Le score du rassemblement national (RN) aux dernières élections législatives et la perspective d’une majorité absolue de députés de ce parti inquiètent nombre de personnes et d’institutions, au sens large. Outre les remises en cause possibles de certaines avancées sociales et sociétales, à l’image de ce qui a pu être observé dans des pays où l’extrême-droite est arrivée aux affaires, se pose la question des libertés individuelles, et au-delà du respect des dispositions fondamentales de la République, donc de la Constitution.
Pour toutes ces raisons, nous avons assisté très rapidement après les résultats du premier tour à des appels multiples de désistements républicains destinés à empêcher l’élection de députés du RN. L’idée est relativement simple, et probablement simpliste si l’on pousse un peu l’analyse politique, car il sera difficile à gauche d'oublier la casse sociale organisée de façon systématique par la macronie depuis 7 ans... Revenons au principe de ce désistement : lorsqu’un candidat du RN est arrivé premier ou 2e lors du premier tour de l’élection, le candidat arrivé 3e s’engage à se désister au profit du candidat membre d’un parti dit « républicain » arrivé 2e ou premier. Cette situation est typiquement celle que nous pouvons observer dans notre circonscription, où l’actuelle députée, Madame Marie-Pierre Rixain est arrivée en tête lors du premier tour, devant le candidat du RN, M. Jérôme Carbriand, arrivé 2e, ce dernier devançant d’une grosse centaine de voix le candidat du Nouveau Front Populaire (NFP), Monsieur Amadou Deme (1). M. Amadou Deme et sa suppléante, Madame Marie Colson se sont alors rapidement désistés (2). À ce sujet, et bien que je puisse me tromper, je n’ai vu aucun remerciement républicain sur la profession de foi de second tour de Madame M.-P. Rixain ; ceux-ci auraient pourtant été bienvenus…
Au-delà de l’Essonne, cette stratégie de désistement a très vite été évoquée le soir du 1er tour. Un des premiers partis à réagir a été La France Insoumise par la voix de M. Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait alors : « Notre consigne est simple, directe et claire: pas une voix, pas un siège de plus pour le RN », ajoutant « dans un certain nombre de cas, des triangulaires sont possibles: Conformément à nos principes et à nos positions constantes dans toutes les élections précédentes, nulle part nous ne permettrons au RN de l'emporter et c'est pourquoi, dans l'hypothèse où il serait arrivé en tête, tandis que quand nous ne serons qu'en troisième position, nous retirerons notre candidature ». Cette même stratégie a été clairement annoncée par l’ensemble des partis constituant le NFP. Au Parti Socialiste, le premier secrétaire, M. Olivier Faure, déclarait au soir du 30 juin son souhait de voir les candidats du NFP se retirer « dès lors qu’il y a un risque de faire élire un candidat du Rassemblement national ». Au Parti Communiste (PCF), un communiqué publié rapidement après le 1er tour indiquait : « dans tous les duels opposant un candidat d’une force républicaine à un candidat d’extrême droite, nous appellerons à voter pour le candidat républicain. Et si un candidat du PCF se retrouve qualifié au second tour en troisième position dans une triangulaire, il se désistera pour que le candidat républicain le mieux placé ait les meilleures chances de battre l’extrême droite ». Enfin, chez les écologistes, Madame Marine Tondelier, secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts, parti devenu Les Écologistes en octobre 2023, déclarait dans une interview donnée à l’AFP le 24 juin « qu’à chaque fois qu’un candidat écologiste arrivera en troisième position, il se retirera au profit du candidat qui respecte les valeurs de la République pour battre l’extrême droite ». Bref, du coté de la NFP, le discours est très clair !
La situation est tout autre au centre et à droite, puisque globalement, les positions oscillent grandement entre le « devoir moral » « d’empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue » prononcé par M. Gabriel Attal (3) en passant par le « circo par circo » de M. François Bayrou (3), ou le « pas pour LFI » de Ms. Bruno Le Maire et Edouard Philippe (4). Bref, c'est « p'tet ben qu'oui, p'tet ben qu'non » pour le centre et la droite. Pour eux, qui ont largement bénéficié dans notre histoire récente du désistement républicain de gauche lors de trois élections présidentielles, le front républicain ne va clairement pas de soi. Visiblement même, certains de leurs membres sont même prêts à faire élire un député RN. C’est le cas de l’inénarrable vice-président des Républicains, M. François-Xavier Bellamy, qui a appelé au « barrage contre LFI », indiquant qu’en cas de duel avec le RN, il voterait pour ce dernier. Dans un discours dangereux et totalement décalé avec les réalités, ce dernier clamait haut et fort : « le danger qui guette notre pays aujourd’hui, c’est l’extrême gauche » (4).
Ces positions sont évidemment honteuses ; elles sont aussi minables moralement, et en disent finalement assez long sur le positionnement idéologique de certains membres de la quasi défunte macronie et des Républicains, dont, faut-il le rappeler, certains sont passés sans sourciller, avec armes et bagages, au service du RN. A ce sujet, il semblerait que les voix de ces Républicains « canal Ciotti » aient pesé pour quelques 4% dans les score du RN au 1er tour des législatives. C’est à la fois peu et beaucoup car dans certaines circonscriptions, cela a pu suffire à faire suffisamment progresser le candidat du RN pour qu’il apparaisse au 2nd tour. Une telle hypothèse pourrait éclairer les résultats de notre circonscription où, je le rappelle, le candidat du RN devance celui du NFP d’un peu plus de 100 voix.
Pour terminer ce billet avant l’heure limite fixée à ce soir 24h00, un mot pour éclairer la personnalité du candidat RN local. Son parcours vient en effet d’être mis en lumière par un excellent article publié par l’Humanité (5). Celui-ci reprend des passages d’un blog qu’il rédigeait voilà une dizaine d’années et qu’il a effacé, en droite - c’est le mot qui convient - ligne avec le souci de respectabilité dont fait preuve le RN depuis quelques années, entre vidéos de petits chats et cravates à l’Assemblée. Voici quelques extraits choisis de ce blog, où il est fait l’éloge de « nos ancêtres aryens » possédant un « génie pour le courage ». D’un côté, ce fin penseur nous ressert du complot juif ; je cite textuellement : « On comprend aisément pourquoi aujourd’hui les représentants de la communauté juive se font d’ardents défenseurs du modernisme progressiste, il paraît donc logique qu’ils s’emploient à appliquer à l’humanité tout entière leur mode de vie nomade […]. Il est bien cohérent que ces gens-là soutiennent une mondialisation autodestructrice de toutes les nations, apatride et globalisante… ». De l'autre côté, le blog de M. Jérôme Carbriand n’oublie pas les homosexuels et les étrangers, je le cite encore : « Un sujet pédéraste a raté un stade de sa sexualité » et, au sujet de l’insécurité de certains quartiers : « les viols, on sait par qui ils sont commis. Pas par des blancs ».
Je ne pense pas que les lecteurs de mon blog soient nombreux à envisager de voter pour le RN, mais au moins ceux qui souhaiteraient le faire sont-ils prévenus du réel positionnement idéologique de ce candidat. Quant au front républicain, on verra ce qu’il en est au soir du second tour, après une analyse un peu poussée des réels reports de voix sur les candidats les mieux placés. Le danger est grand que des reports ne soient que partiels, et ce danger s’appelle majorité absolue au RN, avec les conséquences qu’on imagine…
Références :
1. Pour voir les résultats, circonscription par circonscription :
https://www.lemonde.fr/resultats-legislatives-2024/ile-de-france/essonne/
2. Thibaut Faussabry. Législatives 2024 en Essonne : Amadou Deme se désiste et appelle à "battre le RN" dans la 4e circonscription. Actu.fr. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://actu.fr/politique/elections-legislatives/legislatives-2024-en-essonne-amadou-deme-se-desiste-et-appelle-a-battre-le-rn-dans-la-4e-circonscription_61285076.html
3. Robin D’Angelo, Claire Gatinois. Législatives 2024 : la coalition macroniste se divise sur la physionomie du front républicain. Le Monde, Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/07/01/legislatives-2024-ni-rn-ni-lfi-cas-par-cas-ou-desistement-systematique-la-coalition-macroniste-se-divise-sur-la-physionomie-du-front-republicain_6245741_823448.html
4. Anonyme et AFP. On vous résume les consignes de vote et de désistement pour le second tour. Le Dauphiné Libéré. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ledauphine.com/elections/2024/07/01/on-vous-resume-les-consignes-de-vote-et-de-desistement-pour-le-second-tour
5. Lisa Guillemin. Malgré ses propos antisémites et homophobes, les électeurs de Jérôme Carbriand (RN) plus que jamais convaincus. L’Humanité. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/politique/antisemitisme/malgre-ses-propos-antisemites-et-homophobes-les-electeurs-de-jerome-carbriand-rn-plus-que-jamais-convaincus
Crédits illustration :
D’après le dessin d’Aurel pour Politis :
https://www.politis.fr/articles/2024/06/le-dessin-daurel-dissolution-de-lassemblee-et-mepris-de-classe/
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