Voilà une quinzaine de jours, M. Nicolas Sarkozy, ancien Président de la
République, a été de nouveau condamné à trois ans de prison dont un an ferme
dans le cadre de l’affaire dite « Bismuth ». Ceci signifie qu'il a été reconnu
coupable en première instance, puis en appel à la mi-mai 2023. Néanmoins, ce
bon connaisseur des procédures judiciaires - auxquelles il semble être abonné -
se pourvoit en cassation. Même si cette cour ne jugera pas le fond de
l'affaire, et s'intéressera seulement (et en théorie) à la validité de la
procédure, il doit donc de nouveau bénéficier de la présomption d’innocence.
Ceci posé, M. Nicolas Sarkozy semble attirer les casseroles judiciaires, comme
d'autres attirent les casseroles de cuisine vers 20H00 le soir ! Mais dans le
cas de l'ancien Président, nous avons franchi, me semble-t-il, un palier
supplémentaire dans l'indécence. Tout d'abord, il n'en n'est pas à sa première
condamnation, et possiblement pas à sa dernière. Si le jugement en cassation
confirmait la validité de la décision de première instance et de l'appel, cela
signifierait que nous avons bien été gouvernés par un multi-délinquant pendant
des années.
J'ai ensuite été frappé par le fait que M. Nicolas Sarkozy, comme nombre
de ses soutiens, s'énervent contre une justice bien trop rapide et sévère,
voire partiale. Je cite au hasard M. Henri Guaino, qui déclare : « On me dit
que c’est l’intention qui compte. Mais l’intention de quoi ? L’intention, c’est
d’aller voit quelqu’un, de l’inviter à déjeuner et de lui dire si tu me passes
le marché public, je te donne tant. Ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé »
... Le président du groupe LR de l’Assemblée nationale, M. Olivier Marleix, en
fait de même en minimisant l'affaire : « Des écoutes illégales, une enquête
hors normes, au final le simple soupçon d’une « tentative » de délit… Oui, à
l’évidence Nicolas Sarkozy est victime d’un acharnement ». Peut-être est-il utile
de rappeler que dans la loi, et en l'occurrence tel qu'explicité par l'article
121-3 du Code Pénal, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le
commettre ». Il existe néanmoins quelques exceptions en matière délictuelle, en particulier
en cas de défaut de prudence, comme ce qui pourrait advenir dans un accident de
la route ou du travail. Dans le cas de notre ancien Président, avocat de
surcroit, difficile d'imaginer qu'il ne savait pas que ce sa présumée demande au
magistrat incriminé était non seulement pénalement répréhensible, mais particulièrement
grave... C'est aussi ce que dit l'association Anticor par la voie de sa
présidente, Mme Elise Van Beneden : « Cette condamnation intervient pour
corruption et trafic d’influence. Ces deux délits d’une extrême gravité sont
prévus à l’article 432-11 du Code Pénal aux termes duquel « est puni de dix ans
d'emprisonnement et d'une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être
porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne
dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou
investie d'un mandat électif public, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à
tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons,
des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui : 1° Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue
d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité
par sa fonction, sa mission ou son mandat ; 2° Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue
de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des
distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».
Pour rester dans l'absurde, je me rappelle aussi le fait que M. Nicolas
Sarkozy, tout comme ses défenseurs, sont précisément ceux qui ont répété jusqu’à
plus soif que la justice en France était laxiste. Et je ne peux que m'amuser de
citer le même Président de la République qui pérorait, menton viril en avant,
sur le fait que « quand un individu revient devant un tribunal pour la 17e
fois, il doit être condamné pour l'ensemble de son œuvre ». Je m’amuse également
du fait que certains de ses soutiens s'offusquent de son assignation sous bracelet
électronique. Je cite M. Jérôme Bascher, sénateur LR de l’Oise, qui déclarait :
« est-ce que Nicolas Sarkozy a besoin de bracelet pour qu’on sache où il est ?
C’est un dispositif ridicule. On sait où est Nicolas Sarkozy à chaque instant,
il y a même un officier de sécurité qui est chargé de cela. Cette peine du
bracelet est ridicule ». Condamné à un an ferme, cette décision est d'autant
plus généreuse que le même Président de la République, le même menton en
avant, affirmait son souhait « qu'il n'y ait pas d’aménagement de peine
pour les peines supérieures à six mois »... Sic Transit Gloria Mundi !
Je complète mon propos ici par ceux de l'association Anticor, récemment
exprimés par sa présidente, qui remet bien en perspective les tenants et les
aboutissants de cette nouvelle affaire Sarkozy / Bismuth: « alors que le Code pénal
reconnait l’immense gravité de la corruption en prévoyant une peine de prison
de dix ans, le monde politique s’est au contraire ému d’une peine jugée sévère.
L’est-elle ? L’ancien Président de la République a été puni d’une peine de
trois ans de prison dont un an ferme, un an aménageable. Il n’ira pas en prison
mais devra seulement porter un bracelet électronique autour de sa cheville,
seule trace d’une trahison inacceptable de la République et des citoyens
français. Pour Alain Finkielkraut [Note de YD : philosophe et essayiste classé politiquement à droite], cette décision de justice est contestable
car elle reviendrait à « invoquer l’État de droit pour museler l’action
politique ». En réalité, comme de nombreux responsables politiques,
éditorialistes et philosophes, M. Finkielkraut véhicule une culture de
l’impunité et s’inscrit dans une critique infondée de l’institution judiciaire,
qui est pourtant la seule qui combat les abus de pouvoir. Ce que ses mots
signifient en réalité c’est que pour lui, les hommes politiques sont au-dessus
des lois et qu’il faudrait, pour permettre leur action politique, les exonérer
du respect de la loi. C’est en effet abandonner l’état de droit et c’est en
réalité compromettre toute l’action politique qui impacte à son tour toute la
société. C’est aussi renoncer à la démocratie, car un régime dans lequel des
citoyens ne sont pas égaux devant la loi n’est pas une démocratie. La cour
d’appel a, en outre, prononcé une interdiction des droits civiques de trois ans
pour M. Sarkozy, ce qui le rend inéligible. L’inéligibilité est une sanction
efficace dès lors qu’elle a le mérite de tenir les personnes dangereuses pour
la démocratie à l’écart de la vie publique. Mais est-ce suffisant pour mettre
fin au sentiment d’impunité de certains responsables politiques ? À Anticor,
nous pensons que la peine prononcée contre M. Sarkozy est loin d’être
exemplaire et qu’il est temps que nos responsables politiques assument les
conséquences de leurs actes, comme tout citoyen qu’ils sont ». On ne peut mieux
dire, en effet !
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