mercredi 14 avril 2021

SOURIEZ, VOUS ÊTES FILMÉS !





La nouvelle municipalité envisage très sérieusement l’installation de caméras de vidéo-surveillance dans la commune. Même si je n’y suis pas favorable, je m'en accommoderai dès lors que la population en serait d’accord. Encore faudrait-elle qu’elle en connaisse les tenants et les aboutissants et qu'elle soit consultée. L’objectif de cet article est d’apporter quelques éléments à la réflexion.


Si j’en crois les chiffres du débat d’orientation budgétaire (DOB) et du budget communal, la municipalité envisagerait l’installation de caméras de vidéo-surveillance dans la commune. A Forges, il existe déjà des installations de ce type positionnées sur des sites tels que le complexe sportif et les locaux des services techniques. L’actuel et nouveau projet d’installation reste flou. Pour le moment, aucune information publique n’a été donnée mais j’imagine que le projet pourrait combiner des caméras installées dans les rues des hameaux et du bourg, et dans certains points considérés comme sensibles tels que la place de l’église ou le city-stade.

Les sujets qui m’interpellent sont au nombre de trois. Le premier est de savoir quelle sorte de vidéo-surveillance est envisagée. Je ne pense pas qu’il soit financièrement tenable d’avoir des images renvoyées vers un point de contrôle où officierait un policier municipal. On se dirigerait donc vers un système enregistreur. Ce type de système comme la vidéo-surveillance de façon générale restent peu dissuasifs en termes de prévention de délinquance, si j’en crois la littérature (1,2). Rappelons aussi qu’à Nice, une des villes les plus télé-surveillées de France, la vidéo n’ a pas empêché l’attentat dramatique du 14 juillet 2016. Tout au plus, il semble que la vidéo-surveillance pourrait aider à résoudre quelques délits, mais dans une proportion faible, ou spécifiquement pour un type de délit particulier, tel le vol de véhicule dans les parkings à Londres, là aussi si j’en crois des analyses intéressantes (3,4). A Forges, commune où la délinquance reste limitée, on est donc en droit de considérer que la dépense est élevée  pour un « retour sur investissement » très discutable, pour rester politiquement correct. 

Le deuxième point est justement le montant des dépenses liées à cette installation.
Toujours d’après les chiffres municipaux, le montant des investissements tournerait autour de 140 000 euros sur trois ans (96 000 euros en année une, puis 20 000 euros par an les deux années suivantes), le tout hors fonctionnement du système dont je n’ai trouvé la trace budgétaire, et qui pourrait atteindre 5 à 10 000 euros par an selon des estimations que j'avais faites précédemment. Les chiffres, donnés comme cela, ne signifient pas grand chose si on ne connaît pas le budget municipal. Celui ci est de l’ordre de 5 millions d’euros en fonctionnement et d'environ 2 millions environ en investissement. L’opération caméra représente donc « à la louche » 5 % des investissements en année 1. Aussi est-il bon de le comparer à d’autres éléments du budget. J’ai pris pour cela le montant des subventions directes accordées aux associations forgeoises (ces soutiens relèvent de la section fonctionnement) dont le montant s’élève à quelques 65 000 euros. L’investissement en caméras représente donc, hors fonctionnement, plus de deux fois les aides versées aux associations, dont je pense - et c’est un avis personnel - qu’elles sont globalement bien plus utiles à la population que des caméras espions.

Troisième point : la question de la démocratie et des libertés. L’installation de caméras s’inscrit dans ce que j’appelle « la société de la surveillance généralisée ». Je pense que nous sommes déjà très largement sinon pistés, en tous cas pistables, via nos téléphones, nos cartes de santé ou de crédit, etc., pour que l’échelon local n’en « rajoute pas une couche ». Néanmoins, je suis démocrate, et si les Forgeois pensent que cela peut leur être utile, on acceptera évidemment la décision. Mais comme je le disais en introduction, encore faudrait il que la population soit informée et consultée. Or, si j’en crois les échanges récents du conseil municipal, cette consultation n’est pas du tout, mais alors pas du tout,  à l’ordre du jour. La nouvelle municipalité semble avoir décidé une fois pour toutes que caméras il y aura… J’ose à peine rappeler ici les propos tenus par cette équipe lors de la campagne électorale, qui promettait par écrit « une communication transparente » et « des décisions concertées ». Comme le disait Henri Queuille, ancien Président du Conseil : « les promesses n’engagent que ceux qui les croient » !

Ceci dit, où peuvent être les plus-values de la vidéo-surveillance à Forges ? Garder un œil sur les endroits « sensibles », comme la place de l’église, le city-park, etc., où il y a parfois, à la belle saison, des rassemblements qui peuvent s’avérer perturbateurs ? Que va-t-il se passer après l’installation des caméras. Les dits éléments iront-ils vers d’autres sites de la commune où il n’y a aucune caméra, ou resteront-ils sur place pour peu que les caméras soient - curieusement - endommagées... Bref efficacité à évaluer ! Les caméras pourraient-elles permettre d’identifier des auteurs de délits type cambriolage ? Même pas sur. J’en veux pour preuve les caméras installées au centre municipal et qui n’ont en rien, malgré le panneau indiquant leur présence, empêché le vol d’un camion-benne sur site, et qui n’ont pas, non plus, permis l’identification des voleurs. A mon sens, et il s’agit toujours d’un avis personnel, le seul endroit où des caméras pourraient être éventuellement utiles serait sur les chemins où l’on retrouve souvent des dépôts sauvages. La problématique, là, est que si le chemin relève du domaine public, les parcelles le bordant relèvent du domaine privé et que l’on en peut donc y installer de caméra, du moins sans accord du propriétaire. Et, l’utilité ne doit pas non plus présider seule au choix, particulièrement lorsque les libertés individuelles pourraient être menacées.

Par « chance », l’installation ne pourra se faire comme cela. Sauf erreur de ma part, avant toute installation, la commune doit faire réaliser un audit de sécurité puis obtenir un accord du préfet et un avis de la commission de vidéo-protection. La commune devra donc fournir un dossier détaillé, où elle indiquera le nombre de caméras, la technologie utilisée, l'emplacement où elles seront installées, leur orientation, etc. Enfin, toute personne qui en fait le demande peut - en théorie - accéder aux enregistrements la concernant…

Globalement, attention, car même avec les filets de sécurité décrits ci-dessus, cette installation de caméras s’inscrit, me semble-t-il, dans une démarche idéologique et une double dérive de la municipalité. Dérive budgétaire (140 000 euros pour pas grand chose), j’y reviendrai dans un prochain article, et dérive autoritaire, comme on l’a nettement perçu lors du regrettable épisode de la soi-disant « concertation » avec les associations.

Note ajoutée le 21 avril 2021 :

J'ai été informé d'une pétition circulant sur internet, demandant le retrait du projet d'installation de caméras. Voir :



Références :

1. Hervé Jouanneau. La vidéosurveillance est un gaspillage de l’argent public. La Gazette des Communes. Mars 2018.

2. Vidéosurveillance : paradigme du technosolutionnisme. Le Monde.fr.
Le blog d’Hubert Guillaud, Xavier de la Porte et Rémi Sussan. Juin 2018.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2018/06/02/videosurveillance-paradigme-du-technosolutionnisme/

3. Tanguy Le Goff. Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance. In :
Répression – Prévention : bilan des politiques de sécurité. Après-demain. 2010.

4. Questionner la video-surveillance : utilité, coûts, dangers.
Ligue des droits de l’Homme.
Consultable en ligne :
https://site.ldh-france.org/nice/files/2016/02/videosurveillance-Protec.pdf


Crédit illustration : 

Babouse.
Vu sur Causeur.fr

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