Vendredi dernier, s’est tenue une réunion d’information sur l’installation de caméras de sécurité dans la commune. Comme l’indique le titre de l’article, cette réunion fut très décevante, à la fois en termes d’argumentaire et de démocratie.
Un peu de terminologie pour commencer : le mot vidéosurveillance, probablement trop connoté, est maintenant remplacé, quand l’installation des caméras concerne l’espace public, par vidéoprotection, beaucoup plus rassurant. Comme je le fais dans ce blog avec le terme « réforme », je vais néanmoins continuer à utiliser vidéosurveillance en ce qui concerne notre commune, et je m’en explique. Le terme de vidéoprotection suggère, par définition, que l’installation des systèmes de caméras et traitements des images soit en mesure de générer une protection. Tel n’est pas le cas dans le cadre municipal. En effet, si la surveillance vidéo était interprétée en temps réel par des personnels des forces de l’ordre ou de sécurité, à même de déclencher une action rapide et de prévention, on pourrait possiblement parler de vidéoprotection, comme, par exemple, dans des installations industrielles sensibles où des personnels surveilleraient des intrusions ou un début d’incendie. Tel ne sera pas le cas à Forges. Les images seront enregistrées et serviront - très éventuellement on le verra - à aider la résolution des enquêtes des forces de l’ordre, postérieurement à la commission des faits délictueux. On n’est donc pas dans de la protection, mais dans de la surveillance.
On pourrait objecter à ce que j’écris ci-dessus que l’installation de ces caméras pourrait avoir un effet dissuasif et donc conduire à une réduction de la délinquance. Les faits locaux et les études menées sur différents sites infirment cependant cette opinion. Localement, la municipalité précédente avait positionné des panneaux mentionnant la présence de caméras de sécurité dans les bois pour éviter les dépôts sauvages avec malheureusement une efficacité limitée. De même, à la suggestion à l’époque de la gendarmerie de Limours, nous avions positionné quelques caméras de surveillance aux services techniques. Celles-ci n’ont pas pu empêcher les vols de matériel et n’ont pas aidé, non plus, à la résolution du délit. J’ai regardé par ailleurs les travaux de recherche relatifs à la vidéosurveillance, réalisés en différents lieux. Dans le travail de compilation réalisé par M. Tanguy Le Goff (1), 44 études présentant des caractéristiques scientifiques recevables, ont été analysées. En termes de prévention, l’efficacité des caméras est jugée « mitigée » et elle varie fortement selon les délits considérés. Les éléments importants sont les suivants, je cite : « La vidéosurveillance n’a qu’un faible impact dans les espaces étendus et complexes, comme les rues. Les caméras ne dissuadent pas les délinquants de passer à l’acte dans la mesure où le risque de se faire identifier et, a fortiori, de se faire interpeller, est jugé faible. [...] En revanche, toutes les études convergent pour reconnaître que la vidéosurveillance a une réelle efficacité dissuasive dans des espaces fermés comme les parkings ». De plus, si l’on étudie en termes de type de délits, cette méta-étude indique que « L’efficacité dissuasive de la vidéosurveillance est très variable selon le type de délits. On constate, dans certaines études de cas, une baisse souvent peu significative des atteintes aux biens (vols à l’étalage, cambriolages, vols à la roulotte). Par contre, il n’y a aucun impact sur les délits impulsifs (agressions sexuelles, bagarres, rixes, coups et blessures) qui sont mieux identifiés, parce que plus visibles… mais pas davantage dissuadés ». C'est dit !
L’argument relatif à l’aide à la résolution des enquêtes est également discutable. Ainsi, partant du constat que seuls 3 % des vols dans les rues de Londres ont été résolus grâce à la vidéosurveillance, le responsable en charge du bureau des images, identifications et détections visuelles de la Police de Londres déclarait dans une conférence internationale : « C’est un véritable fiasco. Cela ne signifie pas que l’outil soit inefficace, mais en l’état actuel de son mode d’exploitation, le bilan est dérisoire en matière judiciaire » (1). En France, en 2008, les forces de Gendarmerie estimaient que « chaque système de vidéosurveillance permettrait donc, en moyenne, d’élucider 12 faits par an, soit un par mois ». On est donc bien loin de l’efficacité évoquée lors de la réunion publique. Cet avis est partagé par M. Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS, spécialiste de ces questions, qui indique « qu’enregistrer des images utilisables ensuite par les policiers ou les gendarmes dans leurs enquêtes a une efficacité réelle mais très limitée. La présence d’images utiles n’est avérée que dans 1 à 3% du total des enquêtes réalisées dans l’année » (2). Une conclusion similaire a été obtenue dans des études menées par des chercheurs britanniques. Je traduis ici leurs conclusions : « sur les 13 systèmes [de vidéosurveillance] analysés, six ont montré une réduction relativement importante des crimes [et délits] dans la zone protégée, en comparaison avec la zone « contrôle » [c’est à dire non vidéosurveillée], mais seulement deux [de ces réductions] étaient statistiquement significatives, et pour l’une des deux, cette significativité pourrait être liée à l’existence de co-variables explicatives autres » (3). Bref, dans un cas sur 13, une réduction significative réelle liée à la présence de caméra est observée...
On peut toujours arguer que les chiffres présentés dans les études scientifiques sont biaisés, les chercheurs étant pour certains de dangereux gauchistes inconscients des problèmes du monde réel ! Je me suis donc intéressé à d’autres documents traitant de l’efficacité de la vidéosurveillance et en particulier à un rapport de la Cour des Comptes de 2020 (4). Celui-ci est extrêmement critique sur l’efficacité de la vidéosurveillance. En s’appuyant sur les statistiques de la délinquance, le rapport réaffirme le fait « qu’au vu des constats locaux résultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Bref, cela ne sert à rien ou presque. On ne saurait être plus clair.
Rien de concret dans les études et rapports ne justifie donc l’installation de ces caméras. Je regrette aussi de dire que les arguments présentés lors de la réunion n’ont pas été plus convaincants. Un nombre de 100 crimes et délits commis en 2020 à Forges a été annoncé, mais les forces de l’ordre n’ont pas voulu - ou pas pu - détailler cette statistique. La perception est pourtant différente selon que l’on observe 60 crimes et 40 délits, ou 99 délits et 1 crime... De même, certains crimes ou délits auraient augmenté de 100 % en un an. Mais quels sont les chiffres ? Car si on passe de 1 à 2, la significativité de cette augmentation est nulle ! Et d’ailleurs, de quels crimes parle-t-on ? Mystère ! Tout au plus sait-on que les délits routiers sont exclus de ces chiffres. Ceci dit, si ces crimes et délits portent sur des violences dans le cercle familial, ou des violences dans les écoles, ce n’est pas - à l’évidence - l’installation des caméras qui va régler le problème ! Idem pour les dispositifs de cultures de chanvre installées chez des particuliers. Quant aux cambriolages, on nous a vendu le fait que cela permettra de repérer les véhicules impliqués. Les voitures peut être, les personnes, j’en doute fort ! Les délinquants utilisent en effet souvent des véhicules volés, ou des véhicules faussement plaqués sur le principe de la doublette. La fausse plaque est celle d’un véhicule de même marque, même modèle et même couleur mais circulant à l’autre bout de la France, le tout accompagné de faux papiers, ce qui permet d’échapper aux contrôles... La caméra, là aussi, ne servira à rien !
Quelle peut donc être la justification de l’installation de ces cameras. La réponse toute trouvée est l’in-sé-cu-ri-té. ! Cependant, comme je l’expliquais plus tôt l’insécurité n’est pas un fait, une réalité, mais un sentiment, une perception (5). Or, les quelques personnes que j’ai interrogées autour de moi, comme celles qui sont intervenues en réunion ont indiqué ne pas se sentir en insécurité à Forges, même si elles ont connu des cambriolages ou des vols de voiture ou d’accessoires automobiles. Mais qu’importe ce qui précède, les élus majoritaires, dans leurs fantasmes et idéologie, l’ont décidé : il y a aura des caméras de sécurité à Forges, et pas qu’un peu. On en ignorait le nombre ; on le connait maintenant puisqu’il avoisine une petite quarantaine. Le montant des dépenses est de l’ordre de grandeur annoncé, environ 155 000 euros, sur 3 ans, hors entretien des batteries. Cette somme est tout bonnement faramineuse en regard de l’inutilité de ces équipements, comme je pense l’avoir démontré. Dans le même temps, les subventions aux associations - y compris les plus utiles socialement - se sont réduites comme peau de chagrin... Idéologie disais-je. Ceci dit, dans tout cela, le plus lamentable a été l’absence de débat contradictoire. Or comme l’écrit M. Laurent Murchelli, précédemment cité, « dès qu’il n’y a plus vraiment de débat contradictoire, il n’est plus non plus besoin d’enquêter en profondeur pour bâtir analyse, explication et propositions. [...] Ce que résume la formule de Nicolas Sarkozy après 2002 : « à force de vouloir expliquer l’inexplicable, on finit par justifier l’injustifiable ». Le débat public ne s’en est toujours pas remis ». La démocratie, et la démocratie locale - pour autant qu’elle existe vraiment à Forges - non plus !
Références :
1. Tanguy Le Goff. Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance. Après-Demain. Avril 2010.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-4-page-28.htm
Citant :
Tanguy Le Goff, Vidéosurveillance et espaces publics - Etat des lieux des évaluations conduites en France et à l’étranger, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) d’Ile-de-France, Paris, octobre 2008.
2. Hervé Jouanneau. La vidéosurveillance est un gaspillage de l’argent public. La gazette des communes. Mars 2018.
3. Martin Gill, Angela Spriggs. Study 292 Assessing the impact of CCTV. Home Office Research. Development and Statistics Directorate. Fevrier 2005.
Consultable en ligne :
https://techfak.uni-bielefeld.de/~iluetkeb/2006/surveillance/paper/social_effect/CCTV_report.pdf
4. Les polices municipales. Cour des comptes. Rapport public thématique. Octobre 2020.
Consultable en ligne :*
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/276784.pdf
5. Ante Electionibus. II. L’insécurité explose.
Consultable en ligne :*
https://dessaux.blogspot.com/2021/08/ante-electionibus-ii-linsecurite-explose.html
Crédit illustration :
http://ldh14.lxpa.free.fr/pdf/humour%20videosurveillance.pdf
L’argument relatif à l’aide à la résolution des enquêtes est également discutable. Ainsi, partant du constat que seuls 3 % des vols dans les rues de Londres ont été résolus grâce à la vidéosurveillance, le responsable en charge du bureau des images, identifications et détections visuelles de la Police de Londres déclarait dans une conférence internationale : « C’est un véritable fiasco. Cela ne signifie pas que l’outil soit inefficace, mais en l’état actuel de son mode d’exploitation, le bilan est dérisoire en matière judiciaire » (1). En France, en 2008, les forces de Gendarmerie estimaient que « chaque système de vidéosurveillance permettrait donc, en moyenne, d’élucider 12 faits par an, soit un par mois ». On est donc bien loin de l’efficacité évoquée lors de la réunion publique. Cet avis est partagé par M. Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS, spécialiste de ces questions, qui indique « qu’enregistrer des images utilisables ensuite par les policiers ou les gendarmes dans leurs enquêtes a une efficacité réelle mais très limitée. La présence d’images utiles n’est avérée que dans 1 à 3% du total des enquêtes réalisées dans l’année » (2). Une conclusion similaire a été obtenue dans des études menées par des chercheurs britanniques. Je traduis ici leurs conclusions : « sur les 13 systèmes [de vidéosurveillance] analysés, six ont montré une réduction relativement importante des crimes [et délits] dans la zone protégée, en comparaison avec la zone « contrôle » [c’est à dire non vidéosurveillée], mais seulement deux [de ces réductions] étaient statistiquement significatives, et pour l’une des deux, cette significativité pourrait être liée à l’existence de co-variables explicatives autres » (3). Bref, dans un cas sur 13, une réduction significative réelle liée à la présence de caméra est observée...
On peut toujours arguer que les chiffres présentés dans les études scientifiques sont biaisés, les chercheurs étant pour certains de dangereux gauchistes inconscients des problèmes du monde réel ! Je me suis donc intéressé à d’autres documents traitant de l’efficacité de la vidéosurveillance et en particulier à un rapport de la Cour des Comptes de 2020 (4). Celui-ci est extrêmement critique sur l’efficacité de la vidéosurveillance. En s’appuyant sur les statistiques de la délinquance, le rapport réaffirme le fait « qu’au vu des constats locaux résultant de l’analyse de l’échantillon de la présente enquête, aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Bref, cela ne sert à rien ou presque. On ne saurait être plus clair.
Rien de concret dans les études et rapports ne justifie donc l’installation de ces caméras. Je regrette aussi de dire que les arguments présentés lors de la réunion n’ont pas été plus convaincants. Un nombre de 100 crimes et délits commis en 2020 à Forges a été annoncé, mais les forces de l’ordre n’ont pas voulu - ou pas pu - détailler cette statistique. La perception est pourtant différente selon que l’on observe 60 crimes et 40 délits, ou 99 délits et 1 crime... De même, certains crimes ou délits auraient augmenté de 100 % en un an. Mais quels sont les chiffres ? Car si on passe de 1 à 2, la significativité de cette augmentation est nulle ! Et d’ailleurs, de quels crimes parle-t-on ? Mystère ! Tout au plus sait-on que les délits routiers sont exclus de ces chiffres. Ceci dit, si ces crimes et délits portent sur des violences dans le cercle familial, ou des violences dans les écoles, ce n’est pas - à l’évidence - l’installation des caméras qui va régler le problème ! Idem pour les dispositifs de cultures de chanvre installées chez des particuliers. Quant aux cambriolages, on nous a vendu le fait que cela permettra de repérer les véhicules impliqués. Les voitures peut être, les personnes, j’en doute fort ! Les délinquants utilisent en effet souvent des véhicules volés, ou des véhicules faussement plaqués sur le principe de la doublette. La fausse plaque est celle d’un véhicule de même marque, même modèle et même couleur mais circulant à l’autre bout de la France, le tout accompagné de faux papiers, ce qui permet d’échapper aux contrôles... La caméra, là aussi, ne servira à rien !
Quelle peut donc être la justification de l’installation de ces cameras. La réponse toute trouvée est l’in-sé-cu-ri-té. ! Cependant, comme je l’expliquais plus tôt l’insécurité n’est pas un fait, une réalité, mais un sentiment, une perception (5). Or, les quelques personnes que j’ai interrogées autour de moi, comme celles qui sont intervenues en réunion ont indiqué ne pas se sentir en insécurité à Forges, même si elles ont connu des cambriolages ou des vols de voiture ou d’accessoires automobiles. Mais qu’importe ce qui précède, les élus majoritaires, dans leurs fantasmes et idéologie, l’ont décidé : il y a aura des caméras de sécurité à Forges, et pas qu’un peu. On en ignorait le nombre ; on le connait maintenant puisqu’il avoisine une petite quarantaine. Le montant des dépenses est de l’ordre de grandeur annoncé, environ 155 000 euros, sur 3 ans, hors entretien des batteries. Cette somme est tout bonnement faramineuse en regard de l’inutilité de ces équipements, comme je pense l’avoir démontré. Dans le même temps, les subventions aux associations - y compris les plus utiles socialement - se sont réduites comme peau de chagrin... Idéologie disais-je. Ceci dit, dans tout cela, le plus lamentable a été l’absence de débat contradictoire. Or comme l’écrit M. Laurent Murchelli, précédemment cité, « dès qu’il n’y a plus vraiment de débat contradictoire, il n’est plus non plus besoin d’enquêter en profondeur pour bâtir analyse, explication et propositions. [...] Ce que résume la formule de Nicolas Sarkozy après 2002 : « à force de vouloir expliquer l’inexplicable, on finit par justifier l’injustifiable ». Le débat public ne s’en est toujours pas remis ». La démocratie, et la démocratie locale - pour autant qu’elle existe vraiment à Forges - non plus !
Références :
1. Tanguy Le Goff. Le faux et coûteux miracle de la vidéosurveillance. Après-Demain. Avril 2010.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-4-page-28.htm
Citant :
Tanguy Le Goff, Vidéosurveillance et espaces publics - Etat des lieux des évaluations conduites en France et à l’étranger, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) d’Ile-de-France, Paris, octobre 2008.
2. Hervé Jouanneau. La vidéosurveillance est un gaspillage de l’argent public. La gazette des communes. Mars 2018.
3. Martin Gill, Angela Spriggs. Study 292 Assessing the impact of CCTV. Home Office Research. Development and Statistics Directorate. Fevrier 2005.
Consultable en ligne :
https://techfak.uni-bielefeld.de/~iluetkeb/2006/surveillance/paper/social_effect/CCTV_report.pdf
4. Les polices municipales. Cour des comptes. Rapport public thématique. Octobre 2020.
Consultable en ligne :*
https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/276784.pdf
5. Ante Electionibus. II. L’insécurité explose.
Consultable en ligne :*
https://dessaux.blogspot.com/2021/08/ante-electionibus-ii-linsecurite-explose.html
Crédit illustration :
http://ldh14.lxpa.free.fr/pdf/humour%20videosurveillance.pdf
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