jeudi 12 août 2021

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET FLUX MIGRATOIRES



Le dernier rapport du GIEC est particulièrement inquiétant dans la mesure où il révèle une augmentation plus rapide qu’anticipée de la température moyenne mondiale. Parmi les conséquences de cette élévation, la fonte des calottes polaires et des glaciers pourrait se traduire par une augmentation sensible du niveau des mers. Cette augmentation concernera au premier chef des zones côtières basses, dont la plupart sont fortement peuplées, et jouent des rôles fondamentaux en termes de production agricole, entraînant très probablement des flux migratoires massifs.

Selon différentes sources, le niveau moyen de l’océan aurait augmenté de 20 cm au cours du XXe siècle, mais cette élévation s’est accélérée à partir des années 90 puisqu’au cours des seules 30 dernières années, l’élévation atteint plus de 9 cm (voir par exemple 1, 2, 3), avec une moyenne annuelle de l’ordre de 3,5 mm.

Cette élévation est due principalement à 2 phénomènes : le plus évident est celui que j’évoquais plus haut et il est lié à la fonte générale des glaces sur la planète en lien direct avec le réchauffement. Le second phénomène est moins connu : il s’agit de la dilatation de l’eau sous l’effet de l’élévation de la température. Les océans sont un des volants de régulation thermique mondiaux puisqu’on estime qu’ils auraient absorbé 93 % du surplus d’énergie engendré par le réchauffement climatique (3). Depuis les années 70, leur température monte d’environ 0,1 degré par décennie, et ce réchauffement est perceptible jusqu’à 3000 m de profondeur (4). Or une eau chaude occupe plus de place qu’une eau froide ; à l’image de ce qui se passe avec les métaux, elle se dilate sous l’effet de la chaleur. La contribution de la dilatation de l’eau océanique à l’élévation du niveau des mers est encore débattue mais on estime qu’elle pourrait être responsable de 30 à plus de 95 % de l’élévation repérée. Les modélisations basées sur une élévation moyenne de température de l’ordre d’un degré et demi d’ici à la fin de ce siècle, valeur dont on sait grâce au dernier rapport du GIEC qu’elle sera dépassée, prédisaient dans ces conditions une élévation moyenne du niveau des mers de l’ordre de 1 à 3 mètres. Des scénarios pessimistes postulent avec une augmentation atteignant, avec même moins de 4°de réchauffement, une élévation des niveaux des mers minimale de 5 mètres (3,4).

Tous les chiffres précédents résultent bien sur d’estimations. Il est aujourd’hui impossible de prédire très exactement l’élévation du niveau des mers à l’horizon 2100, en particulier parce qu’il existe un fort décalage entre l’augmentation de température de l’air et l’augmentation de la température de l’eau de mer. Il convient cependant de rappeler ici qu’environ 30 % de la population mondiale (soit 2 milliards de personnes) vit à moins de 100 km d’une côte, que la moitié des grandes villes du monde se trouvent sur un littoral et que près de 3 milliards d’êtres humains dépendent des ressources en protéines d’origine marine (3, 4). Or, en cas d’élévation du niveau des mers, ce seront donc ces zones cotières, ces villes et des deltas de fleuves, régions extrêmement fertiles qui seront touchées. Il est instructif de visualiser ce qui se passerait dans le monde en retenant l’hypothèse basse (1 mètre) et l’hypothèse haute (5 mètres). Ceci est possible vrai plusieurs sites en ligne (5). Là encore, il s’agit de simulations à considérer prudemment, mais elle donnent une idée de l’ampleur des catastrophes potentielles. Avec 1 mètre d'élévation, nous perdons en France une bonne partie de la Camargue, une partie des estuaires de la Loire et de la Garonne, une partie des marais du Cotentin et du Bessin et une grande partie de l’Audemarois et du Dunkerquois. Au niveau Européen, c’est en Belgique et aux Pays-Bas que la montée des eaux sera la plus perceptible, avec un risque de submersion de la moitié du territoire hollandais. D’autres régions majeures telles que l’est de Londres, le Cambridgeshire en Angleterre, ainsi que les région de Hambourg et Breme en Allemagne seront aussi touchées. En Italie, le golfe de Venise serait submergé sur une longueur de plus de 200 kilomètres, de Ravène à Trieste. Au niveau mondial, les problèmes seront concentrés dans le delta du Nil, particulièrement dans sa région ouest, les deltas du Gange et de l’Indus en Inde, la baie de Nagoya au Japon, le nord de Jakarta en Indonésie, une partie de la Californie à l’Est de San Francisco, la partie méridionale de la Louisiane au sud de La Nouvelle Orléans aux Etats-Unis pour ne citer que les principales. Avec 5 mètres d’augmentation, les mêmes régions seront davantage touchées, et certaines disparaîtront, comme la zone comprise entre les estuaires de la Garonne et la Charente, et les villes du Havre, Calais, Dunkerque en France. En Europe, Londres est affectée, et exit toute la partie ouest de la Belgique (15 % de son territoire) avec une bonne partie du port d’Anvers sous l‘eau. Les Pays-Bas perdent les 2/3 de leur superficie, et le grand port de Rotterdam n’est plus. Hambourg est en partie submergée. La Crimée redevient une île… Dans le monde, des villes majeures auront aussi disparu ou seront en partie submergées, comme Alexandrie en Egypte, Mumbai en Inde, Shanghai et Changzhou en Chine, Kobe, Osaka, Nagoya, et Tokyo au Japon, Seattle, Jakarta en Indonésie, La Nouvelle Orléeans, Mobile, et New York aux USA.

Ces submersions entraîneront des problèmes d’approvisionnement en nourriture, avec la perte de zones de riziculture, et des problèmes de remontée d’eau salée vers les terres fertiles. Je n’ai également pas mentionné les risques de perte de productions aquacoles ou halieutiques en lien avec le réchauffement de l’océan, la réduction des concentrations d’oxygène dissous et son acidification, conséquence de son absorption du CO2. Egalement, des problèmes de logistique se feront très probablement jour, avec les disparitions de zones de productions et de ports majeurs, d'un niveau imprévisible actuellement, mais dont on peut mesurer l’ampleur à venir au travers de la réduction de la production de microprocesseurs ou mémoires vives en Asie, lors de tremblements de terre, tsunamis, ou événements climatiques pourtant limités à une zone restreinte. Quant on connaît la dépendance de nos sociétés à l’électronique et à l’informatique, des raisons d’inquiétudes existent sur le maintien du fonctionnement de nombreux services...

Enfin, last but not least, nous nous retrouverons confrontés à des problèmes énormes de déplacement de populations. Dans ce domaine, aussi, les prévisions relatives à l’amplitude de ces déplacements donnent des « fourchettes », avec des valeurs basses de l’ordre de 80 à 220 millions de déplacés (6) d’ici à 2050, valeurs en accord avec celle de la Banque Mondiale. Dans le même temps, l'ONU annonce un risque de voir jusqu'à 1 milliard de personnes déplacées sur la même période (7), en raison de l’élévation du niveau des mers, mais aussi des sécheresses dans d’autres régions, combinées à une faible disponibilité d’énergie électrique et de pertes de la biomasse végétale utilisée comme aliment ou pour cuire les aliments (8). Ces flux migratoires ne sont pas à venir. Ils sont déjà à l’oeuvre aujourd’hui, avec nombre de migrants se déplaçant de l’Afrique vers l’Europe ou de l’Amérique centrale vers l’Amérique du Nord, avec les difficultés et les pertes en vies humaines que l’on connaît, mais qu'on ne veut pas voir. En sus de l’obligation de mettre en place de mesures environnementales fortes permettant de limiter réchauffement et élévation du niveau des mers, il faut se préparer à un accroissement des flux migratoires. Quand je vois comment 90 pauvres gens, venus du bout du monde pour échapper à la guerre et à la famine, ont été (mal)traités sur notre commune voilà quelques années déjà, je me dis que le chemin sera long et difficile, mais sans préparation il s’imposera de façon bien plus prégnante et conflictuelle. Qu’on se le dise !



Références :

1. Elévation du niveau des mers.
Page wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89l%C3%A9vation_du_niveau_de_la_mer

2. Nathalie Mayer. De combien va s’élever le niveau de la mer ? Futura Planète. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-va-elever-niveau-mer-577/

3. Plateforme océan et climat - Océan et changement climatique : les nouveaux défis. Focus sur 5 grands thèmes du rapport spécial « Océan et cryosphère », 40 pages. Septembre 2019.
Consultable en ligne :
https://ocean-climate.org/wp-content/uploads/2019/09/fiches-DEF.pdf

4. Océans. Climat.be. Le site fédéral belge pour une information fiable sur les changements climatiques.
Consultable en ligne :
https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/oceans

5. Sites de simulation en ligne :
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php
http://flood.firetree.net/?ll=48.3416,14.6777&z=13&m=7

https://www.floodmap.net/

6. Alassane Diallo, Yvan Renou. Changement climatique et migrations : qualification d’un problème, structuration d’un champ scientifique et activation de politiques publiques. Mondes en développement 2015, 172, 87-107.
Lu sur Cairn-info.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/journal-mondes-en-developpement-2015-4-page-87.htm

7. Dominique Pialot. Migrations : la bombe à retardement climatique. La Tribune. Juillet 2018.
Consultable en ligne :
https://www.latribune.fr/economie/international/migrations-la-bombe-a-retardement-climatique-784546.html

8. Baher Kamal. Climate Migrants Might Reach One Billion by 2050. Inter Press Service – News Agency. Août 2017.
Consultable en ligne :
https://reliefweb.int/report/world/climate-migrants-might-reach-one-billion-2050



Crédit illustration :

Modélisation d'une élévation de 5 mètres du niveau des eaux à l'échelle des Pays Bas.
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php




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