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jeudi 11 mai 2023

DES MANOEUVRES POUR FAIRE TAIRE L'ASSOCIATION ANTICOR !

Comme les lecteurs du blog le savent, je suis membre de l'association Anticor, qui lutte contre la corruption en politique et dans le monde des affaires. Cette association a à son actif d'avoir permis le déclenchement de procédures judiciaires contre des personnalités du milieu politico-financier, et non des moindres, au comportement possiblement douteux. Il se pourrait cependant que la possibilité qu'a l'association de poursuivre ce type d'activité soit menacée, peut etre parce que le pouvoir présidentiel serait menacé. Cela serait gravissime. Explications.

Comme l'indique le site de l'association (1), celle ci dispose de deux agréments officiels : l’un délivré pour trois ans par le Premier ministre, en date du 2 avril 2021, l’autre délivré pour trois ans également par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), en date du 4 octobre 2022. Ce dernier agrément avait été obtenu, semble-t-il, malgré des pressions exercées sur la HATVP et directement sur Anticor (2). Le premier agrément permet à l’association de représenter en justice l’intérêt général face à des comportements non conformes à la probité et constitutifs des infractions pénales listées à l’article 2-23 du Code de procédure pénale. Comme le dit un des avocats de l'association: « Tous les jours, des citoyens se battent pour faire reconnaître leur intérêt à agir dans des affaires de ce type. Le soutien d’Anticor a été un levier incontestable pour établir la recevabilité de la partie civile ». Il faut également savoir que les agréments délivrés permettent à l'association de couvrir un très large domaine où la corruption existe. Celui-ci s'étend de la corruption et du trafic d’influence passifs à la prise illégale d’intérêts, du favoritisme au détournement de fonds publics, en passant par le trafic d’influence actif, les entraves à l’exercice de la justice, le recel et le blanchiment de l’ensemble de ces infractions, l’achat de voix et les différentes entraves à l’exercice du droit de vote.

Il est aussi vrai qu'Anticor avait eu l'outrecuidance de s'intéresser à différentes personnalités influentes. Citons par exemple le cas de M. Hubert Falco. Ce dernier, « maire de Toulon depuis 2001 et ancien président du conseil départemental du Var (1994-2002) est soupçonné d’avoir bénéficié d’avantages indus de la part du département du Var, après la fin de son mandat. Dans ce procès dit « du frigo », M. Falco est soupçonné d’avoir bénéficié » de la prise en charge de frais de bouche dont le montant a été évalué « par la Police Judiciaire de Marseille, à près de 300.000 euros, soit 1.600 euros par mois à la charge du contribuable » (1). Plus près de nous, Anticor s'est aussi intéressé à la ville d'Etampes, où une subvention à une association a curieusement atterri sur le compte d'un particulier !  « Anticor s’interroge également sur la gestion des ressources humaines de différents services de la ville, tant s’agissant des modalités de recrutement que s’agissant des heures supplémentaires qui ont été versées par la ville, dans un contexte où une élue avait dénoncé une pratique de paiement d’heures non effectuées » (1). Signalons aussi en vrac les dossiers suivants (1) :

. L'affaire l’Haÿ-Les-Roses :
Fin janvier 2022, Anticor a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « favoritisme, détournement de biens publics, prise illégale d’intérêts et trafic d’influence », portant sur des montages financiers liés à deux importantes opérations immobilières menées à L’Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne.

. L'affaire du SYDEME :
Le 27 mars 2021, Anticor a déposé plainte auprès du Procureur de Sarreguemines pour « détournement de fonds publics », « favoritisme » et « prise illégale d’intérêts » dans la gestion du syndicat des déchets ménagers de Moselle-Est. Une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 14 décembre 2021.

. L'affaire Cholet :
En juillet 2021, Anticor a saisi le parquet d’Angers des indemnités versées au maire et aux conseillers de la majorité de Cholet, qui auraient perçu à tort 219 513,96€ par an depuis 7 ans !

Et encore, ne s'agit-il là que 3 dossiers parmi les dizaines et dizaines de dossiers qu'Anticor a étudié ou transmis aux autorités. Parmi les autres, on retrouve quelques « gros poissons ». Ainsi, en avril 2021, Anticor, Greenpeace France et l’association d’anciens élèves de l’École Polytechnique « la Sphinx » déposent plainte auprès du Parquet de Paris contre M. Patrick Pouyanné, PDG de Total, et contre X, pour prise illégale d’intérêts. Plus politique encore, en octobre 2020, Anticor a deposé plainte devant la Cour de justice de la République contre M. Eric Dupond-Moretti pour des soupçons de « prise illégale d’intérêts ». Suite à cela, en janvier 2021, le Procureur Général, M. François Molins, annonce qu'une information judiciaire va bien être ouverte contre le ministre de la Justice, pour « prise illégale d'intérêts ». Enfin, « last but not least », Anticor s'est intéressé en mars 2017 à la déclaration de patrimoine de M. Emmanuel Macron, président de la République. L'association avait alerté la HATVP sur ces déclarations d’intérêts et de patrimoine, signées le 24 octobre 2014. En effet, au regard du revenu perçu de 2009 à 2014 (3,3 millions d’euros !) et du patrimoine net déclaré en 2014 (200 000 d’euros), l’association demandait à la Haute Autorité « de vérifier le caractère exhaustif, exact et sincère de la déclaration de patrimoine de M. Macron ». Très rapidement, c'est à dire seulement 10 jours plus tard, celle-ci avait répondu qu'il n'y avait globalement rien à redire sur cette déclaration présidentielle. L'affaire a cependant rebondi récemment après une enquête de la chaine « Off investigation ». Dans celle-ci, un témoin proche de la banque Rothschild qui employait alors M. Emmanuel Macron, suggère que celui-ci aurait  pu profiter « d’un système de trust permettant aux associés de la banque de ne pas déclarer une part de leur rémunération » (3).

 Difficile, donc, de ne pas interpréter la saisine du tribunal administratif en vue de faire annuler l'agrément d'Anticor, présentée par deux avocats spécialistes, comme un coup destiné à faire taire l'association. C'est en ce sens que Mme. Elise Van Beneden, la présidente de l'association nous a écrit ce qui suit.

« L'association Anticor, organisation dédiée depuis plus de 20 ans à la lutte contre la corruption et à la promotion de l'éthique en politique, a récemment été informée d'une procédure en annulation de son agrément. La décision sera rendue par le tribunal administratif de Paris demain [note : vendredi 12 mai 2023]. Le tribunal a été saisi par deux plaignants et un cabinet d'avocats parisiens, car ils considèrent que le texte de l’arrêté d’agrément, rédigé par le Premier ministre est irrégulier.

L’annulation de l'agrément de l'association Anticor serait un coup porté à la démocratie et à la lutte contre la corruption en France. Ce serait une nouvelle tentative d'étouffer notre voix, et celles des citoyens qui nous soutiennent. Ce serait prendre le risque de restreindre la capacité de la société civile à agir en justice contre la corruption, dans un contexte où les affaires politico-financières s’accumulent et les libertés associatives reculent et ce serait mettre en danger les lanceurs d'alerte qui seraient obligés de porter seuls leurs dossiers.

De nombreuses affaires en cours, au plus haut niveau, pourraient alors être menacées si Anticor voyait sa capacité à se porter partie civile au nom de tous les Français restreinte [...] Nous ne pouvons pas laisser cela se produire. Il est de notre devoir de défendre nos valeurs et de continuer à lutter pour une société plus juste et plus éthique. Si l’agrément d’Anticor devait être annulé, nous ferons bien sûr appel de cette décision, ferons une demande de sursis à statuer et demanderons un nouvel agrément. Anticor continuera par ailleurs à agir, grâce à vous, que ce soit à travers des signalements, l'accompagnement de lanceurs d'alerte ou les interventions citoyennes auprès des citoyens et des institutions ».

Pour bien comprendre les enjeux, sachez que les dossiers susceptibles d'annulation sont (liste non limitative) :
. celui portant sur les relations entre l’ex-ministre Mme. Sylvie Goulard et l’institut américain Berggruen,
pour corruption passive, trafic d’influence passif, prise illégale d’intérêts et abus de confiance ;
. celui portant sur la très controversée cession de la branche énergie d’Alstom à General Electric, une affaire où le nom du président de la République, alors ministre du gouvernement Hollande apparaît
(4) ;
. et enfin celui sur les contrats russes de M. Alexandre Benalla. 

On retrouve dans ce dernier dossier également là le nom du président de la République. En effet,  la justice pourrait s'intéresser ici au rôle qu'aurait joué M. Alexandre Benalla « dans la signature de deux contrats passés avec les oligarques russes Iskander Makhmudov, sulfureux industriel milliardaire, et Farkhad Akhmedov, un homme d'affaires qui a fait fortune notamment dans l'énergie. Alexandre Benalla était alors adjoint au chef de cabinet du président Emmanuel Macron, chargé des questions de sécurité » (5). Bref, Anticor dérange, et dérange en très haut lieu !


Références :


1. Site de l'association Anticor.
Consultable en ligne :
https://www.anticor.org/

2. Samuel Laurent, Anne Michel. Le gouvernement renouvelle l’agrément d’Anticor après six mois de suspense. Le Monde. Avril 2021. 

3. Alix Coutures. Patrimoine caché de Macron? "Il n’y a pas assez de preuves pour lancer une enquête", juge Éric Alt, vice-président d'Anticor. Challenge. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.challenges.fr/politique/patrimoine-cache-de-macron-il-n-y-a-pas-assez-de-preuves-pour-lancer-une-enquete-juge-eric-alt-vice-president-d-anticor_807449

4. Anonyme. Vente d'Alstom à GE : ouverture d'une enquête pour corruption et recel. Capital (avec l'AFP). Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.capital.fr/entreprises-marches/vente-dalstom-a-ge-ouverture-dune-enquete-pour-corruption-et-recel-1441482

5. Anonyme. Contrats russes en lien avec Alexandre Benalla : Anticor souhaite la désignation d'un juge d'instruction. Le Figaro (avec l'AFP). Juillet 2022.
Consultable en ligne :
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/contrats-russes-en-lien-avec-alexandre-benalla-anticor-souhaite-la-designation-d-un-juge-d-instruction-20220712


Crédit illustration :

Logo de l'association. Référence 1.




lundi 8 mai 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… DE LA FRANCE INSOUMISE ET DE LA NUPES


Dernier volet de cette série de billets, portant cette fois sur LFI et la NUPES, tout en distinguant l’une et l’autre.

J’ai aussi quelques amis et relations à LFI. Avant de dire en quoi certaines de leurs positions me conviennent ou non, je commencerai par un rappel historique. LFI n’a, en réalité, pas 10 d’existence. On peut assez légitimement, me semble-t-il, la considérer comme un agrégat (n’y voir aucune connotation péjorative) de personnalités issues de nombreux mouvements de gauche. La composante principale en est le parti de gauche (PG), lancé en 2008 par Ms. Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon, tous deux des « anciens du PS ». M. Marc Dolez s’éloignera ensuite du PG en raison de divergences de vues avec M. Jean-Luc Mélenchon. En 2009, le PG, des éléments du PS, du mouvement républicain et citoyen de M. Jean-Pierre Chevènement, et du parti communiste français (PCF) forment une alliance en vue des élections européennes, le « front de gauche ». Le PG sera très actif entre 2009 et 2016, lors de divers mouvements sociaux, bien que sa présence militante ne se soit pas traduite de façon spectaculaire dans les diverses élections qui ont jalonné cette période. En particulier, le PG essuie un désaveu lors des élections régionales de 2015.

C’est à nouveau à l’occasion d’une élection que le mouvement évolue. En 2016, LFI est créée en vue des présidentielles de l’année suivante, se présentant dès l’origine comme une plate-forme de réflexion commune et ouverte à tous, et pas comme un parti politique, ce qu’elle devient pourtant en 2017. Le candidat proposé aux suffrages est M. Jean-Luc Mélenchon qui, déjouant nombre de sondages, recueillera un peu moins de 20% des voix, le plaçant en 4eme position, presque à égalité avec M. François Fillion, candidat des Républicains. Ce score plutôt impressionnant est dû, selon plusieurs analystes, aux qualités orales de M. Mélenchon, mais également à une campagne de haut vol s’appuyant sur les technologies internet. On se rappellera sans doute les meetings de Lyon et Paris où le candidat apparaitra en direct sous forme d’un hologramme, une première mondiale ! De même, le site YouTube diffusera une vidéo de 5 heures au cours de laquelle les généraux du mouvement, dont l’économiste atterré Jacques Généreux, développeront leur programme. Le succès à la présidentielle se traduira par un demi-succès aux législatives, qui enverront 17 députés LFI à l’Assemblée Nationale. Le succès électoral de 2017 se confirmera en 2022. À la présidentielle, M. Jean-Luc Mélenchon arrivera 3e cette fois, avec presque 22% des voix. Ce résultat sera à l’origine d’un conflit avec le PCF, dont le candidat, M. Fabien Roussel, avait maintenu sa candidature au premier tour. S’il n’est pas certain qu’une candidature unique eût été suffisante pour porter M. Jean-Luc Mélenchon au second tour, un tel renoncement du candidat communiste aurait pu mathématiquement suffire à inverser les positions de M. Mélenchon de de M. Marine Le Pen, arrivée deuxième.

Encore une fois, la perspective des législatives de 2022 conduit à une modifications des périmètres. Dès avril, LFI vise à rassembler divers partis de gauche autour d’une bannière unique. Ce sera la NUPES. Je cite Wikipédia (1) : « des discussions sont engagées, notamment avec Europe Écologie Les Verts (EÉLV), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Le mouvement Génération.s, fondé par Benoît Hamon, rejoint en premier LFI, dès le 29 avril. Dans la nuit du 1er au 2 mai, un accord est conclu avec EÉLV sous la bannière commune de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES). Le 3 mai, le Parti communiste français rejoint cette union. Le 4 mai, le Parti socialiste annonce avoir conclu un accord, demandant encore à être ratifié par une instance interne, avec la France insoumise. Cet accord est validé dans la nuit du 5 au 6 mai par le conseil national du PS. En parallèle, le NPA annonce dans un communiqué ne pas être en mesure de trouver d'accord pour rejoindre l'union ». La NUPES réalisera une excellente campagne électorale aux législatives. Je cite de nouveau Wikipédia (1): « à l'issue du premier tour des législatives, la coalition NUPES fait quasiment jeu égal avec la coalition de la majorité présidentielle Ensemble avec 21 000 voix de moins qu'elle. Au second tour, la NUPES se classe second parti de France, et première force d'opposition, avec 131 députés élus (contre 245 pour la coalition présidentielle). Parmi ces 131 députés, 75 sont issus de LFI ».

J’arrête ici cet historique bien qu’il m’ait semblé nécessaire pour comprendre la genèse de LFI et de la NUPES. Au plan programmatique, autant le dire tout de suite, je suis favorable à plusieurs propositions de LFI, dont une réflexion sur une nouvelle constitution pour une 6e République. On voit bien aujourd’hui les dérives de la 5e République, portée par M. Michel Debré dans les années 50 et taillée sur mesure pour le Général De Gaulle. Son défaut majeur, à mon sens, est d’accorder un pouvoir bien trop important au Président de la République, même s’il reste possible pour l’Assemblée de censurer le gouvernement. Ceci dit, cela ne s’est produit qu’une seule fois depuis presque 60 ans, le premier gouvernement Pompidou ayant été censuré en 1962 (2). On mesure dès lors combien le « coup est passé finalement très près » lors du vote de la motion de censure proposée par le groupe LIOT voilà quelques semaines, et repoussée par seulement 9 voix, en regard de l’usage du 49.3 pour avaliser la contre-réforme des retraites (3). Je soutiens également l’abrogation des lois travail, en particulier celles relatives à la réglementation du travail de nuit et à l’inversion de la hiérarchie des normes (primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche). Je soutiens de même l’instauration de pratiques plus vertes et plus vertueuses, pour protéger les biens communs que sont l’air, l’eau, l’énergie, et la santé et la suppression des traités de libre échange qui se traduisent systématiquement par des moins disant sociaux, économiques et environnementaux. Je suis en revanche en désaccord avec le retour d’un âge de retraite à 60 ans. Je considère que la retraite ne peut être acquise que par une durée de cotisation donnée, et que l'âge à laquelle elle est accessible doit dépendre de la pénibilité du travail effectué, en lien avec l’âge de début de carrière. Je suis également en désaccord sur la mise en place d’un plan de transition énergétique vers 100% d’énergies renouvelables, car il est intenable sans des économies drastiques d’énergie pour le moment non financées et non finançables, et assez irréalistes. Il suffit pour s'en convaincre de lire ce que dit l'ADEME d'un tel scénario. D’autres mesures sont discutables, telle la révocation des élus par référendum, s’agissant là d’en définir les modalités pour assurer un fonctionnement fluide des institutions et le non recours systématique à de telles procédures pour des raison de basse politique. Je souhaite également réexaminer la position de LFI sur l’Union Européenne, qui me semble plutôt opaque possiblement parce qu'objet de divergences de vue en interne.

Au-delà de ce qui précède, je ferai un certain nombre de critiques à LFI. La première est que selon plusieurs observateurs, dont certains internes au mouvement, il semblerait que le fonctionnement de LFI ne soit pas très démocratique. Soyons clair, cela pourrait bien être un reproche fait à nombre de partis. Mais quand on se veut intransigeant et capable de « laver plus blanc que blanc », on doit l’être en interne. L’affaire Guénolé est à cet égard emblématique. Ce militant LFI a en effet dénoncé assez vertement « le simulacre » de démocratie interne à LFI, parlant même de « dictature » et de « méthodes staliniennes ». L’affaire aurait pu s’arrêter là si l’intéressé n’avait pas fait l’objet de dénonciations sans preuve pour harcèlement sexuel (4). Dans un intéressant ouvrage, « la chute de la maison Mélenchon », M. Thomas Guénolé révèle en effet certains aspects des arrières cuisines de LFI, et cela ne sent pas trop bon, en particulier pour l’ancien candidat à la présidence et pour sa proche conseillère, Mme Sophia Chikirou. Tous deux sont accusés d’autoritarisme pathologique, et de pratiquer « la délégitimation systématique et le procès en opportunisme […] contre tous ceux qui critiquent ». L’ex-candidat est y même décrit comme un tyran colérique et paranoïaque. C’est bien là d’ailleurs bien là un problème de fond pour LFI, et ma deuxième critique. Alors que M. Mélenchon a incontestablement contribué à la création de LFI et de la NUPES, il en est sans doute aussi le pire ennemi. Il a ainsi tenté par le biais des avocats du parti de retarder la sortie du livre de M. Guénolé. En sus, on se rappellera sans aucun doute sa réaction disproportionnée lors de la perquisition au siège du parti de gauche ou de LFI, suffisamment grave pour que le parquet de Paris ouvre une enquête pour « menaces ou actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire » et « violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique », enquête étendue à Ms. Alexis Corbière et Adrien Quatennens. Comment ne pas évoquer ici aussi le comportement de ce dernier, qui bien que relevant du domaine privé, est orthogonal aux prises de positions de LFI sur le respect dû aux femmes ? Comment expliquer le soutien de M. Jean-Luc Mélenchon à ce dernier, alors même que LFI comporte en son sein une instance de suivi des violences sexistes et sexuelles (CVSS) ? Peut-être, faut-il se référer à ce que dit Mme. Hélène Franco, magistrate et ancienne militante LFI, à ce sujet : « ce comité est devenu au fil du temps un rasoir à deux lames. La première sert à dire à l’extérieur que l’on s’occupe du sujet et évite que l’on dépose plainte. La seconde, c’est pour dégager les emmerdeurs, ceux qui veulent des places ou contestent le fonctionnement interne » (5). En plus, il semble avéré que LFI ait tenté de ficher ses militants ouvertement critiques du comportement de M. Quatennens (6). Bref, un gros désordre et un paradoxe de plus au sein d'un parti qui donne la parole à des députés issus de catégories socio-professionnelles que l'on n'a pas l'habitude d'entendre !

La personnalité de M. Mélenchon est donc à mon sens un vrai problème pour LFI et pour la NUPES. On le voit au travers de la crise qui a agité le PS lors des élections au secrétariat national, où M. Olivier Faure et certains de ses collègues socialistes se sont opposés, entre autres sur l’adhésion à la NUPES, avec en toile de fond l’image de son « leader », M. Jean Luc Mélenchon. En disant cela, je n’oublie pas l’exploit qui est d’avoir réussi, en très peu de temps, à rassembler dans cette NUPES des partis divers, marqué par leur propre histoire, et d’avoir assuré une visibilité réelle de la gauche en général lors des dernière élections. Mes chers amis de la NUPES, vous comptez nombre de personnes de qualité en vos rangs. Je n’en citerai aucune pour n’en oublier aucune ! Par ailleurs, vos divergences sont bien plus limitées que vous ne le pensez, et bien plus limitées que vos points de convergence. Vous représentez un espoir majeur en termes de préservation environnementale. Vous êtes aussi cet espoir majeur pour nombre de personnes des classes moyennes ou défavorisées, laminées par la politique anti-sociale voulue par M. Emmanuel Macron, soutenue sans le dire ouvertement par nombre de Républicains. Vous représentez aussi et surtout à mes yeux une contreproposition solide aux faux semblants mis en avant par le rassemblement national (RN), à qui la politique de l’actuelle majorité ouvre un boulevard. Passez sur vos divergences, comme l’ont fait les socialistes de façon brouillonne mais courageuse voilà peu, n’oubliez pas le PCF dans la mesure où celui-ci ne poursuivra pas son isolement, et soyez tous ensemble cette « gauche morale », comme le disait M. Marcel Gauchet, historien et sociologue, qui refuse les compromissions de la pseudo-gauche de gouvernement. La France et  nombre de Français ont besoin de vous !


Références :

1. la France Insoumise. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_insoumise#Programme

2. Gouvernement Georges Pompidou. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_Georges_Pompidou_(1)

3. Laurie-Anne Virassamy. Motion de censure après le 49.3 sur la réforme des retraites : qu’ont voté vos députés ? France-Info. Mars 2023.
Consultable en ligne :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/motion-de-censure-apres-le-49-3-sur-la-reforme-des-retraites-qu-ont-vote-vos-deputes-2736946.html

4. Abel Mestre. Thomas Guénolé rompt violemment avec La France insoumise : « C’est une dictature ». Le Monde. Avril 2019.

Anonyme. Mis en cause pour harcèlement sexuel, Guénolé dénonce des « méthodes staliniennes ». Huffington Post. Avril 2019.
Consultable en ligne :
https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/thomas-guenole-signale-pour-harcelement-sexuel-denonce-des-methodes-staliniennes-a-la-fi_143589.html

5. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin. Jean-Luc Mélenchon, ses lieutenants et les féministes « insoumises ». Le Monde. Septembre 2022.

6. Pauline Graulle. Jean-Luc Mélenchon tente d’entraver la publication d’un ouvrage… puis se ravise. Mediapart. Octobre 2019.


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Logo LFI. Page Wikipedia.
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_insoumise




vendredi 28 avril 2023

MES CHERS AMIS ET AMIES… SOCIALISTES

Illustration.
 

Voilà quelque temps que je songeais à une série d’articles autour des différentes sensibilités constituant ce qu’il est convenu d’appeler la gauche de l’échiquier politique. Je commence par mon ressenti vis-à-vis du parti socialiste (PS), dont j’ai été assez proche, intellectuellement parlant, jusqu’à l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République.

A dire vrai, j’ai beaucoup d’admiration pour ce que représente, au plan historique, le PS. En quelques mots, celui-ci est issu du Parti Socialiste Français, lui-même résultant de la fusion de trois mouvements, dont l’un, porté par Paul Brousse était largement influencé par le marxisme. Un autre de ces mouvements, le parti des socialistes indépendants, comptait dans ses rangs Jean Jaurès. Ce dernier aura largement contribué à la mise en place de la loi de séparation des églises et de l’Etat, en 1905. À cette même date, la fusion du Parti Socialiste Français avec le Parti Socialiste de France conduit à la formation de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, la SFIO, codirigée par Jean Jaurès et par Jules Guesde. Jusqu’au front populaire, la SFIO hésitera « entre discours révolutionnaire et pratiques réformistes et parlementaires, ni purement réformiste, ni réellement révolutionnaire » (1). Cette ambivalence se retrouvera tout au cours de l’histoire du PS. Malgré les scissions, dont l’une conduira à la formation du Parti Socialiste Unifié (PSU), malgré les départs, les recompositions (telle celle du congrès d’Alfortville en 1969), la SFIO perdurera jusqu’au congrès d’Epinay en 1971. Celui-ci verra le regroupement des différentes sensibilités de la grande famille socialiste, à l’exception du PSU, sous le nom de Parti Socialiste, vocable proposé par M. Pierre Joxe (2). M. François Mitterrand est alors nommé premier secrétaire, et M. Pierre Mauroy secrétaire à la coordination, c'est-à-dire numéro 2 officieux du PS.

Cette courte revue historique vous dit d’ores et déjà, mes chers amies et amis socialistes, quels grands personnages ont marqué l’histoire de votre parti. Citons entre autres, Jean Jaurès, déjà mentionné plus haut, pacifiste et humaniste, fondateur de « l’Huma », à qui on ne peut que reprocher sa prise de position précoce dans l’affaire Dreyfus, mais aussi Léon Blum, déporté en 1941, qui refusa courageusement les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, ou Pierre Mendès-France, honni des réactionnaires de droite, furieux de voir le nom de France porté par un israélite, qui conclura la paix en Indochine et actera l’indépendance de la Tunisie. On peut également penser ce que l’on veut de M. François Mitterrand, dont certaines amitiés sont discutables, mais on ne peut nier qu’il fut l’un des plus grands hommes politiques de la seconde moitié du XXe siècle. Rappelons qu’il a soutenu la suppression de la peine de mort, nommé la première premier ministre femme à Matignon, accordé la 5e semaine de congés payés, entre autres réformes sociales… Tout cela sans compter sa remarquable érudition. Les présidents qui lui succèderont ne signeront qu’une lente décadence de la fonction présidentielle : M. Jacques Chirac comme M. Nicolas Sarkozy arrivant même à se signaler comme les deux premiers présidents de la République condamnés par la justice, l’un pour détournement de fonds et abus de confiance, l’autre pour financement illégal de campagne électorale, corruption et trafic d’influence, et sous le coup d’une mise en examen pour association de malfaiteurs, rien que cela ! Quant au « président normal », j’y reviendrai plus loin dans ce billet. J’avais, de mon côté, eu la chance de rencontrer deux fois M. Michel Rocard, lors de réunions publiques. On avait pu échanger et je dois dire que j’étais très admiratif de sa hauteur de vue, de son niveau de réflexion, et de la simplicité avec lequel on pouvait l’aborder. J’étais néanmoins en en désaccord avec sa vision de la nouvelle gauche, qui, quelques 35 ans plus tard, se traduira par l’élection de M. François Hollande, et la mise en place de politiques socialement délétères.

C’est donc ici que je m’accorderai quelques coups de patte envers mes chers amies et amis socialistes. Le parti, me semble-t-il, a toujours, depuis son origine et tout au long de l’existence de la SFIO, hésité entre un positionnement à gauche, voire même quasi révolutionnaire à l’origine, et un positionnement que l’on pourrait qualifier de centriste. De même, depuis 1968, il existe un clivage entre les tenants d’une alliance des gauches, y compris avec le parti communiste français, et des personnalités comme Ms. Michel Rocard ou Jacques Delors. Ces deux derniers furent les promoteurs de la traduction en français des ouvrages de M. Fredrich Hayek, penseur et économiste qui aura influencé la révolution libérale des années 1980, largement incarnée par M. Ronald Reagan aux Etats-Unis et Mme M. Thatcher au Royaume Uni. Ce clivage s’est également bien ressenti dans la comparaison des positions politiques de personnalités telles que Ms. Dominique Strauss-Kahn (lui aussi ayant eu maille à partir avec la justice, soit dit au passage), Laurent Fabius, François Lamy, et plus récemment, de Ms. François Hollande et Manuel Valls, avec celles de personnalités comme Ms. Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg, ou Benoît Hamon. On retrouve là la théorie des « deux gauches irréconciliables » chère à M. Manuel Valls. Je partage son point de vue, à ceci près que « la gauche de gouvernement », telle que l’appelle l’ancien premier ministre, est tout sauf une gauche, même si on ne doit pas oublier la loi Taubira, dite du mariage pour tous, ou des avancées sur la fin de vie. D’une façon générale, de très nombreuses positions, décisions, et discours de cette gauche de gouvernement ont révélé in fine un positionnement centriste, voire de centre-droit, et une certaine forme de mépris pour les Français. Je cite en vrac les « sans-dents », les mensonges sur « la finance, mon ennemi », les lois Macron sur le travail de nuit et du dimanche, la loi El-Khomri, qui réécrit totalement la partie du code du travail relative à l’aménagement du temps de travail et permet aux accords d’entreprises de déroger aux accords de branches en matière de temps de travail, d’heures supplémentaires ou de congés, et les privatisations de « pépites industrielles » telles que Safran, EADS, les aéroports de Toulouse et de Paris, pour n’en citer que quelques-unes.

Comment, mes chers amies et amis socialistes, avez-vous pu laisser passer tout cela ? Vous qui avez sans aucun doute adhéré au PS, ou avez agi en compagnons de route en regard des engagements humanistes de ce parti ? Comment avez-vous toléré ces régressions, alors que tout dans votre ADN, vous poussait au progrès social ? À quels appels avez-vous cédé, quels chants des sirènes vous auront fait dévier de votre course naturelle, pour conduire votre navire au naufrage ? Le problème majeur, outre celui de l’affaiblissement massif du PS, est que ces épisodes néolibéraux auront brouillé le paysage politique, et les notions mêmes de droite et de gauche. Comme le dit fort justement  M. Jean-Claude Michea, philosophe et essayiste, « depuis maintenant plus de trente ans, dans tous les pays occidentaux, le spectacle électoral se déroule essentiellement sous le signe d’une alternance unique entre une gauche et une droite libérale qui, à quelques détails près, se contentent désormais d’appliquer à tour de rôle le programme économique défini et imposé par les grandes institutions capitalistes internationales ». Ce dernier rappelle d’ailleurs « le rôle moteur que la gauche française (Jacques Delors, Pierre Bérégovoy et Pascal Lamy en tête) a joué dans la construction d’une Europe procédurière et marchande », son « ralliement progressif – depuis maintenant plus de trente ans – en France comme dans tous les autres pays occidentaux, au culte du marché concurrentiel de la compétitivité internationale des entreprises et de la croissance illimitée » (3). Et pour reprendre la conclusion de cet auteur, à laquelle j’adhère, cela aura pour conséquence principale que ces « trente années de ralliement inconditionnel au libéralisme économique et culturel [auront] largement contribué à discréditer [la gauche] aux yeux des catégories populaires, aujourd’hui plus désorientées et désespérées que jamais » (3).

Il est temps de sortir de ce sommeil des lotophages, pour reprendre l’analogie avec les sirènes de l’Odyssée d’Ulysse, afin de reconstituer avec les autres forces de gauche, un bloc capable de s’opposer aux politiques socialement délétères, telle la contre-réforme des retraite proposée, ou plutôt imposée par le gouvernement de M. Emmanuel Macron. Votre chance est que certains de vos anciens coreligionnaires, ex. membres du PS et de sa pseudo « gauche de gouvernement », tels Ms. Olivier Dussopt, Gabriel Attal, Stanislas Guérini, sans oublier la cheffe de gouvernement, Mme Elisabeth Borne ont révélé leur vraie nature. Vous devez ce sursaut à Guesde, Brousse et Jaurès !



Références

1 Notre histoire. Parti socialiste / Fédération 75.
Consultable en ligne :
https://www.parti-socialiste.paris/histoire

2. Congrès d’’Épinay. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A8s_d%27%C3%89pinay

3. Jean-Claude Michea, cité par Gérard Mauger. Le PS est-il « de gauche » ? Savoir/Agir, 23, 95-98 (2013).
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2013-1-page-95.htm


Crédit photo :

Jean Jaurès par Nadar. Wikipédia.
Image du domaine public.
http://www.museehistoirevivante.com/img/expositions/2009/Jaures/Jaures8.jpg


mercredi 12 avril 2023

MÉTIERS DU RAIL : ENCORE UN QUI N'Y CONNAÎT RIEN !



J'ai récemment entendu un chroniqueur TV parler des cheminots de façon très méprisante. Face aux mouvements sociaux, celui-ci s'énervait de constater que ces personnes veuillent faire grève alors que ces « gens n'ont qu'à pousser un joystick assis au chaud dans un siège confortable »… Encore un qui ne connaît rien à ce travail et qui aurait mieux fait de se taire. Explications.

Il se trouve que j'ai de nombreuses relations dans le ferroviaire et que je connais assez bien, je le pense, ce monde particulier. Sans rentrer dans trop de détails, disons que j'ai pu voir de très près à quoi ressemblait l'activité de conduite de train, et les contraintes qu'elle impose. Car, oui, il y a des contraintes ! Certes, le confort de conduite des rames à grand parcours ou même celui des rames de banlieue d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui des machines à vapeur des années 50, voire celui des machines Diesel des années 60/70 qui les ont remplacées. À ce sujet, évacuons de suite la prétendue « prime de charbon » qui serait toujours en cours à la SNCF. Cela fait au moins 40 ans qu'elle a été supprimée ! Donc oui, on est mieux assis et moins soumis aux intempéries dans les trains modernes que dans les anciens. Quoique… Lorsqu'il n'y a aucun problème, c'est bien le cas. Mais dès que des problèmes arrivent, tout peut alors changer très vite. Ainsi, sur une panne de freinage, ce qui est heureusement rare, un conducteur devra descendre de sa machine et parcourir tout le train pour identifier le ou les wagons (on parle ici de train de fret) défaillants, isoler le freinage du wagon, puis retester le freinage, une série d'opérations qui implique de passer de la cabine à la queue de train assez régulièrement, et ce de nuit, de jour, qu'il fasse beau, qu'il pleuve ou qu'il neige. De même pour les trains de voyageurs, en cas de panne, ou plus fréquemment de signal d'alarme « tiré ». Le conducteur ainsi peut être amené à se déplacer tout le long de la rame, agir sur divers dispositifs et prendre la responsabilité de repartir avec des restrictions dues au freinage qui pourraient avoir de graves conséquences sur la sécurité si elles n’étaient pas maîtrisées pleinement. Ce genre de vérification peut durer entre 20 minutes au mieux, et deux heures par exemple sur des trains longs ou des pannes complexes à détecter. Comparativement à une certaine époque, on peut dire que le confort du métier ne s’est finalement pas tant amélioré dans le sens où la technique évoluant, certaines contraintes ont été remplacées par d’autres telles que celles liées aux vitesses élevées pratiquées (donc temps de réaction plus restreint), au stress, où à la difficile gestion des voyageurs, etc.

J'ajoute à cela que le travail de conduite n'est qu'une partie du travail des roulants. Il faut en effet aller prendre son service, parfois à des heures de distance de son lieu d'habitation, surtout lorsque l'on répond en « astreinte ». Ces astreintes font d'ailleurs partie intégrante du travail régulier des roulants, parfois à raison de plusieurs journées par semaine, où l'on peut être appelé à à peu près n'importe quelle heure, de jour comme de nuit, dans un large périmètre géographique. Seule une partie du temps de prise en charge est comptabilisée comme temps de travail. De plus, ces astreintes ne permettent pas au personnel de bénéficier de toutes les primes, ce qui fait qu'elles sont finalement payées à un niveau inférieur à celui d'un roulement « normal ». Par ailleurs, peu de gens savent que lors d'une prise en charge programmée d'un train, le mécanicien doit parfois marcher des kilomètres pour retrouver « son » train garé, puis effectuer toute une série d’opérations pour remettre en fonctionnement la machine ou la rame, celles-ci incluant des purges de circuit, des vérifications de niveau, des essais de freins, des systèmes de sécurité, etc. Tout cela ne se fait pas en 5 minutes, mais reste en revanche comptabilisé comme temps de travail !

De même, on ne pense que rarement aux agents qui conduisent les trains d’entretien, ou plus largement à ceux qui assurent l'entretien des voies, là aussi de jour et souvent de nuit, quelle que soit la météo. Sur certaines lignes du Massif Central, des Alpes, des Pyrénées, des Vosges ou du Jura, les opérations de déneigement, pour permettre la circulation des premiers trains du matin, peuvent être éreintantes, par des températures polaires. Évidemment, le journaliste qui méprisait le travail des roulants, n'en n'a cure !

Il ne se soucie sans doute pas plus du fait de savoir que conduire un train implique la connaissance pointue de plusieurs éléments. Le premier est la réglementation ferroviaire dont l'objet premier est d'assurer la sécurité des circulations. Il y a bien sur tout un volet lié à la signalisation qui est bien plus complexe que les seuls feux verts, jaunes et rouges de la circulation automobile. Sans aller trop loin dans les détails, et s’agissant là d'un sujet que je ne maîtrise que partiellement, un feu rouge allumé sur un signal peut impliquer différentes obligations ou autorisations selon le type de signal et le régime d'exploitation de la ligne. Certains signaux ne s’adressent également qu'à certains trains, d'autres ne s’appliquent qu'à certaines heures. En d'autres termes, il faut des semaines et des semaines d'apprentissage pour maîtriser le seul volet signalisation. Les règles de gestion des urgences sont également complexes : comment réagir en cas d'action sur le signal d'alarme, sur la réception d'un signal d'alerte radio, comment franchir lorsque cela est possible un signal au rouge (signal dit fermé), etc. Tout cela représente des centaines de pages de règlement à assimiler et à mémoriser. De plus, ces règlements, véritables articles de loi, évoluent sans cesse, et pas toujours pour faciliter le travail du mécanicien. Outre le fait que ce dernier se doit de maintenir ses connaissances à jour, à ses frais au passage, il a aussi la responsabilité de leur exécution. En cas de manquement, on parlera pudiquement « d’écart de sécurité », pouvant entraîner une mise à pied et, si la faute provoque un accident, une comparution devant un tribunal. Ainsi, le conducteur travaille avec, sans cesse, une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

La conduite d'un train ne consiste pas non plus qu'à pousser un joystick. Cette conduite nécessite une connaissance parfaite du fonctionnement de la machine ou de la rame, permettant la compréhension du résultat des actions sur les diverses commandes de marche ou de sécurité. Comme pour tous les engins roulants ou volants, le mécanicien avant d'être « lâché » seul, passera des mois en formation sur simulateur et/ou sur rame en service. Cette connaissance du matériel est si nécessaire que l'habilitation délivrée à l'issue ne sera valable que sur les matériels sur lesquels la personne a été formée. C'est un peu comme si on obtenait un permis de conduire des Renault, mais pas des Citroën, des Peugeot, ou pas des Volkswagen… Dans le même ordre d'idée, un mécanicien ne sera habilité que sur certaines lignes, la connaissance forte du réseau parcouru constituant un autre gage de sécurité des circulations. Pour reprendre l'analogie avec le routier, imaginez que votre permis, valable sur Peugeot et Citroën seulement, ne vous autorise qu'à parcourir les routes d’Île de France, ou de la région PACA, mais pas au-delà...

Je n'ai couvert que quelques aspects des spécificités du métier. Je voudrais en ajouter trois. La première est un point que je n'aborde jamais avec les roulants, sauf si ils le font d'eux-mêmes. C'est celui de l’accident et de l'accident de personnes (euphémisme pour souvent parler de suicides) en particulier. Comme me l'ont dit plusieurs mécaniciens, la question n’est pas de savoir si on connaîtra cet accident de personne mais de savoir quand. De tels évènements sont bien évidemment traumatisants, et, jusqu'il y a peu, ils n'étaient pas bien pris en charge par la SNCF. Le second volet est la responsabilité que portent les mécaniciens liée au fait qu'ils assurent seuls la responsabilité de trains pouvant transporter plusieurs centaines, voire un millier de passagers. Pour avoir échangé souvent avec des roulants, je peux affirmer que plusieurs m'ont dit que cette responsabilité était toujours très présente à leur esprit et qu'elle était parfois lourde. Même si les trains sont munis de divers dispositifs de sécurité, et de radios, une erreur humaine, voire une défaillance mécanique peut toujours avoir des résultats catastrophiques. Le dernier point, ce sont les horaires imprévisibles ou décalés. Une semaine d'un roulant, ce sont bien sur des jours de repos, mais aussi des astreintes, où l'on ne sait si on travaillera et où, et des conduites programmées. Mais d'un jour à l’autre, cette programmation change. J'ai demandé à un roulant de me communiquer son programme sur une semaine de travail, et effectivement, on constate très vite la présence d'horaires très variables et de découchés, c'est à dire de repos de nuit passés hors du domicile. Ce même roulant m'a indiqué qu'il avait cette année travaillé le jour de Noël et le jour de l'An. Dans le même ordre d'idée on lira avec intérêt l'article de blog en référence pour se faire une idée plus précise d'un journée, certes chargée, d’un mécanicien français, bien loin des clichés propagés par une certain presse (1).

Pour conclure, quelques remarques en vrac. Tout d'abord, ce travail en horaires décalés de façon systématique provoque une usure qui peut justifier la mise en place d'un régime spécial de retraite. Ce régime spécial, comme d'autres régimes spéciaux, ne vise pas seulement à compenser la fatigue accumulée sur des années, mais aussi à rendre le métier attractif à l'embauche. Le changement de statut des cheminots, comme celui de nombre de roulants de la RATP, la fin de régimes spéciaux, tout cela se traduit par des problèmes de recrutement massifs qui conduisent actuellement la SNCF à supprimer des trains, et la RATP à diminuer les fréquences des bus, métros ou RER. Si le métier était un métier de « planqués » ou de « profiteurs », comme on l'entend ou le lit régulièrement, comment expliquer cette désaffection ? Les gens à la recherche d'un emploi devraient s'y ruer, non ? Sur un autre plan, je continue de penser que si la majorité des travailleurs s’étaient comporté comme les personnels de la SNCF ou de la RATP en matière de défense des conditions de travail, nous n'en serions pas là en termes de régression sociale généralisée. Certes une grève dans les transports, c'est casse-pied, comme sont perturbantes aussi les grèves dans l'éducation nationale, le ramassage des ordures ou les raffineries, toutes catégories professionnelles longtemps méprisées. Ne nous leurrons pas : la quasi totalité des avancées sociales n'a été acquise que par l’instauration d'un rapport de force entre le monde du travail et celui du pouvoir économique. Celui-ci l'a bien compris en faisant main basse sur les moyens de communication (radio, journaux, chaîne de télévision, etc.) sur lesquels il déverse régulièrement une certaine forme de propagande. Les propos du journaliste que j’évoquais plus haut s’inscrivent, à n'en pas douter, dans cette démarche de décrédibilisation des mouvements sociaux, et dans ce que l'on appelle la bataille de l'opinion, que le pouvoir économique et financier doit gagner s'il veut pouvoir imposer ses règles, systématiquement défavorables au monde du travail. Quitte à raconter des bêtises ou à mentir !

Remerciements :

Merci à Franck, Valentin, et tous les autres pour leurs témoignages et leur dévouement à faire que les trains roulent en sécurité et autant que possible à l'heure ! 

Référence :

1. Vesper. La journée type d'un conducteur de train. Mediapart.
Consultable en ligne :
https://blogs.mediapart.fr/vesper/blog/031120/journee-type-dun-conducteur-de-trains-10

Crédit illustration : 

Thomas Wolf
Machine SNCF série BB37000 tractant un train de fret
Image libre de droits.






lundi 13 février 2023

CONTRE RÉFORME DES RETRAITES :
DES PISTES EXPLICATIVES


Dans deux articles récents de ce blog, je m'étonnais de l'obstination gouvernementale à vouloir faire passer « quoi qu'il en coûte » une contre-réforme des retraites injuste et inutile, au vu des justifications proposées. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le gouvernement, plusieurs éléments me laissent penser que l'objectif final n'est pas réellement la préservation du système de retraite  « à la française ».

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas un spécialiste pointu des retraites. En revanche, je suis tout à fait capable de lire des rapports. J'ai donc parcouru ceux du conseil d'orientation des retraites (COR) et je constate que quelles que soient les options retenues, et à moins d'un effondrement général de l'économie, il n'y a pas un péril majeur en la demeure. Certes, le système présente un déficit léger entre maintenant et 2030, plus creusé entre 2030 et 2050, date d'un retour à l'équilibre, mais celui-ci est compensable par plusieurs mesures sans contrainte sur l'âge de départ imposé. Si l'on se limite aux aspects techniques, il existe au moins deux autres façons de réduire ce déficit limité. La première est la baisse des pensions. Cette option ne peut cependant être retenue pour les retraités modestes ou pauvres, particulièrement dans un contexte inflationniste dont on ignore la magnitude et la durée. La seconde possibilité est la hausse des cotisations, option qui semblerait être favorisée par une majorité de Français, selon un sondage récent (1), et qui présente l'avantage d'être modulable en fonction des revenus salariaux. En d'autres termes on pourrait, pour les petits et les moyens salaires, proposer une augmentation très limitée de la cotisation retraite (de l'ordre de 10 € par mois coté salarié et côté patronal), et une augmentation plus forte pour les revenus supérieurs (jusqu'à 150 ou 200 euros mensuels pour des revenus supérieurs à 5000 euros mensuels à partager entre employeurs et employés). Cette option mise en avant par les économistes tel que M. Michaël Zemmour (2) est également proposée par le club des « économistes atterrés » (3).

En termes de recettes, il existe aussi au moins deux autres options envisageables. La première consiste à faire cotiser l'ensemble des revenus salariaux. N'oublions pas que de très nombreux revenus font l'objet d'exonérations de cotisations sociales. Les heures supplémentaires et complémentaires des salariés sont, je cite ATTAC : « exonérées de cotisations sociales salariales d’assurance vieillesse-veuvage et de retraite complémentaire dans la limite de 11,31 %. Existe aussi une déduction forfaitaire patronale pour heures supplémentaires : 1,50 % de déduction forfaitaire par heure supplémentaire ou 10,50 € par jour de repos auquel il est renoncé [...] Les estimations d’exonérations de cotisations sociales sont de l’ordre de 75 milliards € par an, dont 17 milliards concernent les cotisations vieillesse. Cela représente un potentiel de cotisations sociales supplémentaires pour toutes les branches de la Sécurité sociale. D’autre part, les cotisations vieillesse disparaissent au-dessus du plafond de la Sécurité sociale. En ce qui concerne l’assurance vieillesse, ces 17 milliards couvriraient largement le défit annoncé (4)». Dans le même ordre d'idées, ATTAC propose également de réfléchir à l'option de faire cotiser à l'assurance vieillesse, à taux identique à celui des revenus salariaux, les sommes issues de l’intéressement et de la participation. Selon leurs chiffres, les montants récupérables seraient de l'ordre de 6,5 milliards d'euros. Si on ajoute cette somme aux 17 milliards mentionnés plus haut, on disposerait de 23,5 milliards de rentrées complémentaires pour la caisse nationale d'assurance vieillesse. ATTAC indique que cette somme permettrait de combler près de deux fois le déficit annoncé (4).

La seconde option de recettes complémentaires vise à faire cotiser les dividendes reçus par les actionnaires. Là aussi, ATTAC a fait ses calculs. Se fondant sur le montant des profits distribués en 2019 et 2021, et « si on appliquait le taux de cotisation vieillesse de 28,1 %, ce sont respectivement pour ces deux années 31,9 et 31 milliards qui s’ajouteraient au montant des cotisations » (4). L'association précise que cette proposition ne fait pas consensus au sein du mouvement social pour plusieurs raisons. À titre personnel, cependant, j'y vois une logique, puisque les bénéfices distribués sont bien issus du travail des salariés, et qu'ils devraient dès lors cotiser comme tels. En d'autres termes, comme le dit ATTAC, « l’idée principale de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales est donc qu’il ne rompt pas le lien entre le travail et la cotisation ; simplement, il accroît la masse salariale et son poids relatif dans la valeur ajoutée nette par un déplacement du curseur au sein de celle-ci ». 

À ce stade, on observe donc qu'il existe une multitude de pistes - et encore en n'ai-je exploré qu'une partie - qui permettraient d'assurer un financement pérenne du système de retraite pour les 30 années à venir. Il faut donc revenir à la question que je posais en en-tête pour essayer de comprendre pourquoi ces propositions ne sont pas retenues. Ma réponse à la question est qu'il ne s'agit en aucun cas de sauver le système de retraite, mais de faire de grosses économies sur le dos des retraités, afin d'assurer des financements complémentaires au budget national. Les sommes ainsi dégagées du PIB pourront alors être réaffectées à d'autres usages, et en particulier aux aides massives aux entreprises. Rappelons, d'ores et déjà, les sommes en jeu. En 2018, le montant de ces aides évoqué par des représentants de l'État se montait à 140 milliards d'euros, ce qui représentaient alors « l’équivalent de 5,6 % du PIB, en augmentation de 215 % sur un tout petit peu plus de 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 7,2 % par an » (5). En 2021, et selon l'Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES), ces aides ont atteint la somme incroyable de 157 milliards d'euros. La loi de finances 2023 apporte également son lot de défiscalisations supplémentaires, en particulier au travers de la suppression définitive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et ce sur les deux ans à venir. Cette suppression représente à elle seule un manque à gagner annuel d'environ 15 milliards d'euros soit à peu près l'équivalent du déficit prévu des retraites jusqu'en 2030...Comment donc ne pas être d'accord toujours avec Michaël Zemmour quand il parle d'une stratégie délibérée de mise en déficit du système des retraites (6)

Tout se passe donc comme si l'actuel gouvernement était en train de transférer une part du salaire différé qu'est la retraite pour le reverser sous forme de nouvelles exonérations aux entreprises. La contre réforme des retraites ne constitue donc, ni plus ni moins, qu'une privatisation des revenus des salariés - et des fonctionnaires - au bénéfice d'intérêts privés. Le tout pour des montants qui constituent, eux, véritablement « un pognon de dingue » !


Références :


1. Grégoire Poussielgue. Retraites : les Français favorables à une réforme, mais pas à celle d'Emmanuel Macron. Les Echos. Janvier 2023.
Consultable en ligne :
https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/sondage-exclusif-retraites-les-francais-favorables-a-une-reforme-mais-pas-a-celle-demmanuel-macron-1897646

2. Michaël Zemmour. Combien de cotisations faudrait-il pour équilibre le système en 2027 ?
Alternatives économiques. Octobre 2022.
Consultable en ligne :
https://blogs.alternatives-economiques.fr/zemmour/2022/10/27/combien-de-cotisations-faudrait-il-pour-equilibre-le-systeme-en-2027

3. Les économistes atterrés. Dossier retraite.
Consultable en ligne:
https://www.atterres.org/themes/retraites/

4. Jean-Marie Harribey. Faire cotiser… Attac. Février 2023.
Consultable en ligne:
https://france.attac.org/nos-publications/petites-fiches/article/fiche-faire-cotiser

5. Maxime Combes. Plus de 140 milliards d’euros par an : la hausse exponentielle des aides aux entreprises. LVSL. Juillet 2022.
Consultable en ligne:
https://lvsl.fr/plus-de-140-milliards-deuros-par-an-la-hausse-exponentielle-des-aides-aux-entreprises/
 
6. Jules Brion. Il y a une stratégie de mise en déficit du système de retraites - Entretien avec Michaël Zemmour. Avril 2022.
Consultable en ligne:
https://lvsl.fr/il-y-a-une-strategie-de-mise-en-deficit-du-systeme-de-retraites-entretien-avec-michael-zemmour/


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Dessin personnel sur une affcihe vue en manifestation








dimanche 12 février 2023

UN MILLION SELON LES ORGANISATEURS, DIX MILLE SELON LA POLICE...



En cette période de manifestations contre la « contre-réforme » des retraites, on observe fréquemment dans les médias la publication de chiffres de participation très différents selon que l'on évoque le comptage des autorités ou le comptage des organisateurs. Il peut cependant y avoir des explications rationnelles à cette guéguerre des chiffres.

Je me réfère tout d'abord à un article publié par le collectif de chercheurs et d'enseignants du supérieur, Rogue ESR. Dans cet article, le collectif explique comment sont faits les comptages. Ce qui suit, en italiques, est un copié-collé de leur site et d'une section intitulée « La solution de l’énigme des manifestants manquants » (1), avec de petites modifications de présentation qui n'altèrent pas le sens de l'article.

« En résumé, la police compte manuellement, mais de manière robuste, le nombre de personnes qui défilent sur la chaussée en un point choisi des manifestations : il s’agit d’un comptage temporel. À Avignon, France bleu et France 3 ont effectué un comptage spatial en mesurant la densité de manifestants et en la multipliant par la surface occupée par la manifestation. Ils obtiennent un nombre de manifestants 2 à 4 fois supérieurs à celui de la police et légèrement inférieur au comptage des syndicats. À Paris, un cabinet de marketing politique, Occurrence, compte lui aussi, et souvent au même endroit que la police, le nombre de participants au défilé mais avec une méthode automatique ; celle-ci, très précise à petite densité de personnes, retourne des nombres sans rapport avec la réalité du nombre de manifestants lorsque la foule est dense. L’énigme est simple : à Paris, ces mesures ne reflètent pas l’ampleur exceptionnelle des manifestations ».

Quelles explications peuvent elles être proposées ? Le collectif suggère que les systèmes de comptages de la police et du cabinet Occurrence saturent lors des manifestations de grande ampleur. Il s'appuie pour cela sur la comparaison du nombre de manifestants en province et à Paris, ce pour des causes d'intérêt national. Je cite de nouveau Rogue ESR (1) : « La figure [en illustration] permet d’apporter une solution à cette énigme. Elle indique (ronds bleus) le nombre de manifestants à Paris en fonction du nombre de manifestants en région selon la police. En dessous de 600 000 manifestants en région, tout semble cohérent*. Le nombre de participants au cortège parisien est proportionnel au nombre de participants dans le reste de la France, et ce, en rapport des populations. Mais pour les manifestations gigantesques, le dénombrement de la police ne croît plus, il sature, tout en conservant une cohérence, idéalisée par la courbe en pointillés. Les nombres obtenus par Occurrence avec un système incapable de dénombrer les personnes à haute densité de foule perdent, eux, toute rationalité**.

Comment interpréter cette saturation du comptage de la police ? Tout se passe comme si il existait un phénomène d’embouteillage conduisant à un flux maximal de manifestants sur les grands boulevards parisiens, autour de 5 manifestants par seconde soit 72 000 personnes commençant à défiler entre 14h30 et 18h30. C’est peu, mais ce flux est en unités de comptage policier. Tous les autres manifestants se rassemblent, mais finissent après quelques heures de piétinement par renoncer. La police a le grand mérite de produire un nombre qui présente une forme de reproductibilité mais qui n’est ni le nombre de manifestants, ni proportionnel à celui-ci. Le cabinet Occurrence, quant à lui, produit beaucoup de bruit pour rien. Et finalement, pourquoi se concentrer systématiquement sur les mobilisations des grandes métropoles, quand celles des petites villes sont plus significatives encore de l’ébullition du pays ».

Je peux également citer un cas qui m'avait frappé lors d'une manifestation de membres de la recherche et de l'enseignement supérieur à Paris. A l'issue de la manifestation organisée par une intersyndicale et donc par un syndicat auquel j'appartenais, les policiers des Renseignements Généraux (à l'époque), fort aimables au demeurant, étaient venus nous voir pour nous demander notre estimation du nombre de participants. Je ne me rappelle plus le chiffre exact, mais nous avions dit de l'ordre de 10 000 personnes. Les représentants des RG nous avaient alors indiqué que leurs comptages donnaient la même valeur. Le soir, la radio et la télévision annonçaient que la préfecture avait compté 5 000 manifestants ! Ceci me fait supposer que les chiffres réels peuvent parfois être manipulés, non pas par la police, mais par les politiques, en en l'espèce le ministère de l'Intérieur, pour des raisons de... basse politique.

D'un autre côté, il est juste de dire que le « gonflage des chiffres »par les organisateurs permet de maintenir la pression exercé par le mouvement social sur les décideurs. Ce gonflage peut d'ailleurs être très marqué, comme l'a révélé une étude menée par M. Thomas Legrand, éditorialiste politique à France Inter, menée en 2017. Les chiffres donnés par la police étaient sensiblement équivalents à ceux donnés par des journalistes compteurs de Marianne, un média plutôt classé « à gauche » (30 000 pour la police, 57 000 pour les journalistes, 150 000 pour les organisateurs; 2). Reste que la dérive entre les chiffres officiels et ceux des organisateurs semble réelle pour les manifestations de grande ampleur et, surtout, à forte densité de population.

Ne nous y trompons pas : la guéguerre des chiffres est importante. Elle permet aux médias dits « mainstream », en général peu favorables aux mouvements sociaux, de les crédibiliser ou de les décrédibiliser, selon l'intérêt de leurs propriétaires. Egalement, pour reprendre un discours plus scientifique, en générant du « bruit », les questions de comptages permettent d'affaiblir le signal. C'est ce que dit le collectif Rogue ESR : « les comptes-rendus journalistiques du mouvement massif en faveur de la préservation du système de retraites ont été pollués par une question destinée à nous détourner des enjeux du moment : le comptage des manifestants ». Parce que le vrai problème, effectivement, n'est pas de savoir si il y a eu 750 000 manifestants en France, ou 2 millions. Le problème est de savoir pourquoi le gouvernement s'acharne dans les médias comme à l'Assemblée, pour faire passer à force de bobards (système en faillite), d'artifices législatifs (le budget de la sécu!) et de 49.3, une soi-disant « réforme », inutile, injuste et très impopulaire. Ne serait-il pas tout simplement, et d'une certaine façon, en train d'enfoncer des clous dans le cercueil de la démocratie ?


Notes :

* La figure représente le nombre de manifestants à Paris, selon les comptages de la police et d’Occurrence, en fonction du nombre de manifestants en région (France moins Paris) mesuré par la police. La zone orange représente la loi de proportionnalité Paris vs. région tirée des mesures pour les petites manifestations. La pente de 0,16±0,02 coïncide raisonnablement avec le rapport entre la population d’Ile-de-France n’ayant pas de manifestation plus proche que Paris et la population vivant en région. La courbe en pointillés correspond à une loi présentant une saturation du nombre de personnes comptées dans le défilé parisien, ajustée sur les mesures de la police.


** Les dénombrements faits par Occurrence aux grands nombres donnent, en effet, des valeurs très inférieures à celles des dénombrement effectués par les force de l'ordre...



Références :

1. Compter pour quelqu’un. Collectif Rogue ESR. Février 2023.
Consultable en ligne
https://rogueesr.fr/20230211-2/

2. Thomas Legrand. Affluence aux manifestations : il faut que la presse se donne les moyens de publier les vrais chiffres… France Inter. Septembre 0217.
Consultable en ligne
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/manifs-il-faut-un-chiffre-de-la-presse-6955364


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Référence 1.
https://rogueesr.fr/20230211-2/

mercredi 1 février 2023

PATRIMOINE FORGEOIS. I. LA VILLA « LES ROSES », LA CGT ET LE PCF


Pour égayer un peu la morosité ambiante, entre contre-réforme des retraites, météo hivernale et naufrage municipal, je me suis dit qu'il serait sans doute motivant de s'intéresser au patrimoine forgeois, d'autant que le PNR vient de publier une remarquable étude sur le sujet (1). Mon approche est différente de celle du PNR, n'ayant ni le temps, ni les connaissances, ni les compétences suffisantes pour mener à bien une telle étude, que je recommande, ceci dit, à mes lecteurs.

Je m'étais néanmoins intéressé au  patrimoine lorsque j'ai rédigé la majeure partie de la page Wikipédia de la commune, voilà maintenant une bonne demi-douzaine d'années, en me fondant sur le travail de recherche de Madame Marcelle Petit (2). Cette page de l'encyclopédie libre liste les personnalités ayant vécu ou séjourné à Forges. Parmi celles-ci, je m'étais intéressé à Benoît Frachon. Le nom ne parle peut être pas à tous mes lecteurs, mais en cette période de revendication, il m'a semblé intéressant de rappeler qu'il a été membre du parti communiste français, l'un des leaders de la CGT, et l'un des participants majeurs aux accords de Matignon, signés en 1936. Ces accords ont profondément marqué l'historie du syndicalisme et du monde du travail en organisant un vrai droit syndical, une liberté d'appartenance et d'exercice de ce droit, et en instauration également le statut de délégué du personnel, pour ne citer que quelques éléments.

Ne voulant pas passer pour un historien affirmé, même si j'en connaissais les grandes lignes, je précise que je tire tout ce qui figure dans ce paragraphe des pages Wikipédia concernant différents membres de la CGT et du parti communiste français (PCF, 3) et de l'intéressant, mais très politique site « Le Maitron » (4). Avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, le syndicalisme français se déchire. À la CGT, s'opposent deux « lignes » : celle du secrétaire général, Léon Jouhaux, futur prix Nobel de la paix, et celle de Benoît Frachon, ce dernier refusant, malgré son positionnement clairement antifasciste, de désavouer le pacte germano soviétique (ou accord Ribbentrop-Molotov). Ce dernier est alors déchu de son mandat de secrétaire de la CGT par Léon Jouhaux en 1939. Lorsque la guerre éclate, les pétainistes dissolvent la CGT et Léon Jouhaux part alors organiser une résistance dans le sud de la France. Il sera arrêté en 1941 et mis en résidence surveillée par le gouvernement de l'État Français, puis remis au forces nazies en 1943. Il sera interné dans des conditions relativement privilégiées à Buchenwald, puis dans le Tyrol autrichien, là aussi dans des conditions favorables. Il sera libéré en 1945 par les forces américaines. Les personnalités qui reprennent le flambeau durant cette guerre, sont, entre autres, Benoît Frachon, Jacques Duclos (membre du PCF, puis du PCF clandestin), Maurice Tréand (chargé par l'Internationale Communiste de enter une démarche auprès des Allemands pour la reparution légale de l’Humanité, sans succès, puis évincé), et surtout Arthur Dallidet (grand organisateur du maintien du PCF dans la clandestinité, arrêté et fusillé par les nazis en mai 1942) et Charles Tillon (membre éminent du PCF et de la CGT, qui lancera un appel à la résistance dès 1940).

Fin 1940, suite aux arrestations des militants syndicaux et communistes, le PCF et la CGT entrent dans la clandestinité, sous l'autorité efficace, comme indiqué plus haut, d'Arthur Dallidet. L'histoire du PCF croise alors celle du Hurepoix, et celle de notre commune. Je tire tout ce qui suit, cette fois-ci, de l'excellent livre de M. Emmanuel de Chambost, un ancien limourien, intitulé « La direction du PCF dans la clandestinité », publié aux éditions L'Harmattan (5). Pour assurer la subsistance des militant et cadres, les responsables du PCF prennent des contacts avec des fermes en Bretagne, mais aussi dans notre région. Ces fermes permettent, outre un approvisionnement des clandestins, de stocker du matériel, et d'héberger des résistants ou des soldats alliés. Ainsi, une imprimerie clandestine fut installée à Gometz la Ville, plus précisément dans un ferme du hameau de Beaudreville. A l'époque, tout le plateau était couvert de champs, Chevry n'existait pas et cette situation permettait un accès assez facile à Paris via la ligne de Sceaux. Pour cette raison, après différentes pérégrinations, Charles Tillon se cache à Palaiseau, dans le quartier du Bout-Galeux début 1941, puis il s'installe à Limours début 1942, au 7 de l'avenue du Valmenil, devenue ensuite Boulevard du général Leclerc (dessin d'illustration tiré de 5). Ironie de l'histoire, ou de l'Histoire, ils y remplacent des officiers et sous-officiers allemands affectés au centre de transmission hertzien situé entre Limours et Gometz. À Limours, Charles Tillon se fait passer pour William Rocheteau, artiste peintre en recherche d'inspiration. Jacques Duclos s'installe à Villebon sur Yvette fin 1941, à la villa Oasis . Benoît Frachon est arrivé, lui, dans notre commune en septembre 1941. Il s'y est installée avec son épouse, au 58 route de Briis, devenu depuis le 58 rue du Dr. Babin. La maison en illustration tout en haut de ce billet, est bien décrite dans l'ouvrage en référence (5), comme bâtie sur deux niveaux et « par suite de la déclivité du terrain, le niveau du bas qui comprend une cuisine, une salle et une petite cave coté rue, donne directement sur le jardin alors qu'une sorte de perron sur le côté de la maison donne accès directement à l'étage supérieur où sont aménagées trois chambres. A l'arrière de la maison, un long jardin bordé de peupliers (5)»... Cette maison et celle de Limours existent toujours.


A Forges, Benoît Frachon vit seul, car sa femme part s'installer en zone sud de la France, pour des raisons de sécurité, en 1942. Ceci permit à Benoit Frachon de se faire passer pour Monsieur Teulet, ancien entrepreneur de transport, et « de se présenter aux yeux des citoyens de Forges Les Bains, comme un retraité usé, et qui plus est veuf » (5). Parmi ses voisins immédiats, se trouvent Madame Pelletier et sa fille adoptive Maria. « La mère Pelletier », comme l'appelait les Forgeois, bavarde et curieuse, appréciait Benoit Frachon, « ce proche voisin, qui laissait percer une humeur bonhomme sous une apparence austère... » (5). Egalement, dans tout proche voisinage, un certain Monsieur Delmas possède une belle propriété. Son fils, fonctionnaire contractuel au ministère des finances, puis inspecteur de finances depuis mars 1943, oeuvre en sous-marin au ministère des finances du gouvernement de Vichy. Il transmet des renseignements importants à la résistance, puis il coordonnera les interactions entre les FFI et les alliés. Il apparaîtra à la fin de la guerre sous son nom de résistant, Chaban, qu'il associera à son nom de famille pour devenir Jacques Chaban-Delmas, et d'entrer en politique...

Revenons à nos ténors du PCF. C'est donc en grande partie de Limours, de Forges, de Palaiseau et de Villebon, que le PCF organise sa survie, en lien avec leurs contacts en Union Soviétique, et ce jusqu'à la fin de la guerre. En 1943, les communistes entrent au Conseil National de la Résistance (CNR), grande oeuvre de Jean Moulin. A l'issue de la guerre, Charles Tillon fut nommé ministre. Benoit Frachon s'impliqua massivement dans l'activité syndicale. Il dirigea en tandem avec Léon Jouhaux une CGT resortie de la clandestinité, jusqu'en 1947, date à laquelle ce dernier, avec d'autres, fit « sécession » pour former la CGT-FO, devenue depuis FO. N'oublions pas également que ce sont les communistes, et en particulier Charles Tillon, qui créèrent et organisèrent les FTP, en s'appuyant sur les fichiers du parti et de l'Internationale Communiste. Il fût aidé de nombreux militants tels que Danielle Casanova, Albert Ouzoulias et Eugène Henaff. Les premières réunions de création, fin 1941, eurent lieu à Chevreuse, à proximité du château de la Madeleine, puis à Saint Rémy Les Chevreuse, Arpajon, Lardy, etc. Pour cela, les déplacements se font souvent à pied ou... à vélo, d'où le second titre de l'ouvrage de référence : « les cyclistes du Hurepoix ». Pour les lecteurs que les quelques éléments relatés dans ce blog auraient intéressés, je ne peux que vous conseiller la lecture de ce remarquable ouvrage, où se mêlent l'Histoire de France du XXe siècle, et l'histoire de notre commune et celle des communes environnantes.

Un denier point. Je reviens sur les accords de Matignon, en 1936, pour rappeler qu'ils ont également concerné l'instauration des futures conventions collectives, l'obligation de non-sanction pour fait de grève, le passage de la durée du travail à la semaine de 40 heures, accompagnée de congés payés pour un total, à l'époque, de 15 jours par an. Pour ceux qui auraient tendance à cracher sur le monde syndical, surtout en ce moment, ces précisions rappellent que peu, voire aucune, avancée sociale n'a été obtenue sans solidarité et sans lutte...


Références et remerciements :

1. Parc Naturel Régional De La Haute Vallée De Chevreuse. Note patrimoniale.
https://www.forges-les-bains.fr/wp-content/uploads/2023/01/Forges-les-Bains_synthese_patrimoniale.pdf

2. Marcelle Petit. Forges-les-Bains : Son histoire, son église, ses hameaux, t. I. 1991.
Marcelle Petit, Forges-les-Bains : Les seigneurs, les eaux, l'hôpital, la famille Tolstoï, t. II. 1991.
Marcelle Petit, Forges-les-Bains : Forges au XXe siècle, les Temps modernes, t. III. 1993.
Marcelle Petit, Forges-les-Bains : L'avenir de Forges, t. IV. 1995. Editions Soleil Natal, Etrechy.

3. Pages Wikipedia consultées :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Tillon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Dallidet
https://fr.wikipedia.org/wiki/Beno%C3%AEt_Frachon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Maurice_Tr%C3%A9and
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Duclos
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Jouhaux

4. Pages Le Maitron consultées
https://maitron.fr/spip.php?article23690
https://maitron.fr/spip.php?article49975
https://maitron.fr/spip.php?article21319

5. La direction du PCF dans la clandestinité (1941-1944) - "les cyclistes du Hurepoix", Emmanuel de Chambost, Dessins de Vanessa Pinheiro, Collection Mémoires du XXe siècle, © L’Harmattan, 1997.
La direction du PCF dans la clandestinité (1941-1944) - "Les cyclistes du Hurepoix", Emmanuel De Chambost - livre, ebook, epub (editions-harmattan.fr)

Je remercie très vivement les éditions l'Harmattan qui m'ont gracieusement autorisé à reproduire des extraits du livre, texte et dessins.

Merci aussi à Claire et Jean-Marc Chabrier pour m'avoir prêté cet ouvrage !


Crédits illustration :

Les dessins des bâtis sont tous deux tirés de la référence 5, ci-dessus.
En haut la villa Les Roses à Forges, avec Benoît Frachon au centre, et « la mère Pelletier » en discusson avec lui.
Au milieu du texte, la maison de l'avenue du Valmenil à Limours, avec Charles Tillon en tandem, avec Marie-Louise Camaillat, dite Colette, sa compagne.



mercredi 25 janvier 2023

UNE COMMUNICATION MUNICIPALE TOUJOURS AUSSI COMPLIQUÉE !



Jeudi dernier, nous avons connu un mouvement de grève d'une ampleur marquée, en réponse au projet de « contre-réforme » de l'accès à la retraite. Anticipant ce mouvement, une association de parents d'élèves, la FCPE pour ne pas la nommer, avait écrit à ses membres pour leur demander, si l'enseignante était gréviste, de ne pas envoyer leurs enfants à l'école dans la mesure du possible, afin de ne pas surcharger les classes ouvertes. À partir de là, les échanges avec la mairie deviennent intéressants...

Deux jours avant la grève, soit le mardi 17 janvier, et suite aux demandes de nombreux parents, l'association écrit à la mairie pour demander quels sont les services assurés normalement et quels sont ceux qui ne le seront pas. Une réponse rapide ne venant pas, la FCPE publie sur ses réseaux et diffuse un message indiquant qu'en l'absence de communication du périscolaire, il était raisonnable de se préparer à une indisponibilité des services associés. Réaction ou non à ce message, la municipalité publie ce même jour, finalement, la liste des services impactés par le mouvement social et les mesures ad hoc à prendre. Elle utilise pour cela le réseau Facebook et sur le réseau Illiwap. Le message est alors repris par la FCPE qui le retransmets sur ses propres réseaux. Sachant que tous les parents ne disposent pas d'un accès à Facebook, ou à Illiwap, l'association demande également par oral à la mairie la transmission de l'information vers les boite mail des parents d'élèves. De façon surprenante, la FCPE se trouve confrontée à une fin de non recevoir, la municipalité estimant que la diffusion via les réseaux sociaux est suffisante.

Le lendemain, le mercredi 18 janvier, donc à la veille de la grève, et en l'absence de diffusion généralisée de la part de la mairie, l'association publie sur ses réseaux un message indiquant que confrontée au non envoi par la municipalité d'un mail aux familles, la FCPE prend sur elle de demander aux parents de mettre en place une chaîne solidaire d'information, et de prévenir par téléphone les parents de leur connaissance qui n'auraient pas reçu les renseignements appropriés. Ceci me semble à vrai dire très raisonnable. Elle écrit également aux parents d'élèves répertoriés dans ses bases de données, et qui ont donc autorisé l'usage de leur mail, ce qui suit : « Bonjour, nous vous écrivons aujourd'hui parce que l'élue aux affaires scolaire nous a confirmé son intention de ne pas envoyer de mail aux parents à ce sujet. Concernant la grève de jeudi [...], les mesures prises par le périscolaire sont les suivantes, etc. ». Elle en profite pour expliquer sa position comme suit : « Étant donné que nous n'avons pas les adresses mail de tout le monde et que nos messages arrivent occasionnellement dans les spams, que tout le monde ne fréquente pas les réseaux sociaux, ni n'est connecté à Illiwap ou aux forums WhatApp ou Discord, nous vous demandons de bien vouloir faire preuve de solidarité et de téléphoner aux parents que vous connaissez pour vérifier que ces informations leurs sont bien parvenues ». Elle en profite aussi pour promouvoir ses efforts auprès de la mairie pour la diffusion d'information généralisée par mail en écrivant : « Nous trouvons regrettable que la mairie ne se soit pas sentie obligée de prévenir l'ensemble des parents, et avons besoin de vos commentaires et avis sur le sujet pour appuyer nos prochaines demandes d'information généralisée ».

Très curieusement, moins d'une heure après que les parents aient été informés par la FCPE, la mairie réagit - ce qui prouve que quand elle le veut elle le peut - en envoyant un message suggérant qu'elle avait néanmoins adressé l'info par mail la veille aux parents. La tonalité est amusante puisque le message dit « certains d'entre vous n'ont pas reçu le communiqué concernant la grève de demain, envoyé hier », avec en PJ la liste des mesures prises sur un document daté... du 17. Or, très curieusement, et contrairement à ce que dit ce message, ce n'est pas certains parents qui n'ont pas reçu de mail, c'est la totalité des parents FCPE ! Mais glissons ! Face à ce qui ressemble à une tentative de rattrapage, la FCPE réécrit sur ses réseaux sociaux, pour confirmer que la municipalité avait bien jugé inutile la diffusion par mail, et précise sur un ton humoristique que l'association est tout a fait habituée à être considérée comme « menteuse et inconséquente » par la municipalité. Et encore l'association ne dit-elle pas tout sur la façon dont elle a été traînée dans la boue par des élues en au moins une occasion... Elle ajoute qu'elle trouve surprenant et déplacé le fait que les parents d'élèves soient vus comme « des candides solitaires ne communiquant pas entre eux », bref que la mairie les prenne pour des neuneux ! Elle confirme également qu'aucun des parents FCPE n'a reçu de mail de la mairie.

Le plus amusant dans l'histoire, c'est que la FCPE n'a reçu qu'un seul message d'un parent d'élève, non FCPE, et que l'association ne parait pas connaître, les accusant de « faire de la politique », et de nombreux messages d'autres parents la remerciant pour son action de diffusion et pour indiquer également l'agacement et l'indignation des parents face à ce manque d'information de la mairie. Cette dernière est en effet assez prompte à fonctionner « à la chinoise », diffusant une information lisse et souriante en façade, mais qui masque de plus en plus difficilement ses errements. En réalité, en effet, les Forgeois se connaissent, parlent, et les associations impactées par la vacuité municipale sont également de plus en plus nombreuses. Je ne sais pas, mais il me semble que quelque chose bouge à Forges en regard de la politique municipale d'absence systématique de réponse et de mépris généralisé vis à vis d'un nombre grandissant de concitoyens. C'est indéniablement une bonne nouvelle !


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mardi 17 janvier 2023

MÉTÉO SOCIALE : AVIS DE GRAIN FORT ET DE RISQUE DE GRÈVE...


Je publie ici in extenso un article du collectif de scientifiques « Rogue ESR » qui s'interroge sur la grève comme moyen de se faire entendre, suite aux attaques dont le monde du travail est victime de la part de l'actuel gouvernement. Orienté vers des problématiques de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR), ce texte me parait cependant d'un intérêt plus général, ce qui a motivé mon désir de le partager. Ainsi, le collectif pose tout dabord la question des objectifs de la grève, puis des raisons qui pousserait les personnels de l'ESR à s'y inscrire. Ce qui suit est donc strictement le texte du collectif, à l'exception des références que j'ai citées comme c'est l'usage sur mon blog. 

La grève n’est pas une fin mais un moyen, une tactique déployée dans un but stratégique. Elle ne consiste ni à « se compter » ni à « être comptés » par la presse, les syndicats ou la police. Elle consiste encore moins à se sacrifier ou à renoncer spontanément à un trentième de son salaire pour la seule beauté du geste — il peut d’ailleurs être utile de préserver son salaire pour le reverser aux caisses de grève. C’est toujours à l’administration de recenser les grévistes et de fournir la preuve qu’ils étaient en grève. 

Dans le secteur industriel et marchand, la grève vise à arrêter l’appareil productif. Hors du secteur marchand, la grève sert à libérer du temps pour le consacrer aux actions destinées à l’obtention du but fixé. Aussi la grève à l’Université pose-t-elle directement la question de son utilité sociale en démocratie — irréductible à un service public de diplomation. 

Pendant les premières vagues de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a lui-même interrompu l’activité des universités et a contraint les universitaires et les étudiantes et étudiants à travailler hors-site alors que les moyens sanitaires permettant un maintien des activités sur place étaient connus. Il est donc devenu évident qu’un simple arrêt de travail ne constitue pas un levier stratégique à même de déranger l’exécutif. Alors que faire ? Concernant les retraites, sensibiliser et informer les étudiants en faisant le tour des amphis. Plus largement, le temps de la grève doit être l’occasion d’une réflexion critique collective. Moment idéal pour des cours sur le réchauffement climatique et l’effondrement des espèces, sur la crise énergétique et la fin à venir des énergies carbonées, sur l’organisation territoriale, sur la démocratie, sur l’institution universitaire, etc. Occasion pour discuter de nouveau entre collègues du rouleau compresseur qui s’est abattu depuis 2004 sur nos institutions ? La grève doit être un temps où mettre nos savoirs et notre intelligence critique au service des analyses et des actions collectives qui se construisent localement. Il s’agit de créer politiquement, de créer stratégiquement, de créer collectivement, une activité dont les universitaires se sont peu à peu détournés.
 
Il y a mille raisons de se mettre en grève, que l’on soit étudiant, chercheur, précaire ou universitaire. La (contre)-réforme des retraites qui décalera l’âge de la retraite à 64 ans en est une, majeure. De l’aveu même de Bruno Lemaire, cette réforme n’a d’autre objet que de faire faire des économies rapidement à l’État, pour abonder l’augmentation massive de l’aide aux entreprises privées et à leur actionnariat. Or l’État consacre déjà plus de 200 milliards d’euros, soit le tiers de son budget, à cette aide. La participation des entreprises au financement de la Sécurité sociale s’est réduite de 51% (1990) à 36,5% (2019), entraînant un manque à gagner de 68 milliards d’euros par an (1). 

Le Conseil d'Orientation des Retraites le dit clairement : la (contre)-réforme des retraites n’a aucune utilité pour le système de retraites lui-même, dont les dépenses sont sous contrôle (2). En revanche, elle ne manquera pas de creuser les inégalités en touchant frontalement les quinquagénaires, les femmes, les précaires, les ouvriers. Elle contribuera à prolonger la précarisation subjective et matérielle, l’anxiété économique, jusqu’à la mort. En ce sens, elle participe de la logique de « Parcoursup » et de la réforme du Lycée qui font entrer les adolescents dans la vie d’adulte avec cette même anxiété.

Nul ne sait à ce jour si le second volet de la réforme, qui prévoyait d’aligner progressivement, sur 15 ans, le taux de cotisation patronale (pour les fonctionnaires) de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé (16,9%), a été maintenu ou s’il est repoussé à un examen ultérieur. Le Conseil d’Orientation des Retraites a également pris position contre une telle évolution dans son dernier rapport (3).

Ce second volet prévoit que l’État soit en 2037 le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation, à hauteur de 42 milliards d’euros par an hors inflation. Autrement dit, le second volet de la réforme prévoit encore des économies qui creuseront un déficit du régime de retraites pourtant aujourd’hui à l’équilibre. L’idée d’une réforme en deux temps figurait explicitement dans les programmes présidentiel et législatif au printemps dernier (4).

Nous avons déjà expliqué cet automne en quoi cette gigantesque ponction sur les cotisations patronales de l’État fait système avec la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) : le RIPEC (C3) et le dispositif des Chaires de Professeur Junior sont financés par une fraction de l’argent censé être libéré à la faveur du vol de notre salaire socialisé.

Il y a donc mille raisons de se mettre en grève, que l’on soit étudiant, chercheur ou universitaire, titulaire ou précaire. La réforme des retraites participe de la crise multiple que notre société a à affronter, une crise entretenue et accentuée par un État qui s’est mis au service d’intérêts privés et dont les représentants méprisent ouvertement le savoir et la science. Nous sommes dos au mur, avec l’immense tâche de dégager un horizon bouché, en particulier pour ceux et celles avec qui nous travaillons, les jeunes qui sont formés à l’Université, mais aussi celles et ceux qui ont été exclus de l’enseignement supérieur par Parcoursup. Y contribuer suppose de suspendre le temps contraint et ses tâches en retard infiniment accumulées, donc de se mettre en grève. Quand la vie se trouve frontalement attaquée, c’est la vie elle-même qui devient résistance.


Références :

1. Répport d'évaluation des politiques de sécurité sociale - Retraite.
https://evaluation.securite-sociale.fr/files/live/sites/Repss/files/M%c3%a9diath%c3%a8que/Retraites/Rapport%20Retraites%20-%20Edition%202022.pdf 

2.  « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Synthèse du rapport du COR, page 3. 

3. « Pour autant, considérer que le taux de cotisation du privé doit être appliqué aux fonctionnaires de l’État suggère que le taux de cotisation implicite de l’État est illégitime et renvoie à des avantages particuliers dont bénéficieraient les fonctionnaires de l’État. Or les travaux du COR ne concluent pas à une différence systématique et importante dans la “générosité” des régimes publics de droit commun par rapport au privé et qu’en les plaçant sur un pied d’égalité (même assiette de cotisation, même ratio démographique notamment), les taux pratiqués dans le public et le privé sont équivalents, autour de 25% […]. Les membres du COR ne souhaitent pas retenir cette approche qu’ils jugent inappropriée. », Synthèse du rapport du COR, page 6. 
https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-01/Synth%C3%A8se.pdf

4. Législatives 2022.  Synthèse de l’Institut Montaigne. 
Consultable en ligne :


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Aides publiques aux entreprises calculées à partir des données Insee, PLF, PLFSS et Acoss-Urssaf.