lundi 11 octobre 2021

AU SUJET DES ABUS SEXUELS DANS L'EGLISE CATHOLIQUE DE FRANCE


La récente publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église catholique de France a fait l’effet d’une bombe chez certains. Pourtant depuis des années, les signaux d’alarme clignotaient à droite et à gauche, pas seulement en France d’ailleurs. Par ailleurs, pour mesurer l’ampleur du phénomène, il me semble bon de comparer ce qui a été rapporté pour les sévices sexuels dans l’église catholique avec ce qui se passe, soit dans la population générale, soit au sein d’autres structures recevant de jeunes enfants, telle que l’éducation nationale.

Au moins 216 000 mineurs victimes d’abus sexuels de la part de religieux catholiques depuis 70 ans et au moins 330 000 si on compte la totalité des victimes dans l’Église ! Le chiffre paraît - et est - énorme. Si on considère un nombre moyen de paroisses en France au cours des 70 dernières années, soit autour de 15 000 (elles ne sont que 12 000 aujourd’hui) et si l’on arrondit le nombre des victimes à 300 000, cela donne 20 victimes par paroisse... C’est épouvantable. Heureusement (si on peut dire), toutes les paroisses n’ont pas été affectées par ces délits ou ces crimes, mais le rapport Sauvé fait état de l’existence d’a minima 3 000 pédo-criminels ou pédo-délinquants dans l’Église sur cette période de 70 ans, soit plus de 40 par années ! On peut aussi faire un autre calcul : 300 000 crimes et délits sexuels sur 70 ans, cela fait 4 400 par année, soit une douzaine par jour, pendant 70 ans ! Sans commentaire !

L’énormité des chiffres pourrait fausser notre évaluation de l’importance du phénomène. Pour cette raison, il est indispensable de les comparer avec ceux des sévices sexuels repérés dans d’autres institutions. On peut ainsi examiner les taux de prévalence (c’est à dire le pourcentage de mineurs ayant subi des violences sexuelles avant 18 ans) dans différents environnements. Ces taux sont de 1,2% dans l’Église catholique, contre 0,34% dans l’éducation nationale (école publiques), 0,28% dans les clubs de sports et 0,17% dans les clubs à vocation culturelle. Seul le milieu familial est plus porteur de délits ou crimes sexuels, avec un taux de prévalence atteignant 3,7%.

Autre enseignements du rapport : la majorité des victimes sont des garçons (env. 80%) alors que ceux-ci ne représentent que 17% des victimes dans le reste de la société. Dans l’Église, il semble donc clair que les actes pédophiles soient également des actes majoritairement homosexuels. Quant on connaît la proportion d’homosexuels dans les hautes instances de l’Église catholique (voir 1), il est difficile de ne pas y voir un lien, une relation. Attention cependant : cette relation n’est pas « bijective » comme l’on dit en mathématique. S’il semble que la majorité des pédocriminels religieux catholiques aient des tendances homosexuelles, il serait faux ou mensonger, voire homophobe de penser ou d’affirmer que les homosexuels dans l’Église (ou ailleurs) soient des pédophiles en puissance. Je préfère donc écrire cela en caractères gras pour que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mes observations.

Ces chiffres « accablants » (terme utilisé par M. Jean-Marc Sauvé) sont, à mon avis, le résultat de nombreux dysfonctionnements de l’Église, au premier lieu desquels son empressement à ne pas voir les signaux d’alarme qui clignotaient depuis longtemps pour certains, et pas seulement en France. Une litanie (pour rester raccord !) de scandales affectant de jeunes enfants, commis par des religieux catholiques, aurait du faire réagir plus fortement les autorités de Rome. Citons par exemple les scandales qui ont entouré la congrégation des « légionnaires du Christ » dans les années 50 à 60, et en particulier son fondateur, le père Marcial Degollado. Les plaintes des victimes n’ont donné lieu au Vatican qu’à des enquêtes internes, abandonnées puis reprise en particulier par la congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le futur Benoit XVI. Ce dernier se contentera de l’écarter de tout ministère public et sa congrégation lui recommandera de « conduire une existence retirée dans la prière et la pénitence »... Dans toute l’Europe, des actes délictueux ou criminels ont été commis par des religieux catholiques. Plus de 174 ont été rapportés en Autriche dans les années 1960 à 1970 mais ce sont pas loin d’un millier de cas qui ont finalement été identifiés sur quelques décennies. En Belgique, plusieurs centaines de cas ont été compilés dans le rapport de la commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale, dit rapport Adriaenssens (du nom de son président), en septembre 2010. La commission identifie 130 prêtres délinquants ou criminels, dont une toute petite fraction a été condamnée par l’Église ou la justice... La situation irlandaise est également un signal d’alarme oublié. Dès 2005, deux rapports, le rapport Murphy et le rapport Ryan, décrivaient les abus sexuels commis par des prêtres et le silence des évêques qui les avaient couverts, sans jeu de mots déplacé. Au total, ce seront un peu moins de 15 000 de victimes de sévices dans les années 40, 50 et 60 dans des institutions religieuses irlandaises qui seront identifiées et pour certaines indemnisées. J’arrête la liste là, même si l’Église aurait pu aussi s’intéresser à ce qui s’était passé en Australie et aux États Unis, et aux rapports de l'archidiocèse catholique de Chicago, ou du John Jay College of Criminal Justice de New York au début des années 2000.

La situation en France est grave, d’autant que le pourcentage de religieux agresseurs y est élevé, de 2,5 à 2,8 % des prélats, bien qu’inférieur aux 4,8% aux USA et aux presque 8% en Irlande de religieux délinquants ou criminels ! En forçant le trait, il s’est passé dans l’Église catholique ce qui se passe dans certains sectes… Or les crimes et délits sexuels peuvent peser lourd dans la vie des personnes qui en ont été victimes, et les compensations financières ne constituent finalement que des reconnaissances des sévices passés et de leur statut de victime. Il est donc crucial que l’Église catholique remette nombre de choses à plat. En premier lieu, elle doit briser le tabou de la sexualité des religieux et religieuses. Il est nécessaire de rediscuter du célibat et de la chasteté des prélats (dont on voit comment certaines des hautes autorités vaticanes s’affranchissent, 1), mais pas uniquement de cela. La place des femmes dans l’Église, y compris au niveau de la prêtrise, est également à revoir car il est fort probable que nombre des crimes ou délits sexuels répertoriés n’auraient pas été commis par des femmes. Enfin, le « logiciel » de certains prélats doit être « débogué ». Il est en effet totalement inadmissible d’entendre un haut dignitaire catholique français, le président de la Conférence des évêques de France en l’occurrence, estimer que le secret de la confession serait « plus fort que les lois de la République ». Ce type de propos, non-entendable, s’apparente à mon sens, ni plus, ni moins, à celui des fondamentalistes islamiques estimant que la charia est supérieure aux mêmes lois de la République. J’avoue donc me demander si le pouvoir temporel, entendre l’État, ne devrait pas reprendre la main sur le pouvoir religieux catholique, tant l’étendue des crimes et délits commis dans cette institution est effrayant. En parallèle, l’examen de conscience de l’Église, censée défendre le faible contre le fort et toujours prompte à prôner une rigueur morale, est indispensable pour la pérennité de la structure mais aussi vis à vis de ses fidèles et surtout vis à vis victimes des agissements d’une proportion non négligeable de ses religieux et de ses laïcs.


Note ajoutée le 11 octobre : au moment où je mets l’article en ligne, j’entends la chronique de Sophia Aram, l’humoriste du lundi matin de France Inter, qui résonne fortement avec ce billet de blog.


Référence :


1. Sodoma : un livre indispensable pour comprendre le Vatican.
Ce blog.
https://dessaux.blogspot.com/2020/10/sodoma-un-livre-indispensable-pour.html


Crédit illustration :


Les dessins d'Acé. L'Express. Février 2017.

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