dimanche 21 juillet 2024

PLONGÉE DANS LA FACHOSPHÈRE 2.0


Comme je l'indiquais dans un précédent article, l'émergence du Rassemblement National (RN) n'a pas commencé lors de la dernière élection européenne, ni même lors de l'élection présidentielle de 2022. Nous sommes confrontés là à un processus de long terme, alimenté de façon extrêmement efficace par les réseaux dits-sociaux, où pullulent robots rédactionnels (ou bots) et petites mains chargées d'alimenter la haine de « l'autre » (les trolls). Celui-ci y est alors facilement désigné aux populations défavorisées et déclassées comme seuls responsables de leurs malheurs, dans une stratégie du bouc-émissaire éprouvée. Reste au RN à en ramasser les bénéfices !

Tout cela est fortement lié au développement de liens internet, via les réseaux sociaux, où l'on retrouve ce qu'il est convenu d'appeler de façon très générique « la fachosphère 2.0 ». Selon mon ancien collègue du CNRS, M. David Chavalarias, directeur de recherche au Centre d’Analyse et de Mathématique Sociales (CAMS, EHESS), et directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Ile-de-France (ISC-PIF, CNRS), cette fachosphère est largement soutenue par une puissance étrangère, la Russie pour ne pas la nommer. Ses travaux, très étayés, méritent d'être connus. En ce sens, je reprends à son incitation une de ses récentes publications en ligne, que l'on peut retrouver sur son blog (1). Comme à mon habitude, ses propos, dont je publie des extraits, sont en italiques, mes commentaires en caractères droits.

Son article commence donc par une citation de M. Dimitri Medvedev, Vice-président du Conseil de sécurité de Russie, extraite de sa chaine Telegram, en date de Février 2024 : « Notre tâche consiste à soutenir ces hommes politiques et leurs partis [note : c'est à dire les partis anti-système] en Occident de toutes les manières possibles, en les aidant apertum et secretum à obtenir des résultats décents lors des élections. Certains d’entre eux passeront du statut d’opposants non systémiques à celui de nouveaux membres de l’establishment politique. Et leur accession à la gouvernance de l’État pourrait radicalement améliorer le paysage politique dans le monde occidental ». 

En France, le parti anti-système le plus compatible avec les ambitions géopolitiques de Vladimir Poutine est le Rassemblement national, dont certains cadres lui ont maintes fois exprimé leur sympathie. Entre autres, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est prononcé le 24 juin 2024 contre « l’envoi de missiles longue portée ou de matériel militaire » en Ukraine. Il a également rappelé son opposition à l’envoi de troupes françaises sur le terrain dans ce conflit. De manière générale, une analyse structurelle de l’espace politique français tel qu’il est reflété par les prises de paroles et interactions sur X/feu-Twitter montre clairement qu’il y a un positionnement quasi dichotomique en France entre les partis de gouvernement qui sont fermement opposés à la guerre du Kremlin contre l’Ukraine, et feraient tous les efforts possibles pour empêcher Vladimir Poutine de la remporter, et l’extrême-droite (RN & Patriotes) qui a une attitude plus complaisante envers son régime et ses actions.

Le problème de Poutine est simple : comment faire perdre les élections aux partis politiques opposées à sa domination ? [...] Contrairement aux États-Unis, qui ont par le passé interféré dans des élections de pays démocratiques en accompagnant des putchs violents, la stratégie géopolitique du Kremlin, héritée de l’ère soviétique, est la plupart du temps indirecte et à long terme. Le KGB avait son proverbe de prédilection : « la goutte d’eau creuse la pierre, non par force, mais en tombant souvent ». Vladimir Poutine, qui s’est arrangé pour régner quasiment à vie, a le temps. Il pratique une subversion des démocraties occidentales qui s’étire dans le temps dans le but de déstructurer leurs sociétés de manière systémique et globale.

Au long cours et de faible intensité, elle consiste en une modification globale de l’espace informationnel qui va de campagnes sur les réseaux sociaux à la création de faux sites d’information, en passant par l’utilisation des régies publicitaires des grands réseaux sociaux permettant le ciblage de populations. [...] Cette stratégie sur le long terme est couplée avec des actions à court terme et opportunistes qui exploitent l’actualité, telles que le piratage d’infrastructures ou des actes de vandalisme sur le territoire (par exemple les tags des Étoiles de David, les tags de mains rouges sur le Mémorial de la Shoah ou l’incendie d’infrastructures). Combinées, ces « mesures actives » qui agissent sur l’espace médiatique et les circuits de circulation d’information, instaurent un climat antisystème. En effet, elles insèrent des « virus médiatiques » dans la vie publique « capables de s’auto-entretenir et s’auto-reproduire », le but étant de « modifier la conscience collective, en particulier dans certains groupes ». Elles amène un pays, « mine de rien », à un point de bascule propice aux alternances de régime politique et de formes institutionnelles [...].

Si le Rassemblement national correspond au portrait robot de ces partis anti-systèmes que Medvedev et le Kremlin ont annoncé vouloir soutenir, il y reste un problème de taille : le front républicain. Cette tradition française, qui amène les adversaires politiques à préférer un mandat bancal plutôt qu’à 30 ans de régime autoritaire, a permis de faire barrage contre le Rassemblement National à chaque fois qu’il fut en position de remporter une élection à portée nationale. Le front républicain est la porte de secours de la démocratie, il faut donc, pour le Kremlin, la condamner. 

En ligne avec ce qui précède, et pour donner raison à M. David Chavalarias, on notera que cette condamnation du front républicain émane principalement du RN... Par ailleurs les liens entre RN, sites complotistes ou fachosphère 2.0 ont bien été analysés par cet auteur, lui permettant de générer une cartographie numérique des liens qui unissent les différents comptes présents sur les réseaux sociaux. En illustration de ce billet, on trouvera une analyse de proximité de ces comptes qui permet « de les regrouper par courants idéologiques [...]. Le Nouveau front populaire, dont la communauté s’est considérablement renforcée au fil des jours, apparait comme déconnectée du super-bloc « d’en face », composé de Renaissance et du bloc des extrêmes-droites. Cette configuration suggère qu’un éventuel partage de l’espace en deux camps lors d’un second tour séparerait les deux partis de gouvernement plutôt que de les unir contre l’extrême-droite. Cela présage également de triangulaires compliquées. Il est à remarquer que la communauté Les Républicains, supposée se démarquer des autres, a complètement disparu en tant que communauté autonome dans ce paysage. Carte calculée sur la période du 10 au 27 Juin 2024 ; 3 500 comptes analysés (seuls les liens représentant 5 retweets ou plus sont affichés - Source de données CNRS/ISC-PIF : collecte des timelines publiques des personnalités politiques ayant un compte sur X).

Or, [...] pour briser le front républicain, il faut trouver des enjeux sociétaux bi-polarisés tels que leur ligne de fracture traverse l’électorat des partis de gouvernement ainsi que les positionnements politiques de leurs leaders. Dès lors, il convient de se demander quels seraient les thèmes de débats les plus favorables au Kremlin ? En utilisant la même base de données que celle mentionnée ci-dessus, le collègue du CNRS démontre que les prises de positions sur la guerre en Ukraine permettent de distinguer les positions, d'un côté des partis d’extrême-droite (RN, Reconquête, et les Patriotes), de celles, de l'autre, des partis de gouvernement y compris ceux constituant le Nouveau Front Populaire (NFP). Le même type d'étude, menée sur la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, montre cette fois que « la ligne de fracture de l’opinion autour de la guerre à Gaza sépare les partis de gauche et les partis de droite et d’extrême-droite, ouvrant ainsi une brèche entre les partis de gouvernement » (Cf. figure ci-dessous).  Autour de la question de l’antisémitisme, la ligne de fracture « divise un ensemble de comptes qui font le pont entre Renaissance et le bloc d’extrême-droite, qui s’inquiètent sur la montée de l’antisémitisme et accuse LFI d’antisémitisme, et de l’autre côté LFI qui s’en défend ». Sur la question de l'islamo-gauchisme, il ressort de l'étude que ce narratif a été « développé majoritairement par le bloc d’extrême-droite avec quelques relais sur la passerelle Renaissance-Extrême-droite, ce qui fait réagir LFI ». Enfin, la question du réchauffement climatique, pourtant largement absente des débats lors des européennes comme des législatives, ont été « abordées essentiellement par EELV et dans une moindre mesure par LFI ».

 

Ci-dessus, analyse effectuée sur le même ensemble de comptes X que celui étudié plus haut, présenté sur la figure d'illustration en tête de page. Cette nouvelle figure montre « les contiguïtés de positionnement des leaders et militants politiques » sur le thème de ma guerre à Gaza, et révèle la fracture gauche - droite des partis de gouvernement. Les comptes y sont placés exactement de la même manière que sur la figure d'illustration en tête d'article, mais seuls les liens reflétant les échanges relevant de la problématique visée sont affichés.

 

De ce qui précède, on remarque qu'un thème « ressort de manière saillante parmi ces thèmes actualité : la guerre à Gaza. Voici le principal pied de biche inséré entre les électeurs des partis de gouvernement qu’active le Kremlin pour les rendre irréconciliables et faire voler en éclat le front républicain. Il est couplé évidemment avec ses corollaires que sont la montée de l’antisémitisme et des attitudes hostiles envers l’islam. Ces corollaires suivent les mêmes lignes de fractures.

Il est important de comprendre que ce conflit au Proche-Orient se révèle être le cadre idéal pour combiner des actions de subversion à long terme de modification de la perception de groupes sociaux, et des actions opportunistes à court terme qui jouent sur l’émotion et le pathos. [...] Sur le long terme, le Kremlin a favorisé l’introduction dans le débat public du concept « islamo-gauchisme », avant que sa popularité n’explose du fait de sa reprise par une Ministre de la République en 2021. Selon toute vraisemblance, les comptes sur X les plus actifs avant cette explosion n’étaient autres que des trolls du Kremlin. C’est un exemple de « virus cognitif », inventé par l’extrême-droite, dont le Kremlin augmente la viralité de manière active. Il amène aujourd’hui une partie de la population à penser que certains groupes politiques conspirent contre la République en s’alliant à des ennemis étrangers, ici l’islam radical. Ces groupes sont de fait infréquentables.

Sur le court terme, cette perception est renforcée par plusieurs actions. Il y a des actions sur le territoire réel, telles que celles évoquées plus haut, qui amplifient dans l’opinion publique la perception de la montée de l’antisémitisme ou du racisme, de manière très concrète. A cela s’ajoute des actions sur les territoires numériques comme par exemple la création de faux comptes tel que @ChtiAudacieux créé en Février 2024 sous le nom de « MuslimChti » qui se positionne en islamiste radical et provoque les communautés d’extrême-droite. Nous trouvons encore des comptes ou sites d’information qui visent à radicaliser certaines communautés. Ainsi, le cinquième compte le plus relayé de cette campagne post-dissolution sur X (entre le 10 et le 27 juin) est un compte anonyme, @FRN7, qui a ouvert plusieurs comptes du même nom au printemps 2020 sur Instagram (compte suspendu), Odysée et Facebook. Resté inactif pendant deux ans sur ces deux dernières plateformes, son historique est typique d’un compte opéré par le Kremlin, ou du moins sous l’emprise de sa propagande. Toutes les théories du complot et les bêtes noires du Kremlin y sont mises en scène, dans des vidéos soigneusement éditées. Dans nos cartes Twitter Politoscope de 2020 et 2021, @FRN se situe dans la communauté anti-système, proche de l’extrême-droite, qui s’est formée pendant la pandémie sous la houlette de personnalités pro-russes comme Florian Philippot (ex. n°2 du RN), François Asselineau ou Nicolas Dupont-Aignan.

Mais depuis mai 2024, @FRN s’est déplacé dans l’espace informationnel pour intégrer la communauté LFI via des comptes intermédiaires, probablement faux eux aussi. Il s’est arrangé pour créer de nouvelles connexions de manière à y diffuser ses contenus, soit par re-tweets actifs, soit via la recommandation algorithmique (ex: X/Twitter vous recommande « @Y à aimé …» parce qu’il croit que @Y partage vos goûts). Le type de contenus que diffuse en continu @FRN pendant ces législatives de 2024 est extrêmement anxiogène et donc très adapté à cette stratégie [...]. Il s’agit exclusivement d’images et de vidéos des massacres perpétués par le gouvernement de Netanyahou à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle. 

Or cette guerre à Gaza est une véritable aubaine pour le président russe. [...] Voilà en effet, le couple de forces du moment et la fenêtre d’opportunité pour Vladimir Poutine qui cristallise des efforts de longue haleine. D’un côté le Kremlin s’efforce d’amplifier la perception des horreurs de la guerre à Gaza auprès de la communauté LFI afin qu’elle impose le cadre du conflit israélo-palestinien aux européennes et aux législatives, avec ses corollaires sur la montée de l’antisémitisme, du racisme et d’attitudes hostiles envers l’islam. Cela favorise sa radicalisation et, en conséquence, la polarisation politique entre extrême-gauche et extrême-droite. De l’autre, les communautés juives traumatisées par le 7 Octobre, et la droite, sont matraquées depuis des années par des narratifs tel que celui de l’islamo-gauchisme [...].

Le fait que le Kremlin amplifie les divisions dans les sociétés occidentales ne veut pas non plus dire qu’il est la source de tous les maux de la Nation. Bien au contraire, ses opérations ne fonctionnent jamais aussi bien que lorsqu’elles peuvent s’appuyer sur d’authentiques dysfonctionnements. Mais elles auront pour résultats d’éliminer certaines voies de résolution des problèmes pour orienter les électeurs vers une alternance plus autoritaire qui convient le mieux aux intérêts du Kremlin.

Ne faisons pas la même erreur que de nombreux autres pays en sous-estimant la capacité de nuisance de M. Vladimir Poutine. Beaucoup de contre-feux ont été allumés par l’extrême-droite française, et probablement par des trolls du Kremlin, qui soit minimisent son impact, soit tentent d’influencer les votes en prônant de ne pas tenir compte des nombreuses alertes en provenance du milieu académique ou des services de renseignement. L’alignement des intérêts du Kremlin avec ceux des extrêmes-droites occidentales est un fait incontestable affirmé de la bouche même des représentants de M. Vladimir Poutine.

Si la feuille de route de la subversion a été correctement suivie, la majorité de la population pourrait être à ce point désorientée qu’elle en viendrait, lors de ces élections ou des suivantes, à réclamer des dirigeants « forts », qui « savent comment parler aux Russes », et les élire. Cela s’est produit par exemple en 2024 en Slovaquie, avec l’élection d’un Président prorusse suite à une intense campagne de désinformation en ligne du Kremlin, les législatives de 2023 ayant préalablement donné la majorité à un parti d’extrême-droite prorusse.

Rappelons-nous les mots de l’ex-agent du KGB Tomas Schuman : la plupart des actions de subversion sont manifestes et facilement identifiables. Le seul problème est qu’elles sont « étirées dans le temps ». En d’autres termes, « le processus de subversion est un processus à si long terme qu’un individu moyen, en raison de la courte durée de sa mémoire historique, est incapable de le percevoir comme un effort cohérent et délibéré ». De là l’intérêt des macroscopes développés au CNRS, c’est-à-dire des outils mathématiques et informatiques qui permettent d’observer à grande échelle et sur de longues périodes les processus d’évolution et de déstructuration des sociétés, un peu comme le visionnage en accéléré du développement d’une liane pour comprendre comment elle s’accroche à son arbre.

Ainsi outillés, nous pourrons peut-être mieux prendre conscience des stratégies de subversion qui peuvent, sur une partie de la société et par effet domino, mener à terme à une décohésion sociale globale. Cette prise de conscience est le premier pas vers une résolution des conflits qui minent la société française.

 

Référence et crédit illustration :

1.David Chavalarias. 23h59 à l’horloge de Poutine. Son site. Juin 2024.
Consultable en ligne :
https://hackmd.iscpif.fr/s/HJQny14PA#

Son site : https://iscpif.fr/chavalarias/ 


 

mardi 9 juillet 2024

DIRE LE VRAI NE SUFFIT PAS, IL FAUT DIRE LE JUSTE

Ce billet reprend en quasi totalité un article de blog publié par mes collègues du collectif Rogue ESR (Enseignement Supérieur et Recherche). Il analyse les causes qui ont conduit, aux yeux de ce collectif, à la situation que nous connaissons, suite à la dissolution de l'Assemblée par M. le Président de la République. Le Rassemblement National (RN), dernier avatar du Front National (FN), n'est pas arrivé à la place qu'il occupe ex-nihilo. En réalité, les Européennes et les Législatives ont uniquement joué un rôle de catalyseur, de révélateur. Au delà de cette analyse, et mes collègues de Rogue ES font en grande partie l'impasse là dessus, il reste à évaluer les possibilités réelles qu'offre la nouvelle composition de l'Assemblée Nationale en termes de gouvernement. J'y reviendrai brièvement à la fin de cet article. Comme à mon habitude, la citation du collectif est en italiques, mes commentaires et ajouts en caractères droits.

« Passé le soulagement d’un soir, ne subsiste que l’immensité de la tâche à accomplir pour transformer quelques mois de sursis en une bifurcation historique qui éloigne durablement le spectre d’un gouvernement d’extrême-droite et rouvre l’horizon d’une aube démocrate.

Il me semble important ici de citer, comme le font les collègues de Rogue, Albert Camus qui disait dans l'Homme révolté : « Le fascisme, c’est le mépris. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme ».

Les travaux de sociologie politique montrent que le vote national-identitaire procède de la conjonction de plusieurs mécanismes : le racisme et sa politisation par la « préférence nationale » et le droit du sang ; la hantise du déclassement, conséquence directe de l’extension du marché et de la mise en concurrence à l’intégralité de la vie sociale ; la rhétorique dévoyées des « privilégiés » qui oppose un peuple autochtone désireux de vivre correctement du fruit de son labeur d’un côté aux élites intellectuelles et économiques et de l’autre aux « immigrés » et aux « assistés » supposés détourner à leur profit ce qui reste d’État providence ; le désir de préserver un mode de vie ou un « entre-soi ». Cette conjonction est favorisée par la reprise des thèmes et des éléments de langage de l’extrême-droite par une large partie de la classe politique, et par la sphère médiatique, notamment par des groupes possédés par des entrepreneurs politiques ; cette reprise, enfin, est elle-même facilitée par le soutien des franges libertariennes et néo-conservatrices des milieux d’affaire. Derrière l’émergence d’une extrême-droite hybride entre néolibéralisme autoritaire et suprémacisme national-identitaire dans l’ensemble des pays occidentaux, il y a de fait l’érosion tendancielle de la croissance et, en même temps, l’accroissement aux forceps du taux de profit : « France now has […] an unusually dominant billionaire class whose total wealth is equal to 22 per cent of GDP, ahead of even the US » (1 ; pour ceux qui ne pratiquent pas l'anglais, la traduction est « La France compte désormais […] une classe de milliardaires inhabituellement dominante dont la richesse totale est égale à 22 pour cent du PIB, devant même les États-Unis »).

La minorité présidentielle porte ainsi une responsabilité écrasante dans la transition du FN/RN de 7 députés en 2021 à 143 aujourd’hui. Le pouvoir sortant s’est engagé dans une dérive illibérale interminable, au point d’avoir, le premier, noué une « coalition de projet » avec Mme Le Pen, en décembre dernier, pour faire adopter sa loi sur l’asile et l’immigration ; l’artisan de cet accord s’appelait… M. Ciotti. L’exigence de l’heure est donc de congédier « tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (V. Hugo) et leur monde fait d’arrangements sordides, de concessions à la xénophobie et de démagogie médiatique. Les rapports de force dans le futur hémicycle mettront du temps à devenir lisibles. Une chose est sûre, toutefois : le Parlement ne suffira pas à la tâche, et la société civile — associations, organisations non gouvernementales, syndicats, collectifs — doit prendre une part active à l’institution d’une démocratie propre à juguler la polycrise qui lamine nos existences. La Ve République est morte honteusement, au détour d’une manœuvre tactique du prétendu « maître des horloges ». Rendre un avenir à notre société impose d’en passer par un nouveau moment constituant et, sauf en pensée magique, la Constituante n’émergera pas spontanément d’un parlement ingouvernable issu de la décomposition d’un régime césariste.

Cette intervention directe de la société civile n’est donc pas une simple conséquence de l’impasse arithmétique d’une Assemblée divisée en trois blocs d’importance analogue. Elle vient de plus loin, de la faillite même de la monarchie élective sur laquelle se fondait la Ve République. Chaque élection abîme un peu plus notre société. L’abandon de toute forme d’attachement à la vérité par les prétendants au pouvoir conduit à ce que candidats et électeurs s’entre-déchirent, dans un spectacle navrant que la raison pousse à fuir. Les élections ne sont plus un moment d’expression et de résolution des contradictions qui habitent notre société, mais un moment de surdité et d’intensification de ces contradictions, dont la majorité des citoyens sort plus frustrée et inquiète qu’elle n’y est entrée. Une élection qui se joue sur les plateaux de MM. Drahi et Bolloré ne saurait offrir la délibération démocratique nécessaire à sortir de la société de l’insignifiance et à nous bâtir un avenir commun. La démocratie ne sera réinstituée que si la société civile organisée s’attèle à ce travail.

Les fronts sont multiples. Il y a urgence à défasciser la sphère médiatique, en s’inspirant des ordonnances de 1944 conçues par le Conseil national de la résistance (CNR) et en commençant par le renouvellement des fréquences TNT par l’Arcom. Place de la République, hier soir, dans la douceur de ce bref soulagement, des slogans chantés par la jeunesse le disaient déjà : «
Casse-toi Hanouna », « Bolloré la TNT c’est pas à toi ».

Il y a urgence aussi à ce que les organisations du mouvement démocratique, écologique et social interpellent les élus de centre-gauche pour empêcher la poursuite de la destruction de la société.


[...] Quelles contributions concrètes pouvons-nous apporter à cet effort ? Il est au moins un thème politique se situant au point d’articulation de la crise démocratique, sociale, économique et écologique : l’aménagement du territoire. Le prendre à bras-le-corps nécessite de tourner la page du bonapartisme et mettre à bas le mythe des métropoles intelligentes en concurrence avec les villes-mondes des autres pays de l’OCDE, qui contribue directement à offrir à l’extrême-droite les territoires relégués au rang d’arrière-pays paupérisé, vivier de travailleurs précaires et de salariés déclassés, où la jeunesse n’a pas d’avenir. [...] Mais l’aménagement du territoire est aussi un enjeu pour la construction d’une société post-carbonée. Le réchauffement climatique implique de relocaliser la production de biens agricoles et manufacturés, conformes aux besoins de la population, au plus près de leur utilisation. Investir dans l’aménagement du territoire est à même de réunir un large consensus, incluant ce qui reste du centre-droit démocratique, dont les derniers bastions sont souvent dans des circonscriptions rurales et périurbaines ».

Comme je l'écrivais en introduction, cet article du Collectif Rogue ESR, fait l'impasse sur le Hic et Nunc, le « ici et maintenant »... Certes, appeler à une contribution large de la société civile est un projet majeur et réjouissant, mais de long terme. Qui plus est, il n'est pas possible de s'affranchir des fondamentaux de notre démocratie et de notre Ve République. En d'autres termes, la question posée est comment gouverner dans l'immédiat, sans majorité à l'Assemblée Nationale (AN) ? Un premier ministre et des ministres issus du NFP conduiront - cela a déjà été annoncé - à une motion de censure du gouvernement si une seule tête d'un membre de la France Insoumise (LFI) y paraît. Cette motion a de fait toutes les chances d'être majoritaire (2). Il semble également totalement illusoire d'envisager un gouvernement NFP sans une participation de LFI. Une coalition entre les Macronistes et les Républicains ? Même des discussions ont eu lieu, cela ne donne pas de majorité à l'AN (2)  ! Une coalition entre Macronistes et le NFP ? Certes, une telle coalition pourrait dégager une majorité, même en l'absence des députés LFI, mais il faudrait alors y agréger les divers gauches et quelques régionalistes. Et quelle trahison, une telle option constituerait vis à vis de nombre d'électeurs du NFP... Soyons réalistes : il n'y a aucune majorité à l'Assemblée pour gouverner. Dire le contraire serait tromper les électeurs ! Nous sommes donc en face d'une situation de blocage. Avant de voir se constituer cette grande alliance de la politique et de la société civile, il va pourtant falloir gérer le quotidien, et en l'espèce, pour citer Germaine Tillion, « dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste »...

 

Références :

1. Ruchir Sharma. Capitalism is in worse shape in Europe. The Financial Time. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ft.com/content/5d12c8ed-c184-4d15-af6d-6523f7f875c8

2.Mathieu Lehot-Couette, Valentin Pigeau. Résultats des élections législatives 2024 : découvrez la composition de la nouvelle Assemblée Nationale. France-Info TV. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-resultats-des-elections-legislatives-2024-decouvrez-en-direct-la-composition-de-l-assemblee-nationale_6645201.html


Crédit illustration :

Richard Ying, Tangui Morlier. Document Wikicommons.


vendredi 5 juillet 2024

UN FRONT RÉPUBLICAIN À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Le score du rassemblement national (RN) aux dernières élections législatives et la perspective d’une majorité absolue de députés de ce parti inquiètent nombre de personnes et d’institutions, au sens large. Outre les remises en cause possibles de certaines avancées sociales et sociétales, à l’image de ce qui a pu être observé dans des pays où l’extrême-droite est arrivée aux affaires, se pose la question des libertés individuelles, et au-delà du respect des dispositions fondamentales de la République, donc de la Constitution.

Pour toutes ces raisons, nous avons assisté très rapidement après les résultats du premier tour à des appels multiples de désistements républicains destinés à empêcher l’élection de députés du RN. L’idée est relativement simple, et probablement simpliste si l’on pousse un peu l’analyse politique, car il sera difficile à gauche d'oublier la casse sociale organisée de façon systématique par la macronie depuis 7 ans... Revenons au principe de ce désistement : lorsqu’un candidat du RN est arrivé premier ou 2e lors du premier tour de l’élection, le candidat arrivé 3e s’engage à se désister au profit du candidat membre d’un parti dit « républicain » arrivé 2e ou premier. Cette situation est typiquement celle que nous pouvons observer dans notre circonscription, où l’actuelle députée, Madame Marie-Pierre Rixain est arrivée en tête lors du premier tour, devant le candidat du RN, M. Jérôme Carbriand, arrivé 2e, ce dernier devançant d’une grosse centaine de voix le candidat du Nouveau Front Populaire (NFP), Monsieur Amadou Deme (1). M. Amadou Deme et sa suppléante, Madame Marie Colson se sont alors rapidement désistés (2). À ce sujet, et bien que je puisse me tromper, je n’ai vu aucun remerciement républicain sur la profession de foi de second tour de Madame M.-P. Rixain ; ceux-ci auraient pourtant été bienvenus…

Au-delà de l’Essonne, cette stratégie de désistement a très vite été évoquée le soir du 1er tour. Un des premiers partis à réagir a été La France Insoumise par la voix de M. Jean-Luc Mélenchon, qui déclarait alors : « Notre consigne est simple, directe et claire: pas une voix, pas un siège de plus pour le RN », ajoutant « dans un certain nombre de cas, des triangulaires sont possibles: Conformément à nos principes et à nos positions constantes dans toutes les élections précédentes, nulle part nous ne permettrons au RN de l'emporter et c'est pourquoi, dans l'hypothèse où il serait arrivé en tête, tandis que quand nous ne serons qu'en troisième position, nous retirerons notre candidature ». Cette même stratégie a été clairement annoncée par l’ensemble des partis constituant le NFP. Au Parti Socialiste, le premier secrétaire, M. Olivier Faure, déclarait au soir du 30 juin son souhait de voir les candidats du NFP se retirer « dès lors qu’il y a un risque de faire élire un candidat du Rassemblement national ». Au Parti Communiste (PCF), un communiqué publié rapidement après le 1er tour indiquait : « dans tous les duels opposant un candidat d’une force républicaine à un candidat d’extrême droite, nous appellerons à voter pour le candidat républicain. Et si un candidat du PCF se retrouve qualifié au second tour en troisième position dans une triangulaire, il se désistera pour que le candidat républicain le mieux placé ait les meilleures chances de battre l’extrême droite ». Enfin, chez les écologistes, Madame Marine Tondelier, secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts, parti devenu Les Écologistes en octobre 2023, déclarait dans une interview donnée à l’AFP le 24 juin « qu’à chaque fois qu’un candidat écologiste arrivera en troisième position, il se retirera au profit du candidat qui respecte les valeurs de la République pour battre l’extrême droite ». Bref, du coté de la NFP, le discours est très clair !

La situation est tout autre au centre et à droite, puisque globalement, les positions oscillent grandement entre le « devoir moral » « d’empêcher le Rassemblement national d’avoir une majorité absolue » prononcé par M. Gabriel Attal (3) en passant par le « circo par circo » de M. François Bayrou (3), ou le « pas pour LFI » de Ms. Bruno Le Maire et Edouard Philippe (4). Bref, c'est « p'tet ben qu'oui, p'tet ben qu'non » pour le centre et la droite. Pour eux, qui ont largement bénéficié dans notre histoire récente du désistement républicain de gauche lors de trois élections présidentielles, le front républicain ne va clairement pas de soi. Visiblement même, certains de leurs membres sont même prêts à faire élire un député RN. C’est le cas de l’inénarrable vice-président des Républicains, M. François-Xavier Bellamy, qui a appelé au « barrage contre LFI », indiquant qu’en cas de duel avec le RN, il voterait pour ce dernier. Dans un discours dangereux et totalement décalé avec les réalités, ce dernier clamait haut et fort : « le danger qui guette notre pays aujourd’hui, c’est l’extrême gauche » (4).

Ces positions sont évidemment honteuses ; elles sont aussi minables moralement, et en disent finalement assez long sur le positionnement idéologique de certains membres de la quasi défunte macronie et des Républicains, dont, faut-il le rappeler, certains sont passés sans sourciller, avec armes et bagages, au service du RN. A ce sujet, il semblerait que les voix de ces Républicains « canal Ciotti » aient pesé pour quelques 4% dans les score du RN au 1er tour des législatives. C’est à la fois peu et beaucoup car dans certaines circonscriptions, cela a pu suffire à faire suffisamment progresser le candidat du RN pour qu’il apparaisse au 2nd tour. Une telle hypothèse pourrait éclairer les résultats de notre circonscription où, je le rappelle, le candidat du RN devance celui du NFP d’un peu plus de 100 voix.

Pour terminer ce billet avant l’heure limite fixée à ce soir 24h00, un mot pour éclairer la personnalité du candidat RN local. Son parcours vient en effet d’être mis en lumière par un excellent article publié par l’Humanité (5). Celui-ci reprend des passages d’un blog qu’il rédigeait voilà une dizaine d’années et qu’il a effacé, en droite - c’est le mot qui convient - ligne avec le souci de respectabilité dont fait preuve le RN depuis quelques années, entre vidéos de petits chats et cravates à l’Assemblée. Voici quelques extraits choisis de ce blog, où il est fait l’éloge de « nos ancêtres aryens » possédant un « génie pour le courage ». D’un côté, ce fin penseur nous ressert du complot juif ; je cite textuellement : « On comprend aisément pourquoi aujourd’hui les représentants de la communauté juive se font d’ardents défenseurs du modernisme progressiste, il paraît donc logique qu’ils s’emploient à appliquer à l’humanité tout entière leur mode de vie nomade […]. Il est bien cohérent que ces gens-là soutiennent une mondialisation autodestructrice de toutes les nations, apatride et globalisante». De l'autre côté, le blog de M. Jérôme Carbriand n’oublie pas les homosexuels et les étrangers, je le cite encore : « Un sujet pédéraste a raté un stade de sa sexualité » et, au sujet de l’insécurité de certains quartiers : « les viols, on sait par qui ils sont commis. Pas par des blancs ».

Je ne pense pas que les lecteurs de mon blog soient nombreux à envisager de voter pour le RN, mais au moins ceux qui souhaiteraient le faire sont-ils prévenus du réel positionnement idéologique de ce candidat. Quant au front républicain, on verra ce qu’il en est au soir du second tour, après une analyse un peu poussée des réels reports de voix sur les candidats les mieux placés. Le danger est grand que des reports ne soient que partiels, et ce danger s’appelle majorité absolue au RN, avec les conséquences qu’on imagine…


Références :

1. Pour voir les résultats, circonscription par circonscription :
https://www.lemonde.fr/resultats-legislatives-2024/ile-de-france/essonne/

2. Thibaut Faussabry. Législatives 2024 en Essonne : Amadou Deme se désiste et appelle à "battre le RN" dans la 4e circonscription. Actu.fr. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://actu.fr/politique/elections-legislatives/legislatives-2024-en-essonne-amadou-deme-se-desiste-et-appelle-a-battre-le-rn-dans-la-4e-circonscription_61285076.html

3. Robin D’Angelo, Claire Gatinois. Législatives 2024 : la coalition macroniste se divise sur la physionomie du front républicain. Le Monde, Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/07/01/legislatives-2024-ni-rn-ni-lfi-cas-par-cas-ou-desistement-systematique-la-coalition-macroniste-se-divise-sur-la-physionomie-du-front-republicain_6245741_823448.html

4. Anonyme et AFP. On vous résume les consignes de vote et de désistement pour le second tour. Le Dauphiné Libéré. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.ledauphine.com/elections/2024/07/01/on-vous-resume-les-consignes-de-vote-et-de-desistement-pour-le-second-tour

5. Lisa Guillemin. Malgré ses propos antisémites et homophobes, les électeurs de Jérôme Carbriand (RN) plus que jamais convaincus. L’Humanité. Juillet 2024.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/politique/antisemitisme/malgre-ses-propos-antisemites-et-homophobes-les-electeurs-de-jerome-carbriand-rn-plus-que-jamais-convaincus


Crédits illustration : 

D’après le dessin d’Aurel pour Politis :
https://www.politis.fr/articles/2024/06/le-dessin-daurel-dissolution-de-lassemblee-et-mepris-de-classe/

 

 

jeudi 13 juin 2024

LES PETITS ET GROS MENSONGES DE LA MUNICIPALITÉ. CHAPITRE I.

Le blog avait pris un peu de vacances ces derniers temps, le rédacteur étant occupé à développer d’autres projets locaux ou plus lointains… Chronologiquement parlant, la rédaction du présent billet avait commencé avant les élections européennes. Je l'avais remisé dans la mémoire de l'ordinateur d’où je le ressors ce jour. Pendant ces deux derniers mois, en effet, la machine à enjoliver municipale a bien fonctionné. La municipalité continue donc à produire sa dose de contre-vérités, quand elle ne ment pas en toute impunité aux Forgeois. Exemples à découvrir ci-dessous.

Le premier exemple a - une fois de plus - concerné le monde associatif, et en l’occurrence cette fois l’association Forges en Transition. Cette association organise régulièrement des conférences zéro-déchet, un répare-couture, un repair-café, et intervient également en milieu scolaire ou lors d’évènements à vocation environnementale, dans plusieurs communes voisines et en association avec elles. Elle est même maintenant visible à l'international ! À Forges, en revanche, l’activité de l’association est assez compliquée. Il est ainsi quasiment impossible d’obtenir une salle de grande dimension pour le répare-couture. Cet atelier est parfois victime de son succès. La salle prêtée est en effet dimensionnée pour 7/8 personnes, mais elle peut difficilement accueillir une quinzaine de participantes et participants. Il manque des mètres carrés, des tables, des chaises… Malgré le doublement des horaires, il n’est pas rare que la salle « déborde ». L’association a donc demandé d’utiliser la salle « Floréal » lorsqu’elle est libre. Cela a assez systématiquement été refusé, soit sans explication, soit en arguant du fait que la salle était non disponible. Pourtant, vérification faite, cette salle était bien disponible en de multiples occasions… Premier mensonge donc.

Autre exemple, toujours concernant la même association qui utilise une autre salle, assez délabrée en vérité (l’ancienne AMM) pour son repair-café. Celui-ci est de plus en plus populaire (plus d’une vingtaine d’objets apportés en révision par exemple lors de la dernière édition). Il se trouve que l’association disposait de la clef de ce local. Récemment, Madame la maire demande à l’association de redéposer la clef en mairie, au motif qu’il s’agit là de la règle générale appliquée à Forges. Connaissant nombre d’autres associations, des informations sont échangées entre elles et les animateurs du repair-café. Le constat est sans appel : toutes les autres associations disposent de leurs clefs et aucune de ces associations n’est dans l’obligation de restituer les clefs en mairie à l’issue des sessions. Mieux que cela, les responsables associatifs nous disent que si tel était le cas, ils ne pourraient fonctionner. Nouveau mensonge avéré, donc, cette fois ci au plus haut niveau de la commune, puisque c’est Madame la maire qui baratine l’association. La municipalité avait d’ailleurs déjà « fait le même coup » avec le répare-couture, en indiquant que le retour de la clef en mairie après chaque événement était dû au fait qu’il n’existait qu’un seul exemplaire de ladite clef. Renseignement pris auprès des service municipaux, c’est évidemment faux. Il existe plusieurs clefs de ce local, sans compter les « passes » capables d’ouvrir cette porte. Mensonge, mensonge.... 

Si vous n’êtes pas convaincu de ces arrangements systématiques avec la vérité, je peux également relater le fait qu’une association de quartier organisatrice de la fête des voisins 2024 a demandé à la mairie le prêt de barnums et de tables pour l’occasion. La municipalité avait en effet indiqué dans un des « Petits Forgeois » qu’elle pouvait aider les habitants lors de cet évènement. Réponse de la mairie à l’association de quartier sur le mode : « nous ne prêtons ni barnum, ni table, ni chaises ». Très curieusement, lors de la fête des voisins d’un hameau, Chardonnet pour ne pas le nommer, la mairie a pourtant prêté des barnums. Mieux que cela, elle a fourni le système d'éclairage et le barbecue. J’ai même cru comprendre que le tout avait été livré par les services techniques… Alors pourquoi ces différences : y-a-t-il des quartiers favorisés par rapport à d’autres ? Y a-t-il du copinage selon qui demande quoi ? Quels sont les critères pour accepter d’un côté ce qui est refusé de l’autre ? Quoi qu’il en soit, nous sommes bien, là encore, face à un nouveau mensonge municipal.

Rien de ce que je raconte ci-dessus ne surprendra le lecteur du blog, puisque j’ai déjà expliqué à plusieurs reprises en quoi la mairie est coutumière des arrangements avec la vérité, pour rester politiquement correct (voir par exemple 1, 2, 3). Cette structure mentale n’est donc pas nouvelle au sein de la municipalité. Cela fait des années que cela dure. Pour preuve de cela, référons-nous aux bobards que certains ont propagé sur les réseaux dits sociaux pendant la mandature précédente, par exemple au sujet des finances de la commune. Que n’avons-nous entendu : la commune était soi-disant en déficit, le budget n’était pas maîtrisé, la charge de la dette était insupportable, les investissements était consentis à torts et à travers, bref la précédente municipalité conduisait tout simplement Forges dans le mur en matière budgétaire… Ces mensonges, appelons les choses par leur nom, étaient le fait de proches de membre de l’actuelle municipalité, qui, une fois aux affaires, ont dû rapidement reconnaître que la situation budgétaire qu’ils avaient trouvée était plus que saine. C’est le moins que l’on puisse dire puisque nous avions laissé un budget ouvert en partant, avec un « disponible » de plus d’un million d’euros auxquels s’ajoutaient - de mémoire - deux fois 500 000 euros de fond de concours ECT, en lien avec l’exploitation de la carrière de Bajolet…

Je reviendrai plus tard sur d’autres approximations, voire d’autres fables, que cette sympathique équipe municipale propage cette fois dans le journal municipal. Le dernier opus du petit Forgeois contient en effet de magnifiques exemples de contre-vérités, à tel point que je ne comprends pas comment celles-ci ont pu passer une relecture éditoriale… Sauf à considérer qu'il s'agit là d'une volonté délibérée. Affaire à suivre donc ! 

 

Références :

1. Quand Madame la maire dérape.
Ce blog, mars 2023.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2023/03/quand-madame-la-maire-derape.html

2. Une municipalité en mode "rien à cirer"
Ce blog, novembre 2023.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2023/11/une-municipalite-en-mode-rien-cirer.html

3. Associations forgeoises : de nouveaux problèmes.
Ce blog, août 2023.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2023/08/associations-forgeoises-de-nouveaux.html

 

Crédit illustration :

https://www.dicocitations.com/citations/citation-61182.php

mardi 11 juin 2024

LA CCPL A VOTÉ À L’EXTRÊME-DROITE LORS DES EUROPÉENNES


 

L’analyse des résultats des élections européennes de dimanche dernier livre d’inquiétantes conclusions au niveau national, mais également, et cela est plus surprenant, au niveau local. Ainsi, on peut constater un virage vers l’extrême-droite au sein de la majorité des communes de la CCPL, où la liste portée par M. Jordan Bardella arrive largement en tête, mais tout n'est pas aussi marqué que cela.

L’analyse des résultats des scrutins fournit toujours matière à réflexion. Les élections de dimanche dernier n’échappent pas à cette règle. Pour accéder aux résultats, commune par commune, on pourra se référer aux infographies publiées par différents médias. Ce billet s’appuie sur celle publiée par Le Monde (1).

Première observation, la plus marquante, la liste Rassemblement National (RN) arrive en tête dans 11 des 14 communes de la CCPL, les trois exceptions étant Boullay les Troux, Gometz la Ville et les Molières. Dans ces trois communes, les listes « Renaissance » (« majorité » présidentielle) et « Place Publique » (PS) se classent devant le RN, parfois assez largement. Ainsi, aux Molières, Renaissance et Place Publique arrivent en tête, à stricte égalité de voix autour de 22%, alors que le RN se situe juste en dessous de 18%.

Deuxième observation : de façon surprenante, des communes votant en général à droite, au centre, ou à gauche, telles que Limours, Forges ou Briis ont vu également la liste du Rassemblement National arriver en tête du scrutin. Cette dernière rassemble presque 22% des scrutins à Limours, 27% à Forges et 23,5% à Briis. En tenant compte d’une participation un peu au-dessus des 50%, cela signifie que 11, 14 et 12% des inscrits ont voté pour la liste du RN dans ces trois communes. Même s’il ne s’agit pas des mêmes élections, et donc in fine des mêmes enjeux, ces résultats sont à comparer avec les résultats du premier tour des présidentielles dans ces trois communes, où la candidate du RN, Mme Marine Le Pen, avait recueilli - en tenant compte des abstentions - sensiblement les mêmes valeurs. On ne note donc pas de progression massive du RN à Limours, Forges et Briis. Il s’agit possiblement d’un des rares résultats lénifiants, au sens pharmacologique du terme, de ces élections. Il faut par ailleurs rester prudent en regard de cette conclusion, car il est difficile d'estimer le volume de l'éventuelle réserve de voix du RN. Or cette donnée est déterminante pour évaluer l'existence ou non d'une forte progression de l'extrême droite.

Troisième observation : les communes rurales ou du sud de la CCPL votent sensiblement plus à l’extrême droite que celles du nord ou celles plus urbanisées. J’avais déjà relevé ce fait dans l’analyse du scrutin de la présidentielle de 2022 (2). Dimanche dernier, le RN atteint son score le plus élevé à Pecqueuse et à Angervilliers. Dans cette dernière commune, le RN a recueilli un peu plus de 37% des voix, ce qui correspond, toujours en tenant compte de l’abstention, à environ 22% des inscrits. Ce même chiffre, 22% des inscrits, a été atteint également à Pecqueuse. Dans le même temps, j’ai relevé plus haut que Boullay, les Molières et Gometz avait écarté la liste RN des premières places, confirmant le phénomène observé en 2022.

Quatrième observation : le résultat des partis de gauche et de centre-gauche se maintient dans le nord CCPL autour de 30% des votants, voire au-dessus. Cette affirmation est vraie en ajoutant les voix de Place Publique, Europe Ecologie, Gauche Unie (PCF) à celles de la France Insoumise, reconstituant ainsi à peu près le périmètre de la NUPES. Ces partis regroupés obtiennent un peu plus de 37% des suffrages à Saint-Jean de Beauregard, 33% à Boullay, aux Molières, à Gometz, mais aussi à Limours et Briis, et autour de 30% à Forges, Fontenay, et Vaugrigneuse. On peut donc y voir là une raison d’espérer un futur meilleur.

Cinquième observation : il y a aussi des raisons d’être inquiet - voire très inquiet - si on additionne aux voix du RN celle des néo-fascistes de la liste de Mme Marion Maréchal. Ainsi, cette coalition « bleu marine/brun-noir » obtiendrait autour de 40 % des voix dans la commune d’Angervilliers et plus de 35% à Pecqueuse, Courson, ou Saint-Maurice… Ce danger est d'autant plus réel que Mme Marion Maréchal a fait des offres de service au RN dès le lendemain de l'élection. En tenant compte de l’abstention qui reste lors de ces élections, notons-le quand même, le « premier parti », ces scores suggèrent qu’un inscrit sur quatre environ pourrait voter pour une coalition rappelant les heures les plus sombres de notre histoire. Les législatives seront donc déterminantes pour l’avenir du pays, surtout si l’on considère le naufrage économique, social, démocratique et - last but not least - moral que constituerait l’arrivée au pouvoir du RN et des néofascistes en France.



Références :

1. Raphaëlle Aubert, Manon Romain, Maxime Ferrer et Romain Imbach. La carte des résultats des élections européennes 2024 par commune en France.
Le Monde, Juin 2024.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/06/09/la-carte-des-resultats-des-elections-europeennes-2024-par-commune-en-france_6238291_4355771.html

2. Le second tour de la présidentielle dans les communes de la CCPL.
Ce blog. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2022/04/le-second-tour-de-la-presidentielle.html


Crédit illustration :

Carte du vote aux Européennes en France.
Référence 1.




dimanche 9 juin 2024

LA TRÈS LOURDE RESPONSABILITÉ PRÉSIDENTIELLE DANS L’AVANCÉE DE L’EXTRÊME DROITE EN FRANCE

Les premiers résultats et estimations des élections européennes sont tombés. Le Rassemblement National (RN) est largement en tête en France, comme attendu. Dans la foulée, M. Macron annonce la dissolution de l’Assemblée Nationale dans ce qui ressemble à la fois à un déni de réalité et à une tentative de sauver les meubles. Le problème, en l’espèce n’est pas tant le RN que M. Macron lui-même. Et les dangers s’accumulent. Explications.

En 2017, et davantage en 2022, l’élection présidentielle a porté M. Emmanuel Macron à la tête de la République française. En 2017, et davantage en 2022, ce dernier a axé sa campagne de second tour sur le rejet de l’extrême droite, ne mollissant pas sur les appels du pieds au centre gauche, voire à la gauche pour s‘inscrire dans une stratégie de réflexe républicain. M. Emmanuel Macron indiquait d’ailleurs que ce vote républicain « l’obligeait », et qu’« il fera tout pour faire barrage à l’extrême droite ». Or qu’avons-nous vu depuis 7 ans ? Une succession de contres réformes, foncièrement antisociales. Révision des lois travail, contre-réforme des retraites, contre-réforme des indemnités chômage, attaques systématiques contre les services publics, avec dans le même temps, une protection accrue pour les très riches, des aides massives au secteur privé, sans contrepartie, etc. On trouvera la liste de ces « efforts » dans plusieurs billets (1-4) que j’ai rédigés à l’occasion des dernières présidentielles et qui démontrent, finalement, que M. Emmanuel Macron est bien « le président des riches » (5). Dans le même temps, tentant de grignoter des voies à l’extrême droite, des prises de positions de ministres, par exemple sur l’immigration, sur « l’assistanat », etc., et le vote de lois antisociales avec les voix du RN, ont de facto validé les thèses nauséabondes de l'extrême droite sur ces sujets. Enfin, quid de la mise au pas du Parlement, avec un recours fréquent à une gouvernance par décret, et à l’absence de débats en lien avec l’utilisation systématique du 49.3… Depuis 7 ans, en dépit de la com. présidentielle, tout a été fait pour favoriser la montée de l’extrême droite et la diffusion des thèses racistes et xénophobes.

Or, la droite extrême n’a pas besoin de ce coup de pouce. Elle maitrise déjà largement les réseaux sociaux, et plusieurs médias sont plus ou moins à ses ordres, à commencer par les médias de la galaxie Bolloré, tels CNews, Europe1, ou Le Journal du Dimanche. On peut y ajouter Sud-Radio ou France-Soir, ce grand journal devenu « un torchon », ne ratant pas une occasion de propager les pires rumeurs conspirationnistes. Également, et dans une moindre mesure, des magazines comme le Point, pourtant sérieux il y a encore une quinzaine d’années, n’hésitent plus à diffuser des articles qui reprennent des thèses Qanon dégradantes.

Le résultat des courses est la situation que nous connaissons ce soir. Elle est tout d’abord attristante parce que seuls ceux qui ne savent pas ce qu’est l’extrême-droite peuvent croire les bobards qu’elle nous sert. Derrière les vidéos de petits chats de Mme Marine Le Pen, on trouve, hier comme aujourd’hui, un parti qui n’a jamais été en faveur du progrès social, bien au contraire (voir par exemple : 6,7). Il suffit de regarder les discours de ses représentants les plus emblématiques, Ms. Donald Trump, Viktor Orban, voire M. Vladimir Putin, ou Mme Giorgia Meloni, Margaret Thatcher, Sarah Palin, pour voir où sont relégués dans leur discours les inégalités, les droits sociaux, ceux des femmes, ceux des minorités quelles qu’elles soient, pour s’en convaincre. Comme le disait un militant d’Ordre Nouveau, fréquent pourvoyeur de membres du service d’ordre du RN, « on ne discute pas avec le peuple, on l’écrase » … Les malheureux qui ont voté pour la liste de M. Jordan Bardella s’en mordront les doigts, assez rapidement à mon sens.

La situation de ce soir est également très inquiétante en termes de changement global. Ce sujet est hyper prioritaire, et on a vu combien il a été oublié dans la campagne des européennes. Pire, lorsqu’il n’a pas été oublié, c’était pour entendre globalement un discours du type « l’écologie cela suffit ». À moins d’être profondément dans le déni, on est pourtant dans une situation totalement inverse, avec une urgence climatique mais également une urgence en termes de biodiversité, de préservation des ressources, de développement d’une économie de recyclage, etc. Or, ni la droite, ni l’extrême-droite ne considèrent ce sujet comme largement prioritaire...

L’autre inquiétude réside dans le fait que la décision de dissoudre l’Assemblée est une sorte de pari présidentiel, probablement lié, là aussi, à un déni des réalités… Tout se passe comme si M. le Président pensait qu’une majorité de Français n’éliront pas une majorité d’extrême droite à l’Assemblée. Or rien n’est moins sûr. Après 7 ans de gouvernement Macron, les Français ont été laminés par une politique néolibérale, qui se traduit dans leur « quotidien sensible » par la disparition des services publics, particulièrement en zones rurales. De plus, beaucoup des électeurs de gauche disent vouloir oublier « le réflexe républicain ». J’ai expliqué pourquoi plus tôt. Dans le cadre des législatives à venir, le lecteur se rapportera aux projections faites dans ces deux intéressantes références (8,9). On se rappellera aussi que le système électoral français en matière d’élection de députés fait que tout se jouera circonscription par circonscription, dans des oppositions de type triangulaire. Pour éviter un naufrage politique, il faut remplir deux conditions.  La première est que les partis de gauche s’unissent pour présenter un candidat unique ; la seconde est que ce qui reste de la Macronie s’engage à soutenir ces candidats contre le RN, s’ils arrivent devant leur candidat. Or, cela ne s’est pas produit lors des dernières législatives. Reste à évaluer le rôle des Républicains, de plus en plus « ectoplasmiques », mais qui pèsent encore quelques 5 à 7 % des suffrages. Bref, ce soir, rien n’est perdu mais rien n’est sauvé, tant une majorité d’extrême droite à l’Assemblée constituerait un risque majeur pour la stabilité et la prospérité du pays, mais également pour les droits humains, et pour la démocratie au sens large.



Références


1. Bilan de cinq années en Macronie. I. Le droit du travail.
Ce blog. Novembre 2021.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2021/11/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-i-le.html

2. Bilan de cinq années en Macronie. II. Les chômeurs et les retraités.
Ce blog. Novembre 2021.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2021/11/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-ii-les.html

3. Bilan de cinq années en Macronie. III. Les injustices sociales et fiscales.
Ce blog. Décembre 2021.
Consultable en ligne
https://dessaux.blogspot.com/2021/12/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-iii.html

4. Bilan de cinq années en Macronie. IV. Les services publics.
Ce blog. Décembre 2021.
Consultable en ligne
https://dessaux.blogspot.com/2021/12/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-iv-les.html

5. Christian Chavagneux. Emmanuel Macron, président des riches : les experts sont formels !
Alternatives Economiques. Octobre 2023

6. Michel Winock. Histoire de l'extrême droite en France.
Editions Points. Septembre 2015. EAN 9782757855317.

7. Florent Le Du. Un an après son arrivée en masse à l’Assemblée : le RN en actes.
L’Humanité. Juin 2023.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/politique/marine-le-pen/un-an-apres-son-arrivee-en-masse-a-lassemblee-le-rn-en-actes-798905

8. Anonyme. Crise politique en France : quelle nouvelle Assemblée en cas de dissolution ?
Le Grand Continent. Mars 2023.
Consultable en ligne :
https://legrandcontinent.eu/fr/2023/03/26/crise-politique-en-france-quelle-nouvelle-assemblee-en-cas-de-dissolution/

9. Martin Lagrave. En cas de dissolution, le RN pourrait obtenir la majorité à l’Assemblée nationale selon un sondage.
Le Figaro. Mars 2024.
Consultable en ligne :
https://www.lefigaro.fr/politique/en-cas-de-dissolution-le-rn-pourrait-obtenir-la-majorite-a-l-assemblee-nationale-selon-un-sondage-20240315



Crédit illustration :

Capture d’écran LCP/public Senat.
https://lcp.fr/actualites/dissolution-emmanuel-macron-annonce-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale-287650



dimanche 5 mai 2024

PENSER POUR RÉSISTER !



Le conflit entre Israël et le Hamas déborde des frontières du Moyen-Orient, à l’évidence. On voit ces jours-ci s’organiser des manifestations au sein des universités de nombreux pays, États-Unis en tête. Là-bas, ces mouvements sociaux de jeunesse s’inscrivent dans le contexte de l’élection présidentielle à venir. En France, des manifestations concernent d’autres universités et « grandes écoles », dont Sciences Po, dont il est souvent question dans la presse.


Dans ces deux cas français, alors que les blocages sont en fait minimes, nous assistons à un double phénomène : tout d’abord une médiatisation à outrance, et, sans doute liée à ce qui précède, une répression de ces mouvements, parfois violente. Pour comprendre ce qui se joue, parallèlement au conflit moyen oriental, il faut revenir sur la situation des universités et du monde de la recherche en France, pris depuis le milieu des années 2000, dans le tumulte de la vague néolibérale qui balaye le pays. Au travers de ce prisme, la recherche comme l’enseignement universitaire sont vus comme des centres de dépenses, et des dispositifs dont la gestion bénéficiait jusqu’alors d’une certaine forme d’autonomie décisionnelle qu’il convient de « mettre au pas », tout en s’en appropriant une partie du prestige... Je reprends ici de large extraits de la dernière publication du collectif « Rogue » de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) qui aborde ce sujet :

« Dans la tempête qui sévit, l’ascèse du travail savant devient un refuge salvateur, un jardin paradisiaque à partir duquel reprendre prise. Mais est-ce seulement encore possible ? Cela suppose de disposer des moyens matériels, du temps, et d’un écosystème professionnel un tant soit peu propice. Or, plus de quatre universitaires sur cinq avouent désormais souffrir d’un « fort épuisement professionnel ». Voilà dans quels termes se pose désormais le problème : en fait d’Armée des ombres, l’Université se compose de « cramés ». On en sait la raison. À la paupérisation, aux précarisations subjective et matérielle, à la bureaucratisation et son cortège d’absurdité et de foutaise s’ajoutent désormais des attaques quotidiennes contre l’autonomie scientifique et la liberté académique. On s’interroge dans ces conditions sur le choix de M. Macron de réquisitionner la Sorbonne pour y donner un meeting de campagne aux frais du contribuable, en piétinant par ailleurs méthodiquement les valeurs fondatrices de l’Université. À certains égards, ce choix est symbolique du rapport, instrumental et insincère, que les gouvernements entretiennent au savoir depuis au moins vingt ans. L’Université ne leur sied que comme un village Potemkine devant lequel poser de temps à autres pour donner une légitimité à des visées politiciennes étrangères à toute forme d’esprit critique. Redisons-le ici, à l’adresse des uns et des autres : les universités ne sont ni les décors d’opérations de communication, ni des lieux d’intrusion des forces de police ou des politiciens ».

Cette reprise en main se traduit par la mise en place de structures hiérarchiques qui s’affranchissent de la règle de la gestion non pas collective, mais collaborative. On voit ainsi fleurir de nouveaux modèles universitaires où l’université et les instituts de recherches (CEA, CNRS, INRAE, etc.) ne sont plus des partenaires décisionnaires mais des sous-traitants de décideurs extérieurs, souvent du secteur politique local ou régional. Je cite ici les propos du collectif : « la dévitalisation politique et bureaucratique de l’Université n’épargne plus celles et ceux sur qui le bloc réformateur s’est longtemps appuyé. Même certains des « acteurs » et autres « gagnants » de la concentration des moyens sur fond de baisse générale sont peu à peu touchés par le doute, par le burn-out et par la perte de sens. L’exécutif est donc de plus en plus contraint de jeter le masque de la « co-construction » et de faire ouvertement ce qu’il n’imposait jusque-là que derrière des comités théodules. Ainsi, pour accompagner la généralisation du modèle de l’IHU de Marseille dont l’expérimentation par le Pr. Raoult semble donner toute satisfaction à l’exécutif, la communication ministérielle a choisi de désigner directement les nouveaux mandarin-bureaucrates cooptés en haut lieu, en recourant pour ce faire à une sympathique métaphore ferroviaire : l’« élevage de talents » sent trop son maquignon eugéniste et n’est plus de mise ; la rhétorique de l’« excellence » s’est épuisée et ne fait même plus rire les jeunes gens; nous en sommes désormais aux « locomotives de la recherche », manière de dire qu’il ne s’agit plus que d’être sur les rails décidés par la bureaucratie ».

Dans un monde parfait, l’Université, communauté de savoirs et d’acteurs de la recherche, doit être « animée par son mouvement propre de questionnement endogène, qui crée le savoir comme un commun de la connaissance que nul intérêt particulier ou privé ne peut s’approprier. Elle suppose l’interrogation illimitée, qui ne s’arrête devant rien, qui ne se propose a priori aucune fin pratique et monnayable et qui se remet elle-même constamment en cause. Pour cette raison, l’Université a partie liée avec la démocratie ». Or, je crains que cette liberté d’interroger le monde, quel qu’en soit l’angle (biologique, physique, mathématique, social, historique, anthropologique, etc.) soit précisément ce qui cause problème. Nous sommes en effet dans un moment où ne pouvons que constater une dérive autoritaire du pouvoir, que ce soit dans la rue, lors des manifestations de masse contre des pseudos réformes à coloration antisociale, ou même à l’Assemblée Nationale, où le 49-3 semble avoir remplacé toute velléité de débat. C’est à mon sens ce débat dont le pouvoir actuel a peur. Or, c’est pourtant à partir de ce débat, cette « disputatio » en termes de scholastique médiévale, qu’émerge les consensus, scientifique à l’université, et démocratique dans la société, la démocratie étant en effet structurée autour de la gestion des dissensus.

Comment alors résister à ces dérives ? « Devant le spectacle de l’effondrement moral de larges segments de la société, le besoin de se préserver, de se tenir loin du cloaque ambiant, fait de coups de menton, d’abaissement de la pensée critique, de bêtise triomphante, et d’atteintes aux libertés peut se faire impérieux. Face à une pareille décomposition où les signes de fascisation se multiplient, se pose une nouvelle fois la question lancinante des modalités de résistance. La décence commande de prendre soin de soi, de ses proches, se préserver du désespoir, cultiver une raison joyeuse et sensible et se consacrer à l’étude ». Au delà de ce constat, et comme l'écrivait le sociologue et philosophe allemand Max Horkheimer : « Penser est en soi déjà un signe de résistance, un effort de ne plus se laisser abuser. Penser ne s’oppose pas strictement à l’ordre et à l’obéissance, mais la pensée les met en rapport avec la réalisation de la liberté ». Cette citation qui remonte à une des périodes les plus troubles de l’histoire du XXe siècle, conserve aujourd’hui tout son sens. 


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