Les personnes qui me connaissent savent que je ne rentre pas a priori dans la case des machos. J’ai beaucoup travaillé avec des collègues féminines, certaines ont été mes chefs directs, d’autres des subordonnées, et dans aucun de ces cas, n’ai-je fait de différences dans ma façon d’interagir avec ces personnes ou avec des collègues masculins. Je trouve insupportable les violences de toutes natures, que celles-ci soient faites aux femmes comme aux hommes, particulièrement dans le cadre familial. Je ne nie pas non plus la persistance d’inégalités flagrantes, même si des progrès très sensibles ont été accomplis lors des 20 dernières années. Je pose ceci en préliminaire car le reste de mon propos ne s’inscrira pas dans l’air du temps et risque d’être mal interprété.
Je lis depuis la fin du confinement, ou j’entends souvent à la radio que lors de ce confinement, la société n’a tenu que « grâce aux femmes ». Ces propos sont souvent généralisés à partir du constat que les métiers et actions liés au soin au sens large (je traduis ici le mot « care », directement issu de concepts générés dans les milieux féministes anglo-saxons (1)) sont majoritairement féminins, cela résonnant avec une nature féminine qui s’exprimerait par ce que l’on pourrait appeler un « sens de la proximité » (2).
Il est vrai que dans les métiers de la santé (hôpitaux, EHPAD) et de l’enseignement élémentaire, les professionnels rencontrés sont majoritairement féminines. On trouve ainsi 78% de femmes dans la fonction publique hospitalière à comparer au ratio de 54% dans la fonction publique d’Etat, au sein de laquelle, le corps des enseignants est féminin à 82%. Certains commentateurs, pour renforcer leurs propos sur le rôle des femmes, ont également ajouté que les personnes aux caisses des supermarchés sont majoritairement féminines, ce qui est vrai puisqu’elles représentent autour de 90% de la population des agents de caisse, oubliant de préciser que cette proportion est de 58% lorsque l’on regarde la totalité des emplois du commerce à vocation alimentaire (3). C’est à partir de ce constat que j’ai poussé la réflexion en m’intéressant cette fois, à tout ce qui permet à un agent de caisse d’assurer son travail, c’est à dire, tout ce qui a fait que les supermarchés ont continué à être approvisionnés pendant la crise sanitaire. Tous les chiffres qui suivent sont facilement vérifiables sur internet.
En amont du point
de vente, on trouve la chaine logistique, celle qui permet l’arrivée des
produits sur le lieu de vente. Dans le transport terrestre, la proportion de
femmes est de 5% dans le transport routier de marchandises et de 19% dans la
logistique terrestre au sens large. En amont de cela, il faut transformer les
produits : on trouve donc le secteur de l’industrie agroalimentaire, qui,
lui aussi, a continué de tourner malgré le confinement. Dans ce secteur, la
proportion de femmes est de 38%. Et en amont encore de l’industrie, le monde
agricole, ou les agricultrices, chefs d’exploitation, représentent 25% des
effectifs. Tout cela pour dire que si nous avons eu affaire à une caissière au
supermarché, nous aurions vu un livreur, un routier, un technicien de laiterie,
et un agriculteur dans la filière amont, qui elle, est très majoritairement
masculine...
Souhaitant pousser
le raisonnement encore plus, loin, je me suis intéressé aux métiers invisibles,
ceux qui font pourtant que notre société a pu continuer de fonctionner. Dans le
secteur de l’approvisionnement électrique, la proportion de femmes est de 20%
environ (chiffres ENEDIS). Dans la production d’eau potable, et dans
l’assainissement, ces ratios peuvent chuter à 5% (cas des égoutiers). Dans le
domaine du maintien de l’ordre, les femmes représentent autour de 30% des
effectifs de police et moins de 20% des effectifs de gendarmerie.
Je pourrais pousser la démonstration pour bien d’autres secteurs. Encore une fois, que je sois clair, il ne s’agit pas pour moi d’opposer hommes et femmes. Le but ici est de montrer que notre société ne tient ni que par des femmes comme le disent certaines féministes radicales, ni que par des hommes comme le pensent quelques "mâles alpha", y compris lors des temps de crise. Elle ne tient que par des personnes occupant des fonctions souvent dévalorisées et mal rémunérées (cela va de pair), et surtout par la cohésion sociale que d’aucuns s’obstinent à mettre à mal systématiquement depuis 20 ans au moins. En ce sens, une vision trop féministe des choses risque en fait d’occulter les vrais problèmes. Ainsi, j’entendais voila peu à la matinale de France-Inter Mme. Najat Vallaud-Belkacem, ex. ministre des droits des femmes, dire, au nom là aussi d’un féminisme revendiqué, que les aides d’Etat post-confinement n’étaient allées dans l’industrie qu’à des industries masculines (elle citait de mémoire l’aéronautique et l’automobile), sous entendu « les emplois féminins n’en n’ont pas bénéficié ». Quelle vision absurde du monde et quelle erreur d'analyse ! La vraie question ici est plutôt pourquoi les emplois de l’aéronautique et de l’automobile (et au delà de l’industrie) sont-ils essentiellement masculins ? Et comment faire non pas pour les féminiser davantage (ce qui à mon sens impliquerait une démarche d’obligation) mais pour rendre ces métiers plus attirants et plus faciles d’accès pour un personnel féminin désireux d’y faire carrière. Au delà de la faiblesse du commentaire de Mme. Najat Vallaud-Belkacem, attention donc à bien cerner les vrais problèmes et à ne pas donner facilement prise à des individus dont la critique du féminisme repose sur des motivations, elles machistes, et des considérations d’un autre âge. C’est en ce sens que j’écrivais en titre que trop de féminisme pourrait tuer le féminisme...
Références :
1. Carol Gilligan . In a different voice: psychological theory and women's development. Harvard University Press, 1982.
2. Anonyme. Le Care : « théorie du soin » contre « théorie du genre ». Antigones, 13 juin 2013. Consultable en ligne : https://lesantigones.fr/le-care-prendre-soin-de-son-environnement-immediat-theorie-du-soin-contre-theorie-du-genre/
3. Amadou Ba. L'avenir du métier de caissière d'hypermarché : les mutations organisationnelles et relationnelles. Management & Avenir 2015/1 (N° 75), pages 147 à 167. Mis en ligne sur Cairn.info le 18/02/2015. https://doi.org/10.3917/mav.075.0147
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