jeudi 11 mai 2023

DES MANOEUVRES POUR FAIRE TAIRE L'ASSOCIATION ANTICOR !

Comme les lecteurs du blog le savent, je suis membre de l'association Anticor, qui lutte contre la corruption en politique et dans le monde des affaires. Cette association a à son actif d'avoir permis le déclenchement de procédures judiciaires contre des personnalités du milieu politico-financier, et non des moindres, au comportement possiblement douteux. Il se pourrait cependant que la possibilité qu'a l'association de poursuivre ce type d'activité soit menacée, peut etre parce que le pouvoir présidentiel serait menacé. Cela serait gravissime. Explications.

Comme l'indique le site de l'association (1), celle ci dispose de deux agréments officiels : l’un délivré pour trois ans par le Premier ministre, en date du 2 avril 2021, l’autre délivré pour trois ans également par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), en date du 4 octobre 2022. Ce dernier agrément avait été obtenu, semble-t-il, malgré des pressions exercées sur la HATVP et directement sur Anticor (2). Le premier agrément permet à l’association de représenter en justice l’intérêt général face à des comportements non conformes à la probité et constitutifs des infractions pénales listées à l’article 2-23 du Code de procédure pénale. Comme le dit un des avocats de l'association: « Tous les jours, des citoyens se battent pour faire reconnaître leur intérêt à agir dans des affaires de ce type. Le soutien d’Anticor a été un levier incontestable pour établir la recevabilité de la partie civile ». Il faut également savoir que les agréments délivrés permettent à l'association de couvrir un très large domaine où la corruption existe. Celui-ci s'étend de la corruption et du trafic d’influence passifs à la prise illégale d’intérêts, du favoritisme au détournement de fonds publics, en passant par le trafic d’influence actif, les entraves à l’exercice de la justice, le recel et le blanchiment de l’ensemble de ces infractions, l’achat de voix et les différentes entraves à l’exercice du droit de vote.

Il est aussi vrai qu'Anticor avait eu l'outrecuidance de s'intéresser à différentes personnalités influentes. Citons par exemple le cas de M. Hubert Falco. Ce dernier, « maire de Toulon depuis 2001 et ancien président du conseil départemental du Var (1994-2002) est soupçonné d’avoir bénéficié d’avantages indus de la part du département du Var, après la fin de son mandat. Dans ce procès dit « du frigo », M. Falco est soupçonné d’avoir bénéficié » de la prise en charge de frais de bouche dont le montant a été évalué « par la Police Judiciaire de Marseille, à près de 300.000 euros, soit 1.600 euros par mois à la charge du contribuable » (1). Plus près de nous, Anticor s'est aussi intéressé à la ville d'Etampes, où une subvention à une association a curieusement atterri sur le compte d'un particulier !  « Anticor s’interroge également sur la gestion des ressources humaines de différents services de la ville, tant s’agissant des modalités de recrutement que s’agissant des heures supplémentaires qui ont été versées par la ville, dans un contexte où une élue avait dénoncé une pratique de paiement d’heures non effectuées » (1). Signalons aussi en vrac les dossiers suivants (1) :

. L'affaire l’Haÿ-Les-Roses :
Fin janvier 2022, Anticor a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « favoritisme, détournement de biens publics, prise illégale d’intérêts et trafic d’influence », portant sur des montages financiers liés à deux importantes opérations immobilières menées à L’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne.

. L'affaire du SYDEME :
Le 27 mars 2021, Anticor a déposé plainte auprès du Procureur de Sarreguemines pour « détournement de fonds publics », « favoritisme » et « prise illégale d’intérêts » dans la gestion du syndicat des déchets ménagers de Moselle-Est. Une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 14 décembre 2021.

. L'affaire Cholet :
En juillet 2021, Anticor a saisi le parquet d’Angers des indemnités versées au maire et aux conseillers de la majorité de Cholet, qui auraient perçu à tort 219 513,96€ par an depuis 7 ans !

Et encore, ne s'agit-il là que 3 dossiers parmi les dizaines et dizaines de dossiers qu'Anticor a étudié ou transmis aux autorités. Parmi les autres, on retrouve quelques « gros poissons ». Ainsi, en avril 2021, Anticor, Greenpeace France et l’association d’anciens élèves de l’École Polytechnique « la Sphinx » déposent plainte auprès du Parquet de Paris contre M. Patrick Pouyanné, PDG de Total, et contre X, pour prise illégale d’intérêts. Plus politique encore, en octobre 2020, Anticor a deposé plainte devant la Cour de justice de la République contre M. Eric Dupond-Moretti pour des soupçons de « prise illégale d’intérêts ». Suite à cela, en janvier 2021, le Procureur Général, M. François Molins, annonce qu'une information judiciaire va bien être ouverte contre le ministre de la Justice, pour « prise illégale d'intérêts ». Enfin, « last but not least », Anticor s'est intéressé en mars 2017 à la déclaration de patrimoine de M. Emmanuel Macron, président de la République. L'association avait alerté la HATVP sur ces déclarations d’intérêts et de patrimoine, signées le 24 octobre 2014. En effet, au regard du revenu perçu de 2009 à 2014 (3,3 millions d’euros !) et du patrimoine net déclaré en 2014 (200 000 d’euros), l’association demandait à la Haute Autorité « de vérifier le caractère exhaustif, exact et sincère de la déclaration de patrimoine de M. Macron ». Très rapidement, c'est à dire seulement 10 jours plus tard, celle-ci avait répondu qu'il n'y avait globalement rien à redire sur cette déclaration présidentielle. L'affaire a cependant rebondi récemment après une enquête de la chaine « Off investigation ». Dans celle-ci, un témoin proche de la banque Rothschild qui employait alors M. Emmanuel Macron, suggère que celui-ci aurait  pu profiter « d’un système de trust permettant aux associés de la banque de ne pas déclarer une part de leur rémunération » (3).

 Difficile, donc, de ne pas interpréter la saisine du tribunal administratif en vue de faire annuler l'agrément d'Anticor, présentée par deux avocats spécialistes, comme un coup destiné à faire taire l'association. C'est en ce sens que Mme. Elise Van Beneden, la présidente de l'association nous a écrit ce qui suit.

« L'association Anticor, organisation dédiée depuis plus de 20 ans à la lutte contre la corruption et à la promotion de l'éthique en politique, a récemment été informée d'une procédure en annulation de son agrément. La décision sera rendue par le tribunal administratif de Paris demain [note : vendredi 12 mai 2023]. Le tribunal a été saisi par deux plaignants et un cabinet d'avocats parisiens, car ils considèrent que le texte de l’arrêté d’agrément, rédigé par le Premier ministre est irrégulier.

L’annulation de l'agrément de l'association Anticor serait un coup porté à la démocratie et à la lutte contre la corruption en France. Ce serait une nouvelle tentative d'étouffer notre voix, et celles des citoyens qui nous soutiennent. Ce serait prendre le risque de restreindre la capacité de la société civile à agir en justice contre la corruption, dans un contexte où les affaires politico-financières s’accumulent et les libertés associatives reculent et ce serait mettre en danger les lanceurs d'alerte qui seraient obligés de porter seuls leurs dossiers.

De nombreuses affaires en cours, au plus haut niveau, pourraient alors être menacées si Anticor voyait sa capacité à se porter partie civile au nom de tous les Français restreinte [...] Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. Il est de notre devoir de défendre nos valeurs et de continuer à lutter pour une société plus juste et plus éthique. Si l’agrément d’Anticor devait être annulé, nous ferons bien sûr appel de cette décision, ferons une demande de sursis à statuer et demanderons un nouvel agrément. Anticor continuera par ailleurs à agir, grâce à vous, que ce soit à travers des signalements, l'accompagnement de lanceurs d'alerte ou les interventions citoyennes auprès des citoyens et des institutions ».

Pour bien comprendre les enjeux, sachez que les dossiers susceptibles d'annulation sont (liste non limitative) :
. celui portant sur les relations entre l’ex-ministre Mme. Sylvie Goulard et l’institut américain Berggruen,
pour corruption passive, trafic d’influence passif, prise illégale d’intérêts et abus de confiance ;
. celui portant sur la très controversée cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric, une affaire où le nom du président de la République, alors ministre du gouvernement Hollande apparaît
(4) ;
. et enfin celui sur les contrats russes de M. Alexandre Benalla. 

On retrouve dans ce dernier dossier également là le nom du président de la République. En effet,  la justice pourrait s'intéresser ici au rôle qu'aurait joué M. Alexandre Benalla « dans la signature de deux contrats passés avec les oligarques russes Iskander Makhmudov, sulfureux industriel milliardaire, et Farkhad Akhmedov, un homme d'affaires qui a fait fortune notamment dans l'énergie. Alexandre Benalla était alors adjoint au chef de cabinet du président Emmanuel Macron, chargé des questions de sécurité » (5). Bref, Anticor dérange, et dérange en très haut lieu !


Références :


1. Site de l'association Anticor.
Consultable en ligne :
https://www.anticor.org/

2. Samuel Laurent, Anne Michel. Le gouvernement renouvelle l’agrément d’Anticor après six mois de suspense. Le Monde. Avril 2021. 

3. Alix Coutures. Patrimoine caché de Macron? "Il n’y a pas assez de preuves pour lancer une enquête", juge Éric Alt, vice-président d'Anticor. Challenge. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.challenges.fr/politique/patrimoine-cache-de-macron-il-n-y-a-pas-assez-de-preuves-pour-lancer-une-enquete-juge-eric-alt-vice-president-d-anticor_807449

4. Anonyme. Vente d'Alstom à GE : ouverture d'une enquête pour corruption et recel. Capital (avec l'AFP). Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.capital.fr/entreprises-marches/vente-dalstom-a-ge-ouverture-dune-enquete-pour-corruption-et-recel-1441482

5. Anonyme. Contrats russes en lien avec Alexandre Benalla : Anticor souhaite la désignation d'un juge d'instruction. Le Figaro (avec l'AFP). Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/contrats-russes-en-lien-avec-alexandre-benalla-anticor-souhaite-la-designation-d-un-juge-d-instruction-20220712


Crédit illustration :

Logo de l'association. Référence 1.




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