Le débat autour de la légalisation du cannabis dit récréatif s’est trouvé réactivé récemment avec une proposition du député écologiste Yannick Jadot en ce sens. Si l’on peut bien évidemment s’amuser de voir un député vert se soucier de légaliser un produit finalement « naturel », il ne faudrait pas croire qu’il s’agisse d’un cas isolé. En effet, très récemment aussi, M. Caroline Janvier, députée LREM de la 2e circonscription du Loiret, et rapporteuse thématique d’une mission d’information sur la réglementation des différents usages du cannabis, a déclaré que cette mission dressait un constat d’échec en matière de répression de l’usage de ce produit. Elle proposait « une légalisation encadrée qui permette à l'État de reprendre le contrôle de la production, de la consommation, de la distribution de cannabis, en contrôlant les substances qui sont vendues » (1).
J’avoue ne pas avoir ni d’idées préconçues, ni de position ferme sur la question de la dépénalisation du cannabis. En matière d'arguments en faveur d’une dépénalisation, je reprends ici ceux présentés dans le rapport de la mission d’information (2). Un des tout-premiers arguments, solide, est que le marché noir de ce produit génère beaucoup de violence et d’insécurité dans de nombreuses zones des grandes agglomérations. En lien, les activités de police et de gendarmerie visant à lutter contre ces trafics mobilisent beaucoup de personnels au sein des forces de l’ordre, pour un « rendement » très faible, puisque le trafic de ce stupéfiant ne diminue pas. Au contraire, celui-ci est en hausse depuis 30 ans et la France est maintenant le premier consommateur européen de ce produit. Le rapport dit d’ailleurs que la politique de la sanction « n’a que peu d’effet dissuasif sur des trafics et une consommation qui se banalisent ». Si le produit était vendu de façon légale et encadrée, on pourrait alors utiliser les compétences des forces de l’ordre pour lutter contre bien d’autres délits et crimes. On voit bien d’ailleurs, que la consommation - et seulement la consommation - fait depuis peu l’objet d’une dépénalisation de fait, les contrevenants s’exposant seulement à une amende forfaitaire en France, sauf dans le cas ou l’usage de ce produit aurait éventuellement causé un dommage à autrui. Le rapport confirme cela lorsque les députés écrivent « La banalisation de la consommation est telle qu’elle aboutit [...] à une dépénalisation de fait dans certains grands centres urbains ».
Deuxième argument, la vente de cannabis s’inscrit dans une économie souterraine qui peut profiter à des entreprises mafieuses, voire terroristes, et qui alimentent des réseaux mondialisé de blanchiment et de corruption. Le rapport précise que le trafic du seul cannabis au niveau mondial aurait rapporté en 2005 plus de 140 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, le marché du cannabis en France, c’est un peu plus d’un milliard par an... La légalisation laminerait les revenus de ce trafic.
Deux autres arguments apparaissent également dans le rapport. Il s’agit du fait que les produits à base de cannabis vendus aujourd’hui comportent des taux de tétrahydrocannabinol (ou THC, la substance psychotrope majeure) très variables, et en augmentation constante. Ainsi, des produits saisis dans l’Union Européenne « qui contenaient auparavant en moyenne environ 4 % de THC, présentent aujourd’hui des taux de concentration d’environ 18 %, voire jusqu’à 24 % » (2) et peuvent atteindre parfois 30% du poids du produit. « La puissance de la drogue proposée est donc considérablement plus forte que celle proposée ans les années 1970-1980 » (2), entraînant donc des risques de « surdosage » ou d’accoutumance accrue pour les utilisateurs. Par ailleurs, afin d’accroître leurs bénéfices, certains revendeurs n’hésitent pas à couper leur produit avec des composés de toutes sortes, dont certains peuvent présenter un risque réel pour la santé du consommateur. On peut ainsi trouver comme agent de coupage, du kérosène, de l’huile de vidange, des colles, de la cire, du talc, du cirage, des composés plombés, etc. Le rapport conclut « Pour ces raisons, les produits consommés sont aujourd’hui plus destructeurs que ceux qui étaient disponibles dans les années 1970 ou 1980, et l’association entre des taux de THC excessifs et une composition fréquemment frelatée pose un important problème de santé publique, directement dû à la prohibition ».
Enfin, un dernier argument que je n’ai pas trouvé décrit comme tel dans le rapport (mais il est vrai que je l’ai lu rapidement) m’interpelle. Il est présenté sur le graphe ci-dessus (tiré de 3) dans lequel différents composés psycho-actifs sont classés pour leur niveau de dangerosité pour la personne et pour la société. On constate que le moins dangereux de toutes ces drogues est le cannabis, derrière des composés à vocation thérapeutique (mais dont l’usage peut être détourné) comme les opiacés (morphine, codéine) ou des benzodiazépines (ex. valium, lexomyl) et très, très loin derrière des drogues légales (nicotine, alcool) ou non (crack, cocaïne, héroïne).
Voyons maintenant les arguments qui s’opposent à la dépénalisation. J’en vois plusieurs dans le rapport parlementaire, qui souligne d’ailleurs l’importance de la mise en place d’une politique sanitaire. La légalisation de l’usage récréatif du cannabis pourrait favoriser le développement d’addiction à ce produit, particulièrement au sein de la population la plus jeune, et ce, même si le pouvoir addictif des différents composés cannabinoïdes, THC en tête, est bien inférieur à celui de la cigarette ou de drogues interdites d’usage, comme l’héroïne (2). Ainsi, 20 à 25 % des consommateurs réguliers de cannabis semblent présenter des signes clairs d’addiction (contre presque 100% des fumeurs de tabac). En revanche, l’argument qui place le cannabis comme une première marche vers l’usage d’autres drogues dites plus dures (cocaïne, crack, héroïne) n’est en aucun cas validé. Je cite le rapport : « La théorie de l’escalade (ou « stepping-stone theory ») suppose en effet que la consommation de cannabis mène inexorablement vers la consommation de drogues dites « dures » […]. La théorie se fonde sur le fait qu’une grande partie des consommateurs de drogues dures (héroïne, cocaïne, métamphétamines, etc.) commence par le cannabis, or, dans les faits, cette corrélation n’entraîne pas un lien de causalité dans la mesure où, si la consommation de cannabis a effectivement augmenté de façon importante dans la population générale, la consommation de drogues « dures » n’a pas suivi ».
L’usage de cannabis est également susceptible d’induire un certain nombre de pathologies majeures. Le rapport pointe du doigt un premier risque, les dommages d’ordre cérébral chez les jeunes consommateurs et, par conséquent, de développement de troubles psychiatriques. Je cite : « la consommation de cannabinoïdes augmente sérieusement le risque de troubles psychiatriques, et l’évolution des consommateurs vers la schizophrénie, les troubles anxieux ou dépressifs, est désormais bien démontrée et relativement significative : le risque est en effet doublé pour les jeunes de moins de dix-huit ans et plus grand encore pour ceux débutant leur consommation de cannabis avant l’âge de quinze ans ». Dans ce contexte une augmentation du risque de suicides dans la population jeune peut être crainte. Hors de ces troubles du comportement, l’usage de cannabis peut aussi engendrer des troubles cardiaques. Une augmentation immédiate du risque d’infarctus est désormais avérée, dans l’heure suivant la consommation (2). Des risques d’augmentation de cancers pulmonaires ont aussi été rapportés chez les fumeurs réguliers. En effet, fumer du cannabis, c’est aussi fumer des goudrons très chargés en composés dits aromatiques polycycliques hautement cancérogènes, comme avec la cigarette…
Par ailleurs, l’usage du cannabis conduit à des baisses de vigilance. Ainsi, on observe des temps de réaction considérablement accrus chez les consommateurs occasionnels, de 19 % pour des doses de 10 milligrammes à 27 % pour des doses de 30 milligrammes, qui peuvent se prolonger plus de 15 heures au-delà de la consommation, l’association à l’alcool ayant des effet potentialisant, d’où un risque pour les conducteurs d’engins et de véhicules particuliers. Cette baisse de vigilance se traduit aussi par des baisses de concentrations à l’acquisition de connaissances. Ainsi, des suivis de cohortes menées sur une longue durée par l’Inserm montrent une probabilité de suivre des études supérieures inférieure à 60 % pour les jeunes ayant commencé à fumer avant l’âge de seize ans.
Dernier élément s’opposant à la dépénalisation, d'ordre plus moral ou éthique, au choix. Ce n’est pas parce que l’on n’arrive pas à contrôler un comportement délictueux qu’il faut baisser les bras et le légaliser. Envisagerait-on de dépénaliser les grands excès de vitesse quand on sait qu’une part très importante - pour ne pas dire majoritaire - des accidents de la route est liée à une vitesse excessive ou inadaptée ? Non. Dès lors, quid de la consommation de stupéfiants ?
Je ne prétends en aucun cas avoir fait le tour de la question, mais il me semble qu’il reste nécessaire de réfléchir à cette dépénalisation, tranquillement, en pesant bien le pour et le contre, et sans s’inscrire dans un quelconque effet de mode. Je termine en précisant que cet article n’est en aucun cas un encouragement à consommer du cannabis, hors prescription médicale, car celui-ci reste considéré comme un stupéfiant par l’arrêté du 22 février 1990, consolidé le 1er janvier 2020, et donc interdit de production, distribution et consommation.
Je ne prétends en aucun cas avoir fait le tour de la question, mais il me semble qu’il reste nécessaire de réfléchir à cette dépénalisation, tranquillement, en pesant bien le pour et le contre, et sans s’inscrire dans un quelconque effet de mode. Je termine en précisant que cet article n’est en aucun cas un encouragement à consommer du cannabis, hors prescription médicale, car celui-ci reste considéré comme un stupéfiant par l’arrêté du 22 février 1990, consolidé le 1er janvier 2020, et donc interdit de production, distribution et consommation.
Références :
1. Cannabis : des parlementaires demandent une "légalisation encadrée" permettant à l'État de "reprendre le contrôle". France-info. Mai 2021.
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cannabis/cannabis-des-parlementaires-demandent-une-legalisation-encadree-permettant-a-l-etat-de-reprendre-le-controle_4611697.html
2. Rapport parlementaire sur le cannabis récréatif.
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/sante/drogue-addictions/cannabis/cannabis-des-parlementaires-demandent-une-legalisation-encadree-permettant-a-l-etat-de-reprendre-le-controle_4611697.html
2. Rapport parlementaire sur le cannabis récréatif.
Consultable en ligne :
https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/341940/3351816/version/1/file/210505+Rapport+cannabis+recreatif.pdf
3. Page « Drogue ». Wikipedia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Drogue
Crédits illustration :
Légalisation du cannabis : le pour et le contre
You tube.
Mise en ligne par : Monkey - l'actu décryptée. Octobre 2018
https://www.youtube.com/watch?v=B5FBNw4wvDQ
https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/341940/3351816/version/1/file/210505+Rapport+cannabis+recreatif.pdf
3. Page « Drogue ». Wikipedia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Drogue
Crédits illustration :
Légalisation du cannabis : le pour et le contre
You tube.
Mise en ligne par : Monkey - l'actu décryptée. Octobre 2018
https://www.youtube.com/watch?v=B5FBNw4wvDQ
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