samedi 26 février 2022

VERS LA FIN PROGRAMMÉE
DE L’HÔPITAL PUBLIC ?




Difficile, compte tenu du contexte international, de continuer à regarder ce qui se passe chez nous, alors qu’une guerre aussi absurde que les précédentes se déroule en Europe, à un peu plus de 3 heures d’avion de Paris. Justement, cependant, il ne faudrait pas que les journalistes qui regardent les événements se déroulant en Ukraine occultent ce qui se passe en France dans le cadre de la curieuse non-campagne électorale en cours.

Cet article souhaite donc reporter nos regards, au moins un instant, sur la situation de l’hôpital en France, et particulièrement sur celle de l’hôpital public. Il n’est pas nécessaire de revenir sur le constat : l’hôpital est malade. Il est malade, en grande partie, des suites d’une gestion purement comptable et administrative qui oublie, comme dans nombre de secteurs des services publics, les missions premières de l’hôpital. 

Dans un article précédent (1), je signalais dans quelle mesure le quinquennat en cours avait apporté sa contribution à l’œuvre de déstructuration de l’hôpital. Un milliard et demi d’économie dès 2018 (2), des fermetures de services à tour de bras, avec une cure d’austérité se poursuivant jusqu’en 2020 (3). Devant la crise sanitaire causée par la CoViD-19, le gouvernement s’est empressé de communiquer sur des hausses de moyens, qui se sont révélées, comme souvent, des trompe-l’œil (4) obligeant certains hôpitaux à lancer des appels à dons auprès de particuliers et mécènes (5). Le Ségur de la santé n’a quasi rien changé : si des hausses de salaire ont été consenties, celles- ci ont été accordées contre encore plus de « flexibilité ». De plus, et remarquablement, la logique comptable de tarification à l’activité favorisant une logique de rentabilité aux dépens d’une logique de qualité de soin n’a pas été remise en cause (6). Le dernier quinquennat a ainsi vu la fermeture de 17 000 lits d’hôpital (7), dont une bonne partie fermée pour cause de manque de personnel, tout cela contre l’avis du Conseil Économique et Social appelant à un moratoire sur ces suppressions de lits. Comment, dès lors, être étonné de constater que l’utilisation des lits, et en particulier des lits des services d’urgence, est devenue la variable d’ajustement pilotant toute la politique sanitaire anti-coronovirale du gouvernement ?

Il est malheureusement possible que la situation se dégrade encore davantage. Ainsi, dans une tribune récente parue dans « Le Monde », des très proches de l’actuel pouvoir, Messieurs Antoine Brézin, Gérard Vincent et Guy Collet (ces deux derniers étant d’anciens directeurs d’hôpital) ont lancé un nouveau « ballon d'essai ». Ils suggèrent que l’on pourrait « sauver » l’hôpital via trois mesures-phares (8). Il s’agirait de confier aux régions la tutelle et la régulation du système de santé, de changer le statut des hôpitaux publics en les transformant en fondations, et progressivement d'inclure dans ce système de santé nouveau les hôpitaux et cliniques privées, ces derniers devenant ainsi éligibles aux subventions. Pas besoin d'être un grand expert économique pour considérer que confier aux régions le système de santé est synonyme d’inégalité d’accès aux soins de nos concitoyens. Il y aura sans aucun doute des disparités entre régions riches et régions plus pauvres, régions fortement peuplées et régions peu denses... C’est aussi, en creux, signer l’abandon par l’Etat d’une autre de ses responsabilités et de ses missions, distillant une fois de plus le message des « Chicago Boys » convoyé par M. Ronald Reagan : « l'Etat n'est pas la solution ». Enfin, c’est surtout adhérer, là aussi encore un fois et de façon plus marquée, à une vision néolibérale du monde. Ce funeste projet, s’il arrivait à maturité, implique en effet que l’on privatiserait de facto l’hôpital public, car les fondations sont des structures de droit privé qui sont susceptibles de transfert ou de rachat... On autoriserait en même temps - pour reprendre des éléments de langage actuels - les cliniques privées à bénéficier plus largement d’aides publiques

Rien d'étonnant à ce qui précède, ceci dit. Il se trouve que les trois auteurs de la tribune ont été des avocats de la tarification à l’activité dont on connait les conséquences délétères pour l’hôpital et pour le système de santé. Cette tarification est en grande partie à l’origine de la perte de sens du fonctionnement hospitalier, en appliquant à ce service public une logique d’entreprise. Les propositions de ces tristes sires s’inscrivent donc dans la droite ligne de leur vision du monde, dont les faits ont démontré, dans le domaine de la santé, toute l’ineptie. Or si Errare Humanum Est, Perseverare Diabolicum...


Références :

1. Bilan de cinq années en Macronie. IV. Les services publics.
Ce blog.
https://dessaux.blogspot.com/2021/12/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-iv-les.html

2. Laurent Fargues. Malgré les promesses de Macron, l'hôpital fera bien près d'un milliard d'économies. Challenges. Mai 2018.
Consultable en ligne :
https://www.challenges.fr/economie/malgre-les-promesses-d-emmanuel-macron-l-hopital-fera-bien-pres-d-un-millard-d-economies-en-2018_584177

3. Romaric Godin. Sécurité sociale: l’austérité se poursuit dans la santé. Mediapart. Septembre 2019.

4. Romaric Godin. La charité pour l’hôpital. Mediapart. Novembre 2019.

5. Maeliss Innocenti. Coronavirus : les Hôpitaux de Paris lancent un appel aux dons sur Facebook. RTL. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/coronavirus-les-hopitaux-de-paris-lancent-un-appel-aux-dons-sur-facebook-7800281562

6. Caroline Coq-Chodorge. Ségur de la santé: un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité. Mediapart. Juillet 2020.

7. Elsa de La Roche Saint-André. Emmanuel Macron a-t-il fermé 17 600 lits d’hôpital en quatre ans, comme l’affirme François Ruffin ? Liberation. Décembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/emmanuel-macron-a-t-il-ferme-17-600-lits-dhopital-en-quatre-ans-comme-laffirme-francois-ruffin-20211224_ZDEGBEMS4BHW3CGKLAOKL275ME/

8. Antoine Brézin, Gérard Vincent, Guy Collet. Le pilotage du système de santé doit être confié aux régions. Le Monde. Février 2022.


Crédit illustration :

Dessin de Berth :
http://jcoutant.over-blog.com/l-h%C3%B4pital-public-toujours-en-danger



2 commentaires:

Christian Heeder a dit…

Pour celles et ceux qui cherchent des pistes pour que survive notre magnifique système de santé. Rendez-vous à la réunion publique de l'Union Populaire.

C'est le 4 mars à 19:30 • Où ? à Chilly-Mazarin. Où exactement ? à l'Agora - Complexe sportif Jesse Owens.

Le thème: "Quel avenir pour notre système de santé et de protection sociale ?". Pile poil dans l'esprit de ce post non ?

Et c'est en présence du Dr Christophe Prudhomme, porte-parole des médecins urgentistes.

Vous pouvez même nous interroger si vous voulez profiter d'un covoiturage.

Amicalement,

Christian Heeder

Alors

Yves Dessaux a dit…

Bonjour Christian,
Tu fais bien de signaler le cas des étudiants étrangers - et particulièrement africains - bloqués en Ukraine, objets d'une discrimination forte aux frontières de l'UE. Cela ne fait d'ailleurs que renforcer mon propos !