudo problème comme prioritaire, alors que les vraies priorités, comme la vérité dans les X-files, est ou sont ailleurs ! Le port de l’abaya et les problèmes rencontrés concernent ainsi 500 établissements scolaires selon le ministre lui-même, moins pour certains spécialistes, sur les quelques 60 000 établissements que compte notre pays. On est donc face à un « problème » dont l’occurrence est inférieure à 0,85 %. Difficile d’y voir une priorité, d’autant plus que bien d’autres problèmes concernent eux, un très grand nombre d’établissements... Parmi ces problèmes, parlons tout de suite du manque d’enseignants. À mon sens, celui-ci résulte de deux facteurs principaux. Le premier est la dévalorisation sociale du métier d’enseignant. Depuis des années, ceux-ci ont été moqués, traités de fainéants ayant accepté le poste que pour les congés, voire insultés… Le problème vient d’en haut, de nombre de nos politiques dont l’expression populiste n’avait pour objectif que de dévaloriser la profession, sans doute pour ramasser quelques voix complémentaires très à droite où le prof-bashing (désolé pour l’anglicisme) est un sport national. Dois-je rappeler les propos de M. Nicolas Sarkozy, président de la république et repris de justice à la syntaxe par ailleurs souvent approximative, disant lors d’une interview « [qu’un] professeur travaille six mois par an », ceux de M. Xavier Darcos « …nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches », ou ceux de Mme Sibeth N’Diaye, affirmant sans rire, lors du confinement, que « …les enseignants ne travaillent pas parce que les établissement sont fermés », alors qu’il leur faillait gérer les cours à distance sans moyens dédiés. Tout cela pour ne citer que trois exemples. Certes, les professeurs ne sont pas tous bons ou excellents, et la structure éducation nationale (EN) où le « pas de vagues » règne en maitre, ne les aide pas dans leurs missions. Mais même « moyens », nos enseignants ne méritent pas le mépris auquel ils sont confrontés. Ce mépris, qui est de fait un mépris de classe, a percolé dans la population et se retrouve dans les discours de café du commerce où l’on dit pis que pendre de ces pauvres profs, ce jusque dans notre commune où des enseignants grévistes ou malades ont été accusés par nos si compatissants élus de prendre élèves ou parents en otages !
Le deuxième problème est consubstantiel au premier. Les salaires, même légèrement revalorisés restent faibles, et surtout pour les non-titulaires, travailleurs quasiment corvéables à merci. Quand on dispose d’un master de mathématiques, soit un bac+5, mieux vaut se faire embaucher par une entreprise du monde de la banque ou de l’assurance, plutôt que comme vacataire par l’EN, les salaires de débutants étant au bas mot dans un rapport de 1 à 2, voire 2,5. Résultats des courses : entre dévalorisations sociale et financière, on ne peut que constater une désaffection de nos jeunes pour les métiers de l’enseignement. C’est pour cette raison, i.e. le manque de professeurs, que la récente réforme du lycée a acté la disparition d’enseignements de mathématiques en première et terminale, l’EN n’étant plus en mesure, matériellement, de les assurer. Il en est de même pour le non redoublement, car il faudrait disposer, pour pouvoir les autoriser sans alourdir les effectifs par classe, de 10% d’enseignants du primaire en plus. C’est en grande partie aussi pour cette même raison, le manque de professeurs, que les élèves de certains départements défavorisés, Seine-Saint-Denis en tête, perdent par rapport à ceux d’autres départements une année de scolarité sur la totalité de leur parcours. Cette année encore, et contrairement aux engagements du gouvernement, il manquera plus de 3 150 professeurs, dont plus de 1 300 dans les écoles et 1 850 dans les collèges et lycées. Il manquera aussi plus de 1 500 infirmiers et infirmières scolaires. Je doute d’ailleurs que le gouvernent change quoi que ce soit à cette situation. Tout au plus utilisera-t-il des « astuces » pour pallier les manques évoqués, car il anticipe de facto une baisse régulière des effectifs dans le primaire, puis, dans le secondaire. Celle-ci est évaluée à 500 000 élèves entre 2022 et 2027, dont 400 000 dans le premier degré et plus de 100 000 dans le second degré. Dans ce contexte tendu, la question de l’abaya me semble, non pas dérisoire, mais certainement aucunement prioritaire à traiter... Elle est en revanche beaucoup plus facile à « aborder », même si la décision actuelle ne la règle en rien au fond. Elle est aussi, sans aucun doute, plus payante politiquement surtout si l'on estime qu'il y aurait, motivant cette agitation subite, des arrières-pensées électorales en regard de la montée du RN ! Bref, l’abaya, tu la vois, tu ne la vois plus, un peu comme ces cartes qui disparaissent mystérieusement dans ce jeu d’escrocs qu’est le bonneteau...
Crédit illustration :
Message de Cécile Duflot sur le réseau X.
Vu sur :
https://www.topito.com/top-differences-robe-abaya
mardi 5 septembre 2023
L’ABAYA OU LE BONNETEAU DE LA RENTRÉE SCOLAIRE
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