mardi 24 août 2021

ANTE ELECTIONIBUS. II.
L’INSÉCURITÉ EXPLOSE !


Je poursuis cette série sur les futurs thèmes de la campagne électorale présidentielle. L’insécurité en est un, largement exposé et débattu au sein de la classe politique, avec un consensus à droite, de LREM au RN, constatant « une explosion de l’insécurité ». Cette vision des choses est d’ailleurs largement propagée par une fraction de la presse, également à droite, qui maintient le « feu sous la marmite ». Cela correspond-t-il à une réalité ou non ? J’ai tenté aux travers de la consultation de statistiques et de différentes lectures, de me faire une opinion sur cette fameuse explosion, et en particulier sur son lien avec une éventuelle multiplication du nombre des crimes et délits.

Je ne suis pas criminologue, ni sociologue, mais je sais lire des tableaux, des statistiques et des rapports. Autant le dire tout de suite, de ces lectures émerge la perception d'une situation complexe. Ainsi, si l’on peut effectivement noter une augmentation de certains crimes et délits, on peut également noter une diminution d’autres types de crimes et délits. Je m'appuie pour dire cela sur les données disponibles sur le site du Ministère de l’Intérieur (1). Selon celles-ci, entre 2008 et 2020, les homicides, vols violents sans armes (qui étaient pourtant en hausse dans les années 2010/2015), vols violents avec armes, vols de véhicules, ont diminué, avec des baisses spectaculaires par exemple pour les vols violents avec armes (env. -50%) ou vol de véhicules (env. -50%). Sont restés globalement stables les vols dans les véhicules. Ont augmenté les escroqueries, les vols sans violence, les cambriolages, les coups et blessures volontaires. Ont doublé, les violences sexuelles.

Derrière ces chiffres, qui montrent donc une situation contrastée, se cachent également des réalités contrastées. Ainsi, les deux dernières années, marquées par les confinements dus à la crise sanitaire, ont vu une augmentation des violences intra-familiales, allant des coups et blessures aux violences sexuelles. Selon certains commentateurs, et selon l’intéressant site gouvernemental « Vie Publique », la sensibilisation des forces de police et la libération de la parole des victimes ont également conduit à une augmentation de la déclaration de ces actes, ne reflétant donc pas une augmentation de la commission de ceux-ci (2). En accord, « la part des victimes ayant porté plainte pour des faits datant de plus d'un an a augmenté ces dernières années. En particulier, le nombre de victimes ayant déclaré des faits commis plus de cinq ans auparavant a plus que doublé entre 2016 et 2020 (3)».

On observe aussi des variations fortes selon les territoires. Ainsi, pour les homicides, la moyenne nationale s’établit à 13 homicides par million d’habitants sur la période 2018-2020. Ce taux est cependant de 8 à 9 en Pays de la Loire et Bretagne, alors qu’il est de 34 en Corse et de 24 en Alpes-Provence-Côte d’Azur (1). Il est en moyenne de 18 dans les villes de plus de 200 000 habitants, et de 8 à 9 dans les zones rurales et villes de moins de 5000 habitants. Le même constat peut être fait pour les vols violents sans arme, avec un taux de 3 pour 1000 habitants à Paris et sa proche banlieue, contre 0 pour 1000 en zones rurales. Egalement, en 2020, le tiers des vols violents sans arme enregistrés ont lieu à Paris ou en Seine-Saint-Denis (1). A noter : les territoires ultramarins sont toujours plus exposés aux infractions violentes que la métropole. Ainsi le taux d’homicides est de 0,13 pour mille habitants (soit 130 par million) en Guyane, et de 0,06 pour mille habitants en Guadeloupe et Martinique (soit 60 par million d’habitants), à comparer au taux de 0,1 pour mille habitants en métropole (1).

Globalement, on peut donc dire que le nombre d'actes violents, de délits et de crimes n’explose pas puisque, comme je l’ai indiqué, certains augmentent, certes, mais d’autres diminuent, et ce de façon spectaculaire. En revanche, et en accord avec l’opinion de la chercheuse Renée Zauberman, ce n’est pas la violence qui explose mais l'insécurité (4). Or, l’insécurité n’est pas un fait, elle n’est pas une réalité, mais une perception, un sentiment. Alors pourquoi ce sentiment qu'est l'insécurité progresse-t-il ? Outre la crise sanitaire et le chômage systémique, la raison principale reste celle que j’exposais en introduction et que l’encyclopédie Wikipédia résume bien : « certains acteurs politiques et certaines organisations sectaires n'hésitent pas à jouer sur les peurs collectives, voire à les susciter, dans l'optique de s'assurer un pouvoir sur les populations sensibles à ce discours ». En lien, et comme le philosophe et chroniqueur Gaspard Koenig l’écrivait (5), si quelque chose explose, ce n’est pas la violence mais les images de la violence. Nous sommes en effet soumis à une augmentation des images violentes, ne serait-ce qu’au travers des chaines d'informations ressassant en boucle de tels événements, et au travers réseaux sociaux et de leur effet amplificateur. Cette exposition permanente sert des desseins de pouvoir. N’oublions pas en effet que les élections d’au mois deux présidents, Ms. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, doivent beaucoup à la mise en avant de ces thèmes. Ceci a d'ailleurs été bien compris par l’actuel président, M. Emmanuel Macron, qui déclarait voila peu que la société était de plus en plus violente (ce qui est faux, on l’a vu) et que la France vivait dans un sentiment d’insécurité (ce qui est vrai, mais n’est qu’un sentiment). On pourrait y ajouter le verbatim de différentes personnalités tels que « la barbarie » de Mme. Marine Le Pen et M. Retailleau, barbarie respectivement « véritable » pour l’une et « ordinaire » pour le second, « l’ensauvagement » de M. Gérald Darmanin, ou l’inénarrable « été Orange Mécanique » de M. Xavier Bertrand. Nous sommes clairement là face à de la surenchère lexicale !

Il y a fort à parier que ce thème des violences et de l’insécurité sera central lors de la prochaine campagne présidentielle, comme il l’avait été en 2002.  A cet égard, Émilie Née, chercheuse en sciences du langage avait conduit une étude pendant la campagne de 2002 qui révélait que dans le débat public, « le mot « insécurité » avait pour fréquence moyenne 75 occurrences par mois, de juillet 2001 à février 2002 inclus. « À partir du mois de mars et jusqu’au mois de mai, l’emploi de la forme s’intensifiait, avec des fréquences dépassant les 150 occurrences par mois. À partir de mi-avril jusqu’à la fin du mois de mai, ces fréquences dépassent même le seuil de 200 occurrences mensuelles » » (6). Sans nier l'existence de certains chiffres en augmentation, mais parce que le thème est porteur, clivant, parce qu’il est un marqueur de l’extrême-droite et qu’il faut gagner des voix de ce côté, cette explosion plutôt fantasmée est déjà de sortie dans les propos des caciques du RN à LREM en passant par LR. On nous vendra du pathos, de la peur, bien loin de ce que les chiffres de la délinquance objectivent. Il y a donc fort à parier que le distinguo entre délinquance (ou criminalité) et insécurité ne sera pas fait. Comme le disait dans une de ces chansons l’excellent groupe rock « No one is innocent » : « si la peur fait bouger, elle fait rarement avancer ». Problème : il y a derrière cette instrumentalisation de la délinquance un vrai risque pour le pays, pour la démocratie et pour nos libertés (5). Il faudra s’en rappeler lors de la campagne sinon nous aurons à l'échelle du pays ce que nous avons à Forges : d'inutiles caméras de surveillance au lieu d'assistants en école maternelle.



Références :

1. Ministère de l’Intérieur. Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique.
Consultable en ligne :
https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Publications/Hors-collection/Insecurite-et-delinquance-en-2020-bilan-statistique

2. Délinquance : baisse globale en 2020 sauf pour les violences familiales et sexuelles. Vie Publique.
Consultable en ligne :
https://www.vie-publique.fr/en-bref/278368-insecurite-et-delinquance-2020-baisse-globale-en-lien-avec-le-covid-19

3. Olivier Galland et Telos. Délinquance et insécurité: la réalité des chiffres. Slate.fr. Juin 2021.
Consultable en ligne :
https://www.slate.fr/story/210047/delinquance-insecurite-hausse-realite-chiffres-ministere-interieur

4. Louis Fraysse. Sait-on ce qui nourrit le sentiment d’insécurité ? Réforme, l’hebdomadaire protestant d’actualité. Avril 2021.

5. Gaspard Koenig. Le discours sécuritaire : un piège pour la démocratie. Les Echos. Mai 2021.

6. Christine Siméone. La sécurité comme thème de campagne : « Le problème, c’est la généralisation à tort des faits divers ». France Inter. Mai 2021.
Consultable en ligne :
https://www.franceinter.fr/politique/la-securite-comme-theme-de-campagne-le-probleme-c-est-la-generalisation-a-tort-des-faits-divers


Crédit illustration :

Blog BD Notto;



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