Je poursuis, dans la lignée de mon article précédent, m’intéressant ce jour aux « écologistes politiques », parmi lesquels je compte aussi quelques relations et amis.
Je le dis tout de suite, je m’intéresse aux questions écologiques depuis très longtemps, depuis la campagne électorale menée par René Dumont en 1974. Je n’avais pas le droit de vote à l’époque, mais je m’étais très attaché à comprendre les propos de cet agronome. Si on les reprend aujourd’hui, presque 50 ans plus tard, on ne peut que constater qu’il avait vu juste sur nombre de points. Vêtu de son traditionnel pull-over rouge, ce militant de la cause environnementale circulait beaucoup à vélo avant que cela ne soit habituel. Il se présentait aussi à la télévision avec une pomme et un verre d’eau sur sa table, pour dire que ces ressources étaient précieuses et qu’elles allaient un jour manquer. Je me rappelle très bien qu’il annonçait aussi les pénuries de carburants fossiles et la hausse de leur coût qui s’en suivrait. Les thèmes qui lui étaient chers, et je cite ici la page Wikipédia qui lui est consacrée (1), étaient « le contrôle des naissances, les économies d'énergie, la coopération internationale avec les pays en développement, et la protection et la remédiation des sols… ». Ajoutons à cela que la politique qu’il prônait, et je cite toujours la même source, était « pacifiste, contre le capitalisme agressif [l'agronome n'a rien contre la propriété foncière si elle n'est pas à l'origine d'un partage trop inégal des fruits du travail et si les droits des agriculteurs sont respectés], pour la solidarité entre les peuples » prenant en compte les intérêts et les fragilités des pays dits en voie de développement.
Ces différents volets ont ensuite été développés dans un courant que l’on appelle l’écologie politique, dont la définition est malaisée, probablement parce qu’elle s’est incarnée dans des mouvements aussi divers que les mouvements pour la paix, les anti-nucléaires, l’écologie libertaire, ou plus près de nous, les zadistes, l’écoféminisme, Greenpeace ou d’une certaine façon, le véganisme, une liste non limitative. Une des « externalités positives » de l’écologie politique est qu’elle a sans aucun doute permis une prise de conscience généralisée de l’urgence qu’il y a à intégrer dans nos activités de tous les jours les contingences imposées par notre vie sur une planète finie. Cette prise de conscience a percolé même parmi les tenants d’un capitalisme échevelé. Je ne citerai par exemple que M. Elon Musk, libertaire et capitaliste assumé, qui déclarait au sujet de nos défis à venir « le changement climatique est la plus grande menace à laquelle l’humanité est confrontée au cours de ce siècle ». Le créateur de Tesla ajoutait que l’objectif de son entreprise était « de contribuer à accélérer le passage d'une économie fondée sur l'exploitation minière et l'énergie fossile à une économie électrique solaire » sans que cette dernière constitue « une solution exclusivement durable ». Il écrivait également que le schéma directeur de son entreprise était une espèce de « guide pour transformer les transports et sauver la planète de la pollution ». On peut ensuite, bien entendu, discuter de la pertinence qu'il y a à développer des véhicules électriques ou des pollutions que cette production implique. On peut également discuter de ses autres objectifs, tels l’exploration spatiale ou la mise en place de satellites, à l’aune de considérations tant philosophiques qu’environnementales. Il agit d’autres questions ; reste que la prise de conscience est là, Chez M. Elon Musk comme chez d'autres "capitaines d'industrie" .
Alors quels sont les griefs que je peux avoir vis à avis de mes amis écologistes ? J’en exprimerai deux. Le premier est, pour une partie non négligeable de l’écologie politique et surtout militante, de s’être construite sur une vision quasi religieuse - et quelque peu biaisée - des équilibres biologiques. Je m’explique. Il me semble, mais peut être me trompè-je, que certains écologistes activistes développent une vision messianique de la nature et du vivant, et en en faisant quasiment des objets de culte. Dans une intéressante étude à laquelle je souscris, M. Stéphane François, politologue et historien des idées, écrivait : « l’écologie comporte de facto un aspect néo-païen qui fait d’elle une sorte de religion néo-animiste fondée sur la sacralisation de la nature et sur le retour de cultes archaïques consacrés à la déesse Terre » (2). Cette analyse est intéressante car elle explique alors, dans un raisonnement que l’on peut bien sur contester, pourquoi une part non négligeable de l’écologie militante est opposée à ce qu’elle appelle la technique et à la science. Dans la vision originelle de ses promoteurs « l’écologie radicale [est] une philosophie de la vie, distincte de l’écologie-science et centrée sur l’idée de réalisation de soi ». Dans ce référentiel, « l’homme ne serait qu’une des nombreuses formes de la réalité vivante, sans valeur intrinsèque supérieure ». Celui-ci s’inscrirait dans un monde à l’image de celui relevant de l’hypothèse Gaïa, une théorie panthéiste qui promeut une vision déiste de la nature en opposition avec les concepts des religions du Livre, porteuses, elles, d’une modernité technoscientifique. Dans l’article en référence, M. Stéphane François cite d’autres auteurs influencés par cette vision païenne de la nature. Ainsi, M. Mirce Eliade, historien des religions, écrivait : « la science moderne n’aurait pas été possible sans le judéochristianisme qui a évacué le sacré du cosmos et l’a ainsi « neutralisé » et « banalisé » […] Par sa polémique antipaïenne, le christianisme a désacralisé le cosmos […] et a rendu possible l’étude objective, scientifique de la nature […] La « technique », la civilisation occidentale, est le résultat indirect du christianisme, qui a remplacé le mythe dans l’Antiquité » (3). On peut être d'accord ou non avec cette grille de lecture. Au moins explique-t-elle pourquoi il existe une opposition quasi systématique d’écologistes radicaux avec tout ce qui pourrait apparaître comme issu de la science. Ainsi, le dernier avatar de cette position quasi-religieuse se retrouve dans le refus de nombreux écologistes militants de refuser la vaccination, particulièrement celle reposant sur la technologie ARN, à l’image des témoins de Jéhovah refusant les transfusions sanguines… On se rappellera ainsi les propos tenus par Le CriiGen, organisation environnementale militante, sur cette vaccination, propos qui ne m’ont pas étonné connaissant les liens entre cet organisme et la mouvance antivax. Ainsi, deux membres notables du CriiGen, M. Michel Georget (maintenant décédé) et Mme Isabelle Chivilo, sont ou ont été des militants antivaccination notoires (4).
Le deuxième reproche que je ferai à mes amis écologistes découle du premier : votre combat, pour juste qu’il soit, ne vous autorise pas à travestir les consensus scientifiques, ni à manipuler l’opinion. J’ai personnellement été confronté à cette manipulation de la part d’écologistes militants ou radicaux, en particulier dans le débat autour des variétés végétales dites OGM (organismes génétiquement modifiés). J’ai passé plus de 15 ans de ma carrière d’écologue à étudier les conséquences de la culture de tels organismes, et je crois très bien connaitre le sujet. J'ai toujours dit sans contrainte de ma tutelle ce que j'avais observé : parfois un impact, parfois aucun, en tous cas aucun de quantifiable... J’avais donc, il y a maintenant de nombreuses années, été interviewé par le journal du CNRS au sujet de l’action de faucheurs qui avaient détruit un essai en champ de vignes génétiquement modifiées. Ces essais étaient destinés à précisément évaluer les impacts environnementaux de la culture. J’avais alors utilisé les termes d’obscurantiste et dénoncé un certain nombre des approximations, pour ne pas dire des mensonges, propagées par ces activistes (5). Cela m’avait valu les foudres d’un écologiste militant, M. Fabrice Nicolino, qui avait attaqué et sensiblement déformé mes propos dans un journal et dans son blog (6). Deux ans plus tard, je discutais avec des militants de la Confédération Paysanne, peu suspect d'activisme pro-OGM, qui nous félicitaient, pour le travail fait lors d’une très grosse étude d’impact de ces mêmes variétés. Celle-ci avait été copilotée par un des mes collègues de l’INRA et par moi même, pour le compte du Ministère de l’agriculture et du Ministère de l’écologie… De même, j’avais eu à discuter auprès de l’Offfice Parlementaire des Choix Scientifique et Technologiques du travail de M. Gilles-Eric Séralini, chercheur résolument anti-OGM, dont l’étude sur des rats nourris aux OGM l'avait conduit, dans un aveuglement militant, à des conclusions erronées masquées par une communication très contrôlée. J’avais alors parlé d’instrumentalisation de la science, une position que je maintiens aujourd’hui encore. J’avais également du expliquer que nous consommons des produits OGM depuis plus de 40 ans, contrairement, là aussi, à ce qu’assènent un certain nombre d'écolos militants. Ainsi, toutes les lignées d’orge cultivées en France sont OGM au sens de la directive de l’UE qui les définit (7). Il en va donc de même de nos bières, nos mueslis, notre whisky, etc. En l'occurrence, ici je ne juge pas, je ne promeus pas, je constate et j'énonce un simple fait ! Dans le même ordre d'idées, je n'ai pas la place de développer ici l'analyse des propos tenus par certains écologistes autour du nucléaire, mode de production d’énergie pourtant fortement décarboné, et qui aura tué bien moins de personnes dans le monde que le charbon ou le pétrole…
Ainsi mes chers amis écologistes, je considère que vos alertes sur les dangers environnementaux que nous encourons sont pertinentes. Je considère aussi que vous « mettez dans le mille » avec votre questionnement autour de la surexploitation de notre planète, sans aucun doute liée à notre système capitaliste. Vous avez cent fois raisons de nous alerter de tout cela, mais vous ne devez pas céder aux sirènes des intégristes naturalistes. Ceux-ci proposent, sans doute sans s’en rendre compte, une vision qui s’apparente à « un antihumanisme, aux assises misanthropes : le genre humain, responsable des désastres écologiques, doit disparaître []. Dans certains cas extrêmes, nous assistons même à un renversement : l’homme y est parfois inférieur aux animaux, voire traité d’espèce nazie » (1). Comprenez qu’en tolérant en votre sein de tels attitudes ou propos, vous donnez les bâtons pour vous faire frapper par vos opposants, des tenants d’une économie sans frein aux négationnistes du changement climatique. Or, ceux-ci sont suffisamment puissants et organisés pour ne pas les aider de la sorte. Revenez à une vision plus raisonnable, plus rationnelle – et surtout plus honnête – des enjeux, et de nos difficultés. Vous gagnerez en crédibilité. C'est urgent !
Références :
1. René Dumont. Page Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Dumont
2. Stéphane François (2012). Antichristianisme et écologie radicale. Revue d'éthique et de théologie morale 272, 79-98.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-4-page-79.htm#pa1
3. Mircea Eliade (1973). Fragments d’un journal I. 1945-1969. Gallimard, Paris.
4. Anonyme. OGM, vaccins, même combat. Agriculture et environnement. Septembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.agriculture-environnement.fr/2021/09/13/ogm-vaccins-meme-combat
5. Julien Bourget (2010). Fauchage des vignes OGM, une perte pour la recherche. Le journal du CNRS 250, 17.
Consultable en ligne :
http://fr.1001mags.com/parution/cnrs-le-journal/numero-250-novembre-2010/page-16-17-texte-integral
6. Fabrice Nocolino. Mettre en taule les obscurantistes (avis autorisé du CNRS). Planète sans visa.
Décembre 2010.
Consultable en ligne :
https://fabrice-nicolino.com/?p=1024
7. Anonyme. Ces OGM méconnus que la France produit par millions. TerraEco. Aout 2013.
Consultable en ligne :
https://www.terraeco.net/Ces-OGM-meconnus-que-la-France,50776.html
Crédit illustration :
Document INA - autorisation de partage non commercial.
https://clio-texte.clionautes.org/ecologie-politique-france-canditature-rene-dumont-1974.html
S'agissant d'une capture d'écran TV, la qualité du document reste médiocre. Merci de m'en excuser.