mercredi 2 juin 2021

MISÈRE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE FRANÇAISE. II. LA MECONNAISSANCE DES DIRIGEANTS.

 


J’expliquais dans un premier article en quoi la recherche en France est dans un état indigne de notre pays. Je faisais le constat de son sous-financement chronique, de la pression constante mise sur les scientifiques pour la chasse aux subsides, du temps perdu qui en résulte, le tout trouvant son origine dans des choix politiques qui font de la recherche et de l’enseignement supérieur, depuis au moins 20 ans, une non-priorité.

Tout ce qui précède peut grandement s’expliquer par la méconnaissance qu’ont nos dirigeants de l’activité de recherche. Ceux-ci ont en effet été formés dans de grandes écoles, formatés pour se conformer à des modèles économiques et des modes de pensée très éloignés de ceux du monde de la recherche, que certains méprisent d’ailleurs. Je me rappelle de réunions où je représentais le département Environnement et Développement Durable du CNRS, et d’autres de mes collègues, de l’INRA, l’INSERM ou d’autres opérateurs de recherche, dans des ministères ou à l’ANSES, où ceux que mes collègues et moi appelions les « costards », repérables à leurs costumes deux ou trois pièces, n’avaient aucun scrupule à nous dire ce que nous devions chercher, et comment, jusqu’à temps qu’on leur démontre que les travaux étaient déjà en cours, voire parfois même terminés. Le problème est que dans ce type de réunion, nous étions 4 ou 5 à représenter les instituts de recherches, et nous trouvions confrontés à 30 personnes de différents ministères et services. Ceci révèle à mon sens un problème généralisé de la fonction publique en France : nous avons trop d’administratifs et pas assez d’opérationnels...

Je me rappelle aussi avoir été sollicité par ma directrice au CNRS pour rédiger à sa place un article sur « recherche fondamentale et recherche appliquée » pour la revue des anciens élèves de l’ENA, où j’ai tenté d’expliquer pourquoi il est difficile, voire illusoire, de piloter la recherche tant les découvertes majeures sont le fruit du hasard et de la capacité des scientifiques à réaliser « qu'ils sont sur quelque chose d'important », ce que les anglo-saxons appelle sérendipité. Je citais pour cela un ancien président de l'académie des sciences qui disait « ce n’est pas en cherchant à améliorer la bougie que l'on a  découvert l’électricité »... Pas sur que cet article ait servi à grand chose. A ce stade, il  me parait important de préciser que ce poids des écoles administrations ou des grandes écoles est une spécificité française. Aux USA, au Canada et dans nombre de pays européens, il suffit de dire que vous êtes docteur (quelle que soit votre spécialité) pour vous ouvrir de nombreuses portes, y compris dans les banques ! En France, il a fallu attendre 2009 pour que la cour de cassation rappelle simplement que le titre de docteur pouvait être porté et mentionné par les titulaires de tout doctorat de troisième cycle (donc pas seulement par les médecins), et la loi de juillet 2013 pour voir cette jurisprudence gravée dans le marbre... Cependant, même aujourd’hui, dans nombre d’entreprises, le diplôme de doctorat reste à peine reconnu, et ceci n'est pas lié à la qualité des doctorants... 

Soyons très clair, le fossé que je décris plus haut entre membres de la haute fonction publique, responsables d’entreprises, cadres sup « plus plus plus », politiques de haut rang d’un coté, et monde de l’enseignement et de la recherche de l’autre s’apparente fortement à un fossé de classe*. Là les dirigeants, et ici les exécutants. Comme le disait « Blondin », joué par M. Clint Eastwood dans un western célèbre « Le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un revolver chargé, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses ». Une belle allégorie du capitalisme à mon sens, mais explicatif également d’une partie des problèmes de la recherche. « Certains de leurs certitudes », nos dirigeants appliquent leur cadre intellectuel formaté, à la recherche, sans en connaître les rouages et les complexités. D’où, par exemple, une volonté d’économies maximales ; en effet , dans ce cadre, l'activité de recherche est considérée comme « centre de dépense » et aucunement comme « centre de profit ». Il est vrai qu’il est difficile de savoir ce que rapportent la recherche et l’enseignement supérieur. Mais comme le disait Abraham Lincoln : « si vous pensez que l’enseignement coûte trop cher, essayez l’ignorance »...

Conséquence de cette stricte vision comptable, qui oublie les missions premières, on rogne sur tout, y compris sur les postes en recourant massivement à de la sous-traitance. Quand cela concerne le nettoyage des locaux, ou la restauration, on peut en discuter car l’impact sur l’activité de recherche reste modérée (quoi que !). Quant il s’agit de l’entretien des bâtiments, des machines, des équipements mi-lourds, là, la question de la pertinence de ce choix - autant économique qu’idéologique - se pose. Quand j’ai commencé mon activité à Gif, nous disposions de 6 à 7 personnes aux services techniques pour l’entretien de routine du bâtiment, des appareils légers (petits appareils de laboratoire) et mi-lourds, de type groupes froid, groupes chaud, agitateurs gros volume, congélateurs -80°C, serres de culture, etc. pour un effectif de 120 personnes. C’était en 1990. A ma cessation d’activité, en 2020, dans un institut de 700 personnes, nous ne disposions plus que de 4 personnes pour le petit entretien, tout le reste étant sous-traité à des entreprises privées. Or les pannes sur les groupes froids dans les chambres de culture, ou en serre, nécessitent une intervention immédiate H24, 7 jours sur 7, ce qui était possible avec les personnels CNRS d’astreinte logés pour beaucoup quasiment sur site. Avec le sous-traitant, ce n’est plus possible. L’entreprise de génie climatique se trouvant par exemple dans le département 77, il lui faudra 2 heures pour intervenir en semaine à Gif, largement le temps de voir mourir nombre d’organismes cultivés en labo. Mon équipe, et elle n’est pas la seule, a perdu lors des 15 dernières années où le recours généralisé à la sous-traitance a explosé, au moins 5 à 6 mois de recherche. Si je fais le calcul des pertes en matériel, plus celles en salaire mois/hommes, on s'aperçoit vite que la pseudo économie que nos élites pensaient faire en sous-traitant certains métiers n’est finalement que de la poudre aux yeux. Dans un milieu ou la compétition internationale est forte, 6 mois de retard peuvent vous faire passer du rang de pionnier dans votre domaine, au rang de simple suiveur. Mais vu de Bercy ou de Matignon, quelle importance ?

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* Je reviendrai dans un autre article sur les questions des classes sociales et de leurs intérêts contradictoires, que Marx et d’autres avant lui, comme François Guizot, ont théorisés. D’aucuns prétendent que la lutte des classe n’est plus un sujet aujourd’hui (c’est un des aspects de la pensée macroniste), mais cette vision se trouve contredite par le mouvement des gilets jaunes même si celui-ci ne doit pas être seulement analysé via une grille de lecture architecturée autour de ce concept. 



Crédit illustration :


Photo: Annik MH de Carufel pour Le Devoir.
https://www.ledevoir.com/societe/science/521442/science-pres-de-4-milliards-pour-la-recherche

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