jeudi 6 mai 2021

MISÈRE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE FRANÇAISE. I. ORGANISATION ET FINANCEMENTS



Après plus de 40 ans passés dans les labos de l’Institut Pasteur, du CNRS, de l’Inra et de différentes universités, ainsi qu’au siège du CNRS, le tout entrecoupé de séjours dans des universités aux Etats Unis, en Belgique, et en Asie du Sud Est (Malaisie), je dispose de quelques points de repère pour dénoncer la misère de la recherche publique non militaire en France.

Difficile, tellement le sujet est vaste, d’expliquer en quoi la recherche publique est maltraitée en France. Un premier point consiste sans doute à expliquer comment elle est organisée et financée. De façon très schématique la recherche est essentiellement menée dans les universités ou dans des structures apparentées (grandes écoles), par des personnels relevant des universités mais également, et souvent assez largement, par des personnels non enseignants relevant des grands instituts de recherche, tels le CEA, le CNRS, l’INRA, L’INSERM, l’INRIA, etc. Ces grands instituts possèdent également des unités de recherches en propre, voire dans un certain nombre de cas des centres de recherches qui leur sont propres.

Le plus surprenant pour la personne non avertie, en tous cas dans le domaine des sciences de la vie, ou de l’environnement, mais également pour ce que j’en sais en sciences de l’univers, réside dans le fait que les grands instituts de recherches, comme les universités, payent essentiellement les salaires de leurs personnels mais pratiquement pas leurs travaux. Pour donner des éléments plus précis, hors salaire, le financement attribué à un chercheur CNRS en sciences de la vie ou de l’environnement tourne entre 1000 et 4000 euros en moyenne par an. Ceci signifie que pour mener à bien ses expérimentations, un chercheur, enseignant-chercheur ou un ingénieur de recherche ne peut compter que sur cette seule somme annuelle de la part de sa tutelle. Autant dire que côté "performance", c'est mission impossible ! Quand on connaît le prix d’un ordinateur un peu performant, ou des réactifs de labos*, on comprend tout de suite que les chercheurs, enseignants ou ingénieurs soient donc obligés de rechercher de l’argent ailleurs

Chercher des financements du côté du secteur privé est difficile. J'expliquerai plus tard pourquoi. De façon générale, ce secteur n'est pas prêt à investir dans de la recherche de base quand on explique que le retour sur investissement est non mesurable à la fois en termes probabilistiques et financiers. Ailleurs, ce sont donc les agences nationales, type agence nationale de la recherche (ANR), les ministères, les régions, mais également dans le secteur public les appels à projets européens auxquels il est possible de soumettre un projet en réponse à un appel d’offre thématique. Un mot sur ces derniers pour dire qu’ils sont devenus quasi inaccessibles pour un laboratoire « standard », tellement les dossiers de soumission sont complexes. Dans les années 90, il était possible pour une équipe moyenne de répondre. J’ai ainsi bénéficié de trois soutiens européens conséquents au sein de consortia de labos de toute l’union européenne. Mais depuis les années 2005, les procédures se sont fortement complexifiées. La notice explicative de soumission peut atteindre la centaine de pages, et le dossier de soumission peut en faire tout autant, le tout en y ajoutant des calculs cauchemardesques de ratios entre emploi public et privé, emplois statutaires et emplois à financer par l’appel d’offre, ou nomenclature des fournitures nécessaires au projet. C’est élément compliqué qu’il faut avoir maintenant recours à des cabinets spécialisés de montage de projet si on veut avoir une chance de franchir le simple contrôle de complétude du dossier…

On comprend de ce qui précède qu’il est nécessaire pour un chercheur (ou enseignant chercheur, ou ingénieur) un peu confirmé de chercher avant tout... de l’argent. Cette tache est très chronophage puisque pour un responsable d’une équipe de recherche d’environ 10 personnes, elle représente environ 30 % du temps de travail. Partant d’une feuille blanche, il faut en effet autour de trois mois pour monter un projet de recherche solide que l’on soumettra à l’ANR ou à un ministère, pour un projet dont le budget total est en général compris entre 150 et 750 000 euros sur 3 ou 4 ans, pour en moyenne 3 ou 4 équipes de recherches participant au projet. On voit tout de suite, que les sommes recueillies sont au mieux de l’ordre de 250 000 euros par équipe sur 3 ou 4 ans. Pas de quoi sauter au plafond ! Mais c’est toujours mieux que rien. Cela permet en effet de financer l’achat des matériels ou services nécessaires, et également de financer une thèse, rarement deux, sur 3 ans. Ce sont d’ailleurs les étudiants en thèse, que l’on appelle les doctorants, qui, encadrés par le chercheurs seniors ou par un ingénieur, assurent une grande partie des travaux de recherche au quotidien, aidés en cela par les techniciens de laboratoire dont le nombre de postes s’est malheureusement drastiquement réduit au cours des 15 dernières années. Le rôle du chercheur confirmé, lui, s’apparente plus à celui d’un responsable de PME qui doit donc courir les contrats, faire tourner son équipe, faire le chargé de relation publique dans les congrès, mais aussi gérer les matériels, les problèmes administratifs, le tout sans carotte et sans bâton et avec un soutien très limité, pour ne pas dire absence de soutien, de son administration de tutelle.

Cette situation de recherche permanente de financements serait tenable à deux conditions qui ne sont malheureusement pas remplies. La première serait que le montant global des financements obtenus soit plus élevé. Or il reste très faible ; il faudrait pour qu’un projet de recherche soit véritablement viable soir les budgets multipliés par 2 environ. Il faudrait également que les règles d’utilisation de ces crédits soient assouplies, le corset budgétaire dans lequel les dépenses doivent se faire relevant parfois, pour ne pas dire souvent, du domaine de l’absurde.

Deuxième condition : il faudrait que le taux de succès aux appels d’offres tourne autour de 25 à 30%, c’est à dire qu’un projet sur 3 ou 4 soit financé. Or il y a encore deux ou trois ans, ce taux tournait autour de moins de 10% pour les projets soumis à l’ANR. Ceci signifie que 90% des projets soumis étaient rejetés. Ce rejet n’est pas du à une mauvaise qualité de le recherche proposée (d’ailleurs l’agence le reconnait !), mais simplement au fait que le budget global des agences et ministère est très limité. Dit comme cela, ceci implique que des milliers et des milliers d’heure de travail de chercheurs et ingénieurs sont in fine perdues en montage de projets, puisque 9 sur 10 iront dans le mur ! La recherche des financements pour un laboratoire et donc non seulement chronophage mais est également démotivante, car largement vouée à l’échec. En lien, au cours de ma carrière j’ai été assez fréquemment conduit à évaluer des projets pour d’autres agences de pays étrangers, telles le FNRS belge, le BBRSC britannique, la NSF et la NIH américaines, des agences italiennes ou malaisiennes, ou des agences transnationales. J’ai donc des éléments de comparaison qui me permettent de dire que les budgets demandés à des agences comme la NSF ou le BBRSC relèvent, pour une seule équipe, de montants sensiblement équivalents à 1 million d’euros sur 2 ou 3 ans, soit un rapport de un à 4 avec ce qu’il est possible d’obtenir pour une équipe en France. La récente récipiendaire du prix Nobel, la Française Emmanuelle Charpentier, ne dit rien d'autre quand elle affirme que notre pays n'aurait jamais pu lui donner les moyens qu'elle a eus à l'étranger pour mener ses recherches... 

Ce que je décris au niveau micro se retrouve bien évidemment au niveau macro. Ainsi, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) représentait en France environ 2,2 % du PIB en 2018, bien en deçà de l’objectif des 3,0 % fixé par l’union européenne. La France se situe d’ailleurs en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (2,4%) et loin derrière des pays comme la Corée du sud (4,5 %), la Suède (3,3 %), le Japon (3,3 %), l’Allemagne (3,1 %) et les Etats-Unis (2,8 %). Par ailleurs, la recherche publique ne représente en 2018 en France qu’un tiers de la DIRD, soit autour de 0,75 % du PIB. Elle représentait presque 0,9 % du PIB en 1993...

Pour en finir avec les chiffres un mot sur le CNRS, organisme auquel je suis très attaché, dont le budget global 2020 est de l’ordre de 3,5 milliards d’euros, dont 83 % environ destinés au paiement des salaires. On peut mettre en face de ce chiffre le montant global de la fraude fiscale sur les revenus, autour de 60 milliard d'euros, ou plus en rapport celui du crédit impôt recherche, dont le montant atteint 6,5 à presque 7 milliards d’euros selon les années, et sur lequel la cour des comptes a émis plus que des réserves quant à l’efficacité.

Cette faiblesse des financements explique une grande partie des difficultés rencontrées par la recherche publique en France, mais elle n'est pas la seule explication. Dans l’article qui suit, je reviendrai sur d’autres aspects délétères pour cette activité, tels la méconnaissance de nos dirigeants de ce qu’est la recherche, les problèmes de recrutement et de sous-traitance généralisée, et l’évaluation permanente érigée en mode de gouvernance.

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* dont le prix de certains est 10 voire 100 fois supérieur à leur poids en or !


Crédit illustration :

https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/ouest-guyanais/guyane/sante-publique-france-confirme-stabilisation-epidemie-coronavirus-guyane-858088.html




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