dimanche 1 novembre 2020

LA PANDÉMIE À CORONAVIRUS COMME EXTERNALITÉ NÉGATIVE DE LA MONDIALISATION





Nombreux sont les tenants de l’économie néolibérale qui citent les bénéfices dégagés de la mondialisation économique comme une réussite du capitalisme global. Mais n’est-ce pas finalement qu’un regard très fragmentaire sur notre monde ?


La mondialisation des échanges a pris une ampleur considérable au cours des 20 ou 30 dernières années. De 1980 à 2017, le volume du commerce mondial a été multiplié pratiquement par un facteur 7 (source INSEE). Dans le même temps le PIB mondial a cru d’un facteur 3,5 (1). Il serait malhonnête de ne pas dire ici que cet accroissement de la richesse mondiale a profité à de nombreux pays, souvent encore sous-développés ou en voie de développement dans les années 60, l’exemple le plus significatif étant la Chine. En 40 ou 50 ans, ce pays est devenu l’usine mondiale, et, en 2013, la première puissance commerciale avec 4 160 milliards de dollars de biens échangés. Sur les 15 dernières années la part de la Chine dans le PIB mondial est passée d’environ 5 % à environ 20 % alors que dans le même temps celle de l’union européenne chutait de 25 à 18 % et celle des États-Unis se réduisait légèrement de 27 à 25 % (2). Même dans ce contexte difficile pour les pays de l’union européenne, qui n’ont sans doute pas pris toute la mesure des conséquences internes du libéralisme économique, la mondialisation a eu des conséquences bénéfiques. Ainsi, pour la France, les importations représentaient 13,5 % de la demande intérieure dans les années 50 contre un peu plus de 30 % aujourd'hui. Sur la même période, les exportations sont passées de 14,6 % du PIB français à 30,8 % (1). 

Cet accroissement du PIB mondial a entraîné, au moins partiellement, un recul de la pauvreté. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2008, le nombre des personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour dans le monde a diminué de 500 millions, et leur proportion dans la population totale est tombée de 52 % à 26 % entre 1981 et 2005 (3). Et alors que l’Asie de l’Est et du Sud-Est affichait le taux de pauvreté le plus élevé du monde avec 80 % en 1981, celui-ci est tombé à 18 % en 2020 et 600 millions de personnes sont sorties de la très grande misère. Le même constat peut être fait pour d’autres pays. Ainsi, entre 1981 et 2001, la proportion de la population rurale vivant avec moins de un dollar par jour est passée de 63 à 42 % en Inde, et de 55 à 11 % Indonésie (4). 

Mais derrière cette  apparence merveilleuse de la mondialisation, se cachent des réalités très dérangeantes. Ainsi, au cours des 15 dernières années, la part des emplois en France sous contrôle d’entreprises multinationales étrangères à doublé atteignant pratiquement 18 % (1). Contenu du fait qu’un emploi sur 5 est un emploi du secteur public en France, ce chiffre signifie que pratiquement 1/4 des emplois du secteur privé dans notre pays se trouve sous le contrôle d’entreprises étrangères. Or, on a bien vu lors de crises récentes (Goodyear, Bridgestone, Ford, Continental, Nokia, General Electric, Ascoval, Cargill, etc.) le peu de cas que font ces multinationales de leurs salariés. Si ceci n’était que la seule critique que l’on puisse faire, le bilan global de la mondialisation resterait positif.

Malheureusement il existe de nombreuses externalités négatives (langage d'économistes) à la mondialisation. Définition de l’externalité négative : il s’agit d’une situation dans laquelle un agent économique provoque par son activité des effets négatifs sur autrui, sans contrepartie monétaire. L’exemple le plus simple est la pollution générée par une activité industrielle. Cette pollution n’est pas nécessairement seulement de l’ordre de rejets toxiques, elle peut être visuelle, sonore, etc. Il serait fort long de décrire toutes les externalités négatives de la mondialisation. D’autant, comme le dit Wikipédia, que « l'analyse exhaustive des externalités - en particulier négatives - est loin d'être évidente. Le risque de les omettre s’accroît lorsque celles-ci sont masquées par un surcroît d'activité économique qui fausse le bilan apparent et global de l'événement en cause ». Dans le cas de l'économie globalisée, ces externalités négatives couvrent pourtant de larges domaines relevant de l’environnement - dont le plus visible est sans doute ce que l’on appelle le changement global lié à l’accroissement de la production de gaz à effet de serre - ou du social, avec paradoxalement dans les pays développés un maintien des taux de chômage et de pauvreté à haut niveau expliquant en partie, par exemple en France, la crise des gilets jaunes. Même des économistes « mainstream » le reconnaissent, tel le prix Nobel d’économie 2008 Paul R. Krugman lorsqu’il écrit « Il n’est plus certain d’affirmer, comme on l’aurait fait une douzaine d’année plus tôt, que l’impact du commerce [mondial] sur la répartition des revenus dans les pays riches reste mineur. Il y a de bonnes raisons de penser que cet impact est important et qu'il s'agrandit. Je ne soutiens pas le protectionnisme, mais les libres-échangistes ont besoin de meilleures réponses aux inquiétudes des perdants de la mondialisation » (5). En termes coût, la pollution de l'air, particulièrement sensible dans les villes des usines mondiales, représenterait plus de 5 000 milliards de dollars par an (6)... 

Avec de tels effets négatifs au plan social, environnemental et financier, la mondialisation ne semble pas - à mon avis - compatible avec le développement durable. En sus des problèmes de pollution gravissimes liés aux transports mais aussi la production en masse de biens de consommation, donc de déchets, l’augmentation des échanges a entraîné corrélativement une diffusion accrue d’entités biologiques susceptibles de générer des externalités négatives. Je pense bien sur aux espèces invasives, telles l’écrevisse américaine, l'écureuil gris, le ragondin, le frelon asiatique pour les seules espèces animales qui menacent des écosystèmes entiers et les services écosystémiques rendus, eux aussi difficiles à quantifier. Je pense également, et c’est là le sujet de cet article, que la diffusion massive du SARS-CoV2, agent de la CoViD19 est liée de façon extrêmement étroite pour ne pas dire indissoluble aux échanges mondiaux. En l’occurrence il ne s’agit pas d’échanges de biens (encore que) mais de l’accroissement des flux de personnes entre les différentes parties du monde. Entre 1980 et 2019, le nombre de passagers du transport aérien a en effet doublé tous les 15 ans, et il a décuplé en Chine et en provenance de Chine entre 2005 et 2019 (7). Juste avant la pandémie, ce nombre de passagers s’établissait à presque 4 milliards et demi, soit grosso modo la moitié de la population mondiale. Or, avec l’expérience des précédentes épidémies de SRAS (2002/2003) et de MERS (2012), toutes deux provoquées par des coronavirus, il était évident que dès lors que des cas de CoViD19 étaient apparus en Chine, ceux-ci apparaîtraient en Europe si les flux de voyageurs n’étaient pas très vite bloqués entre ces différentes régions (voir santé publique France (8) à ce sujet et au sujet du rôle des transports aériens). Or au nom de la libre circulation des biens et des personnes, et, disons le d’une vision néolibérale valorisant les échanges mondiaux, pas une seconde il n’a été question de bloquer le trafic aérien entre l’Asie et l’UE, ou l’Asie est les Amériques... Ceci a entraîné l’arrivée de cas en Italie puis en France, puis dans toute l’Europe et le monde. Or si j’en crois les évaluations parues dans la presse, le coût de la pandémie pourrait atteindre, selon le FMI, 9 000 milliards de dollars, soit 10% du PIB mondial (9), dans une estimation déjà ancienne de juin 2020. Un joli montant pour une externalité négative que « les marchés » ne pourront pas, cette fois comme à leur habitude, facilement balayer sous le tapis... 


Références

1. L'essentiel sur... la mondialisation. INSEE. Janvier 2020.
Consultable en ligne
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633242

2. L’économie chinoise. Wikipédia.
Consultable en ligne
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_la_r%C3%A9publique_populaire_de_Chine

3. Pauvreté. Wikipédia.
Consultable en ligne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9

4. Pranab Bardhan. Mondialisation et pauvreté. Pour la science N° 348. Octobre 2006
Consuiltable en ligne
https://www.pourlascience.fr/sd/economie/mondialisation-et-pauvrete-919.php

5. Paul R. Krugman. « Trade and inequality revisited » (2007).
Consultable en ligne
http://hussonet.free.fr/krugman7.pdf

6. Grégoire Normand. La pollution coûte 5 100 milliards de dollars par an selon la banque mondiale. La Tribune. Septembre 2016.

7. Paul Chiambaretto. Trafic aérien mondial, une croissance fulgurante pas prête de s’arrêter. The Conversation. Mai 2019.

8. Santé publique France Le SRAS-CoV, un coronavirus à l’origine d’une épidémie mondiale d’une ampleur considérable. Mai 2019.
Consultable en ligne
https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/articles/le-sras-cov-un-coronavirus-a-l-origine-d-une-epidemie-mondiale-d-une-ampleur-considerable

9. Salima Barragan. Quel est le coût du Covid-19? All News, la finance Suisse dans l’E-media. Juin 2020.
Consultable en ligne
https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/quel-est-le-co%C3%BBt-du-covid-19


Crédits photos


Rationalité économique et mondialisation
https://academiesciencesmoralesetpolitiques.fr/2014/06/23/rationalite-economique-et-mondialisation/



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