Je reviens donc rapidement sur les faits connus de tous maintenant. Le 27 juin dernier, un jeune homme de 17 ans, M. Nahel Merzouk, a été tué par un coup de feu tiré par un policier après une course poursuite dans les rues de Nanterre. Il est décédé quelques minutes plus tard après que le véhicule qu’il conduisait se soit encastré dans un poteau routier. Deux passagers qui l’accompagnaient ont été arrêtés, l’un sur le champ, l’autre plus tard. Selon les informations rendues publiques par les forces de l’ordre, le jeune homme décédé, au volant d’un puissant véhicule de location, aurait commis plusieurs infractions routières, et aurait refusé de s’arrêter à un contrôle de police. Les policiers l’auraient poursuivi et ils l’auraient rattrapé alors que sa voiture se trouvait prise dans un encombrement. Un témoin a diffusé la vidéo du tir mortel du policier qui se trouvait en partie appuyé sur l'aile avant gauche de la voiture et qui a fait feu au moment où le véhicule redémarrait.
Très vite, un emballement médiatique a pu être constaté. Celui-ci mêlait des personnalités de droite et d’extrême droite qui décrivaient M. Nahel Merzouk comme un jeune délinquant et qui estimaient que le policier ayant tiré était en état de légitime défense. A gauche de l’échiquier, certains n’hésitaient pas à parler de « d’exécution sur la voie publique par un policier » … Des cagnottes sont alors ouvertes en ligne, pour soutenir, qui la famille de M. Nahel Merzouk, qui M. Florian M., le policier à l’origine du tir mortel. Ce battage médiatique, associé à l’effet amplificateur délétère des réseaux dits sociaux, déclenchent des vagues de manifestations, de révoltes voire d’émeutes essentiellement urbaines, ce pendant des jours. Celles-ci auront un lourd bilan : 3 morts, plus de 1500 blessés, la dégradation de plus de 2500 bâtiments officiels, dont 105 mairies et 178 écoles, de plus d’un millier de commerces, auxquels s’ajoutent plus de 6 000 véhicules dont des bus, le tout pour un coût estimé d’un peu moins d’un milliard d’euros…
Mon premier sentiment en regard de cette affaire, et de ce qui s’en est suivi, est celui d’un horrible gâchis, avec, en premier lieu, un décès d’un jeune homme de 17 ans et une famille à jamais effondrée. A ce sujet, les tenants d’un ordre policier aux relents vichistes ont voulu faire passer M. Nahel Merzouk pour un délinquant multirécidiviste. Ceci est faux, puisque son casier judiciaire est vierge. Il apparait néanmoins dans le FAJ, fichier des antécédents judiciaires, qui recense les victimes comme les personnes impliquées à quelque niveau que ce soit dans des délits mineurs, ou, plus graves dans des crimes. A cet égard, l’intéressé y est mentionné pour une conduite sans permis, et des refus d’obtempérer. On peut également s’étonner qu’un jeune homme de 17 ans, non titulaire du permis, ait pu conduire une voiture de location (qui plus est immatriculée en Pologne). Tout cela pourrait éventuellement constituer une infraction aux règles, mais voilà : pour que cela soit avéré, il aurait fallu une décision de justice. Le décès de l’intéressé éteignant cette action, il reste donc que M. Nahel Merzouk n’a jamais été condamné pour quelque raison que ce soit. Il n’est donc, au regard de la loi et de la société, aucunement un délinquant, n’en déplaise aux spécialistes des propos racistes que l’on a beaucoup entendu dans ce dossier.
Ce sont les mêmes tenants d’une droite radicale qui se sont offusqué de voir le policier placé en garde à vue, puis en détention provisoire. Selon mes sources policières, il faut savoir que la garde à vue dans ce genre d’affaire est sinon monnaie courante, en tous cas parfois nécessaire, le temps de l’enquête préliminaire. Deux enquêtes sont en cours : une administrative confiée à l’IGPN et l’autre, pénale, confiée à un juge d’instruction. Plusieurs points d’intérêt ici, selon mes sources. Tout d’abord, il faut savoir que les enquêtes de l’IGPN, contrairement à une idée reçue, sont particulièrement poussées. Les bœuf-carottes comme les appellent les policiers sont très pointilleux sur les questions réglementaires, mais leurs constats ne sont pas toujours suivis d’action par les responsables des services. Ici l’enquête est motivée par l’incohérence entre les propos des deux policiers interrogés dont le policier tireur, qui ont argué de la légitime défense. N’étant pas spécialiste des techniques d’arrestation et de maintien de l’ordre, je m’en remets à ce qui m’a été dit par mes sources : toutes trois se sont déclarées très surprises de ce que montrait la vidéo relative au tir mortel, la position et l’attitude du policier ne leur paraissant pas répondre aux dispositions habituelles de ces interventions. C'est aussi l'avis du parquet qui motive le maintien en détention préventive. Il reste que la poursuite qui a précédé le tir n’a pas été filmée, et il est donc difficile d’appréhender le contexte global de cette intervention, ainsi que le stress éventuel subi par le polilcier. Par ailleurs, il faut savoir que ce dernier, mis en cause, a bien été suspendu, mais suspendu avec traitement, bien que placé pendant plusieurs semaines en détention provisoire. Celui-ci est par ailleurs mis en examen pour homicide volontaire. Là aussi, l’extrême droite a réagi fortement sans se rendre compte qu’il vaut mieux pour ce policier, dans le cadre de cette triste affaire, être mis en examen pour cela que pour « homicide par imprudence », aussi appelé « homicide involontaire ». Les raisons sont simples. L’homicide involontaire est un délit punissable de 10 ans de prison dans les cas les plus graves, certes, mais cela reste un délit. En conséquence, si ce motif de mise en examen avait été retenu, cela aurait signifié que le policier ne sera pas jugé aux assises mais en correctionnelle, où ne siègent que des magistrats. De plus, il ne peut dans ce cas « plaider » la légitime défense, qui n’est pas en cohérence avec l’acte d’une éventuelle riposte. D’une façon générale, la légitime défense suppose que la personne ait volontairement commis son acte. Par conséquent, la justice estime que dans le cas d’un homicide involontaire, la légitime défense ne peut pas être invoquée. La qualification d’homicide volontaire est, elle, de nature criminelle. La peine encourue est donc au pire la réclusion criminelle à perpétuité, mais il serait très surprenant, si l’affaire venait à être jugée devant une telle cour, que les jurés populaires qui y siègent fassent preuve de dureté. Paradoxalement, le policier pourrait donc se voir condamné plus légèrement aux assises qu’en correctionnelle. Il pourrait même y être acquitté si les jurés retiennent la validité de la légitime défense qui vaut, en droit, « irresponsabilité pénale ».
Au-delà de ces arguties juridiques, j’ajoute que la nécessité de devoir un jour se servir de son arme de service pour un policier, quelles que soient les circonstances, constitue généralement une véritable hantise. Se pose néanmoins une question fondamentale qui est celle des règles autorisant le tir par les forces de l’ordre. Jusqu’en 2017, le tir d’une arme à feu n’était globalement admissible que dans le cadre strict de la légitime défense, celle-ci concernant le policier ou tout citoyen menacé. Ce tir devait donc remplir les conditions de la légitime défense à savoir, pour faire simple, un risque vital avéré pour le policier ou le civil concerné, une immédiateté de la riposte et une proportionnalité à l’agression. En d’autres termes, un policier ne pouvait pas tirer sur une personne le menaçant à mains nues… Malheureusement à mon sens, une loi du février 2017, donc votée lors de la mandature de M. François Hollande, est venue brouiller ce cadre juridique de bon sens. L’article 435-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) dispose désormais qu’un policier peut tirer en cas de refus d’obtempérer, s’il ne peut stopper un véhicule autrement que par l’usage d’arme et si le conducteur « est susceptible de perpétrer […] des atteintes à leur vie ou leur intégrité physique et celle d’autrui ». Il s’agissait aussi d’aligner les règles d’engagement des armes à feu de la police avec celles de la gendarmerie. Cette disposition a cependant eu des conséquences néfastes. Contrairement à ce qu’indiquait le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, des études statistiques menées par trois chercheurs, Ms. Paul Le Derff, Sébastien Roché, et Simon Varaine ont démontré que les tirs policiers mortels sur les véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq entre les périodes couvrant les cinq années avant et après le vote de la loi de 2017… De même, si l’on compare la situation d’Allemagne et celle de la France, ces mêmes chercheurs indiquent qu’il y a eu chez nos voisins « un tir mortel en dix ans pour refus d’obtempérer, contre 16 en France depuis un an et demi ». Pourtant la situation de la délinquance et celle de la criminalité ne sont pas dans ce rapport de 1 à 100. Ainsi, le taux d’homicides en France est de 1,3 pour 100 000 à comparer au taux de 1,0 pour 100 000 en Allemagne.
Il est donc plus que temps à mon sens de revoir soigneusement les règles d’engagement des armes à feu par les forces de l’ordre en France. Cela ne suffira sans doute pas à pallier le manque de formation et d’entrainement au tir que m’ont rapporté mes contacts policiers. J’ajoute pour conclure, et c’est là ma vision de citoyen, que dans le « contrat » que je passe avec eux, j’accepte de conférer aux forces de l’ordre des pouvoirs énormes, dont celui de me contrôler quand bon leur semble, si nécessaire de me priver temporairement de liberté par un placement en garde à vue. En contrepartie de cela, je leur demande protection, et surtout, malgré les difficultés du métier, d’exercer ces énormes pouvoirs avec discernement et une honnêteté intellectuelle et morale sans faille. Ceci pourrait ne pas avoir été le cas dans cette triste affaire, sans j’en juge aux propos tenus par ces policiers face aux enquêteurs largement contredits par les images. Enfin, point important, aucun des deux policiers mis en cause n’a fait l’objet d’un jugement, qui pourrait d’ailleurs, comme je l’indiquais plus haut, conduire à leur relaxe. En tout état de cause, ces deux policiers ne sont donc à l’heure actuelle ni un assassin, ni un complice.