Certains prophètes du malheur, du genre collapsologistes, nous prédisent qu’en sus de l’épidémie de CoViD-19, nos pays seront prochainement touchés par la fameuse fièvre hémorragique africaine. Je ne le pense pas et j’explique pourquoi.
Plusieurs raisons permettent d’envisager que la survenue d’une épidémie de fièvre hémorragiques en Europe est hautement improbable. Avant de les présenter, je précise cependant que je pense que l’apparition d’autres épidémies à coronavirus sont, elles, possibles. Certaines pourraient d’ailleurs être bien plus mortelles que l’actuel épidémie de CoViD-19. Je me fonde pour dire cela sur la parenté de l’actuel coronavirus, le SARS-COV2, avec le SARS-COV-1, agent du SARS ou syndrome respiratoire aigu sévère. Le SARS a causé en 2002 et 2003 environ 800 décès dans le monde. Si le taux de létalité moyen de la CoViD-19 est de l’ordre de 2 à 3%, toutes catégories de population confondues, il peut atteindre 18% pour les plus de 65 ans, ce taux augmentant encore avec l’âge. Pour le SARS, le taux de létalité global est de 10 à 15 % et il peut dépasser 50 % chez les personnes de plus de 65 ans (1). Ces deux coronavirus se transmettent d’homme à homme de la même façon, par voie aérienne, principalement par des gouttelettes de salive contaminées. On peut également citer le cas du MERS, syndrome respiratoire du Moyen-Orient, lui aussi causé par un coronavirus, le MERS-CoV. La maladie a affecté 1219 personnes, dont 449 sont décédées, soit un taux de létalité moyen de 37% (2). Cette maladie est contenue, heureusement, car il n’existe pas encore de vaccin, même si des résultats encourageants ont été obtenus en 2020 sur des singes, et même si on peut espérer que les progrès des technologies ARN devraient nous fournir des candidats vaccins rapidement. Il est à noter que ces trois épidémies sont causées par des coronavirus, deux d’entre eux, les SARS-COV1 et COV2 présentant des très fortes similarités avec des virus de chauves-souris, d’où leur origine supposée. Le MERS-CoV ressemble, lui, à un virus du dromadaire. Dans les trois cas, le passage de l’animal à l’homme est supposé résulter de la fréquentation de marché d'animaux vivants (SRAS et CoViD-19), ou de la consommation de lait et de fromage crus, ou du contact avec les excréments de ces animaux (MERS).
La fièvre hémorragique Ebola fait aussi très peur à certains en raison des forts taux de létalité constatés en Afrique (de 30 à 90% environ selon les régions et les souches) et en raison de l’absence supposée de traitement. Cette maladie fait partie du groupe des fièvres hémorragiques causées par une famille de virus non apparentés au coronavirus (bien que virus à ARN), les filoviridae. Un des ces virus, appelé virus Marburg, anciennement virus de la maladie du singe vert, pose également des problèmes en Afrique, où il a été responsable de plusieurs épidémies locales présentant un taux de létalité à peine inférieur au virus Ebola. Comme celui-ci, tous deux ont pour hôte naturel une chauve-souris, la roussette d'Égypte, la contamination humaine résultant de la fréquentation des grottes ou réside cet animal par des Hommes (3), ou de la chasse de singes contaminés par la chauve souris et de leur consommation.
Alors pourquoi pas de risque épidémique majeur en France ? Tout d’abord, ces virus sont très majoritairement localisés en Afrique, en raison de la distribution géographique de leur hôte naturel limité pour le moment à la région sub-sahélienne et de la haute vallée du Nil. Rien ne prouve cependant que cet hôte ne puisse remonter plus au nord, surtout en regard des changements climatiques en cours. De plus, un filoviridae apparenté (le virus Lloviu) a été identifié en Espagne, dans les Asturies, également chez une chauve souris colonisant les régions nord de l’Afrique et sud de l’Europe (4). Malgré la présence humaine dans les grottes où habitent ces chauves souris, aucune maladie associée à ce virus n’a été répertoriée, suggérant que cet agent est non pathogène pour l'Homme. Par ailleurs, le mode de transmission d’Ebola d’Homme à Homme n’est pas aérien, mais résulte de contact avec des fluides de patients (sang, urine, selles et sueur, par contact direct ou par contact avec des surfaces contaminées). La transmission est moins efficace qu'avec un virus à transmission aérienne, d'autant que les patients Ebola ne sont contaminants que lorsqu'ils sont malades et le restent en revanche quelques semaines après leur guérison. La mise en quarantaine des patients et de leurs proches peut donc permettre de circonscrire efficacement l’épidémie. Quant aux soins, même s’il n’existe pas de traitement grand public de la maladie, ceux-ci sont a priori plus faciles d’accès en Europe que dans des régions isolées d’Afrique. Une épidémie aurait donc peu de risque de s’y étendre « car elle y serait plus rapidement circonscrite grâce à l’information, aux infrastructures et aux conditions de soins de santé qui ramèneraient probablement la mortalité sous les 25 % » (5). Confortant ce propos, tous les cas d'Ebola découverts en Europe ont été traités sans aucune contamination des personnels soignants, et sans aucun signe de développement épidémique de la maladie.
Dernier point : des traitements expérimentaux contre Ebola existent, dont certains mettent en œuvre des anticorps recombinants et ceux-ci ont déjà permis de sauver les vies de tous les patients traités (moins d’une dizaine). L’organisation mondiale de la santé (OMS) a publié il y a quelques années une liste des molécules en cours d’essais (6). L’examen de ces produits montre cependant que la plupart restent d’accès limité voire très limité mais une émergence de la maladie à tendance épidémique en Europe entraînerait sans aucun doute une accélération rapide de la production des molécules à visée thérapeutique. A cet égard, on peut regretter que cela ne soit pas le cas pour l'Afrique ! Enfin, des vaccins ont été développés et certains, en phase III, ont été testés dans les régions africaines à risques. Ces vaccins ne ciblent qu’une ou deux souches de virus Ebola, les plus courantes, mais sont suffisamment actifs pour faire l’objet d’autorisations de mise sur le marché en Europe (2019) et en France (2020). Ainsi, le vaccin vivant atténué (anti-Ebola souche Zaïre), administré en une seule injection, montre une efficacité comprise entre 65% et 100% en prévention de la maladie à virus Ebola, avec des effets indésirables comparables à ceux des autres vaccins injectables de l’adulte (7). Il confère une protection de plusieurs années aux populations vaccinées. Par ailleurs, des essais sont en cours autour de stratégies vaccinales généralistes avec, là aussi des résultats très prometteurs. En particulier, un vaccin recombinant utilisant comme vecteur un adénovirus (vecteur très semblable à celui des vaccins Astra Zeneca contre le SARS-CoV2) semble conférer une immunité croisée contre quasiment toutes les souches de virus Ebola ainsi que contre le virus Marburg évoqué plus haut (8), mais il nécessite d'effectuer des rappels pour être totalement efficace. Tous ces éléments font qu'il n’y a, aujourd’hui, aucune raison de propager des propos qui tendraient à faire croire à une prochaine épidémie d’Ebola en Europe.
Références :
1. Fiche SARS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/sras
2. Fiche MERS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/mers-cov
3. Virus Ebola
Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus_Ebola
4. Negredo et al. Discovery of an Ebolavirus-Like Filovirus in Europe. PLoS Pathogens. Octobre 2011.
Consultable en ligne :
https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1002304
5. Catherine Solano (médecin).
A propos d'Ebola. passeport santé.
Consultable en ligne :
https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=ebola-l-opinion-de-notre-medecin-a-propos-d-ebola
6. Recommandations transitoires - Traitements et vaccins potentiels contre le virus Ebola. Organisation mondiale de la santé. Novembre 2014.
Consultable en ligne :
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/145196/WHO_EVD_HIS_EMP_14.1_fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y
7. Haute autorité de santé. Vaccin contre le virus Ebola : une avancée majeure en réponse à une urgence de santé publique mondiale. Comuniqué de presse. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.has-sante.fr/jcms/p_3159990/fr/vaccin-contre-le-virus-ebola-une-avancee-majeure-en-reponse-a-une-urgence-de-sante-publique-mondiale
8. Andrew J. Pollard et al. Safety and immunogenicity of a two-dose heterologous Ad26.ZEBOV and MVA-BN-Filo Ebola vaccine regimen in adults in Europe (EBOVAC2): a randomised, observer-blind, participant-blind, placebo-controlled, phase 2 trial. Lancet Infectious Diseases. Avril 2021.
et
Bavarian Nordic. Ebola : MVA-BN Filo. Phase 3 trials.
Consultable en ligne :
https://www.bavarian-nordic.com/pipeline/mva-bn-filo.aspx
Références :
1. Fiche SARS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/sras
2. Fiche MERS - Institut Pasteur.
Consultable en ligne :
https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/mers-cov
3. Virus Ebola
Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Virus_Ebola
4. Negredo et al. Discovery of an Ebolavirus-Like Filovirus in Europe. PLoS Pathogens. Octobre 2011.
Consultable en ligne :
https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1002304
5. Catherine Solano (médecin).
A propos d'Ebola. passeport santé.
Consultable en ligne :
https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=ebola-l-opinion-de-notre-medecin-a-propos-d-ebola
6. Recommandations transitoires - Traitements et vaccins potentiels contre le virus Ebola. Organisation mondiale de la santé. Novembre 2014.
Consultable en ligne :
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/145196/WHO_EVD_HIS_EMP_14.1_fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y
7. Haute autorité de santé. Vaccin contre le virus Ebola : une avancée majeure en réponse à une urgence de santé publique mondiale. Comuniqué de presse. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.has-sante.fr/jcms/p_3159990/fr/vaccin-contre-le-virus-ebola-une-avancee-majeure-en-reponse-a-une-urgence-de-sante-publique-mondiale
8. Andrew J. Pollard et al. Safety and immunogenicity of a two-dose heterologous Ad26.ZEBOV and MVA-BN-Filo Ebola vaccine regimen in adults in Europe (EBOVAC2): a randomised, observer-blind, participant-blind, placebo-controlled, phase 2 trial. Lancet Infectious Diseases. Avril 2021.
et
Bavarian Nordic. Ebola : MVA-BN Filo. Phase 3 trials.
Consultable en ligne :
https://www.bavarian-nordic.com/pipeline/mva-bn-filo.aspx
Crédit illustration :
Le courrier international
https://www.courrierinternational.com/article/2014/10/08/ebola-la-contagion-des-esprits
2 commentaires:
Le virus EBOLA ne se transmet pas par voie aérienne. Dont acte mais jusqu'à quand ? J'ai vu un reportage il n'y a pas très longtemps dans lequel un chercheur néerlandais bricolait Ebola (avec j'imagine des techniques de gain de fonction comme à Wuhan) pour lui donner la capacité à se transmettre par voie aérienne....
A la question posée par la journaliste, le gars répond "pour être prêts quand Ebola aura muté et qu'il aura cette fonction" (sic!).
Ces professeurs cosinus posent problème non ? A la moindre faute de protection, ils battent en brèche toutes les théories rassurantes y compris celle que tu nous expose non ?
En te lisant, j'ai aussi le sentiment que tu valides pleinement l'hypothèse de transmission du Sars-Cov2 par voie animale. As-tu vu le reportage d'Elise Lucet sur Wuhan ? 6 mois d'investigation auprès de chercheurs ici et sur place avec un faisceau de présomptions extrêmement troublant qui vont totalement dans la direction contraire à celle qui me semble être la tienne.
Tout cela est bien troublant. Le plus troublant étant dans toutes ces affaires ce qu'il faut bien appeler un manque d'esprit scientifique avec des hypothèses balayées d'un revers de main au lieu d'être explorées méthodiquement comme il se devrait.
Au sujet des réflexions concernant la méthode, j'aime bien ce que dit Christian Velot qui plaide justement en direction de recherches tous azimuts.
Concernant la transmission par voie aérienne d’Ebola, il y a eu quelques travaux là dessus qui semblaient (de mémoire) indiquer que c’était par des projections de salive de personnes contaminées. Avec les virus tout est envisageable, certes, mais pour que le virus entre par voie aérienne après une éventuelle mutation, encore faut-il que le récepteur du virus Ebola existe dans les cellules du tractus respiratoire. Cela c’est une question trop pointue pour que je puisse y répondre sans un minimum de recherches bibliographiques.
Les recherches de type « gain de fonction » sont inquiétantes effectivement, surtout menées sur des virus. Je peux en entendre l’intérêt dans le cadre de recherches vaccinales mais un risque réel de dispersion accidentelle du virus existe. Cela s’est déjà vu avec le virus grippal H1N1 comme je l’indiquais dans un article précédent. Voir :
https://dessaux.blogspot.com/2020/10/je-relaye-ici-les-informations-fournies.html
En ce qui concerne l’origine du SARS-CoV2, rien de changé non plus par rapport au même article précédent. Il reste toujours très proche de virus de chauve-souris (environ 96% d’identité ou de similarité). Comment est il passé à l’Homme ? Toujours 3 hypothèses : passage via un hôte intermédiaire où il aurait recombiné avec un autre virus ayant la capacité d’infecter l’Homme, passage direct à l’Homme où il aurait pu se multiplier à très basse efficacité puis recombiner avec un autre virus déjà adapté à notre physiologie, ou échappement d’un labo travaillant sur des virus recombinants. Le problème est que l’analyse des séquences virales ne permet toujours pas aujourd’hui - et ne permettra possiblement pas plus tard - de trancher entre ces hypothèses toutes trois plausibles. A titre personnel, je ne défends aucune des trois plus que l’autre, même si je constate que pour le SARS CoV1 et le MERS, on a identifié un hôte intermédiaire, et que pour Ebola comme pour Marburg, on a également des hôtes intermédiaires.
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