dimanche 25 octobre 2020

ASSOCIATION DE MALFAITEURS




L’ancien présidente de la République, M. Nicolas Sarközy de Nagy-Bocsa, vient de faire l’objet d’une mise en examen pour « association de malfaiteurs », dans le cadre de l'enquête sur des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle en 2007. C’est une première depuis la création de la Ve République, qui a pourtant vu se produire nombre de faits troubles aux plus hauts sommets de l’Etat. 


Pour ceux qui ont la mémoire courte, rappelons que la Ve République aura en effet vu une multitude d’affaires de fraude fiscale, de prise illégale d’intérêt, de détournements de fonds à des fins personnelles ou de financement de campagne ou de partis. Plus grave, cette même République aura connu le meurtre de plusieurs ministres, tels Ms. le Prince Jean de Broglie en 1976, Robert Boulin en 1979 et Joseph Fontanet en 1980, et celui de deux juges d’instruction, Ms. François Renaud en 1975 et Pierre Michel en 1981. Dans ce dernier cas, l’assassinat ne serait lié qu’au démentiellement de la « french connection » auquel a participé le juge Pierre Michel. 

Ces affaires de meurtres, gravissimes au plan pénal, le sont tout autant au plan politique dans la mesure où certaines d’entre elles suggèrent des liens entre le pouvoir en place et ce que l‘on appelle « le milieu ». Ainsi, M. De Broglie a été tué en sortant du domicile de son conseiller juridique, M. Pierre de Varga, par ailleurs ancien Gestapiste. L’enquête le met en cause comme commanditaire, et révèle les rôles qu’auraient joué M. Gérard Frêche, petit truand, en lien avec un prêt de 4 millions de francs lors de l’achat du restaurant de la Reine Pédauque, et deux complices, Ms. Serge Tessèdre et Guy Simoné, ce dernier ayant été réhabilité en 1988. Depuis, M. Guy Simoné suggère que la mort du Prince serait liée à des trafics d'armes. A l’appui de ces dires, les dossiers relatifs à cette affaire sont classés secret défense et ne seront accessibles que dans 5 ans, en 2025. L’autre mobile possible, comme l’indique Wikipedia (1), est le financement occulte de parti : « M. De Broglie présidait une filiale de l'entreprise espagnole Matesa, la société luxembourgeoise Sodetex SA adossée à l'Opus Dei et impliquée dans un scandale financier, l'évasion fiscale de capitaux franquistes; Jean de Broglie avait été le trésorier des Républicains indépendants (RI), chargé à ce titre de financer la campagne présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing en 1974 et aux yeux de la presse espagnole, la Sodetex avait été constituée à seule fin d'alimenter les caisses du parti centriste à venir ».

Dans l’affaire Boulin, l’assassinat maquillé en suicide serait lié, là aussi, à un financement occulte de parti politique. Je cite encore Wikipédia : « Selon Laetitia Sanguinetti, fille d'Alexandre Sanguinetti, cofondateur du Service d'action civique (SAC), ce dernier lui avait déclaré, quinze jours après la mort de Boulin, qu'il s'agissait d'un « assassinat ». L'affaire de l'achat de la garrigue à Ramatuelle avait été montée de toutes pièces pour discréditer Boulin, qui aurait eu connaissance d'un réseau de financement illégal de partis politiques, en particulier – mais pas seulement – du RPR. De même, Michel Jobert a affirmé au journaliste Jean Mauriac, proche de la famille Boulin, que le ministre du Travail en savait trop sur le financement du RPR, notamment via Saddam Hussein, mais aussi Omar Bongo » (2). Cette thèse a été soutenue par les propos de M. Jean Charbonnel, ancien ministre, affirmant que les noms du commanditaire et de l'exécutant de cet assassinat lui avaient effectivement été donnés par M. Alexandre Sanguinetti, deux mois après la mort de M. Robert Boulin (3). 

Enfin, dans l’affaire du juge Renaud, l’enquête s’oriente vite une vengeance du « gang des Lyonnais » et de son chef, M. Edmond Vidal, ulcéré des arrestations à répétition des membres de ce gang fin 1974, et, par dessus tout, de l’incarcération des femmes des membres, dont Mme. Jeannette Biskup, maîtresse de M. Edmond Vidal, et de son ex-femme, de sa mère et de la mère de M. Jeannette Biskup. M. Edmond Vidal pourrait cependant être un coupable idéal trop évident. Incarcéré, il déclare au juge Renaud « Vous avez incarcéré ma femme, ma mère et mon amie, ni les unes ni les autres n’étaient mêlées à mes affaires, qui d’ailleurs n’ont rien à voir avec des hold-up. Tant qu’elles seront en prison, je me tairai. Je ne veux en aucune façon coopérer avec vous ». M. Edmond Vidal fait aussi publier un article en 1975 qu’il reprend dans son livre « pour une poignée de cerises ». A l’origine des rumeurs de son implication, « les affirmations gratuites du commissaire Richard. Lequel a collaboré activement à notre traque à Lyon [...] Selon lui, mon cousin Barthélemy Vidal aurait, à ma demande, sollicité des tueurs pour flinguer le juge Renaud qui maintenait Jeannette en prison ». Le fils du juge Renaud, M. Francis Renaud, soutient qu’en lien avec des confidences qui lui aurait été faites par son père, ce dernier aurait été assassiné car il s’apprêtait à démontrer que le hold-up de Strasbourg en 1971 - un des « casses du siècle », plus de 10 millions de francs soit 1,5 millions d’euro - aurait servi à financer l’UDR (ancêtre de l’UMP) (4). Supportant cette affirmation, deux membres du gang des Lyonnais, Joanny Chavel et Jean Augé appartenaient au service d’action civique (SAC) (5), une association de soutien au Gal. Charles De Gaulle, sorte de police parallèle aux méthodes plus que discutables... 

Cette collusion entre le grand banditisme et le monde politique, et disons le majoritairement de droite ,  a été un des marqueurs des années 70/80/90 en France. Depuis, même si on ne peut exclure une poursuite de certains liens, cette collusion a progressivement été remplacée par celle alliant des politiques et le monde de l’entreprise et de la finance. Même au plus haut sommet de l’Etat, certains présidents ont connu des démêlées judiciaires, et un, M. Jacques Chirac (RPR) a été condamné après son mandat, en 2011 (soit 15 ans après les faits) à deux ans de prison avec sursis pour « détournement de fonds publics » et « abus de confiance » dans l'affaire des emplois présumés fictifs de la Ville de Paris (6). 

On pourrait dès lors, avec cynisme, considérer qu’en regard des poursuites dont il fait l’objet, M. Nicolas Sarkozy s’inscrit dans une - certes délétère - tradition républicaine française ! Rappelons que ce dernier fait l’objet de poursuites dans le cadre de plusieurs affaires. Dans l’affaire Bygmalion, société ayant possiblement oeuvré à faire disparaitre les traces de dépassements de frais de campagne, l’ancien président a été mis en examen en février 2016 pour « financement illégal de campagne électorale », et se trouve sous statut de témoin assisté pour « faux et usage de faux », « abus de confiance », « tentative d'escroquerie » et « complicité et recel de ces délits ». Dans l’affaire Paul Bismuth, M. Nicolas Sarkozy a été mis en examen et sera jugé en novembre de cette année pour « corruption active », « trafic d'influence » et « recel de violation du secret professionnel ». C’est une grande première dans l’histoire de la Ve République, puisqu’aucun président n’avait fait jusque là l’objet de poursuite pour corruption. Enfin, dans l’affaire du financement supposé de la campagne de 2007 par des fonds libyens, via l’intermédiaire M. Ziad Takieddine, M. Nicolas Sarkozy est mis en examen depuis 2018 pour « corruption passive, recel de fonds publics (étrangers) et financement illégal de campagne électorale ». S’ajoute depuis le 12 de ce mois d’octobre 2020, une mise en examen pour « association de malfaiteurs » en vue de la préparation de délits punis de dix années d’emprisonnement... 

« Association de malfaiteurs » ? Présidence de la République ? Étrange et insupportable raccourci. Rappelons toutefois - et cela me semble indispensable - que mise en examen ne veut pas dire culpabilité, et que M. Nicolas Sarkozy, aujourd’hui encore est parfaitement innocent des faits qui lui sont reprochés. Rappelons aussi l’article 80-1 du code de procédure pénale qui définit la mise en examen : « A peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ».


Références

1. L’affaire De Broglie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Broglie

2. L’affaire Boulin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Robert_Boulin

3. Entretien de Jean Chabonnel avec la presse. Document AFP filmé.
Consultable à :
https://www.youtube.com/watch?v=7xyvQu2qeiY&t=92s

4. Stéphane Joahny. Francis Renaud, au nom du père. Le journal du dimanche. Décembre 2011. Consultable en ligne :
https://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Francis-Renaud-defend-son-pere-le-juge-assassine-a-l-epoque-du-gand-des-Lyonnais-433521-3226472

5. Slim Mazni. Gang des Lyonnais : "La piste politique de moins en moins taboue". Lyon Capitale. Décembre 2011.
Consultable en ligne :
https://www.lyoncapitale.fr/actualite/gang-des-lyonnais-la-piste-politique-de-moins-en-moins-taboue/

6. Anonyme. Jacques Chirac condamné à deux ans de prison avec sursis. Le monde avec l’AFP. Décembre 2011.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/15/verdict-attendu-dans-l-affaire-des-emplois-fictifs-de-la-ville-de-paris_1618652_3224.html

Crédit photo

Les Échos, 2014.
https://www.lesechos.fr/2014/11/president-ridicule-cons-a-lump-en-prive-sarkozy-tire-a-boulets-rouges-313106





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