samedi 20 février 2021

RECHERCHE SCIENTIFIQUE. II. LA DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE

 
                             


Dans ce nouveau chapitre, je présente au travers d’un exemple plausible de questionnement scientifique, la façon dont les chercheurs travaillent à la production de résultats. Cette section est plus concrète que la précédente qui détaillait les grands principes sur lesquels s’appuie l’activité de recherche ; elle décrit comment ces principes sont mis en œuvres au laboratoire.


Pour replacer l’article dans son contexte, je rappelle que l’activité de recherche consiste, à pâtir d’une observation, à émettre des hypothèses explicatives testables, qui seront donc ensuite validées ou non par l’expérimentation. Je prends ici l’exemple d’un sol pollué par un produit que l’on appellera A. Des scientifiques ont isolé de ce sol un micro-organisme qui présente la capacité de dégrader le produit A. À partir de cette observation, et afin de développer des procédures de dépollution efficaces, on souhaite étudier la façon dont ce micro-organisme métabolise ce composé. On émet donc, compte tenu des connaissances disponibles en chimie, biologie, biochimie, l’hypothèse la plus simple, relative à la façon dont le produit A est dégradé. Elle propose que le produit A est dégradé par le micro-organisme en produit B, ceci impliquant l’intervention du composé X, naturellement présent chez les micro-organismes, et transformé lors de cette réaction en Y. Cette proposition est résumée par le dessin ci-dessous.
 


Pour tester cette hypothèse, il faut donc vérifier la formation de B lorsque l’on ajoute A à un extrait du micro-organisme (un « broyat » pour simplifier), et montrer que dans le même temps X donne Y. Nous disposons des tests ad hoc pour vérifier que X donne Y, ainsi que pour A donne B. L’expérience consiste alors à ajouter dans un micro-tube à essai une solution dite tampon (qui permet le contrôle entre autre de l’acidité du milieu et assure sa stabilité lors de la réaction attendue), l’extrait du micro-organisme (également stabilisé par la présence du tampon), ainsi que les produits A et X. On mesurera la transformation au cours du temps de X en Y, la formation de B, ainsi que, éventuellement, la disparition de A.

Premier élément de démarche : la nécessité des contrôles (aussi appelés témoins négatifs). Pour lever tout doute sur la réalité des processus, et l’absence de biais, la démarche implique d’effectuer également, notion expérimentale très importante, des expériences dites de contrôle. Ainsi, dans l’exemple présenté, on réalisera trois contrôles constitués du mélange décrit plus haut mais sans l’extrait microbien, ou sans le composé A, ou sans le composé X. Le premier permet de s’assurer que la production des composés B et Y est bien due à l’extrait microbien, les deuxième et troisième que les composés A et X sont bien impliqués dans la réaction, comme postulé. Lors de l’expérimentation, les résultats montrent que sans l’extrait, sans A ou sans X, ni B ni Y n’apparaissent. Ceci est conforme à l’hypothèse proposée.

Deuxième élément de démarche : « toute chose égale par ailleurs ». Dans ce que je décris ci-dessus, on constatera que les témoins négatifs en font varier qu’un seul des paramètres expérimentaux à la fois. Cet élément de démarche est également fondamental. On comprend en effet intuitivement que lorsque plusieurs paramètres varient simultanément, l’analyse de causalité, qui permet de dire quel est l’implication d’un paramètre particulier est soit plus difficile, soit parfois impossible. Dans le cas d’expérimentation de laboratoire, il est donc toujours préférable de ne faire varier lors de chaque contrôle, ou chaque expérience d'ailleurs, qu’un seul des paramètres, les autres paramètres restant inchangés, une approche que l’on résume par expérimenter « toute chose égale par ailleurs ».

Troisième élément de démarche : la répétabilité. Poursuivant dans l’exemple pris, l’expérience dans laquelle l’extrait, A et X sont présents, permet de mettre en évidence la disparition de A et la transformation de X en Y mais ne permet pas de constater la production de B. Le fait que B ne se forme pas pourrait invalider l’hypothèse proposée, mais pour en être sur il faut d'abord répéter l'expérience et s’assurer que le résultat ne provienne pas d’une erreur triviale. Par exemple, l’expérimentateur pourrait avoir oublié d’ajouter A à son essai, ce qui nous replacerait dans le cas du témoin négatif présenté ci-dessus. Dans notre exemple, l'expérimentateur recommence donc l'expérience et elle ou il observe que les résultats de ce second essai sont identiques à ceux du premier.

Quatrième élément de démarche : l’approche essai-erreur. Le dernier résultat obtenu ne permet donc pas de valider l’hypothèse proposée, même si les témoins négatifs sont bien négatifs, et que la production de Y ait été montrée lors de l’expérience. Il est donc nécessaire de considérer que l’hypothèse première est fausse. La démarche consiste à en proposer une seconde, qui tient non seulement compte des données de chimie, biologie, biochimie, connus, comme précédemment, mais également du fait que l’expérimentateur a trouvé, quand bien même l’hypothèse première n’a pas été validée, que le métabolisme de A doit impliquer le composé X. Dans notre exemple, supposons qu’on ne puisse, compte tenu des connaissances disponibles, postuler une dégradation en une étape. Il devient nécessaire de complexifier l’hypothèse et proposer une dégradation en deux étapes. Cette seconde hypothèse présentée ci-dessous propose que A serait transformé en C et C en D, la transformation de X en Y se faisant soit à la première étape soit à la seconde (soit au cours des deux, non figuré). L'expérimentation, conduite selon les mêmes principes que ceux indiqués ci-dessus permettra de trancher parmi ces hypothèses.


Ce processus itératif où une hypothèse est testée, puis une autre si la première n’est pas valide, puis éventuellement une troisième, etc., est appelé essai-erreur. Il est consubstantiel à la démarche scientifique, et de façon plus générale, aux processus d'apprentissage. Il me faisait dire à mes étudiants que nous étions les seules personnes au monde payées pour se tromper, avec une petite contrepartie : celle, sinon de savoir pourquoi nous nous étions trompés, de proposer une explication plausible ! 

Le second élément décrit plus haut, à savoir la répétabilité, s’applique également - et tout autant - lorsque l’expérimentation a validé l’hypothèse proposée (ou tout au moins ne l'a pas infirmée). Même dans ce cas, et même si on en plaisante au laboratoire en disant « ne jamais répéter une expérience qui a fonctionné », c’est bien entendu la proposition de vérification qu’il faut retenir. Cette notion de répétabilité est très importante et elle conditionne d’ailleurs la façon dont seront diffusés les résultats obtenus auprès de la communauté scientifique, par le biais de publication dans des journaux. Un résultat de recherche n’est jamais vraiment définitif et pour être accepté comme tel (pour autant que quoi que ce soit soit définitif en science) et  représentatif d'une « vérité », il doit avoir été validé par d’autres. La « vérité scientifique » est donc une construction contradictoire. C’est pour cette raison que le débat scientifique existe, et qu’il peut être parfois houleux, comme en atteste le cas récent des traitements de la COViD-19 par un antipaludique largement prescrit.

Le prochain article au sujet de l’activité scientifique traitera en grande partie des statistiques, plus particulièrement en biologie. 



Crédit dessin :

Jacques Rouxel (avec Jean-Paul Couturier). Les shadocks.




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