vendredi 24 septembre 2021

LES AYATOLLAHS DES RÉSEAUX SOCIAUX.
I. MARSEILLE.



Les lecteurs connaissent bien mon aversion des réseaux dits sociaux, que je considère comme les amplificateurs des travers de mes concitoyens, au premier chef desquels la tendance à propager rumeurs et fausses nouvelles. On l’a d’ailleurs vu dans notre commune et j’y reviendrai. J’aborde ici un nouvel article qui explique en quoi je me trouve conforté dans mon opinion relative à la dangerosité de ces réseaux, non seulement en raison de leur capacité à diffuser des mensonges, mais également, et plus gravement, des risques qu’ils font courir pour la sécurité des personnes...

Pour expliciter mon propos, je voulais mentionner le cas d’un de mes anciens collègues. Je ne garde que son prénom, Samuel. « Sam » , puisque c’est son surnom, a été doctorant dans le regroupement d’équipes de recherche que j’animais au CNRS. Il a effectué un premier séjour post doctoral dans notre équipe, avant de partir travailler au CEA de Cadarache, puis sur la mission Tara Océan, avant de revenir dans notre équipe comme ingénieur de recherches. Tout cela pour dire que je le connais plutôt bien et connais son parcours, ses compétences, son caractère. Sam est à la base un biologiste moléculaire qui a évolué vers la bio-statistique, la bio-informatique, et les analyses de séquences génomiques et meta-génomiques (entre autres) à haut débit. C’est un excellent scientifique, hyper compétent, honnête et rigoureux, et au plan personnel, c’est un formidable collègue, amical, soucieux de l’intérêt collectif, et toujours prêt à aider les nouveaux arrivants, ou ses collègues plus anciens sur les questions qu’il maitrise. Il m’avait d’ailleurs beaucoup aidé dans l’analyse des travaux de M. le Pr. Gilles-Eric Séralini sur le soi-disant risque de cancer accru chez le rat, associé à une nourriture OGM. Avec et comme d’autres collègues (1, 2), nous avions pu rapidement démontrer que l’analyse faite par ce chercheur l’avait conduit à des conclusions erronées, principalement en raison d’un mauvais choix de matériel biologique, et également en raison d’un mauvais choix des tests statistiques... Le coup médiatique avait été bien monté, et très peu de journaux étaient revenus sur les conclusions de ce chercheur, là aussi largement propagées sur les réseaux sociaux. Une véritable instrumentalisation de la science, avais-je écrit alors (3).

Plus récemment, Samuel s’est intéressé par curiosité aux travaux d’une équipe marseillaise de renom, portant sur l’usage de l’hydroxychloroquine associée à un antibiotique pour traiter la COViD-19. Comme Sam est fin connaisseur en matière statistique, il a rapidement repéré des incohérences dans les travaux de l’équipe, pour ne pas dire plus. En quelques mots, il s’est aperçu que dans la publication princeps, des patients de la cohorte « patients traités », décédés malgré le traitement, avaient « disparu » de l’analyse statistique sans raison valable. Sam dispose d’un compte Twitter sur lequel il discute de ces résultats avec d’autres intervenants qui partagent ses doutes. Par le jeu des renvois de messages, ceux-ci arriveront vers les comptes de membres de l’équipe marseillaise et de certains de leurs soutiens. C’est alors l’escalade. Samuel se fait incendier, traiter de tous les noms. Son statut d’ingénieur est rapidement mis en avant comme « ne faisant pas le poids » devant des mandarins de renom. Un des scientifiques marseillais, M. le Pr. Eric Chabrière, relaye ces messages de dénigrement vers ses 13 000 abonnés. Samuel, qui publie sous son vrai nom, est menacé de représailles physiques sur les réseaux sociaux. Sa boite mail professionnelle est visée et son adresse personnelle connue de certains de ses détracteurs. Noyé sous des tombereaux d’injures et d’insultes, Sam ferme à plusieurs reprises son compte Twitter, qu’il finit par désactiver.

Ce cas n’est pas un cas isolé. D’autres scientifiques, produisant de la vulgarisation en ligne ou sur les réseaux sociaux ont aussi fait l’objet aussi l’objet d’attaques, de menaces de violence physiques, y compris de menaces de mort. C’est le cas de Ms. Thibaut Fioley, de l’Université Paris-Saclay et Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l'hôpital Bichat. Tous deux ont produit en août 2020 une méta-analyse portant sur l'hydroxychloroquine, montrant que, globalement, le traitement à l’hydroxychloroquine n’a pas d’effet statistiquement démontrable sur la CoViD-19 (4). Tous deux deviennent rapidement l’objet d’une campagne sur les réseaux sociaux, les accusant de faux conflits d’intérêt, ou d’avoir truqué leur méta-analyse, campagne pour une part relayée par Ms. les Pr. Christian Peronne et Eric Chabrière. Tous deux reçoivent selon leurs dires : « des centaines d'insultes, de messages xénophobes, d'appels téléphoniques anonymes et d'intimidation, y compris des menaces de mort ». Là aussi, certains des enragés du web retrouvent l’adresse personnelle de M. Peiffer-Smadja et celle-ci est alors diffusé (5). Ce dernier déposera finalement plainte contre M. Christian Peronne, ancien chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches, un des animateurs de la cabale. Rappelons que M. Christian Peronne a été démis de ses fonctions au sein de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, le 17 décembre (6) et qu’il fait l’objet, avec Ms. les Pr. Didier Raoult et Henri Joyeux, d’un dépôt de plainte du conseil national de l'ordre des médecins (7).

Il est plus que temps que le fonctionnement des réseaux sociaux fasse l’objet d’une remise en cause fondamentale. Il ne faudra probablement pas compter sur les GAFA pour cela. Pourquoi tueraient-ils la poule aux oeufs d’or ? Certes, il s’agit d’une tache immense, équivalente au nettoyage des écuries d’Augias, mais c’est une tache indispensable si l’on veut que la parole ne soit pas monopolisée par des ayatollahs de tous bords, ou des zélateurs des pouvoirs en place, que ceux-ci soient internationaux, nationaux, ou locaux, voire communaux...


Références :

1. Marc Lavielle. Quelques commentaires d’ordre statistique sur l’article de Seralini et al., Food and Chemical Toxicology, Septembre 2012.
Consultable en ligne :
http://fcorpet.free.fr/Denis/W/Lavielle-stats-Seralini-FdChemTox12.pdf

2. Marc Lavielle. Interdire les OGM relève de la politique. Le Monde.fr. Novembre 2012
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/11/02/interdire-les-ogm-releve-de-la-politique_1784877_3232.html

3. Yves Dessaux. Une instrumentalisation de la science. Le Monde.fr. Septembre 2012.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/28/une-instrumentalisation-de-la-science_1767206_3232.html

4. Thibault Fiolet et al. Effect of hydroxychloroquine with or without azithromycin on the mortality of coronavirus disease 2019 (COVID-19) patients: a systematic review and meta-analysis. Effect of hydroxychloroquine with or without azithromycin on the mortality of coronavirus disease 2019 (COVID-19) patients: a systematic review and meta-analysis. Clinical Microbiology and Infection 27. Août 2020.

On lira une vulgarisation des résultats dans la référence suivante:

Benoît Zagdoun. Que vaut la nouvelle méta-analyse sur l'inefficacité de l'hydroxychloroquine contre le coronavirus ? France Info. Août 2020
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/chloroquine/que-vaut-la-nouvelle-meta-analyse-sur-l-inefficacite-de-l-hydroxychloroquine-contre-le-coronavirus_4086719.html

5. Guillemette Jeannot. CoViD-19 : pour avoir défendu la vaccination, ces médecins et chercheurs ont reçu insultes et menaces de mort sur les réseaux sociaux. France Info. Janvier 2021.

6. Stéphane Long. Le Pr Perronne démis de ses fonctions pour ses propos jugés « indignes ». Le Quotidien du Médecin. Décembre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/exercice/le-pr-perronne-demis-de-ses-fonctions-pour-ses-propos-juges-indignes

7. Anonyme. Raoult et Perronne mis en cause : 5 minutes pour comprendre la plainte de l’Ordre des médecins. Le Parisien. Décembre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.leparisien.fr/societe/raoult-et-perronne-dans-le-viseur-5-minutes-pour-comprendre-la-plainte-de-l-ordre-des-medecins-22-12-2020-8415624.php


Crédit illustration :

Dessin de Plantu pour Télérama
Les insultes sur les réseaux sociaux, un vrai problème. 

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