dimanche 29 novembre 2020

ALORS, MONSIEUR DARMANIN, VOUS VOUS ÉTOUFFEZ TOUJOURS ?





« Quand j’entends le mot « violences policières » personnellement je m’étouffe », avait déclaré le ministre de l’intérieur en juillet dernier. Ses propos avaient été largement commentés en raison d’un choix de mots très provocant en regard des affaires George Floyd aux Etats-Unis, et Cédric Chouviat en France. Tous deux étaient décédés suite à des interpellations ayant conduit à leur asphyxie.

Depuis, deux affaires récentes ont relancé les débats sur les violences policières. La première est celle du tabassage du producteur de musique M. Michel Zecler par quatre policiers, à l‘intérieur d’un studio d’enregistrement, mais également en extérieur devant d’autres fonctionnaires de police qui ne sont pas intervenus pour limiter ce qui ressemble assez sensiblement à un usager disproportionné de la force. Parce que des enregistrements vidéo existent, et parce qu’ils ont été diffusés (ce que l’article 24 de la loi de sécurité vise à rendre plus difficile), le comportement de ces policiers a été porté à la connaissance de tous. Ceci a sans doute empêché une erreur judiciaire de se produire. En effet, les policiers incriminés semblent avoir rédigé des rapports mensongers sur les faits allégués. Rappelons ici que le faux en écriture publique, de la part d’un fonctionnaire, est gravissime. C’est un crime, donc passible des assises.

La seconde affaire, moins médiatisée, est celle du tabassage de journalistes couvrant la « marche des libertés », parmi lesquels le photographe syrien Ameer al Halbi, de son vrai nom Walid Mashhadi. Ce dernier a reçu plusieurs distinctions pour son travail, dont le prix Polka Magazine, et deuxième prix de la catégorie Spot News du World Press Photo. Il a exercé dans de nombreux endroits dangereux, y compris à Alep. Il quitte d’ailleurs la Syrie en 2016 devant l’impossibilité d’y exercer son métier et trouve refuge en France où il travaille pour l’Agence France Presse (AFP). Je cite le témoignage d’une autre journaliste de cette agence, Gabrielle Cézard (1), présente sur les lieux aux côtés d'Ameer Al Halbi, témoigange confirmé par d'autres sur le matraquage subi : « Nous étions identifiables comme photographes et tous collés à un mur. On criait « Presse ! Presse ! ». Il y avait des jets de projectiles du côté des manifestants. Puis la police a mené une charge, matraque à la main. Ameer était le seul photographe qui ne portait ni casque, ni brassard. Je l'ai perdu de vue puis je l'ai retrouvé entouré de gens, le visage tout ensanglanté et enveloppé de pansements ». Suite à ces événements, l’AFP, la rédaction de Polka magazine, et Christophe Deloire de Reporters sans Frontières (RSF) ont vivement protesté contre ces agissements, et pour certains d’entre eux réclamé l'ouverture d’une enquête.

Je n’ai pas de problème avec l’usage de la force lorsque celle-ci est nécessaire à l’arrestation de casseurs, de délinquants ou de criminels. Reste que nous, citoyens, avons passé un contrat moral central avec les forces de l’ordre, dans lequel nous échangeons notre aspiration et notre droit à la tranquillité, contre des pouvoirs énormes que nous leur conférons. Parmi ces pouvoirs, ceux de nous contrôler, éventuellement de pénétrer nos vies privées, même si cela nécessite heureusement le plus souvent une décision de justice, ou de nous placer en garde à vue, sans décision de justice cette fois, le temps d’investiguer. Pour cette raison, les débordements policiers sont inquiétants, car ce sont des coups de canif dans ce contrat. Ils sont également inquiétants parce qu’ils sont systématiquement niés par le pouvoir politique qui ne semble pas vouloir faire le ménage dans les forces de l’ordre. J’ai rappelé en introduction le commentaire très désobligeant du ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin. Son prédécesseur, M. Christophe Castaner, était sur la même ligne (2), de même que M. Manuel Valls (3) sous la présidence de M. François, Hollande. On retrouve également cette « réticence » à parler de ce sujet dans la bouche du président de la République, M. Emmanuel Macron, lui même qui refusait d’utiliser le terme de violences policières pour qualifier des débordements observé lors de manifestations de gilets jaunes (4). Comme dans bien d’autres dossiers, la politique de l’autruche est sans doute la pire qui soit, à la fois vis à vis du pacte républicain évoqué plus haut, établi entre police et population, mais également en regard de l’image de la France qui se présente comme le pays de droits de l’Homme à l’étranger. Cette image se détériore et entraîne d’ailleurs des remontrances d’ONG, mais aussi des Nations Unies ou de l’Union Européenne (5).

Faire le ménage dans la police est également absolument nécessaire pour les policiers eux mêmes. Sur ce dossier délicat, je souhaite clarifier ma position. Je n’ai rien « contre les forces de l’ordre », bien au contraire. Je trouve inadmissible les violences dont elles peuvent être elles-mêmes victimes en particulier face à des casseurs de toutes natures. Je reconnais aussi que leur action est essentielle à notre protection, particulièrement dans le domaine de l’antiterrorisme. J’ai dans ma famille trois « flics » qui font, comme beaucoup d’autres membres de la police ou de la gendarmerie, un travail formidable vis-à-vis des victimes de cambriolage, de vol, d’abus de biens sociaux ou d’agression de diverses natures, y compris sexuelle, et qui m’en parlent. Leur activité est d’autant plus remarquable qu’elle s’exerce dans des conditions matérielles difficiles : personnel en sous nombre, pour certains mal formés, véhicules parfois obsolètes, armement et entraînement au tir minimum, locaux défraîchis, etc. Cette activité se fait sans compter les heures, les jours au travail, le matériel à usage professionnel acheté sur ses propres deniers, les congés supprimés, ou les RTT accumulées en si grand nombre qu’elles ne seront jamais utilisables. Mais le malaise dans la profession est grand, comme en attestent le nombre de divorces et le nombre de suicides dans la police. Rétablir la confiance de la population dans sa police ne réglera pas tous ces problèmes mais elle permettra aux policiers qui exercent des missions difficiles, dans des quartiers sensibles, ou dans des affaires sordides, de se sentir soutenus. La condition sine qua non est d’éliminer - sans état d’âme - les brebis galeuses des services, et pour cela il faut arrêter de nier, aux niveaux syndical,  hiérarchique et politique, l’existence de problèmes, en particulier de problèmes de racisme ordinaire. Refuser de les voir ne les fera, en effet, jamais disparaître.


Références

1. Anonyme. Marches des libertés : un photographe syrien blessé, une enquête administrative ouverte. Le Parisien avec l’AFP. Novembre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.leparisien.fr/faits-divers/marches-des-libertes-un-photographe-syrien-blesse-rsf-denonce-des-violences-policieres-29-11-2020-8411164.php

2. Anonyme. Christophe Castaner : « Aucun policier n'a attaqué des Gilets jaunes ». LePoint.fr. Janvier 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lepoint.fr/societe/christophe-castaner-aucun-policier-n-a-attaque-des-gilets-jaunes-15-01-2019-2286068_23.php

3. Etienne Baldit. Entre "guillemets", "soi-disant" : comment Manuel Valls évacue les violences policières. Le Lab Europe 1. Juin 2016.
Consultable en ligne :
https://lelab.europe1.fr/entre-guillemets-soi-disant-comment-manuel-valls-nie-lexistence-de-violences-policieres-2773265

4. Anonyme. Emmanuel Macron: "Je récuse le terme de violences policières, la violence est d'abord dans la société". Reportage BFM TV. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/emmanuel-macron-je-recuse-le-terme-de-violences-policieres-la-violence-est-d-abord-dans-la-societe_VN-202001300177.html

5. Sur la perception des violences policières en France par des ONG ou d’autres pays, voir :
L’avis du Temps, journal suisse :
Violences policières, un déshonneur français
https://www.letemps.ch/opinions/violences-policieres-un-deshonneur-francais

Sur les remarques de l’ONU :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/06/l-onu-demande-a-la-france-une-enquete-sur-l-usage-excessif-de-la-force-pendant-les-manifestations-de-gilets-jaunes_5432222_3224.html

Sur les demandes d’Amnesty international :
https://www.amnesty.org/en/latest/news/2018/12/police-must-end-use-of-excessive-force-against-protesters-and-high-school-children-in-france/

Et le mémorandum du Conseil de l’Europe
https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/maintaining-public-order-and-freedom-of-assembly-in-the-context-of-the-yellow-vest-movement-recommendations-by-the-council-of-europe-commissioner-for-


Crédit photo

Gabrielle Cézard - AFP


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