dimanche 27 septembre 2020

LA BIBLE ET LE COLT







Ce sujet est sans doute très éloigné de nos préoccupations loco-locales, mais il est important car il concerne un pays jouant rôle majeur sur cette planète, les États-Unis d’Amérique. Je voulais revenir aujourd’hui sur la nomination de la juge Mme. Amy Coney Barrett auprès de la cour suprême des USA, car cette nomination symbolise tous les travers de ce grand pays, dans lequel j’ai vécu et travaillé pendant 2 ans et où je conserve encore des amis.

 

Beaucoup de choses ont été écrites sur M. Donald Trump, 45ème président des États-Unis. Il est décrit par plusieurs spécialistes de ce pays, par nombreux journalistes - et plus symptomatiques à mon sens - par certains membres de son entourage direct comme inculte, manipulateur, colérique, paranoïaque. J’ajoute que de nombreux de ses propos permettent de le qualifier de sexiste. À mon sens ce qui le rend particulièrement dangereux en interne et à l’international, ce sont son incompréhension des relations internationales et son populisme exacerbé, que l’on retrouve finalement sous son slogan « America first ». Le chapitre des relations internationales mériterait un article ou un livre complet tant ces derniers temps ont vu croître la méfiance américaine pour ne pas dire son déni vis-à-vis du multilatéralisme et des institutions internationales comme les Nations unies ou l’OTAN. Ce déni s’est même étendu à des accords pourtant signés par ce pays, par exemple au sujet du nucléaire iranien. Certains y voient, et je partage ce sentiment, un symptôme d’un déclin américain (1).

 

En en ce qui concerne le populisme, celui de M. Donald Trump comme celui d’autres personnalités politiques du même acabit (telles Mme. Marine Le Pen en France ou M. Viktor Orban en Hongrie) repose sur des traits caractéristiques, au premier lieu desquels on trouve la soi-disant défense d’un patrimoine culturel, d’un art de vivre potentiellement mis en danger par d’autres, que ces autres soient des immigrés, ou de même des nationaux mais de couleur de peau différente. Il s’agit de la stratégie bien connue du bouc émissaire sur lequel je reviendrai sans doute un autre jour. Le deuxième trait commun aux populistes de tous bords est sans aucun doute la dénonciation des élites intellectuelles et des personnalités politiques qui s’opposent à ce populisme, au motif qu’elles seraient à la fois favorables au multiculturalisme dénoncé au moyen de la stratégie du bouc émissaire, et également corrompues. Dans le cas de M. Donald Trump, on retrouve ces éléments sous la forme des attaques qu’il porte aux journalistes, aux intellectuels, et à ses opposants politiques qu’il insulte assez régulièrement. Ceci transparaît également dans la crise sanitaire actuelle et surtout autour de la question gravissime du réchauffement climatique, où les critiques du président américain sont directement adressées à de nombreux scientifiques reconnus pourtant comme spécialistes. Enfin, dernier point caractérisant les populistes, la présence d’un chef charismatique qui, lui, défend les gens ordinaires contre l’élite qui leur ment. On retrouve cela dans l’usage totalement disproportionné que fait M. Donald Trump des réseaux sociaux, et des mots  « fake news » qu’il emploie régulièrement pour disqualifier les informations qui le dérangent (voir (2) au sujet de mon analyse). Que penser également du fait que ce multimilliardaire américain, au vocabulaire comparable à celui d'une élève de 6ème, ait pu convaincre les populations les plus défavorisées du fait qu’il était un candidat « anti système » ?

 

Cette politique populiste fonctionne plutôt bien aux États-Unis. Même s’il n’a été élu qu’avec une minorité des voix des citoyens américains, le potentiel électoral de M. Donald Trump représente grosso modo un votant sur deux alors qu’en France, le potentiel électoral de Madame Marine Le Pen est estimé au mieux qu’à 20/25 % des électeurs. Ce qui justifie cette différence réside à mon avis dans la façon très différente dont se sont construits les deux pays et dans des différences culturelles persistantes. De façon simplifiée pour ne pas dire simpliste, la France, « vieux pays d’un vieux continent » s’est construite au fil des siècles sur un territoire qu’elle n’a pas conquis mais sur lequel sont arrivés nombre de peuples, des Romains aux Maures, des Wisigoths au Normands... Les États-Unis se sont construits bien plus rapidement et sur ce que l’on est bien contraint d’appeler un phénomène de spoliation des terres (essentiellement appartenant aux différentes tribus des Indiens d’Amérique) par la force, et sur l’exploitation de celle-ci par le biais de l’esclavage. Pendant des années, la culture du colt y a régné en maître, et, plus surprenant vu du côté de ce côté de l’océan, elle y a persisté jusqu’à la période contemporaine. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment les autorités de police aux États-Unis ont pu faire usage d’armes à feu contre des suspects désarmés, ou comment les massacres réguliers d’enfants dans des écoles ou des collèges par des individus très lourdement armés n’ont entraîné aucune modification de la constitution américaine qui protège - et quelque part favorise - la détention d’armes de guerre par des particuliers. 

 

Le deuxième élément explicatif des différences entre France et États-Unis, mais peut-être le plus important, est le fait religieux (3). On peut dire qu’en France, pays heureusement laïque, la religion est une affaire personnelle dans laquelle l’État n’intervient que pour garantir sa pratique. Aux États-Unis, et malgré une théorique séparation des Églises et de l'État, la religion est présente dans tout l'espace public. Ainsi, lorsque vous entrez sur le territoire américain, on vous demande votre religion. On ne me l’a demandé l’Ecole de médecine où je travaillais, puis dans les universités où j’ai exercé dans les années 90. Voilà encore peu de temps, même dans les écoles publiques, une période était dédiée à la prière. Par ailleurs, nombre d'artistes, voire de politiques, finissent leur spectacle, leur discours par un traditionnel « God bless you » (Que Dieu vous bénisse), heureusement impensable en France ! Enfin, n’oublions pas que tout nouveau président américain jure sur la Bible*... Le fait religieux aux États-Unis, pays majoritairement protestant, même s’il tend à régresser légèrement, reste extrêmement vivace en particulier dans ce que l’on appelle la « Bible Belt », c’est-à-dire le sud religieux, toujours raciste, homophobe, et très conservateur des États-Unis, fief des chrétiens évangéliques. Les batailles contre la peine de mort, pour le droit à l’avortement, pour l'égalité de traitement des minorités (qu’elles soient noires, hispaniques, LGBT, etc.), menées essentiellement dans les grandes villes démocrates et par les élites intellectuelles et politiques dénoncées par les  populistes, ont donc assez logiquement entraîné la mobilisation de ces chrétiens évangéliques dans la Bible Blet et dans la « Rust Belt », c’est-à-dire dans les territoires où l’activité industrielle avait sensiblement décliné. Or M. Donald Trump doit son élection passée et ne peut être réélu que s’il s’assure du soutien sans faille de la frange la plus réactionnaire de ces mouvements religieux. La nomination de Mme. Amy Coney Barrett, anti-avortement, pro-armes, membre d'une quasi-secte religieuse catholique, à la cour suprême des États-Unis s’inscrit dans ce processus, qui découle, j’espère l’avoir expliqué de façon relativement claire, de la construction de ce pays par la Bible et le colt. De plus, le refus récent mais réitéré de M. Donald Trump d'accepter par avance le résultat du scrutin s'il venait à perdre, suggère qu'il pourrait envisager un recours auprès de la cour suprême pour valider son maintien à la Maison-Blanche. Dans ces conditions, une cour "à sa botte" ne pourrait lui être que profitable pour organiser ce qui apparaîtra aux yeux de beaucoup comme un coup d'Etat juridique... 

* En fait il est théoriquement possible, si le président était musulman, de jurer sur le Coran, la loi n'obligeant pas à jurer sur la Bible... Il en est de même pour les députés et sénateurs. 

 

Références

 

1. Journée d’étude « Donald Trump et la politique étrangère des Etats-Unis: vers quel (dés)ordre mondial? ». Center for Research on the English-speaking World, Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, jeudi 16 Novembre 2017.
Consultable en ligne : https://journals.openedition.org/transatlantica/8699

2. Pap Ndiaye. Donald Trump : le dernier-né du populisme américain. L’histoire, n° 429. Novembre 2016.

3. Henri Landès. Make America great again? Les chrétiens conservateurs : entre attrait pour Trump et rejet de Clinton. Centre de recherches internationales de Science Po.
Consultable en ligne :
https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/make-america-great-again-les-chretiens-conservateurs-entre-attrait-pour-trump-et-rejet-de-clinto

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