mercredi 2 février 2022

VIDÉOSURVEILLANCE : « GAME OVER » !



J’ai déjà expliqué sur ce blog pourquoi il me semblait que la vidéosurveillance ressemblait à un fantasme sécuritaire. En quelques mots, elle coûte cher et elle est globalement inefficace en termes de prévention de la délinquance. Tout au mieux peut-on espérer qu’elle permette, dans un petit nombre de cas, la résolution de quelques affaires a posteriori.

Cette opinion se fondait non pas sur un sentiment personnel, un a priori, un dogme, mais sur l’examen raisonné de plusieurs articles de presse, travaux de recherches (1-3), ou de structures gouvernementales dont la plus emblématique, me semble t il, reste la Cour des Comptes. Je rappelle que cet organisme avait produit en 2020 un rapport très critique sur la vidéosurveillance, dont une des conclusions marquantes était : « qu’au vu des constats locaux résultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéo protection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation » (4). Difficile d’être plus clair.

Depuis, et suite aux observations de la Cour des Comptes, un autre travail a fait l’objet d’une publication, et il a d’ailleurs été en partie commenté dans la presse. L’intérêt de ce dernier opus est d’avoir été commandité par le service de recherche de la Gendarmerie Nationale. Cette étude, une première en France, par son volume et sa durée, a porté sur 4 ans et presque 2000 délits : cambriolages, vol aux voitures, violence, infraction à la législation sur les stupéfiants. Une synthèse des résultats est disponible sur la Gazette des Communes (5).

Première observation : en termes de dissuasion, la vidéosurveillance est inefficace. Je cite la synthèse du rapport : « les données collectées ne révèlent cependant aucun impact [d’un éventuel effet dissuasif des caméras de voie publique] ». En particulier, il n’y a « pas de constat de diminution significative du volume d’infractions enregistré après l’installation de caméras », pas plus que de « volumes inférieurs ou d’évolution plus favorable des niveaux d’infractions sur les territoires équipés vis-à-vis des territoires témoins ».

Deuxième observation : le recours des enquêteurs aux données de vidéosurveillance est globalement décevant, en termes de fréquence ou de résultat. La synthèse du rapport stipule que « le recours à la vidéo protection s’avère considérablement moins simple, naturel et fluide que la culture populaire le laisse croire ». Il cite plusieurs raisons à cela dont le fait que les enquêteurs doivent passer beaucoup d’heures à visionner les vidéos, le fait que les données ne soient pas toujours exploitables (ex. pas d'angle de vue ou d’images utilisables) et le fait que les réquisitions appropriées doivent être faites rapidement pour éviter un écrasement automatique des données. En d'autres termes, toujours selon la synthèse du rapport « les enquêteurs procèdent, consciemment ou non, à un ratio entre l’investissement nécessaire en temps et en efforts d’investigation par rapport aux bénéfices espérés ou à l’importance de l’affaire traitée ».

Troisième observation : la vidéosurveillance permet, dans certains cas, de collecter quelques indices complémentaires. Cependant, in fine, quel que soit le délit « la découverte d’éléments probants, peu importe la thématique considérée, présente des niveaux comparables et s’avère faible (systématiquement inférieure à 3 %) ».

Enfin, dernière observation : la vidéosurveillance ne permet pas de résoudre un nombre important d’affaires. Sur les 1939 enquêtes analysées, 1561 n’ont pas été élucidées, 363 l’ont été sans recours à la vidéo, et seulement... 22 (soit un peu plus de 1% !) ont été résolues avec le concours de la vidéosurveillance.

Pour être complet, je cite in extenso les conclusions de l’étude. « Les enregistrements de vidéoprotection contribuent à la résolution d’enquête judiciaire, en apportant des indices ou des preuves, mais dans des proportions particulièrement ténues (environ 1 % des enquêtes étudiées). Les indices et preuves issues des enregistrements de vidéoprotection se révèlent trop mesurés pour influencer globalement le niveau d’élucidation judiciaire sur un territoire, peu importe la configuration ou la thématique étudiée. Malgré un plébiscite dans les discours, les enquêteurs ne semblent pas véritablement consacrer les enregistrements de vidéoprotection comme une ressource incontournable dans leur travail d’investigation au quotidien. Les configurations de réseaux de vidéoprotection et modalités d’exploitation ont une influence sur la propension de cette technologie à contribuer favorablement aux investigations. Un partenariat étroit et durable entre la brigade locale et les propriétaires de réseaux publics, l’inscription forte dans les réflexes des enquêteurs ou la qualité et la conception des dispositifs apparaissent comme des critères majeurs d’une plus-value maximale ».

Un mot pour dire qu’en tant qu’ancien scientifique, je trouve la démarche du service de recherche de la Gendarmerie très intéressante. Comme le dit la synthèse du rapport dans son préambule, ce service a voulu, suite aux recommandations de la Cour des Comptes, aborder la question de l’utilité de la vidéosurveillance « sans tabou ». Cette démarche « neutre » a donc permis de conforter de façon argumentée les études précédentes démontrant l’inefficacité globale de la surveillance vidéo, en termes à la fois de prévention et de résolution de crimes et délits.

Il reste donc une question centrale : qu’est ce qui fait que nombre de communes souhaitent installer des caméras de vidéosurveillance ? Mon sentiment, et il ne s’agit là que d’un sentiment n’ayant pas d’analyses précises pour le confirmer ou l’infirmer, est qu’il existe une sorte de dogme de la surveillance vidéo. Ce dogme est tout simplement « c’est utile », et c’est tellement évident que cela ne demande pas confirmation. Bref, certains de nos édiles se font tromper par ce faux truisme, bien que de nombreuses études démontrent pourtant le contraire. Je peux les en excuser. Deuxième version : certains élus pourraient être beaucoup plus cyniques et se dire « mes concitoyens pensent que la surveillance vidéo est bénéfique, je vais donc leur donner de la surveillance vidéo ». On est là dans une attitude qui, pour moi, est populiste, dans le mauvais sens du terme. J’ai en effet toujours considéré qu’un élu doit être exemplaire, dire la vérité et tirer ses administrés vers le haut, même et surtout si c’est difficile. J’ai donc beaucoup de mal à accepter que des élus informés de l’inefficacité de la surveillance vidéo maintiennent leur position sur un éventuel équipement communal. Cette attitude est constitutive, à mon sens, d’une volonté de tromper, ou de ne pas détromper, et caractéristique d’une forme de malhonnêteté intellectuelle et de démagogie consommée. Or, comme le disait Jean-Jacques Rousseau « Le démagogue est le pire ennemi de la démocratie »...

Note ajoutée le 5 février :

Un élu d'une commune de la CCPL m'indique que les caméras sont installées également parce que la brigade de gendarmerie de Limours "pousse" fortement à cela. Dont acte. Ceci dit, les élus locaux ont toute légitimité pour décider ou non de la pertinence de ces installations. Cet élu m'indique que les représentants de la brigade locale semblent également douter des analyses scientifiques dont j'ai parlé. Pourquoi pas. Les études sont tout à fait susceptibles d'être discutées. Plus dérangeant, les conclusions du rapport du Sénat ainsi que l'enquête menée par le service recherche de la Gendarmerie Nationale semblent être aussi remis en cause localement. Pour avoir été élu plus de 12 ans à Forges, je sais l'engagement quotidien des services de gendarmerie de la BT de Limours, au service de la population. Avec le respect dû à ces militaires, leur engagement permanent ne les autorise pas, cependant, à balayer d'un trait les rapports précités, ni d'ailleurs les chiffres de la délinquance donnés par leurs propres services et services de police, sauf à présenter des arguments étayés en ce sens.    

Références :

1. Tanguy Le Goff. Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance. Après-Demain. Avril 2010.
Consultable en ligne :
Citant :
Tanguy Le Goff, Vidéosurveillance et espaces publics - Etat des lieux des évaluations conduites en France et à l’étranger, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) d’Ile-de-France, Paris, octobre 2008.

2. Hervé Jouanneau. La vidéosurveillance est un gaspillage de l’argent public. La gazette des communes. Mars 2018.

3. Martin Gill, Angela Spriggs. Study 292 Assessing the impact of CCTV. Home Office Research. Development and Statistics Directorate. Fevrier 2005.
Consultable en ligne :
https://techfak.uni-bielefeld.de/~iluetkeb/2006/surveillance/paper/social_effect/CCTV_report.pdf

4. Les polices municipales. Cour des comptes. Rapport public thématique. Octobre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/276784.pdf

5. Gabriel Thierry. Une étude de la gendarmerie met en doute l’efficacité de la vidéosurveillance. La gazette des communes. Décembre 2021.
Résumé du rapport consultable en ligne :
https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/2021/12/synthese-detude-v1.pdf


Crédit illustration :

Crédit photo montage : Yves Dessaux

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