jeudi 28 octobre 2021

ANTE ELECTIONIBUS. IV. LA « RÉFORME » DES RETRAITES



Mon but, dans cette série, était de réfléchir en amont de la campagne électorale des présidentielles, autour de sujets qui allaient sans aucun doute venir sur le tapis et alimenter les débats. Je termine donc ici cette série, car cette campagne semble se lancer progressivement, même si tous les candidats ne se sont pas encore déclarés. Le sujet de ce dernier volet concerne la « nécessaire réforme » des retraites. Il s’agit d’examiner les arguments que nous présentent les uns et les autres sur ce thème pour justifier leur position. Cet examen me conduit à penser que certains aimeraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes... 

Un mot avant de rentrer dans le sujet pour dire que le mot « réforme » que l’on entend depuis au moins deux décennies dans le débat public, fait partie des mots dont le sens a été fondamentalement galvaudé. Selon le dictionnaire, ce mot signifie « changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à améliorer son fonctionnement ». Consubstantielle à la réforme, est donc la notion d’amélioration. Or force est de constater que nombre des dernières « réformes » entreprises par les gouvernements successifs ne sont pas allées dans le sens d’un meilleur fonctionnement, ou d’un meilleur service rendu à la population. Citons pour s’en convaincre, et pêle-mêle, la ou les « réformes » de l’hôpital public, de l’école publique, des aides au logement, ou la très prochaine « réforme » de l’indemnisation du chômage, etc. Je continuerai donc à écrire « réforme » entre guillemets (sauf dans les citations), car il s’agit finalement d’un terme de novlangue au sens largement ébréché ! Et en conséquence de ce qui précède, comment ne pas se méfier, certes a priori, d’une éventuelle « réforme » du régime des retraites ?

Parmi les arguments présentés pour justifier la « réforme », on entend assez régulièrement dire que la durée de la vie s’allonge et qu’il est donc « normal » de travailler plus longtemps. Si cela était vrai il y a 20 ou 30 ans, ceci l’est beaucoup moins aujourd’hui (1). On est ainsi passé d’un gain de 3 mois par an en moyenne dans les années 1980 à 2010 à un gain d’un mois et demi par an chez les hommes depuis 2014 et un mois par an chez les femmes dans le même temps. De plus, si l’on regarde l’espérance de vie en bonne santé, celle-ci s’élève à 64,1 ans pour les femmes et à 62,7 ans pour les hommes. Elle n’évolue plus et est stable depuis dix ans (2). Si les projets de « réforme » se poursuivent jusqu’à leur terme, avec un départ évoqué entre 64 , 65, voire 67 ans, on ne peut donc que constater que les Françaises et Français partiront à la retraite… malades. Quoique… Quoique le projet gouvernemental ne prend absolument pas en compte, semble-t-il, les différences de pénibilité au travail - et c’est bien pour cela qu’il y a des régimes spéciaux - ni les possibilités d’accès aux soins des catégories les plus aisées. Or, ces différences entraînent des différences d’espérance de vie. Ainsi, en 2009-2013, l’espérance de vie des hommes cadres de 35 ans était de 49 ans et celles des ouvriers de 42,5 ans. Et en moyenne, un ouvrier vit 6,4 ans de moins qu’un cadre. Pour les femmes, l’écart reste plus faible. Question richesse, les hommes comptant parmi les 5 % les plus riches vivent en moyenne 13 ans de plus que les 5 % les plus pauvres (3,4). Ce genre de données, parfaitement publiques, permet d’éclairer d’une lumière plus forte les discours sur l’âge pivot ou le fait qu’il y ait moins d’actifs aujourd’hui qu’hier. Le débat n’est - en effet - pas principalement là. Concentrer la discussion sur ces sujets, c’est, en quelque sorte, de la poudre aux yeux tant que la question des disparités évoquées n’aura pas été résolue ! Par ailleurs n'oublions pas qu'une part non négligeable des seniors en âge de travailler se trouve... au chômage. Proposer de ne pouvoir partir qu'à 64, 65 ou 67 ans ne fera que prolonger la période de chômage pour ces personnes. Peut-être est-ce aussi pour cela que l'indemnisation de ces périodes non travaillées va être revue à la baisse.

Un autre questionnement réside dans la nécessité annoncée de limiter le montant des pensions à 14 % du PIB. Ce chiffre ne résulte d’aucun calcul ; il ne repose sur aucun fondement explicite sinon qu’il correspond peu ou prou au montant actuel des pensions. Il nous est donc présenté comme un gage de sérieux budgétaire. Visiblement, tout le monde n’a pas la même notion du sérieux ! En lien, on nous parlera du déficit des régimes de retraite. Voyons cela de plus près. Pour la fonction publique d’Etat et Hospitalière, c’est un non sens. En effet, pour ces fonctionnaires, le coût de leur retraite est en quelque sorte inclus dans leur salaire. Dans ses projections, l’État calcule en effet le coût consolidé de ses fonctionnaires en ajoutant aux 42 et quelques années d’activité le montant des pensions en se fondant sur un calcul probabiliste - et quelque peu morbide - incluant âge de départ et âge du décès. Traitement et retraite sont donc moyennés et la retraite du fonctionnaire est budgétée dès son embauche. Etant moins connaisseur du secteur privé, je me réfère aux propos de spécialistes. Je cite l’économiste Eric Berr qui s’appuie sur le dernier rapport du conseil d’orientation des retraites (COR), et qui nous dit que « le besoin de financement du système de retraite varierait en 2025, date de l’entrée en vigueur du système de retraite par points, entre 0,3% et 0,7% du PIB selon les scénarios et la convention retenue, soit entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros constants (COR, p.50), le gouvernement en conclut que le système actuel n’est pas viable, d’où la nécessité d’en changer. Il feint toutefois d’ignorer que les réserves de l’ensemble des régimes de retraite actuels, qui sont précisément supposées servir à financer d’éventuels déséquilibres, s’élèvent à près de 130 milliards d’euros (COR, p.54), donc que le système actuel n’est en aucun cas déficitaire et largement soutenable à moyen terme » (5). Le conseil d’orientation des retraites, lui même, va dans le même sens quand il indique que le déficit des régimes de retraite 2021 est en baisse et que l’on peut espérer sans modification majeure de cotisation un retour à l’équilibre à l’horizon 2060. Pour le COR, la part de la richesse nationale consacrée aux retraites passerait de 14,7% du PIB en 2020 à 11,3% en 2070 moyennant des gains de productivité de l’ordre de 1,8 % par an. Pour des gains plus faibles, de l’ordre de 1 %, une option plus que réaliste, on arriverait à 13 % du PIB en 2060, et on passerait sous la barre des 14 %, chiffre totem du gouvernement dès 2025 (6)… Là aussi, j’ai donc vaguement tendance à penser que l’argument du déséquilibre ressemble à s’y méprendre à de l’enfumage de première. Si l’on voulait d’ailleurs préserver un soi-disant sérieux budgétaire, d’autres solutions existent, mais les gouvernements centristes et néolibéraux qui se succèdent depuis des années se gardent de les évoquer. D’une façon générale, ces gouvernements organisent par le biais d’allégements de cotisation, une « politique des caisses vides ». Revenir sur ces allégements, faire cotiser les revenus du capital, abonder les caisses avec les rapports d'un impôt sur la fortune, permettrait pourtant de remplir ces caisses (7). Impensable dans le cadre du logiciel gouvernemental ! 

Alors, que se cache-t-il donc derrière la « réforme » des retraites ? Tout d’abord un recul certain du montant des pensions ! Les raisons sont simples. Primo, au lieu d’être calculées sur les 15 ou 25 dernières années dans le privé et sur les 6 derniers mois dans le public, celles-ci seront calculées sur la totalité de la carrière, incluant les années de chômage, de petits boulots, des salaires de débutants, etc.. Une situation donc bien moins favorable qu’aujourd’hui. Secundo, on achètera des points de retraite avec du temps de travail, et la retraite sera calculée au pro-rata des points accumulés. Or si le gouvernements s’est engagé à ne pas réduire la valeur du point à la revente, c’est à dire celle du point utilisé pour le calcul de la retraite, il ne s’est pas du tout engagé sur la valeur d’achat. En d’autres termes, il pourra à sa guise augmenter la valeur d’achat, conduisant ainsi à une réduction du nombre de point acquis par unité de temps de travail. Il faudra donc travailler plus pour acquérir le même nombre de points. Présentée comme juste, cette retraite à points organise de facto une réduction du montant des pensions pour tous. Il suffit pour s’en convaincre de regarder ce qui se passe en Suède, où le nombre de retraités pauvres a augmenté à la suite de l’adoption du régime à points et où les inégalités, particulièrement entre hommes et femmes se sont creusées (8,9). Le premier objectif est donc bien de faire baisser les pensions. Les conservateurs ne s’en cachent pas, le FMI non plus. Ce dernier disait ainsi : « Les pressions des marchés pourraient réussir là où les autres approches ont échoué. Lorsqu’elles font face à des conditions insoutenables, les autorités nationales saisissent souvent l’occasion pour mettre en œuvre des réformes considérées comme difficiles... ». Quant aux conservateurs, je rappelle les propos de M. François Fillion, candidat ayant malheureusement (pour lui) « pris une veste » lors des dernières élections présidentielles. Celui-ci disait : « Le système par points permet une chose qu'aucun homme politique n'avoue : ça permet de baisser chaque année le montant, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions ». Cela a au moins le mérite d’être clair !

Ensuite, il me semble plus que probable que cet appauvrissement anticipé des futurs retraités vise en fait à préparer une transition forcée vers un régime différent. Fini la répartition, place à la capitalisation. Je cite ici les propos du collectif des Économistes Atterrés : « L’objectif inavoué de la réforme est clair : le passage progressif à un régime par capitalisation, en diminuant progressivement les pensions, ce qui incite les Français à y avoir recours pour compenser. Comment en effet ne pas le penser lorsqu’on lit par exemple que « plusieurs géants américains se positionnent sur les opportunités offertes par la réforme de l’épargne retraite » (dont la très puissante société de « gestion d’actifs » BlackRock) ? Ou bien que « le gouvernement introduit par la loi PACTE des fonds de pension à la française » ? Comment ne pas le penser non plus lorsqu’on découvre les (nombreux) liens de l’ex-Haut Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, avec le monde de l’assurance » ? Là aussi, tout est dit !

Cette « réforme » des retraites est donc foncièrement délétère pour une grande partie de la population. Avec un cynisme sans égal, elle nous sera présentée (elle l’est déjà d’ailleurs) comme une avancée sociale. Il faudra donc être vigilant lors de la campagne sur les propos des candidats, pour faire le tri entre ceux des candidats qui, sans doute par intérêt personnel et/ou dogmatisme fondamental, promouvront la retraite à points et son corollaire d’appauvrissement, et ceux qui promettront la bouche en coeur la lune, à savoir une retraite à 60 ans pour tous, intenable actuellement, et pas si forcément "juste". Et dans ce contexte, pas besoin d’être grand prophète pour savoir ce qui se passerait si l’actuel président, M. Emmanuel Macron, était par malheur réélu.


Références :

1. Espérance de vie – Mortalité. INSEE.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277640?sommaire=4318291

2. Muriel Moisy. Les Français vivent plus longtemps, mais leur espérance de vie en bonne santé reste stable. DREES.
https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/les-francais-vivent-plus-longtemps-mais-leur-esperance-de-vie-en

3. Espérance de vie – Mortalité. INSEE.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383438#tableau-Tableau1

4. Nathalie Blanpain. L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes. INSEE.
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3319895

5. Eric Berr. Réforme des retraites: les fake news gouvernementales. Mediapart. Décembre 2019.
https://blogs.mediapart.fr/eric-berr/blog/041219/reforme-des-retraites-les-fake-news-gouvernementales?fbclid=IwAR3e-HPsZDrbUgiQye52jf3dDEU4UGMdDZBuCLLL9BEzHtPLHAQCuNkuF4Y#_ftn7

6. Conseil d’orientation des retraite (COR). 8e rapport annuel sur les évolutions et les perspectives des retraites. Juin 2021.

7. Collectif. Rapport du COR : un déficit construit de toutes pièces. Alternatives économiques. Novembre 2019.

8. Cédric Stanghellini. Les retraités suédois sont-ils devenus plus pauvres à cause de la retraite par points ? LCI. Novembre 2019.
https://www.lci.fr/international/les-retraites-suedois-sont-ils-devenus-plus-pauvres-a-cause-de-la-retraite-par-points-2138582.html

9. Pauline Vilchez et Fabien Recker. Retraites : en Suède, les perdants du système à points. Public Sénat. Janvier 2020.
https://www.publicsenat.fr/article/societe/retraites-en-suede-les-perdants-du-systeme-a-points-149353

10. Anne Brigaudeau. Réforme des retraites : cinq questions sur la valeur du point et le calcul des futures pensions. France Info. Décembre 2019.
https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-cinq-questions-sur-la-valeur-du-point-et-le-calcul-des-futures-pensions_3734681.html


Crédit illustration : 

La réforme des retraites. Hublog. 

1 commentaire:

Unknown a dit…

Merci pour cet excellent article qui décortique la "vraie" logique de ces "réformes" successives et à venir (si on laisse faire...) sur les retraites. Pour aller jusqu'au bout de cette logique, il faudrait aussi préciser que en final, l'objectif est donc bien de "donner" au secteur privé, un superbe business (encore un, après bien d'autres comme l'assurance maladie, l'assurance chomage, etc...) car en effet, le système de retraite par capitalisation, ce sont des milliards d'euros à gérer, sur lesquels les fonds de pension touchent bien sûr des commissions de gestion qui ne sont pas négligeables, et qui les enrichissent donc sur le dos des citoyens! là est la véritable raison de ces "réformes"... et rien d'autre!