Je viens de parcourir une note particulièrement intéressante, et en même temps inquiétante, de la fondation Jean-Jaurès. Cette dernière reprend une enquête très récente de l'IFOP (1), portant sur les croyances des plus jeunes de nos concitoyens sur des thématiques scientifiques, sur le « paranormal », en lien avec l'influence des réseaux sociaux. Je suis donc remonté à la source, directement sur le site de l'institut de sondage, pour y lire l'étude en question. Elle est à mon sens tout bonnement consternante !
L'IFOP nous indique que cette enquête a été menée sur un échantillon d'un tout petit peu plus de 2000 personnes, âgées de 11 à 24 ans. L'institut précise, je cite, que « la représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas au regard de critères démographiques (sexe, âge), socio-culturels (statut de scolarisation, niveau de diplôme), professionnels (situation en matière d’emploi, catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée) et géographiques (région, catégorie d'agglomération) ». Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec la statistique, il s'agit d'obtenir dans l'échantillon précité de 2000 personnes, une proportion d'hommes et de femmes conforme à celle de la population française, avec des répartitions des âges, des niveaux de diplôme, du statut de scolarisation etc., également conformes à celles de la réalité. Des corrections complémentaires peuvent être apportées dans l'hypothèse où l'échantillon analysé, ce que l'on appelle la cohorte en statistique, ne serait pas parfaitement représentatif de la population cible. Ces ajustements sont dénommés « redressements », générant des données dites redressées ou corrigées . On s'assure ainsi que l'échantillon analysé est bien globalement représentatif de la population cible.
Première question posée : avez-vous l’impression que la science apporte à l’homme plus de bien que de mal, plus de mal que de bien ou à peu près autant de mal que de bien ? La majorité relative des jeunes, soit 41%, retient cette dernière proposition, alors que 33 % sont d'un avis plus positif et 17 % d'un avis plus négatif. Au-delà de ces données brutes, il est intéressant de constater que la même question a été posée en 1972. La comparaison des réponses révèle que les avis positifs ont régressé de 22 % en 50 ans et les avis ne négatifs ont, eux, augmenté de 11 %. Si l'on regarde maintenant le profil des répondants pour qui la science apporte plus de mal que de bien, on constate que cette opinion est beaucoup plus répandue parmi les jeunes des catégories socioprofessionnelles les plus modestes, avec 29% chez les ouvriers et assimilés contre 12% chez les cadres. Une inégalité de réponse est également perceptible chez les catégories les plus pauvres avec 22% d'avis négatifs pour les personnes disposant de revenus mensuels inférieurs à 900 € et 6% pour les personnes disposant de revenus mensuels supérieurs à 2500 €. Par ailleurs, les personnes exprimant cet avis majoritairement négatif se retrouvent en proportion un peu plus forte parmi les musulmans et les protestants (27 et 24 %, respectivement) que parmi les catholiques et les athées (14 et 13 %, respectivement), et en proportion également un peu plus forte parmi les sympathisants du rassemblement national (RN, 20%). Dernier élément intéressant, cet avis est beaucoup plus prégnant chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (27%) que chez les personnes n'utilisant pas cette ressource informatique (10%).
L'adhésion à ce qu'il est convenu d'appeler des « vérités alternatives » ou des « croyances » révèle également des disparités remarquables. Ainsi, vis-à-vis de données scientifiques, quasiment 20 % des jeunes de 18 à 24 ans pensent que les pyramides ont été bâties par des extraterrestres, ou que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune. Plus grave, un tiers des jeunes pense que les vaccins à ARN causent des dommages systématiques irréversibles aux organes des enfants, un quart pense que les traitements à base de chloroquine sont efficaces contre la CoViD19, et un quart pense également que l'on peut avorter sans risque avec des tisanes à base de plantes. Un petit tiers d'entre eux (29 %) affirme également que le réchauffement climatique est un phénomène naturel contre lequel il est impossible de lutter. Vis-à-vis de données politiques, un petit tiers pense que l'élection américaine de 2020 a été faussée aux dépens de M. Donald Trump, et un quart que l'attaque du Capitole a été une mise en scène destinée à accuser les partisans de l'ancien président américain. L'étude note que la croyance dans les vérités alternatives et beaucoup plus répandue chez les utilisateurs de Tik Tok sur deux thèmes : les effets toxiques de la vaccination contre la CoViD19, et les résultats de l'élection américaine de 2020.
En regard des théories platistes, la catégories des plus pauvres et celle des habitants des banlieues dites populaires sont plus enclines à y adhérer. Ainsi, 33 % des habitants de ces banlieues pensent que la terre pourrait être plate, alors que cette hypothèse ne retient l'attention d'aucun des jeunes habitants des banlieues dite aisées. En termes de réseaux sociaux, les utilisateurs de la messagerie Telegram semblent plus réceptifs (40%) que ceux qui n'utilisent jamais ce service (14 %).
En ce qui concerne les effets délétères de la vaccination contre la CoViD19, les avis les plus négatifs se retrouvent également au sein des catégories les plus modestes (42%), des banlieues dites populaires (38%), des croyants et des religieux (50%), des sympathisants du RN (48%), et parmi les utilisateurs quotidiens de Tik Tok (41%).
Une autre question a concerné l'évolution biologique. Un gros quart (27%) des jeunes de 18 à 24 ans estiment que les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution mais qu'ils ont été créés par une force spirituelle. Cette croyance est plus répandue chez les femmes que chez les hommes (31 vs. 22%), au sein des catégories les plus pauvres, parmi les croyants et les religieux (60%), et parmi eux, chez les musulmans (71% ; 27% chez les catholiques). Cette conviction est également plus présente chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (37 %) que chez ceux qui n'utilisent pas cette ressource (25 %).
Lorsque l'on croise tous ces résultats, plus des deux tiers des jeunes (69%) de 18 à 24 ans pensent qu'au moins une des affirmations proposées par l'IFOP est vraie, avec une adhésion bien plus marquée parmi les catégories les plus pauvres (77%) que parmi les catégories les plus aisées (47%). Une même différence d'adhésion est relevée entre croyants (85%) et athées (62%), entre sympathisants du RN (84%) et écologistes (57%) et entre utilisateurs de sites de microblogging (ex. Twitter, Telegram, TikTok ; 81%) et non utilisateurs (68 %).
Cette adhésion aux vérités alternatives est très présente chez les lycéens (80%) et elle reste très curieusement notable chez les étudiants en master, y compris chez ceux qui se sont dirigés vers les matières scientifiques (58%). De même un jeune sur deux pense que l'astrologie est une science ou qu'elle explique les caractères des individus ! Cette dernière croyance n'est, elle, partagée que par 36% des seniors. Une même divergence générationnelle est observée en regard des prédictions des voyants auxquelles croient 38% des jeunes et seulement 12% des seniors. Parmi les jeunes, 65% de ceux qui consultent Tik Tok régulièrement croient à l'astrologie, à la voyance, à la numérologie, à la sorcellerie, ou à la cartomancie contre 52% de ceux qui n'utilisent pas ce service Internet. Également presque un jeune sur deux croit aux esprits ou au mauvais œil, contre 15 et 10 % respectivement chez les seniors. Ces croyances sont plus marquées chez les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux (56%) que chez les jeunes qui ne les utilisent pas (36%).
Ces résultats sont extrêmement inquiétants parce qu'ils sont constitutifs, à mon sens, d'une régression intellectuelle, possiblement liée d'ailleurs à une régression sociale, puisque l'on constate que l'adhésion aux thèses infondées, au complotisme, aux superstitions à caractère occulte, est beaucoup plus forte chez les jeunes des populations défavorisées (faibles revenus et localisation dans des banlieues pauvres). Possiblement en lien avec ce qui précède, il ne faudrait pas non plus nier l'adhésion des jeunes musulmans à certaines vérités alternatives. Ces résultats sont également inquiétants car ils mettent en évidence l'influence grandissante de sources « d'information » discutables. Ainsi, pour citer Ms. François Kraus et Thomas Pierre, de l'IFOP (1) : « alertant sur la sécession d’une fraction importante de la jeunesse avec le consensus médiatique, ces chiffres tiennent donc beaucoup au mode d’information et plus particulièrement à l’usage des réseaux sociaux comme Twitter ou TikTok.[...] Les désordres informationnels de l’ère internet viennent sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles.[...] Cet essor des croyances complotistes ou infondées s’inscrit dans une révolution des pratiques informatives où la défiance à l’égard de l’information verticale issue des autorités s’est accompagnée d’une confiance plus grande dans sa transmission horizontale via les réseaux sociaux. Or, cela peut s’avérer problématique au regard du nombre de jeunes (41%) utilisant TikTok comme moteur de recherche qui estiment qu’un influenceur qui a beaucoup d’abonnés peut être une source fiable. Symptomatique d’un nivellement de l’expertise, ce chiffre révèle le manque de raisonnement critique d’une partie de la jeunesse à l’égard des influenceurs populaires ». Je suis totalement en accord avec leur analyse. Ceci fait que je ne suis donc pas prêt de me réconcilier avec l'usage des réseaux dits sociaux, tant que ceux-ci n'assureront pas une modération des propos qui y sont tenus. L'arrivée de M. Elon Musk à la tête de Twitter ne s'inscrit pas, malheureusement dans cette démarche... Sous couvert de liberté de parole, auréolés de symboles tel que le village global, il me semble que ces réseaux sociaux sont en fait en train d'aliéner les masses, et principalement les masses populaires, d'une façon bien plus efficace que ne pourrait le faire le plus pervers des dictateurs...
Référence :
1. Enquête sur la mésinformations des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l'heure des réseaux sociaux.
Enquête de l'IFOP pour la fondation Reboot et la fondation Jean-Jaurès.
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Presentation_119379_Reboot-FJJ-Volet-A_11.01.23.pdf
Crédit illustration :
Site de l'IFOP
https://www.ifop.com/publication/generation-tiktok-generation-toctoc-enquete-sur-la-mesinformation-des-jeunes-et-leur-rapport-a-la-science-et-au-paranormal-a-lheure-des-reseaux-sociaux/