En plein milieu de l’été, alors que les Français se reposaient du stress lié à la crise sanitaire le décret d’application de la loi d’orientation des mobilités a été publié au journal officiel, bien entendu sans aucune communication gouvernementale sur le sujet. Or ce décret ouvre la possibilité de transférer au privé des sections entières de routes nationales...
On se rappelle qu’en 2005 et 2006, le gouvernement dirigé par le premier ministre de l’époque M. Dominique de Villepin avait concédé à des sociétés privées la plus grande partie du réseau autoroutier français. En avaient bénéficié la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF, concessionnaire également de l’autoroute de Normandie via une filiale), les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR devenue APRR) et les Autoroutes du sud de la France (ASF).
Derrière ces sociétés autoroutières se trouvent de grands groupes financiers (et des personnalités connues) tels qu’Abertis dont un des actionnaires principaux est Caixa Bank, au conseil d’administration duquel se trouve M. Alain Minc, également président de la SANEF. La SAPRR a pour actionnaires principaux Eiffage et Macquarie (société australienne de gestion de fonds). On retrouve à son conseil d’administration des personnalités telles que M. Arnaud Montebourg. Enfin autoroutes du Sud de la France appartient au groupe Vinci qui détient également Cofiroute .
Ce transfert avait fait débat à l’époque, puis nous étions passés à « autre chose ». Néanmoins en 2014, la très libérale autorité de la concurrence avait déjà pointé la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires qui « n'apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées ». La Cour des Comptes revenait sur ce dossier en 2019 et confirmait l’incroyable rentabilité des autoroutes puisque selon ses calculs, les sociétés concessionnaires devraient tirer quelque 15 milliards d’euros de la prolongation de leur concession accordée en 2015. Un bénéfice plus que confortable compte tenu des 3,2 milliards de travaux à réaliser, selon la chaine « public sénat ».
Plusieurs personnalités politiques se sont récemment ré-emparé du dossier pour juger que ce transfert de biens obtenus par des investissements publics à des intérêts privés avaient été « un fiasco » voire « un désastre économique ». Alors, désastre économique sans doute pour l’État qui se privait d’une part importante de ressources financières à un moment où les investissements consentis devenaient particulièrement rentables ; mais pas pour ces grands groupes industriels ni leurs actionnaires. Quelques chiffres pour étayer le propos : globalement la vente des autoroutes a rapporté à l’Etat quelque 15 milliards d’euros, alors que depuis la privatisation et jusqu’en 2019, ce sont environ 27 milliards d’euros que se sont répartis les différents actionnaires... Dans ce contexte, comment expliquer le refus de renationalisation des autoroutes par le Sénat autrement que par des considérations idéologiques ? Même la justification de la ministre Mme. Élisabeth Borne indiquant que l’État n’en n’avait pas les moyens (coût estimé 50 milliards) semble aujourd’hui peu crédible dans un contexte post CoViD et d’emprunts possibles à taux négatifs. Nous sommes donc bien dans ce dossier de la privatisation des autoroutes, comme dans les dossiers de privatisation des aéroports, des ports, ou des entreprises de fourniture d’énergie, y compris des barrages, dans un strict dogmatisme néolibéral.
Dès lors comment s’étonner du décret passé en catimini en août dernier, ouvrant la possibilité de concéder aux sociétés d’autoroutes d’importantes sections des routes nationales ? Le tour de passe-passe est d’ailleurs habile puisque ce décret dit que les zones privatisées, toutes routes nationales pourtant, pourront être « classées dans la catégorie des autoroutes à condition d’être situées dans le prolongement direct d’une voie bénéficiant déjà du statut autoroutier »... Autrement dit, une route nationale, avant ou après une actuelle section d’autoroute, ou possédant un accès ou une sortie (ce qui est le cas de nombre de nationales) peut désormais être privatisée, et ce sur une longueur encore non définie, ce qui signifie qu'elles pourront être rendues payantes. En lien, un récent rapport d’experts financiers estime que d’ici à 2036, date théorique de la fin des concessions, les dividendes versés par les sociétés d'autoroute se monteront à 40 milliards d’euros, dont 36 milliards pour les seuls groupes Vinci et Eiffage. Elle n’est pas trop belle, la vie des actionnaires de ces sociétés ?
Crédit photo : wiki commons. La RN10 à Montboissier.
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