jeudi 22 octobre 2020

SODOMA : UN LIVRE INDISPENSABLE POUR COMPRENDRE LE VATICAN




Je sais bien que les yeux sont plutôt tournés aujourd’hui vers la religion musulmane, le Coran, ses préceptes, ses enseignements, et l’islamisme fondamentaliste. Je reviendrai sur ces sujets un peu plus tard. Je voulais aujourd’hui parler d’un livre particulièrement intéressant que j’ai terminé voilà peu. Celui-ci a été écrit par Frédéric Martel et s’intitule « Sodoma » (1). 


Sodoma est avant toute une somme de témoignages recueillis principalement au Vatican, et majoritairement auprès de religieux, de prêtres jusqu’aux évêques et archevêques, de nonces jusqu’aux cardinaux. Les recherches de Frédéric Martel montrent qu’au sein de l’église catholique romaine, dont le discours des plus hauts représentants est souvent homophobe, nombre de ces représentants, pour ne pas dire une vaste majorité (80% selon l’auteur) sont eux-mêmes homosexuels. De façon schématique et remarquable, plus le discours homophobe est virulent, plus l’homosexualité de ces prélats est marquée. Pour être aussi honnête que possible dans la description de l’ouvrage, cette tendance homosexuelle peut chez certains rester inassouvie, mais elle est, chez bon nombre d’entre eux réellement vécue, soit auprès d’autres prélats (particulièrement des novices), ou auprès de ce qu’il est convenu d’appeler des « escort boys », fournis entre autres par des réseaux de prostitution de jeunes migrants. 

Soyons clair, les préférences sexuelles des uns et des autres m’importent peu, du moment qu’elles restent légales. Ce qui me choque dans ce document, et ce qui a choqué nombre de lecteurs, c’est la révélation du double-double discours tenu par nombre de membres du clergé catholique. Le premier double discours est celui de la supposée chasteté des prélats, notion assez propre à l’église catholique et en tous cas non imposée aux représentants des cultes protestants, ni aux rabbins, ni aux imams et ni aux hindouistes. Le second double discours est celui que j’évoquais plus haut, à savoir la condamnation « urbi et orbi » des comportements que ces mêmes prélats censeurs s’autorisent. 

Les critiques qui ont suivi la publication de cet ouvrage ont rarement remis en cause le travail de Frédéric Martel. Des spécialistes du Vatican, des historiens du christianisme, des journalistes ont reconnu la valeur de l’enquête. Même le Pape François qui a lu le livre, l’a trouvé « bon » et admis qu’il « connaissait déjà un certain nombre des faits [évoqués] » ce qui donne tout son sens aux propos qu’il tenait déjà en 2017 lors d’une messe à son domicile « C’est un scandale de dire une chose et d’en faire une autre. C’est une double vie » (3)... 

Si l’exposition de ses secrets d’alcôve du Saint-Siège est bien entendue très intéressante, la partie encore plus remarquable de Sodoma - et pourtant bien moins discutée dans la presse peut-être parce que moins « croustillante » et plus difficile d’abords - est celle qui traite des querelles politiques violentes, pour ne pas dire de la guerre, qui s’y déroulent. De façon très schématique, ces conflits opposent deux factions. La première est la faction la plus réactionnaire du clergé du Vatican. Celle-ci est proche de certains mouvements d’extrême droite, ou d’organisations catholiques intégristes tels l’Opus Dei, ou proches de dictatures particulièrement en Amérique du Sud. Elle s’incarne dans des personnalités tels que Mgr. Angelo Sodano, cardinal italien et véritable premier ministre de Jean-Paul II, menant grand train de vie au Vatican et très lié au général Pinochet lors de sa nomination au Chili. Également dans ce clan, se trouvent les cardinaux américain Mgrs. Raymond Burke et colombien Alfonso Trujillo. Ce dernier, en guerre contre les couples homosexuels mais lui-même homosexuel, était très proche des mouvances d’extrême droite et des factions paramilitaires qui s’en prenaient aux prêtres dits de gauche en Amérique du Sud. L’autre faction est celle des prélats tenants de la théologie de la libération (4), mouvement venu d’Amérique du Sud également, dont l’objectif principal est - en accord avec les valeurs chrétiennes - la défense des plus pauvres. Proche des gouvernements socialistes tels que celui de M. Salvador Allende, ce mouvement est également présent en Europe par exemple au travers des jeunesses ouvrières chrétiennes, et en Afrique où il a joué un rôle majeur dans la chute de l’apartheid. 

Sodoma explique bien l'opposition virulente entre les deux mondes décrit plus haut, et le rôle plus que trouble joué par les Papes Jean-Paul II et Benoit XVI et certains de leurs cardinaux. Au travers de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et inspirés par l'Opus Dei, ces derniers, dès 1984, critiquaient les positions de M. Miguel D’Escoto et M. Fernando Cardenal, théologiens de la libération et membres du gouvernement sandiniste, au Nicaragua, et de tout autre membre du clergé proche intellectuellement, dénonçant « cette conception d'un Jésus politique, révolutionnaire, du dissident de Nazareth, n'est pas en harmonie avec l'enseignement de l'Église ». On comprend alors mieux les difficultés auxquelles fait face l’actuel pape François, lui-même plutôt proche de la théologie de la libération, même s’il ne s’en revendique pas, et le courage dont il fait doit faire preuve lorsqu’il décrit dans l'environnement très conservateur du Vatican, les conditions des travailleurs sans-abris de Buenos Aires, « victimes d’un esclavage structurel » ou, plus récemment, lorsqu’il dit au sujet des homosexuels « Ce que nous devons faire, c’est une loi de cohabitation civile, ils ont le droit d’être légalement couverts » ou « Les homosexuels ont le droit d’être dans la famille, ils sont les enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille ». 


Références 

1. Frédéric Martel. Sodoma. Robert Laffont, éditeur. Paris. 2019. 

2. Maike Hickson. Report claims Pope Francis read and liked book on homosexuals at the Vatican. Life site. Mai 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lifesitenews.com/blogs/report-claims-pope-francis-read-and-liked-book-on-homosexuals-at-the-vatican

3. Anonyme. Un athée vaut mieux qu’un catholique hypocrite, suggère le pape. Ouest France. Février 2017.
Consultable en ligne :
https://www.ouest-france.fr/societe/religions/pape-francois/un-athee-vaut-mieux-qu-un-catholique-hypocrite-suggere-le-pape-4818033

4. Voir pour l’explicatif sur cette théologie la page wiki :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_de_la_lib%C3%A9ration

Ainsi que les intéressants articles suivant :

Henrik Lindell. Le pape François est-il un théologien de la libération ? La vie. Mars 2013.
Consultable en ligne :
https://www.lavie.fr/christianisme/le-pape-franccedilois-est-il-un-theacuteologien-de-la-libeacuteration-30349.php

Ruggero Gambacurta-Scopello. Qui sont les théologiens de la libération ? Le monde des religions. Juin 2013.
Consultable en ligne :
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/qui-sont-les-theologiens-de-la-liberation-11-06-2013-3155_110.php


Crédit photo 

Article de wikipédia sur cet ouvrage


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