vendredi 17 novembre 2023

Y A-T-IL UN RISQUE DE VOIR UNE ÉPIDÉMIE DE FIÈVRE HÉMORRAGIQUE EN EUROPE ?

J’ai discuté voilà peu avec un ami du risque de voir apparaitre une épidémie d’Ebola en France. Cette maladie fait visiblement peur. Dans un article de blog ancien (1), j’indiquais cependant en quoi il était peu probable de voir se développer une telle épidémie en Europe. Mais y a-t-il un risque de voir se propager d’autres maladies de type fièvres hémorragiques ?

Le terme fièvre hémorragique recouvre un ensemble de maladies diverses, la plupart étant d’origine virale. Cependant, au moins une bactérie est capable de déclencher chez l’homme une pathologie de type fièvre hémorragique. Il s’agit d’une entérobactérie très proche de la célèbre Escherichia coli, dénommée Shigella sonnei. Ces micro-organismes causent des shigelloses, caractérisées par des diarrhées sanglantes très contagieuses, et qui peuvent, dans les cas les plus graves, conduire au décès des patients atteints. L’institut Pasteur alerte sur son site (2) sur ces pathologies, d’autant plus redoutables que les souches responsables sont devenues assez fréquemment résistantes aux antibiotiques dits de première ligne (comprendre ceux prescrits de façon usuelle par votre médecin), et même à ceux de dernière génération. Elles restent en partie sensibles aux antibiotiques d’usage hospitalier, mais ceux-ci sont en général plus agressifs, devant d’ailleurs être administrés par voie intraveineuse. Le risque de voir des shigelloses hémorragiques se développer en France est limité, mais réel cependant, d’autant que la plupart des cas ont été observés « chez des voyageurs revenant d'Asie du Sud ou d'Asie du Sud-Est, ou au cours d’une épidémie survenue dans une école en 2017 », le cas initial revenant lui aussi d’un voyage en Asie du Sud-Est. Sont également concernés des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (2). L’antibiorésistance a cependant conduit l’OMS à émettre un bulletin d’information dès mars 2022. A noter : on estime que la contamination par seulement une centaine de bactéries peut conduire à une shigellose. Enfin, les quatre espèces de Shigella les plus fréquemment rencontrées causent au total le décès de 200 000 personnes dans le monde par an, dont 65 000 enfants de moins de 5 ans (3).

En ce qui concerne les fièvres hémorragiques d’origine virale, la plupart d’entre elles émergent en Afrique, mais pas uniquement. La fièvre Ebola semble liée à la consommation de viande de brousse, c’est-à-dire d’animaux eux-mêmes contaminés par le virus Ebola. La transmission se fait ensuite d’homme à homme, sur un mode non aérien, mais liée au contact direct ou indirect avec des fluides de patients (sang, urine, selles et sueur, directement ou sur des surfaces contaminées). Non soignée, la létalité de la fièvre Ebola avoisine 50 % en moyenne. Dans la même famille de virus qu’Ebola, les Filovirideae, on trouve le virus Marburg responsable de la maladie du même nom, la fièvre hémorragique Marburg, aussi appelée maladie du singe vert. La fièvre hémorragique Marburg présente de très forte similitude avec la fièvre Ebola : même type de transmission interhumaine, et même pronostic, en cas de soins limités. Le risque d’épidémie en France est quasi inexistant, en raison de l’absence du réservoir naturel, une chauve-souris, la roussette d’Afrique. Néanmoins, compte-tenu du changement climatique en cours, il ne peut être exclu que cet hôte « remonte » plus au nord. Ceci serait alors inquiétant, dans la mesure où il n’existe pas de vaccin ni de traitement antirétroviral approuvé pour la fièvre Marburg. Même si « des anticorps monoclonaux sont en cours de développement et des antirétroviraux, comme le Remdesivir et le Favipiravir qui ont été utilisés dans le cadre d’études cliniques portant sur la maladie à virus Ebola, pourraient également être testés pour la maladie à virus Marburg » (4). En ce qui concerne l’approche vaccinale, le vaccin Mvabea développé contre le virus Ebola a été « modifié pour produire quatre protéines à partir de l’espèce Ebolavirus Zaïre et trois autres virus du même groupe (filoviridae) » (4). Il est donc possible que ce vaccin puisse conférer une immunité partielle vis-à-vis du virus Marburg, mais ceci reste à vérifier lors d’essai cliniques.

Bien connue également, est la fièvre jaune. Tous les ans, environ 200 000 cas de fièvre jaune sont recensés dans le monde, conduisant à 30 000 décès. Cette maladie virale, causée par un virus différent des deux virus évoqués plus haut, se caractérise par des symptômes de type grippal, mais qui peuvent, dans les formes graves, évoluer vers des hémorragies digestives et l’apparition d’un ictère (une jaunisse) qui donne son nom à la maladie. Il n’existe à ce jour aucun traitement curatif de la maladie. La transmission se fait par piqure de moustique, dont ceux du genre Aedes en Afrique, particulièrement en zones urbaines. « Le moustique à l’origine des épidémies urbaines est Aedes aegypti. C’est aussi le vecteur de la dengue et du virus Zika, autres arboviroses en pleine extension à travers le monde » (5). Aujourd’hui, les cas de fièvre jaune en Europe sont uniquement liés à des retours des régions contaminées. Néanmoins, le réchauffement de la planète pourrait accélérer l’implantation de moustiques capables de transmettre ces maladies dans l’hémisphère nord, où l’expansion est déjà favorisée par les échanges commerciaux liés à la mondialisation (5). Dans ce sombre tableau, une bonne nouvelle : un vaccin existe et il est très efficace, conférant en une injection une immunité à vie, avec très eu d’effet secondaires. Tous les voyageurs qui se rendent dans certaines régions d’Afrique doivent d’ailleurs présenter une vaccination à jour. A ce stade, il est donc peu probable que la fièvre jaune constitue une menace sérieuse pour l’Europe, mais une surveillance reste nécessaire.

Dernier dossier, le plus inquiétant à vrai dire, celui de la fièvre hémorragique dite Crimée-Congo (FHCG). Cette maladie est provoquée par un virus de la famille des Bunyaviridaea, différent encore ce ceux évoqués plus haut, et transmis par des tiques. Il provoque des fièvres hémorragiques graves, dont le taux de létalité oscille entre 10 et 40%. En termes de traitement curatif, les options disponibles sont des traitements de soutien à visée générale. Un antiviral, la ribavirine, prescrite pour le traitement des hépatites B et C, a cependant été utilisée avec des bons résultats par voie orale ou intraveineuse (6). La vaccination n’est elle pas encore au point, en raison, en grande partie, de l’absence pendant de nombreuses années d’un système modèle animal permettant de développer ce vaccin. Plusieurs essais sont en cours, avec des vaccins conventionnels, ou à ADN ou à ARN, ces deux derniers semblant donner des résultats très prometteurs, avec une protection de 100% après deux injections (7). Le risque de voir apparaitre une épidémie de FHCG est résumé par la phrase : « la transmission se fait par des tiques, mais aussi par contact avec les fluides d’animaux d’élevage eux-mêmes contaminés ». Les tiques vectrices appartiennent au genre Hyalomma, présentes dans le Sud de la France depuis plusieurs années. Là aussi, en lien avec le changement climatique et les échanges commerciaux, ces tiques remontent au nord, certaines ayant maintenant été détectées aux Pays-Bas. Il est important de noter qu’à ce stade, aucun cas de FHCG n’a été détecté en France ni chez nos voisins et amis bataves, mais des cas l’ont été en Espagne et dans la régions des Balkans. En lien, l’ANSES appelle à une vigilance accrue en France (8).

Ce billet ne fait qu’un tour d’horizon rapide et limité des fièvres hémorragiques. Je n’ai ainsi pas cité nombre d’entre elles, telle la fièvre de Lassa, endémique en Afrique de l’Ouest et transmise par le rat, les fièvres d’Argentine, de Bolivie, du Brésil ou du Venezuela, transmises par d’autres rongeurs, etc. Toutes sont caractéristiques des régions tropicales ou équatoriales, mais on aurait tort de croire que seules ces régions sont affectées, comme on le voit avec la FHCC. On notera dans ce billet de blog, en filigrane, le rôle majeur que joue et continuera de jouer le changement climatique mais aussi la mondialisation des échanges dans l’émergence de ces pathologies dans des régions pour le moment épargnées. Il s’agit sans doute là d’un nouvel avatar des externalités négatives d’une économie qui depuis l’après-guerre privilégie la course au profit, sans réflexion sur ses impacts en termes sociaux sans doute, mais également environnementaux et sanitaires.


Références :

1. Il n’y aura probablement pas d’épidémie d’Ebola en France. Ce blog.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2021/08/il-ny-aura-probablement-pas-depidemie.html

2. Émergence en France d’une souche de Shigella sonnei hautement résistante aux antibiotiques. Communiqué de presse de l’Institut Pasteur. Janvier 2023.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/espace-presse/documents-presse/emergence-france-souche-shigella-sonnei-hautement-resistante-aux-antibiotiques

3. Les shigelloses. Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/shigellose

4. Maladie à virus Marburg. Centre des médias de l’OMS. Aout 2021.
Consultable en ligne :
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/marburg-virus-disease

5. La fièvre jaune. Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/fievre-jaune

6. Fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Dossier OMS. Juin 2022.
Consultable en ligne :
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/crimean-congo-haemorrhagic-fever

7. Un article de revue en anglais a été publié cet été :
Aykut Ozdarendeli. Crimean–Congo Hemorrhagic Fever Virus: Progress in Vaccine Development. Diagnostics (Basel). Aout 2023. doi: 10.3390/diagnostics13162708
Consultable en ligne :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10453274

8. Fièvre hémorragique de Crimée-Congo : une émergence en France est possible. Expertise ANSES. Juin 2023.
Consultable en ligne :
https://www.anses.fr/fr/content/fievre-hemorragique-crimee-congo-une-emergence-en-france-possible



Crédit illustration : 

Virus Ebola.
Photo de Cynthia Goldsmith
Licence Creative Commons



2 commentaires:

  1. Il y de cela plusieurs années, j'avais vu sur Arte un reportage sur un labo néerlandais. Ce labo, genre le labo P4 de Wuhan (P4; je préfère la qualification qui m'aurait permis de me débarrasser du service militaire si je l'avais obtenue mais je m'égare...), ce labo P4 donc était dirigé par le même genre d"apprenti sorcier que la docteure Shi Zenghli, la dame de Wuhan. Son objectif, c'était de doter le virus Ebola d'une capacité à se propager par voie aérienne alors que le malheureux virus original n'avait d"autre solution de contamination que le contact physique ....

    A la question légitime de la journaliste qui lui demandait pourquoi diable il se livrait à ces expérimentations qui lui faisaient froid dans le dos, je me rappelle la réponse de ce dangereux olibrius qui prétendait qu'ainsi, si le virus mutait vers une variété capable de se transmettre par voie aérienne, nous serions prêt à nous défendre !!!

    Évidemment que le labo néerlandais était bien plus rigoureux quant aux normes de sécurité P4 que celui de Wuhan...

    Juste que cette satanée loi de Murphy nous dit avec insistance que s'il existe une seule faible probabilité pour que ça se passe mal, ça se passera mal ...

    Alors Yves, avec ton ami chercheur, vous pensez peu probable de voir apparaître une épidémie d'Ebola en Europe. Dont acte !

    Pensez juste à toutes ces histoires dont on nous a abreuvé et à ce pauvre Pangolin qui nous a tous contaminé après qu'une pauvre chauve-souris aie fait caca dans sa cage.

    Pensez à Elise Lucet qui avait fait un travail remarquable au départ de la Pandémie. Au bout de 6 mois d'investigation, elle présentait une situation claire et difficilement discutable. Son reportage est vite passé à la trappe pour laisser la place aux experts de plateaux qui se gargarisaient de leurs théories fumeuses en taxant de complotistes tout ceux qui les trouvaient fumeuses justement....

    Alors les amis, soyez très prudents dans vos affirmations. Nous sommes à une époque où les recherches scientifiques et les intérêts financiers sont si souvent imbriqués que des apparitions improbables comme le virus de la Covid deviennent possibles. Alors Ebola, pourquoi pas sauf si ce chercheur spécialisé dans le gain de fonction aura été mis hors d'état de nuire depuis ce reportage que j'aimerais bien retrouver.

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    1. Bonjour Christian,
      Le billet que j'ai rédigé fait références aux pathologies d'origine. En d'autres termes, il évoque la possibilité que, en dehors de l'hypothétique manip gain de fonction qui aurait mal tourné, il y ait un risque de propagation de fièvres hémorragiques en Europe. La réponse est à mon sens et à celui de nombreux collègues : non, sauf pour la fièvre Crimée Congo qui a le redoutable mauvais gout d'y avoir été détectée avec, pour raison principale, le fait que le vecteur naturel y soit déjà présent et largement !
      En ce qui concerne les manip gain de fonction, je suis de ceux des scientifique qui partagent un inquiétude légitime sur leur intérêt lorsqu'elles concerne des pathologies potentiellement gravissimes. D'autant que les progrès actuels permettent aujourd'hui d'envisager le développement de vaccins assez rapide, comme on l'a vu pour la Covid. Tout imparfait que soit cet outil, il permet une protection certes non totale contre les formes les plus graves...
      En ce qui concerne d'ailleurs cette pathologie, je ne peux que répéter ce que j'ai écris dans mon article passé, concernant son origine. A savoir trois hypothèses : a) un virus de type "animal" qui aurait muté vers d'autres hôtes dont l'hôte humain, avec un problème qui est que l'on a pas trouvé d'hôte intermédiaire ; b) une possibilité faible que ce virus ait recombiné avec des virus humains chez un hôte compatible ou chez l'homme (un dernier rapport de l'OMS ne privilégie pas cette piste), ou c) une fuite d'un laboratoire travaillant sur un virus apparenté dans une optique x ou y, x ou y pouvant être des recherches de type gain de fonction. Désolé, mais selon la littérature, il n'existe, pas à ce jour d'éléments permettant de privilégier une piste plutôt qu'une autre.

      Si le sujet t'intéresse :
      https://www.pasteur.fr/fr/journal-recherche/actualites/origine-du-sars-cov-2-recherches-se-poursuivent

      Merci pour ton commentaire en tous cas !

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