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mercredi 17 août 2022

LA RENOUÉE DU JAPON,
UNE ESPÈCE TRÈS INVASIVE !



Je circulais récemment rue du jeu de paume, et j'ai noté que les bas-côtés et le talus dans la descente vers la ferme de Pivot avaient été récemment fauchés. Une bâche sombre y est également installée, et tout me porte à croire qu'il s'agit d'essais pour tenter de limiter l'installation d'une espèce particulièrement invasive, la renouée du Japon.

La renouée du Japon, de son nom scientifique Reynoutria japonica (préalablement Fallopia japonica), appartient à la famille des Polygonaceae qui regroupe des espèces très diverses dont les plus connues du grand public sont sans doute la rhubarbe (Reum spp.), les Rumex, genre auquel appartient l'oseille, ou, parlant à nos amis bretons, le sarrasin (Fagopyrum esculentum), également appelé blé noir. Ce nom est trompeur, car il laisse à penser que le sarrasin pourrait être une céréale, ce qu'il n'est à l'évidence pas.

Très curieusement, la renouée du Japon est arrivée de façon confidentielle en Europe, au Moyen Âge, importée d'Asie à des fins d'alimentation du bétail. Sa véritable importation en masse remonte cependant au XIXe siècle, également à des fins d'alimentation du bétail, mais également comme plante mellifère et d'intérêt horticole. Elle s'est ensuite répandue au XXe siècle dans pratiquement toute l'Europe. Cette propagation massive est liée à la sa capacité reproductive qui repose sur deux phénomènes. Le premier est la reproduction sexuée, qui fait donc intervenir fleurs, puis fruits et graines. L'efficacité de cette reproduction dépend de la nature des sols et surtout du climat. Elle est considérée par les spécialistes de la question comme peu efficace en France. Ce qui rend donc la propagation de la renouée extrêmement problématique dans nos régions, c'est la reproduction dite végétative. Par définition, cette reproduction végétative n'implique pas de fécondation. Elle repose chez les végétaux sur des processus de type bouturage ou greffe, ou, de façon naturelle cette fois, sur le marcottage (une tige se courbe, touche sol, et s'enracine pour former un nouvel individu) ou la formation de stolons (cas des fraises par exemple) ou de bulbes annexes à partir d'un bulbe mère, pour ne citer que quelques exemples.

Chez la renouée, la fonction végétative est associée à son important réseau de racines et de rhizomes. Un petit point de biologie végétale ici, pour préciser que le rhizome, contrairement à une idée reçue, n'est pas une grosse racine. Sa structure l'apparente en effet à une tige souterraine. Cette tige produit dans certains cas des feuilles souterraines, non chlorophylliennes, qui restent « collées » au rhizome, lui donnant un aspect écailleux. Dans le cas de la renouée, une plante d'un mètre de haut peut projeter sous terre un réseau de racines de rhizomes dépassant 10 mètres ! De plus, et c'est bien là le problème majeur, un simple petit morceau de rhizome de quelques grammes peut, dans des conditions favorables , donner naissance à une plante entière. Les rhizomes étant des tiges souterraines, on ne s'étonnera pas d'apprendre qu'un petit morceau de tige feuillée tombé au sol peut aussi s'enraciner, si les conditions sont favorables,et régénérer une plante entière

La renouée est considérée comme une espèce très envahissante et elle fait d'ailleurs partie, au niveau européen, des 100 espèces végétales les plus problématiques. Dans certains pays, son éradication est obligatoire à proximité des constructions. En effet, les racines et les rhizomes de la renouée sont extrêmement puissants et capables de percer les fondations de certaines habitations, y compris celles réalisées en béton. De plus, étant capable de progresser très rapidement, la renouée pose un véritable problème environnemental dans la mesure où sa croissance affecte sensiblement les espèces indigènes dont elle peut même prendre la place, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur la chaîne alimentaire et donc la biodiversité locale. Malheureusement, l'éradication de ce végétal est très difficile, voire impossible. Il est donc plus raisonnable de penser « contrôle ». On peut ainsi oublier les désherbants chimiques classiques, sauf à les utiliser en cocktails à doses relativement élevées, une technique souvent difficile à mettre en oeuvre du fait des risques de contaminations environnementales surtout le long des cours d'eau. Des approches biologiques ont été étudiées, en utilisant des insectes très friands de renouées. Le problème est que bien que ces insectes ne montrent pas une appétence forte pour les plantes indigènes d'Europe, ils sont susceptibles de changer de comportement. Néanmoins, au plan biologique, la renouée semble un aliment d'intérêt pour certaines chèvres et moutons. Des approches d'écopâturage ont donc été développées avec succès, particulièrement dans des zones classées espaces naturels sensibles.

Les techniques de contrôle les plus prometteuses restent essentiellement basées sur des méthodes physiques. Celles-ci incluent le repérage rapide des nouvelles zones ou pousserait de la renouée et l'arrachage de la plante, ainsi que le décaissage d'une large zone du sol environnant afin d'éliminer les rhizomes. Pour les zones plus largement contaminées, après l'arrachage de la plante on peut procéder au traitement du sol environnant. Les volumes à traiter sont cependant impressionnants, même si des techniques performantes de retraitement du sol ont été mises en place au cours des 10 dernières années. ces techniques impliquent le broyage extrêmement fin du sol et des rhizomes, empêchant ces derniers de régénérer des plantes entières. Une autre technique est celle mise en œuvre, semble-t-il, dans notre commune, et qui consiste en un bâchage du sol sur la zone de croissance du végétal. Les conditions de réussite sont cependant drastiques puisqu'il faut un bâchage très large de la zone contaminée et un maintien absolu de la bâche au sol pendant des périodes longues (plusieurs mois, voire plusieurs années). Il faut également une bâche extrêmement solide, dont le maintien de l'intégrité doit être assuré faute de quoi la plante pourra de nouveau de développer. On cite parfois le cas de repousses de renouée sur bâche au travers des trous laissés par l'agrafage lors de la fabrication. L'avantage de cette technique est qu'elle est relativement peu coûteuse, économe en énergie, et satisfaisante sur le plan environnemental.

Dernier point, la renouée, jeune, est comestible. Néanmoins, cette espèce présente des capacités marquées de bioaccumulation des métaux, et particulièrement de certains métaux lourds. Ceci rend sa consommation potentiellement dangereuse, à moins de la limiter aux secteurs dont l'historique est bien connu, et dans lesquels toute trace de contamination métallique peut être exclue. Des essais ont également été menés pour utiliser la renouée comme ressource biomasse, soit pour la production de biogaz, soit pour la production d'un composé qu'elle biosynthétise en quantités relativement importantes, le resvératrol, très utilisé par l'industrie cosmétique ou comme complément alimentaire.

Comme le ragondin, introduit volontairement pour exploiter sa fourrure, les coccinelles asiatiques supposer lutter contre les pucerons, ou le lapin importés aux Kerguelen pour servir d'aliment carné, la renouée s'ajoute à la longue liste de ces apparentes bonnes idées d'introduction d'espèce allochtones, qui ont finalement mal tourné. Cependant, pour finir sur une note optimiste, il faut préciser que bon nombre d'introductions volontaires d'espèces étrangères ne se sont pas traduites par un désastre écologique, au contraire : personne en plein été ne trouve à redire à la production de tomates, de courgettes ou d'haricots (en provenance des Amériques) ou d'aubergines (en provenance d'Inde). Notre alimentation serait ainsi bien triste si on ne se limitait aux espèces européennes indigènes. Même s'il est pertinent de favoriser la culture d'espèces indigènes, peut-être en serait-il de même aussi pour nos jardins : pour ne citer que deux espèces emblématiques, le rosier vient d'Asie centrale, de Perse probablement, et le lilas vient d'Asie orientale ou d'Inde...   

Crédit illustration : 

Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart. La Renouée du Japon à la conquête du monde.
ENS Lyon.
Cliché R. Thomas.
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/la-renouee-du-japon-a-la-conquete-du-monde


vendredi 22 avril 2022

CHARYBDE ET SCYLLA, PESTE ET CHOLÉRA



Il n'a échappé à personne, je pense, qu'il reste encore un tour avant de connaître le résultat de l'élection présidentielle. Ce denier tour ressemble au dernier tour de la précédente élection, opposant M. Emmanuel Macron à Mme. Marine Le Pen. La question qu'une part non négligeable des électeurs se pose est clairement comment voter lorsqu'aucun des programmes des candidats en lice ne vous satisfait. Ma réponse n'engage que moi.

Je ne vais pas tourner autour du pot. Je n'ai confiance ni en Madame Marine Le Pen, ni en Monsieur Emmanuel Macron.

Le RN et précédemment le FN ont trop frayé avec l'extrême droite identitaire, avec les jeunes aux cheveux aussi courts que leurs idées, le racisme, la violence, les discriminations de tous ordres - du droit des femmes à l'identité sexuelle - pour accepter qu'un ou une présidente issue de ses rangs dirige un jour notre République. Et puis, il y a toutes les déclarations, plus récentes, de la campagne actuelle. Mme. Marine Le Pen et ses partisans tiennent des propos ségrégationnistes, au sens large. Ces propos ne font pas, par exemple, clairement le distinguo entre islam et islamisme. Elle disait ainsi : « Le voile est un uniforme islamiste et pas musulman, c’est l’uniforme d’une idéologie, pas d’une religion », proposant dès lors l'interdiction du port du voile dans l'espace public. En incidente, il faudra alors penser aussi à interdire les kippas et les croix, ainsi que les médailles des tous les saints ou de Marie également. Or, ce n'est pas cela la laïcité. La laïcité, c'est de permettre à tous d'exercer ses convictions, ses préférences religieuses, des athées aux croyants, sans empêcher son voisin de le faire également. Le seul endroit où ces préférences ne doivent pas être visibles, c'est dans la marche de l'Etat. Ainsi, l'interdiction du port ou de l'expression de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique me parait nécessaire et justifiée, comme symbole de la neutralité, et paradoxalement de la bienveillance de l'Etat en la matière. Pour revenir à Mme. Marine Le Pen, elle propose aussi des mesures discriminatoires lorsqu'elle annonce vouloir mettre fin au regroupement familial, ou réserver les allocations familiales aux nationaux. Dans cette logique, un étranger légalement établit en France, y payant ses impôts depuis des années n'aurait-il donc pas les mêmes droits qu'un Français ? Et un Français marié à une étrangère ne pourrait-il la faire s'installer définitivement en France. Quel délire ! Et son programme environnemental ? Certes, celui de M. Emmanuel Macron est quasi-inexistant, mais que dire, alors que la crise climatique s'amplifie et qu'elle continuera de s'amplifier pendant des décennies en raison de l'inertie de notre biosphère, de sa proposition d'un moratoire sur le solaire ? Ou du démantèlement des éoliennes, défendant ainsi une position complètement orthogonale aux accords de Paris. Enfin, en matière de politique internationale, que dire de ses accointances avec M. Vladimir Poutine, dont elle encensait encore voilà peu, le comportement et la politique nationale. Autre temps, autres moeurs, certes, mais quoiqu'il en soit, je n'ai aucune envie de voir cette personne représenter la France et ses valeurs. Elle ne peut le faire. Elle en est même à l'opposée. 

Quant à M. Emmanuel Macron, j'ai bien explicité dans différents articles de ce blog ses actions et celles des marcheurs, dont les godillots (c'est le terme approprié) ont assez systématiquement approuvé les décisions à l'assemblée nationale. A commencer par la possibilité que cette majorité a offerte au gouvernement de décider par ordonnance, supprimant ainsi le contrôle parlementaire sur les décisions proposées. Or ces décisions, et donc la politique menée par M. Emmanuel Macron, a conduit à une division encore plus accentuée des Français. Au cours du quinquennat, la fortune des plus riches a explosé, merci entre autres à la suppression de l'ISF, et à l'instauration de la flat tax. En même temps, pour reprendre la phraséologie en cours, « la France qui rame » a assez systématiquement fait l'objet de mesures la défavorisant : laminage du droit du travail, blocage des salaires, et pour les plus défavorisés, réduction des APL ou réduction de facto des aides aux handicapés, pour ne citer que quelques mesures. J'y ajoute la poursuite de la casse des services publics, l'hôpital en tête. Je ne sais pas d'ailleurs si celui-ci survivra : il était malade au début du quinquennat, il est maintenant agonisant. Tout cela, combiné aux augmentations du coût de la vie, a conduit à la crise des gilets jaunes, qui n'est à mon sens pas une crise. Une crise présente en effet une durée limitée dans le temps. Or celle-ci se poursuit plus de trois ans après son commencement, et elle n'a disparu des radars, écrans et infos que parce qu'une crise sanitaire sans précédent qui perdure lui a succédé. Tout cela a pour conséquence le fait qu'un Français sur quatre (27%) avouait ne pas manger à sa faim, un chiffre encore en augmentation, et que 20% déclaraient voilà peu devoir sauter certains repas. Cette France d'en bas, terme que je n'aime pas, est en fait celle de l'exclusion. C'est la France exclue des centres villes, des métropoles, de l'emploi pérenne, des services publics. C'est celle qui fait a fait l'objet de toutes railleries de l'ancien président. C'est celle qui coûte un pognon de dingue, qui n'a qu'à traverser la rue pour trouver du boulot, celle qui croise dans les gares des gens qui réussissent, alors qu'eux ne sont rien. Qualifié d'arrogance, la pensée macronienne et la politique qu'il a menée sont en réalité totalement engagées dans un processus de lutte des classes, terme que certains voudraient faire passer pour désuet, obsolète, mais qui fournit pourtant, volens nolens, une grille de lecture pertinente du dernier quinquennat. M. Emmanuel Macron n'est pas que le candidat des riches ou des banques, comme cela a été dit. C'est aussi le candidat d'un apartheid social, différent de celui proposé par son opposante, mais tout aussi pitoyable et impitoyable. Pour s'en convaincre, voici quelques propos qu'il a tenus, lors de discours, de visites, ou d'interviews. Je cite : « les salariés français sont trop payés », « les salariés doivent pouvoir travailler plus, sans être payés plus si les syndicats majoritaires sont d’accord », « la meilleure façon de se payer un costard c’est de travailler ». D'autres citations montrent toute l'étendue du mépris de classe de l'ex-président, vis à vis d'une partie non négligeable des Français, qu'il devrait, pourtant défendre en priorité. Je cite toujours : « les Britanniques ont la chance d’avoir eu Margaret Thatcher », « je ne suis pas là pour défendre les jobs existants », « le chômage de masse en France c’est parce que les travailleurs sont trop protégés », ou « 35 h pour un jeune, ce n’est pas assez ». Restent également des propos très inquiétants et, curieusement, très peu relevés dans la presse tels que « je suis pour une société sans statuts » et « La France est en deuil d’un roi ». Jupitérien, vous avez dit Jupitérien?

J'arrête là la démonstration. Tout cela indique qu'avec M. Emmanuel Macron, comme avec Mme Marine Le Pen, la France pourra faire le deuil de sa devise « liberté, égalité, fraternité ». Se pose donc la question du vote du second tour, dimanche. L'option logique serait donc le vote blanc, aucun des candidats ne satisfaisant aux critères minimaux que j'exige à titre personnel pour obtenir mon suffrage. A ce stade, que l'on vienne pas me parler de front républicain. Ce n'est pas moi qui a installé ce choix invraissemblable entre un représentant de l'extrême droite et un représentant de la finance et des ultras riches, entre un programme raciste et xénophobe, et un programme de casse sociale généralisée. J'ai d'ailleurs voté pour M. Jacques Chirac contre M. Jean-Marie Le Pen quand il l'a fallu, j'ai rejeté la candidature de Mme Le Pen en 2017, tout cela pour constater que le président élu a ensuite très rapidement oublié la pluralité des opinons politiques des citoyens qui l'avaient porté au pouvoir. Malheureusement, le vote blanc, bien que comptabilisé, passera rapidement aux oubliettes. Il me semble donc, que l'action la plus visible et forte reste l'abstention. Celle-ci sera en effet bien plus discutée et bien plus significative si, comme je l'espère, elle tutoie ou dépasse la barre des 40%. C'est donc l'option la plus raisonnable vers laquelle je me dirige dans le cadre d'un choix impossible entre Charybde ou Scylla, peste ou choléra...


Crédit illustration :

Rallye lecture. Charybde et Scylla
https://rallye-lecture.fr/charybde-et-scylla-niveau-3/



vendredi 15 avril 2022

SCANDALES SANITAIRES. À QUI LA FAUTE ?



L'actualité récente a mis en lumière un certain nombre d'événements qui constituent, à mon sens, autant de scandales sanitaires. Je pense bien entendu aux dernières contaminations alimentaires bactériennes (listériose, salmonellose, infections à Escherichia coli enterotoxiques) mais également à la maltraitance de nos anciens dans certains EHPAD. Il y a des points communs entre ces affaires.

Ce dernier point a été particulièrement douloureux. Il fait suite à la publication du livre « les fossoyeurs » de Victor Castanet, dans lequel ce dernier rapporte la façon dont sont traités une partie des résidents fragiles des établissements appartenant au groupe ORPEA. Il y décrit les manquements constatés dans les soins d’hygiène, ainsi que les déficiences de la prise en charge médicale de nos anciens. Il décrit également les rationnements dont sont victimes certains de ces résidents, leur repas étant de plus en plus réduits pour améliorer la rentabilité de l'établissement. Après que l'entreprise ait nié l'existence de tels agissements, la situation a semblé suffisamment sérieuse pour qu'enquêtes internes et enquêtes des services de l'Etat soient lancées. Dans ce dernier cas, ce sont même deux procédures qui ont été initiées, l'une, administrative, de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et l'autre, financière, de l'Inspection Générale des Finances (IGF). Les EPHAD incriminés bénéficient, en effet et à divers titres, de soutiens financiers des collectivités et de l'État. Début avril 2022, et après avoir tergiversé en invoquant « le secret des affaires », le gouvernement s'est résolu à rendre le rapport de 500 pages public tout en en masquant certains aspects (1). Ce dernier confirme une nourriture limitée, les grammages étant jugés « sensiblement et systématiquement insuffisants ». Le rapport relève également des problèmes dans la transmission des informations et plus particulièrement une gestion opaque des signalements faits par les personnels, objets de filtrages au niveau des directions de l'entreprise. Au plan budgétaire, ce même rapport pointe des documents financiers « insincères » et des excédents budgétaires dégagés sur les dotations publiques. Ainsi, selon Jade Peychieras, de France-Bleu (2) : « Sur la seule période 2017-2020, Orpea a ainsi dégagé 20 millions d'euros d'excédent sur ces dotations versées. Ces excédents « ne font l'objet d'aucun suivi comptable précis », si bien qu'une partie pourrait, « le cas échéant », être « distribuée aux actionnaires ». Sur la même période, l'entreprise a également, de façon irrégulière, imputé plus de 50 millions d'euros de dépenses sur le forfait soins, payé par l'argent public. Plus de la moitié de cette somme concerne la rémunération des auxiliaires de vie « faisant fonction » d'aides-soignantes, alors qu'elles n'ont pas de diplôme pour exercer ce métier ». D'une façon générale, les enquêteurs indiquent que la gestion des établissements donne la priorité à la performance financière plutôt qu’à des critères de qualité. Tout est dit.

Passons maintenant aux récents problèmes sanitaires rapportés au sein de grandes groupes agroalimentaires, les derniers en date étant les contaminations bactériennes relevées dans des produits des entreprises Buitoni (pizzas) et Ferrero (Kinder). Dans le premier cas, ce sont une cinquantaine d'enfants qui ont été touchés, dont deux sont décédés, en lien avec une toxi-infection à Escherichia coli. Une autre cinquantaine de cas sont en cours d'analyse. L'origine de l'infection a pu être tracée au niveau de l'usine de Cambrai, dont la production est à l'arrêt suite un arrêté préfectoral. Une inspection a révélé des manquements sérieux en termes d'hygiène, notamment la présence de rongeurs dans l'usine, d'aliments non nettoyés au sol, ou de moisissures en quantité importante sur les murs. Ceci posé, l'origine de la bactérie est le plus souvent animale, celle-ci étant présente dans le tube digestif des ruminants. La probabilité qu'elle provienne donc - encore une fois - de viandes mal préparées reste donc élevée. Il faudra cependant attendre des études complémentaires pour identifier avec précision la source de la contamination. Dans le cas des chocolats Kinder, l'origine de la contamination a été tracée dans l'usine d'Arlon, en Belgique. La source des Salmonelles est le plus souvent le lait et ses produits dérivés. Il est donc probable que dans le cas de la chocolaterie industrielle, ces mêmes produits soient en cause. Au total ce sont plus de 150 cas de contamination par des salmonelles qui ont été répertoriées, et ce dans plus de neuf pays européens.

Dans ces deux cas de contamination alimentaire, un élément est choquant. Il réside dans l'espace de temps qui s'est écoulé entre les premiers signalements et l'arrêt de production. Ainsi, selon l'ONG Foodwatch, la première détection de salmonellose a été rapportée fin décembre 2021 au Royaume-Uni (3). Il faudra attendre le 23 mars, pour que les autorités sanitaires de Grande-Bretagne, enquêtant sur une épidémie, préviennent l'entreprise et pointe du doigt l'usine belge. Ce délai, en lui-même, ne me surprend pas, parce qu'une étude épidémiologique destinée à identifier une source de contamination est généralement longue. Ce qui me surprend, en revanche, c'est qu'aucun des tests d'autosurveillance que doit réaliser l'industriel n'ait mis en évidence la présence de salmonelles dans les lignes de production. Je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit au mieux d'un manquement de rigueur dans les procédures de suivi qualité internes à l'entreprise, et au pire d'une possible dissimulation. En accord avec cette observation, le 28 mars, Ferrero, pourtant prévenu du risque sanitaire, continuait d'écouler les produits Kinder dans toute l'Europe. Cette distribution des produits contaminés se poursuivra jusqu'au 4 avril (3,4), date à laquelle l'entreprise lance sa première procédure de rappel. Nous sommes pratiquement deux semaines après l'alerte britannique, et, curieusement, à une période où se vendent en grande quantité les chocolats en prévision des fêtes de Pâques. Cet avis est également celui de Foodatch qui écrit « plus les informations arrivent, plus la désinformation organisée par la multinationale Ferrero pour préserver ses affaires saute aux yeux ».

Bien qu'apparemment non liées, ces deux affaires du domaine de l'alimentation et celle concernant le scandale des EHPAD ORPEA présentent pourtant au moins deux traits communs. Le premier est qu'elles ont été rendues possible, au moins partiellement, par des déficiences des services de contrôle de l'Etat. Loin de moi l'idée d'incriminer les agents de ces services qui font ce qu'ils peuvent dans des conditions de travail de plus en plus dégradées, et confrontés à des réductions d'effectifs de plus en plus criantes. Ainsi, dans les ARS, en 6 ans, de 2014 à 2020, « le nombre d’inspecteurs de l’action sanitaire et sociale est passé de 944 à 688 (-27 %), celui des médecins inspecteurs de 297 à 182 (-40 %), et celui des pharmaciens inspecteurs de 137 à 126 (-8 %). Soit une diminution moyenne de l’ensemble de ces personnels de 28 % [...] » (5). Comment s'étonner dès lors que, sur les 700 EHPAD d'Ile de France, seulement 17 aient été contrôlés en un an (données 2019). Le même constat peut être fait pour les services de la DGCCRF et de l'inspection vétérinaire. Selon Foodwatch, « en 2022, les rangs de la répression des fraudes (DGCCRF) comptaient 442 agents de moins que dix ans auparavant. Du côté de la Direction générale de l’alimentation en charge de l’inspection vétérinaire (abattoirs, etc.) et aussi phytosanitaire (pesticides), le nombre des inspections sur la sécurité sanitaire des aliments a diminué de 33% entre 2012 et 2019 » (6). Un constat similaire est fait par la CFDT-finance qui observe qu'entre 2010 et 2017, les effectifs du service sont passés de 3800 agents avant la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), à 2800 (7). Dans le même temps, l'activité de ces mêmes agents s'est vue davantage contrainte. Une partie des agents travaillent sous l’autorité de la région, l’autre partie est rattachée au préfet de département, ce qui « pose clairement la question de l'indépendance de leur activité ». Certains agents de la DGCCRF « doivent ainsi obtenir un feu vert préfectoral pour contrôler et sanctionner les entreprises » (7). Ayant eu pendant de nombreuses années le retour d'amis, pour certains assez haut placés dans les services de province de la DGCCRF, je ne peux que confirmer ces dires. Je peux également ajouter, que vu la lourdeur des contrôles, et la pression au rendement exercée par la hiérarchie, il arrivait que les agents de la DGCCRF soient amenés à prévenir les entreprises des dates de leurs visites. Une situation similaire est d'ailleurs décrite pour les contrôles opérés auprès des EHPAD (5).

Le second trait commun que j'évoquais plus haut est que toutes les dérives observées, in fine, proviennent de considérations économiques et financières. L'État pense faire des économies en réduisant le nombre de ses fonctionnaires affectés aux différents services de contrôle, avec les conséquences que l'on voit. Les entreprises de l'agroalimentaire augmentent leurs bénéfices en rognant sur la qualité des produits mis en œuvre et sur la robustesse des procédures, les EHPAD font quasiment la même chose en limitant les dépenses tout en n'oubliant pas de maximiser les recettes. Dans ces deux cas, ce que nous voyons n'est que le revers de la pièce de l'organisation capitaliste de notre société, dont on vante régulièrement l'efficacité. Et contrairement à une idée bien ancrée chez les néolibéraux, toutes les affaires démontrent que lorsque l'État « oublie » (parfois volontairement) de jouer son rôle de contrôle et de régulation, ce n'est pas la main invisible du marché qui le remplace. Bien au contraire.


Références :

1. Jean-Philippe de Saint-Martin et coll. Mission sur la gestion des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) du groupe Orpea.
Inspection générale des finances. Inspection générale des affaire sociales. Mars 2022.
Consultable en ligne :
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/vff040422_2022-m-012-06_rapport_definitif_orpea_publiable.pdf

2. Jade Peychieras. Ehpad : le gouvernement publie un rapport d'enquête accablant pour Orpea. France-Bleu. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/ehpad-le-gouvernement-publie-un-rapport-d-enquete-accablant-pour-orpea-1649169439

3. Anonyme. Scandale Kinder : deux nouvelles révélations de foodwatch. Foodwatch.org. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.foodwatch.org/fr/actualites/2022/scandale-kinder-ferrero-deux-nouvelles-revelations-de-foodwatch

4. Anonyme. Rappels des chocolats Kinder et pizzas Buitoni : les questions qui fâchent. Foodwatch.org. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.foodwatch.org/fr/actualites/2022/rappels-des-chocolats-kinder-et-pizzas-buitoni-les-questions-qui-fachent

5. Luc Peillon. Comment sont contrôlés les EHPAD en France ? Libération. Février 2022.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/comment-son-controles-les-ehpad-en-france-20220205_L4OR46EOO5GIRO6ZVNPZDOTCGU

6. Anonyme. Œufs Kinder, pizzas Buitoni et fromages Lactalis contaminés : le système favorise ces scandales alimentaires pourtant évitables. Foodwatch.org. Avril 2022.
Consultable en ligne :
https://www.foodwatch.org/fr/communiques-de-presse/2022/oeufs-kinder-pizzas-buitoni-et-fromages-lactalis-contamines-le-systeme-favorise-ces-scandales-alimentaires-pourtant-evitables-selon-foodwatch

7. Marie-Nadine Eltchaninoff. DGCCRF : des missions mises à mal. CFDT.fr. Avril 2018.
Consultable en ligne :
https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/carriere/vie-professionnelle/retraite/orpea-l-etat-a-t-il-suffisamment-controle-les-ehpad_4938159.html


Crédit illustration :

Dessin de T. Soulcié pour Foodwatch
https://www.foodwatch.org/fr/actualites/2022/rappels-des-chocolats-kinder-et-pizzas-buitoni-les-questions-qui-fachent/


samedi 5 mars 2022

UNE SOLIDARITÉ
À GÉOMÉTRIE TRÈS VARIABLE


Cet article est, sans doute, assez peu politiquement correct. Impossible cependant de ne pas faire de lien entre la guerre en Ukraine et les centaines de milliers de personnes déplacées, avec la guerre en Afghanistan ou avec les conflits locaux en Afrique.


Je dois être un peu un dinosaure, intellectuellement parlant, mais je ne cesse de m’étonner - avec bonheur - depuis quelques jours, de ce qui se passe en matière d’accueil des réfugiés ukrainiens chassés de chez eux par la guerre qui sévit dans leur pays. A tous les niveaux, européen, français, et même local, à Forges, des opérations en soutien aux populations déplacées se sont mises en place avec une célérité indéniable. Afin que mes propos ne soient pas mal interprétés, il me faut être clair. Ce déploiement d’aide, de bonnes volontés, ne me choque pas, bien au contraire. Comme beaucoup d’autres citoyens, je suis infiniment triste de constater que des centaines de milliers de personnes ont dû fuir leur domicile, leurs biens, leurs familles pour sauver leurs vies. Par conséquent, je me réjouis sans arrière-pensée des aides locale, nationale et internationale qui pourront leur être apportées.

Ce qui me choque très fort, en revanche, c’est l’énorme différence qui existe entre le traitement de ces populations venues de Kiev, de Marioupol, de Kharkiv, et celui des populations venues d’autres régions du monde. Je pense aux déplacés d’Afrique sub-saharienne, qui tentent d’échapper aux djihadistes d’Ansar Dine ou de Boko Haram. Je pense aux citoyens de nombreux pays centre-africains ou d’Afrique de l’Est, tels le Soudan, la Somalie, l’Érythrée, le Congo ou la Centrafrique fuyant les guerres civiles et les famines. Je pense aux Irakiens et aux Syriens, pour les mêmes raisons, auxquelles on peut ajouter l'exposition aux bombes chimiques. « Curieusement », tous ces réfugiés n’ont pas eu la chance de bénéficier des mêmes soutiens. L’UE, si prompte à déployer de l’aide pour l’Ukraine, s’est contentée pendant des années de payer des centaines de millions d’euros, voire quelques milliards à des pays tels la Turquie pour qu’elle « stocke » (je ne trouve pas d’autres mot à part « parquer » !) ces personnes dans des camps autorisant tout juste leur survie. Elle n’a rien fait pour éviter les quelques 20 000 migrants disparus en Méditerranée depuis une dizaine d’années malgré les alertes à répétitions des ONG, malgré le travail remarquable de plusieurs journalistes, malgré leurs articles, reportages et photos qui ne nous autorisent pas à dire « on ne savait pas ». Enfin si, elle a fait quelque chose, l’UE ! Elle a regardé ailleurs laissant des pays comme l'Italie gérer seule l'afflux de migrants à Lampedusa ! Et ici, en France, les autorités refusent l’arrivé d’un bateau d’une ONG qui s’est porté au secours de ces personnes au prétexte de ne pas trouver de port d’accueil... Tout en laissant croire que ces ONG sont des complices des passeurs, sans aucune honte. Idem pour les associations caritatives qui soutiennent ces pauvres gens au travers de la fourniture de draps, ou des tentes et de couvertures à Calais ou dans l’arrière-pays niçois, que l’on cherche même à criminaliser. Pourtant, en quelques jours, ces mêmes autorités viennent de mettre en place des dispositifs de visa automatique et prolongé, et planchent sur la gratuité de transport à destination des réfugiés d’Ukraine.

Comment, également, ne pas évoquer l’accueil des réfugiés afghans ici à Forges ? Ces gens venus du bout du monde, « à pied, à cheval et en voiture », ont fait l’objet de propos menaçants, insultants parfois, accusés d’être au mieux des « nuisibles » (propos entendus dans la rue), voire de futurs violeurs (propos entendus en réunion). Comment ne pas rappeler que nombre d’élus forgeois actuels n’ont pas hésité à défiler au côté d’un parti politique réactionnaire et xénophobe, pour dénoncer cette arrivée imposée des migrants ? Ce sont les mêmes, qui aujourd’hui, et encore une fois je m’en réjouis, souhaitent aider les migrants ukrainiens. Mais fondamentalement, où sont les différences ? Est-il plus dangereux de prendre sur sa maison un obus russe ou un obus syrien ? Perdre un bras dans un bombardement d'un MIG, est-ce pire que de perdre une main coupée par un djihadiste ? Des magasins vides à Kharkil, est-ce plus insupportable que des magasins vides à Mogadiscio ? Les balles des supplétifs du Dombass sont-elles plus mortelles que les balles des milices centrafricaines ? Un enfant tué à Odessa, est-ce plus horrible qu’un enfant tué à Qandahar ? Et quelle différence entre un réfugié et un migrant, pourquoi, d'ailleurs, ces qualificatifs différents ?

Ou pour toutes nos institutions, comme le disait le moto des X-files, la vérité ne serait-elle pas ailleurs ? Ainsi, un Érythréen serait-il trop bronzé par rapport à un Ukrainien ? Un Malien ne serait-il pas de la « bonne » religion ? Un Syrien vaut-il moins qu’un Européen ? Il faudrait quand même que l’on se pose toutes ces questions. Il faudrait aussi que ceux - aux manettes aux échelons local, national et international - qui ont été si prompts à proposer une aide bienvenue aux réfugiés ukrainiens (et une dernière fois, tant mieux), fassent aujourd’hui leur examen de conscience. Pour autant que ce mot leur parle.


Crédit illustrations :

Haut :    auteur inconnu.
Bas :     dessin de Coco pour "Libération".


mercredi 16 février 2022

QUE SE CACHE-T-IL DERRIÈRE
LA « START-UP NATION » ?



Contrairement à ce que ce titre sous-entend, cet article ne parlera pas de politique industrielle, ou de technologie pure. Il parlera de la langue nouvelle qui a essaimé des mondes de l’entreprise, de la haute fonction publique, de la publicité, ou d’une certaine presse - pour ne citer que quelques unes des sources - vers le grand public. Beaucoup des nouveaux mots de cette langue sont d’ailleurs d’origine anglo-saxonne ; je tenterai de proposer une explication à cela.

J’avais commencé cet article voilà plusieurs semaines après avoir lu dans un article de presse en ligne qu’une actrice connue enceinte dévoilait un « baby-bump ». J’ai beau parler anglais couramment, j’avoue ne pas avoir compris immédiatement l’expression. Évidemment il était question d’un ventre rond, terme probablement trop désuet pour être présenté en l'état dans l’article. En lien, je peux citer bien d’autres termes anglo-saxons dont différents centres de pouvoir économique usent et abusent, alors que des termes français tout aussi pertinents existent. Ainsi un « challenge » est en français un défi, la « maintenance » est l’entretien, la « supply chain », la chaîne d’approvisionnement, un « meeting », une réunion, le « planning », le plan d’action ou l’agenda, l’« engineering » l’ingénierie, un « show-room » une salle d’exposition, le « packaging », l’emballage, la « business class », la classe affaire, etc. Je passe sur le « B to B » et le « B to C », ou autres « emporwerment » des « managers » (la responsabilisation des dirigeants). Je passe aussi sur le « confcall » que je t’ai demandé par mail pour un « brainstorm » autour des « slides » du « powerpoint » sur le « benchmarking » que tu m’as « forwardées »...

Le monde de la presse, surtout de la presse audio-visuelle, autre cercle de pouvoir, est aussi un grand pourvoyeur de ces mots nouveaux. La télévision parle de « prime time », de « late show », de « show-runner ». On peut « podcaster » des émissions quand on ne les écoute pas en « live ». Et au cinéma, on ne dévoile que le « pitch » ou le « making-of » d’un « thriller » dans un « teaser », même si c’est un « remake », au risque de le pas le voir au « box-office » et dans le « top » 10 des productions de l’année.

Impossible de ne pas poursuivre ce petit tour d’horizon des sources de mots nouveaux sans évoquer deux mondes très différents, également d'ailleurs cercles de pouvoir, version « soft-power » pour rester dans la tonalité de l’article. Le premier est le monde du sport, truffé de mots anglo-saxons, bien que, là aussi, des équivalents français existent. Je me suis toujours demandé pourquoi il y avait des « penalties » au football, alors que le rugby parle de pénalité ? Toujours en football, le « corner » est chez les Canadiens un coup de pied de coin alors qu’au rugby le terme mêlée ouverte est depuis plusieurs années remplacé par son équivalent anglo-saxon « ruck ». J’ai également récemment entendu parler de « referee » en place et lieu d’arbitre. Dans les termes qui pourraient également être traduits très facilement, je cite, dans le désordre, le « time out » (temps mort), les « play-off » (barrages), le « coach » (l’entraineur), le « goal average » (la différence de buts), le « tie-break » (le jeu décisif), les « hooligans » (les casseurs), etc. La dernière source de ces mots nouveaux et sans conteste le secteur de la science et de la technologie, avec, tenant le haut du pavé (j’aurais dû dire au top) l’informatique et la téléphonie. Il faut néanmoins dire que nous avons assisté, au cours de ces dernières années, à un effort sensible de reconstruction lexicale. Plus personne ne parle de téléphone GSM (Global System for Mobile communication) en France, mais de téléphone mobile, même s’il reste des « smartphones ». Les softwares sont devenus des logiciels, le mail (mot pourtant d’origine française) bien que toujours utilisé, a été retraduit en courriel, le « firewall » en pare-feu, le « hacker » s'est converti en cyberpirate, et pour les spécialistes le input/ouptut (i/o) est traduit en entrée/sortie (e/s)... 

J’arrête là la démonstration car je pense que toute personne un peu attentive à son environnement ne peut être que convaincue de l’afflux massif de ces termes nouveaux anglo-saxons dans le français de tous les jours. Si je voulais être un peu excessif, je dirais que le « grand remplacement » - théorie fumeuse à laquelle je n’adhère absolument pas - se trouve là et pas ailleurs. 

Ce qui m’inquiète dans cette histoire, et ce que je souhaite dénoncer, ce n’est pas l’afflux de mots étrangers en tant que tel mais l’absence d’une volonté d’utiliser les termes français alors que, comme je l’ai indiqué plus tôt, ceux-ci existent. Tout compte fait, cependant, cette absence s'explique. Ne voyez surtout pas dans ma critique une attitude similaire à celle de certains politiques qui se sont empressés de dénoncer l’existence des mentions en français et en anglais des nom, prénom, date de naissance, etc., sur la nouvelle carte d’identité française . Il ne s’agit pas dans mon cas d’une position réactionnaire vis-à-vis de ce qui pourrait être étranger. Comment d’ailleurs ne pas rappeler qu’il existe en français de nombreux mots d’origine étrangère, tels ce kawa que l’on prend fissa sur le zinc du bistro ! Tous ces termes ne sont pas, d’ailleurs, de l’ordre du langage familier. Alchimiste, amiral, algèbre tout comme sirop, alcool, chiffre ou magasin sont d’origine arabe. Pantalon, opéra, banque, grosso modo, ainsi que de nombreux noms de spécialités culinaires (pizzas, spaghettis, lasagnes, etc.) sont d’origine italienne. D’autres viennent également de beaucoup plus loin, comme chocolat, cacao, coyote, caoutchouc, cacahouète ou avocat, originaires de langues anciennes d’Amérique Centrale et du Sud. Je considère ces apports comme des enrichissements du vocabulaire.

Ce qui m’inquiète disais-je donc, au travers de cet emploi de cette novlangue majoritairement constituée de termes anglais en lieu et place de termes français, réside dans ce qu’il traduit. J’y vois tout d’abord le poids du monde anglo-saxon et de son importance économique, ainsi que le résultat de son implantation massive dans le cadre de la mondialisation que nous avons vécue au cours des 30 dernières années. Adopter sans réfléchir les termes de novlangue, c’est quelque part adhérer à cette vision du monde. Par ailleurs, comme je l’indiquais plutôt, cette langue nouvelle peut par certains aspects être considérée comme un instrument du pouvoir, des pouvoirs, et d’une certaine forme d’élite. Utiliser ces termes, parler cette langue, revient à marcher dans les traces de ces élites. Mais c’est aussi, paradoxalement, faire preuve de paresse intellectuelle.

La novlangue est également un outil de domination. Par conséquent, il est clair que tenter de remplacer tous ces mots anglo-saxons de novlangue par leurs équivalents français, surtout lorsque ceux-ci existent, constitue une forme de résistance intellectuelle à ces forces dominantes. Dans cette grille de lecture, je n’ai été qu’à moitié étonné des propos tenus par notre actuel président, M. Emmanuel Macron, lorsqu’il vantait la « start-up nation ». Au travers de termes tels que « helpers » (bénévoles), de « CEO » (chief executive officer), de « feedback », du « benchmark », son équipe de campagne 2017 n’a eu de cesse d’évacuer des mots trop simples, trop familiers, probablement trop « peuple ». Cette utilisation de ces termes traduits à mon sens une vision du monde particulière. D’un côté cette novlangue donne une fausse impression de modernité mais en même temps (pour parler le LREM dans le texte) elle exclut de facto ceux qui ne font pas partie de « l’élite ». Signant son attachement au monde de l’entreprise, et à sa soi-disant efficacité, mais incapable de procéder à l’analyse de la crise néolibérale, la langue parlée dans la « start-up nation » est celle des catégories socio-professionnelles favorisées qui constituent la majorité de l’électorat macronien, que cette langue flatte et conforte. 

Comment ne pas y voir également un formatage idéologique, à l’image de ce que décrivait magnifiquement le livre de George Orwell, 1984, dans lequel la langue officielle du pays fictif où se déroule l'action est la novlangue, terme que j’ai repris ici et dans plusieurs de mes articles de blog. Comme indiqué sur Wikipedia, ce langage est « une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l'expression des idées potentiellement subversives et à éviter toute formulation de critique de l’État, l'objectif ultime étant d'aller jusqu'à empêcher l'idée même de cette critique ». A méditer à quelques 50 jours la prochaine élection présidentielle.



Crédit illustration :

Adaptation d'un dessin de Gros pour Marianne.
https://www.marianne.net/politique/liberer-les-energies-etre-plus-agile-cette-novlangue-macroniste-qui-rend-fou


jeudi 18 novembre 2021

BILAN DE CINQ ANNÉES EN MACRONIE.
I. LE DROIT DU TRAVAIL


Il arrive un moment, dans les mandats électifs, où il est nécessaire de faire le bilan des actions passées. Dans le cas du probable-futur-candidat-président, M. Emmanuel Macron, j’ai la quasi certitude que ce bilan ne sera pas fait. Trop d’intérêts économiques sont en jeu, et sa non réélection serait délétère pour le monde de la finance qui contrôle une partie importante des médias de masse. Je livre ici le premier volet de ma propre analyse, réalisée à partir de différents sites que je placerai en référence. On commence donc par le volet social du quinquennat et plus particulièrement par les aspects propres au droit du travail. Je traiterai de l’aspect chômage ultérieurement.

Une des premières lois édictées dans ce quinquennat (en 2017) s’inscrit dans la droite ligne des lois El Khomri. Globalement, ces « lois travail », dont certaines sont des ordonnances, c’est à dire des textes qui n’ont pas été discutés par les chambres*, inscrivent dans le marbre des régressions sociales marquées. Elles portent sur 4 volets principaux : la négociation collective, les accords dans les PME, la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) et la rupture du contrat de travail.

En termes de négociations collectives, ces ordonnances font ainsi que les conditions de salaires, de temps de travail et de mobilité ne sont plus du seul ressort des accords de branche, mais peuvent désormais être modifiées par entreprises lors de négociations avec le personnel (1). A noter, en théorie ces accords d’entreprise ne peuvent être moins favorables que les accords de branche sur un certains nombre de points, tels que les salaires minimaux, la durée et l’organisation du travail du travail, les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et temporaire (CDD), la formation ou la parité homme/femme. Le code du travail ne fixera cependant plus que des seuils très minimalistes, adaptables dans chacune des branches professionnelles, avec le chantage au risque de chômage lors de ces négociations dans les entreprises.

Ces lois prévoient aussi un accroissement de la précarité au travail, par exemple via l’extension des CDI dit de chantier à toutes les branches (2). Sous un dehors apparemment favorable, ce type de contrat cumule les inconvénients de l’intérim et ceux du CDI. Cette précarité accrue se retrouve aussi au niveau des conseils des Prud’hommes, au sein desquels les indemnités que peuvent toucher les employés lésés sont plafonnées, grosso modo, à la moyenne des indemnités précédemment reçues, et avec un délai de recours réduit de moitié (3). Les tribunaux qui se sont affranchis de ces lois, sur des bases juridiques parfaitement fondées, à savoir le droit européen, ont été recadrés par la ministre de la justice, Madame Nicole Belloubet, en contradiction avec les textes que la France avait pourtant ratifiés (4).

Au cours des cinq années passées, les licenciements ont aussi été facilités. Là encore les salariés ont donc été les grands perdants des ordonnances Macron avec plusieurs items importants. Ainsi, pour les multinationales, seule la santé de la filiale française fera foi pour le déclenchement du plan social, le rendant plus facilement possible via la mise en faillite artificielle de cette filiale alors que la société continue de réaliser des profits. Le plan social pourra d’ailleurs être conduit au rabais via la procédure de « rupture conventionnelle collective ». Faciliter les licenciements était bien un des objectifs du Président et du gouvernement : ceux-ci se sont quelque peu trahis en fournissant des lettres-type de licenciements aux entreprises afin d’éviter les recours aux Prud’hommes (5). Quelle délicate attention !

La régression est aussi sensible au niveau de l’hygiène et de la sécurité. Tout d’abord, rappelons la suppression du CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail), désormais fusionné avec la représentation des personnels et le comité d’entreprise, avec à la clef un impact non négligeable sur la façon dont les dossiers hygiène et sécurité sont maintenant traités (6). Rappelons également que le contact avec des substances chimiques et cancérigènes, ce qui a été mon quotidien et celui de nombreux autres collègues pendant une trentaine d’années, le port de charges lourdes, les positions pénibles, les vibrations mécaniques sont retirés des critères dits de pénibilité (7).

En Macronie, les syndicats se sont aussi trouvés attaqués assez régulièrement. Des délégués syndicaux ont à plusieurs reprises été licenciés contre l’avis de l’inspection du travail mais après approbation de la ministre du travail de l’époque, Mme. Muriel Penicaud (8,9). Cette dernière s’est d’ailleurs fait une spécialité de la limitation des droits des salariés. Elle avait par exemple nié l’existence d’un droit de retrait exercé par des cheminots suite à un accident sans hésiter à remettre en cause la légitimité de l’inspection du travail qui avait travaillé sur ce sujet (10). L’inspection du travail semble d’ailleurs être la bête noire de Madame Muriel Pénicaud qui a tenté, à la suite d’autres ministres, de lui rogner les ailes (11) quand elle ne lui demandait pas de se reconcentrer sur des dossiers sans doute plus urgents que ceux concernant des salariés licenciés (12).

La crise de la CoViD-19 a aussi fragilisé le monde du travail, le « quoi qu’il en coûte » tant vanté par les soutiens de Monsieur Emmanuel Macron pouvant aussi se comprendre comme un quoi qu’il en coûte aux salariés ou fonctionnaires. Je cite ainsi dans le désordre les mesures de régression que l’actuel gouvernement a fait passer profitant plus ou moins de la crise sanitaire : la possibilité de travailler jusqu’à 60 heures hebdomadaires dans certains secteurs, décision unilatérale ne nécessitant pas d’accord syndical (13), la limitation du droit de retrait pour les personnels réquisitionnés (14), la possibilité d’imposer ou non des congés aux salaries, tout en les prévenant simplement 24 heures à l’avance (13), la facilitation du travail le dimanche (13), ou la suppression de jours de RTT dans la fonction publique sans compensation (15). Pour information, j’en ai perdu 8 sur 12 alors que j’étais pourtant en télétravail à la maison !

En même temps, pour reprendre un élément de langage gouvernemental, Madame Muriel Penicaud n’a pas hésité à inciter les entreprises à négocier des baisses de rémunération, des augmentations d’horaires, ou des suppressions de RTT (16). Ces négociations sont autorisées par les « accords de performance collective » créés par les premières ordonnances travail de 2017, que le gouvernement feint de regretter (17). Point important : un salarié refusant de se voir appliquer un tel accord peut être licencié (18). Une belle avancée sociale sans aucun doute !

Toujours en lien avec les urgences sanitaire et économique, et via de nouvelles ordonnances et décrets, le gouvernement a raccourci considérablement les délais d’information et consultation des comités sociaux et économiques (CSE, 19). Depuis janvier 2020, les CSE remplacent et fusionnent les institutions représentatives du personnel dont le Comité d'Hygiène et Sécurité. L’avis des CSE, donc des représentants du personnel, n’est ainsi plus nécessaire pour recourir au chômage partiel (20), et les délais de saisine d’experts par ces CSE sur des sujets d’importances ont été réduits de 3 mois à…. 7 jours, week-end inclus (19) ! En contradiction avec l’esprit des lois, ces mesures – moins favorables aux personnels – sont applicables de façon rétroactive (19)! Quelques jours après promulgation, ces textes permettent au groupe General Electric de démanteler partiellement son site de Belfort (21)...

Je passe sur les textes qui se sont multipliés pour permettre aux employeurs privés ou publics d’imposer des dates de congés ou de prises de RTT en nombre toujours plus importants (voir par exemple 22), l’article étant déjà bien long. Pourtant ne présente-t-il qu’une partie des mesures antisociales voulues par l’actuel président en matière de droit du travail. Les salariés sont donc bien dans le collimateur de ce gouvernement, et ce quelle que soit la communication officielle qui n’hésite jamais, d'ailleurs, à nous servir la petite ritournelle « des Français qui travailleraient moins que les autres pays Européens » (23). Ceci est, bien entendu, faux (24, 25), mais permet de justifier, via un recours subliminal à la « valeur travail » (26) la régression massive que la Macronie a organisée au cours des cinq dernières années dans ce domaine. Il n’y a malheureusement aucune raison de penser que tout changerait si l’actuel président et sa majorité étaient réélues au cours des prochaines élections présidentielles et législatives.


Note :

*Le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre lui-même des mesures relevant normalement du domaine de la loi, afin de mettre en œuvre son programme (art. 38 de la Constitution). L’autorisation lui est donnée par le vote d’une loi d’habilitation. Ces actes sont appelés des ordonnances. Assimilées à des règlements, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication. Elles ne prennent toutefois valeur législative qu'après avoir été ratifiées par le Parlement dans un délai fixé.

Références :

La référence qui m’a permis la rédaction de cet article est l’excellent site https://macron.watch qui regroupe sous forme de listings l’ensemble des mesures antisociales prises dans différents domaines par le pouvoir en place. Je m’en suis largement inspiré. Les autres références consultées sont les suivantes.

1. Anonyme. Décryptage des ordonnances : le code du travail en lambeaux. L’Humanité. Septembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/decryptage-des-ordonnances-le-code-du-travail-en-lambeaux-641358

2. Pauline Prépin. La volonté d’extension du CDI de chantier par les ordonnances Macron. Le Petit Juriste. Décembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.lepetitjuriste.fr/volonte-dextension-cdi-de-chantier-ordonnances-macron/

3. Nathalie Samson, Marion Bain. Indemnités aux prud'hommes: le barème prévu par les ordonnances. L’Express. Août 2017.
Consultable en ligne :
https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/indemnites-aux-prud-hommes-les-plafonds-sont-connus_1939406.html

4. Olivier Samain. Plafonnement des indemnités prud'homales : Nicole Belloubet réplique aux jugements récalcitrants. Europe 1. Mars 2019.
Consultable en ligne :
https://www.europe1.fr/economie/information-europe-1-plafonnement-des-indemnites-prudhomales-nicole-belloubet-replique-aux-jugements-recalcitrants-3869000

5. Anonyme. Pour licencier sans risque, le gouvernement propose six lettres "clés en mains". L’Express. Novembre 2017.
https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/pour-licencier-sans-risque-le-gouvernement-propose-six-lettres-cles-en-mains_1965260.html

6. Anonyme. La santé grande perdante de la fusion des CE et CHSCT, selon une enquête. L’Express. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/la-sante-grande-perdante-de-la-fusion-des-ce-et-chsct-selon-une-enquete_2116095.html

7. Catherine Quignon. Des substances cancérigènes exclues du nouveau compte pénibilité. Le Monde. Novembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/emploi/article/2017/11/16/des-substances-cancerigenes-exclues-du-nouveau-compte-penibilite_5215862_1698637.html

8. Dan Israel. Contre l’avis de l’inspection du travail, le licenciement d’un syndicaliste à SFR est validé par la ministre. Mediapart. Mars 2019.

9 Anonyme. Whirlpool: Le ministère du Travail autorise le licenciement des salariés protégés.
La production de l'usine avait été délocalisée en Pologne. 20 Minutes (avec AFP). Mai 2019.
Consultable en ligne :
https://www.20minutes.fr/economie/2517951-20190514-whirlpool-ministere-travail-autorise-licenciement-salaries-proteges

10. Geoffroy Clavel. Droit de retrait à la SNCF: Pénicaud contredit (un peu vite) l'inspection du travail. Huffington Post. Octobre 2019.
Consultable en ligne :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/droit-de-retrait-a-la-sncf-penicaud-contredit-un-peu-vite-linspection-du-travail_fr_5daebefae4b0422422cb0724

11. Anonyme. Inspection du travail : la CGT alerte sur la suppression de 15 % des effectifs. BatiActu. Février 2019.

12. Mathilde Goanec, Dan Israel. Travail détaché : l’inspection du travail s’indigne d’une «consigne» de l’exécutif. Mediapart. Novembre 2019.

13. Bertrand Bissuel. Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances. Le Monde. Mars 2020.
https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/25/temps-de-travail-chomage-partiel-le-droit-du-travail-bouscule-par-ordonnances_6034357_823448.html

14. Anne Rodier. L’état d’urgence sanitaire ne limite pas le recours au droit de retrait, sauf pour le personnel réquisitionné. Le Monde. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/emploi/article/2020/03/25/l-etat-d-urgence-sanitaire-ne-limite-pas-le-recours-au-droit-de-retrait-sauf-pour-le-personnel-requisitionne_6034323_1698637.html 

15. Louis Nadau. Congés payés et RTT rognés à cause du Covid-19 : les règles du jeu pour les fonctionnaires. Marianne. Avril 2020.
Consultable en ligne :
https://www.marianne.net/societe/conges-payes-et-rtt-rognes-cause-du-covid-19-les-regles-du-jeu-pour-les-fonctionnaires

16. Paul Louis. Baisser les salaires pour éviter les licenciements: une alternative aux plans sociaux intéressante? BFM business. Juin 2020
Consultable en ligne :
https://www.bfmtv.com/economie/baisser-les-salaires-pour-eviter-les-licenciements-une-alternative-aux-plans-sociaux-interessante_AV-202006010146.html

17. Frantz Durupt. Baisser son salaire pour garder son emploi ? Le gouvernement dénonce un «chantage» que ses lois ont permis. Libération. Juin 2020.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/france/2020/06/02/baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi-le-gouvernement-denonce-un-chantage-que-ses-lois-ont-perm_1790070/

18. Leïla de Comarmond. Baisses de salaire : les accords de performance collective, un outil très souple pour les entreprises. Les Echos. Juin 2020.
Consultable en ligne :
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/baisses-de-salaire-les-accords-de-performance-collective-un-outil-tres-souple-pour-les-entreprises-1208026

19. Bernard Domergue. Le gouvernement envisage de réduire à 8 jours le délai de consultation du CSE. Les éditions législatives. Avril 2020.

20. Catherine Pellerin. Les mesures d'urgence en matière d'activité partielle. Les éditions législatives. Mars 2020.

21. Martine Orange. Au nom du Covid-19, General Electric démantèle un peu plus Belfort. Mediapart. Mai 2020.

22. Bertrand Bissuel. Vers un plus grand nombre de jours de congés décidés par l’employeur. Le Monde. Avril 2021.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/14/vers-un-plus-grand-nombre-de-jours-de-conges-decides-par-l-employeur_6076732_823448.html

23. Loïc LeClerc. Emmanuel Macron: "Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres. Regards.fr. Octobre 2021.
Consultable en ligne :
http://www.regards.fr/politique/article/nous-sommes-un-pays-qui-travaille-moins-que-les-autres-emmanuel-macron-ment

24. Pierre Breteau et Mathilde Damgé. Non, les salariés français ne travaillent pas moins que leurs voisins. Le Monde. Avril 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/04/29/non-les-salaries-francais-ne-travaillent-pas-moins-que-leurs-voisins_5456229_4355770.html

25. Luc Peillon. Les Français travaillent-ils moins que «les autres», comme l’affirme Emmanuel Macron. Libération. Octobre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/les-francais-travaillent-ils-moins-que-les-autres-comme-laffirme-emmanuel-macron-20211014_6QRZLSHMPVAA3PGNJF7OWJZ62E/

26. Ante Electionibus. I. La valeur travail. Ce blog.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2021/07/ante-electionibus-i-la-valeur-travail.html


Crédit illustration :

Dessin de Lupo. La confédération Nationale du Travail
http://www.cnt-f.org/la-machine-de-guerre-anti-sociale-est-en-marche-en-marche-sur-le-code-du-travail.html


samedi 13 novembre 2021

RÉINTRODUCTION DES FARINES ANIMALES DANS L’ÉLEVAGE : LA MAUVAISE IDÉE !



Une nouvelle est passée pratiquement sous les radars des médias d’information, trop occupés à nous vendre du « polémiste » de piètre qualité. L’Union Européenne autorise de nouveau l’usage de farines animales en Europe. Le texte est sorti en août 2021 avec une date d’application au 7 septembre 2021. Environ 20 ans après l’arrêt de l’usage de ces « farines », qui, de fait, n’ont rien des farines végétales, il va redevenir possible de nourrir volailles et porcs avec des « protéines animales transformées » (PAT). C’est l’occasion de revenir sur la crise de la vache folle, et de présenter l’agent infectieux non conventionnel à l’origine de cette maladie et des pathologies voisines qui affectent d’autres mammifères, dont l’Homme.

Les farines animales destinées à l’alimentation animale sont obtenues à partir de produits carnés non consommés par l’Homme, tels que certains abats, les peaux et os, ainsi que des sous produits de la pèche, également non consommés. S’y ajoutaient aussi les produits issus des équarrissages. La farine se présente sous forme de poudre obtenue par dégraissage, cuisson, broyage et tamisage de ces produits. Riches en protéines, les farines ont été utilisées en complément alimentaire pour l’élevage intensif pendant des années. Leur usage a commencé au début du XXe siècle pour « exploser » dans les années 60 jusqu’à ce qu’apparaisse au milieu des années 80 une pathologie très particulière, la maladie de la « vache folle ». Celle-ci est une maladie neuro-dégénérative, caractérisée par la présence dans le cerveau des animaux malades de zones à allure spongieuse démontrant la destruction de neurones et la formation de plaques de protéines particulières appelées plaques amyloïdes. La fréquence des cas à la fin des années 80 et au début des années 90 révèle l’existence d’une épidémie, et donc, a priori, d’une cause commune, possiblement transmissible.

La recherche de l’agent infectieux est orientée par des similitudes entre la maladie de la vache folle et une autre maladie affectant les ovins, la tremblante du mouton ou scrapie, mais aussi avec une maladie humaine très particulière, le kuru. Celle-ci est endémique en Papouasie - Nouvelle Guinée. Elle est associée à des rites funéraires de type cannibaliste, qui conduisaient particulièrement les proches d’un mort à en consommer le cerveau. Or l’agent infectieux responsable de ces maladies neuro-dégénératives, globalement appelées encéphalites spongiformes, est précisément localisé dans le cerveau des personnes ou animaux malades. Cependant, il ne s’agit ni d’un champignon, ni d’une bactérie, ni d’un virus, mais d’un des constituants habituel du cerveau, une protéine, appelée PrP (pour prion protein) ou simplement prion. Celle-ci existe sous deux formes, la forme « normale », non pathogène, et une forme légèrement modifiée, appelée PrPsc, caractéristique et responsable de la maladie. Lors de la consommation de produit contaminé par la PrPsc, telles des farines animales, la protéine PrPsc migre vers le cerveau où elle se retrouve en présence d’autres protéines PrP. Pour des raisons encore mal comprises, mais relevant possiblement de questions de stabilité et de thermodynamique, la protéine PrPsc est capable progressivement de transformer une protéine PrP en une protéine PrPsc, avec une possibilité de réversion faible. Ceci entraîne par un effet « boule de neige » la conversion d’un nombre de plus en plus grand de ces protéines PrP et à l’apparition des plaques amyloïdes, riches en formes PrPsc. Cette conversion peut être très lente, puisqu’on estime que l'apparition des symptômes peut prendre de 5 à 10 ans dans le cas de bovins et atteindre presque 50 ans dans le cas de malades du kuru. Le kuru n’est d’ailleurs pas la seule maladie humaine à prion : la maladie de Creutzfeldt-Jakobs en est une autre. De nombreux cas de cette maladie sont apparus lors de consommation de produits contaminés par des prions, par exemple lors d’injection d’hormone de croissance (ou somatotropine) à des individus à risque de nanisme. Or, à ce moment là, cette hormone était préparée à partir des cerveaux de personnes décédées, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De même, la consommation de viande issue d’animal contaminé par le prion a entraînée également l’apparition de cas de Creutzfeldt-Jakobs, démontrant là la possibilité du franchissement de la barrière d’espèce. Ce franchissement a également été proposé dans le cas de la transmission à des animaux domestiques (chat) de prions issus d’aliments pour animaux de compagnie, préparés à partir d’abats contaminés. Deux autres maladies humaines à prions sont connues, l’insomnie fatale familial et le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker mais elles résultent, elles, d’une mutation spontanée facilitant la transformation spontanée de la protéine PrP en une variante de la PrPsc, avec les mêmes conséquences délétères.

Un denier point sur les aspects scientifiques : on ne sait toujours pas quel rôle joue la version « normale » de la protéine PrP dans le cerveau. Une expérience réalisée avec des souris mutantes, rendues incapables de produire PrP, souris dites PrP KO, a montré qu'elles se développaient et se comportaient en conditions d’élevage comme des souris non mutantes. Aucune différence en termes d’apprentissage, de mémorisation de court et de long terme ou d’anxiété, n’a été observée. La différence principale entre souris PrP KO et souris non mutantes étaient leur résistance aux maladies... à prions, ce qui était attendu. Une petite différence de cycle de sommeil a été observée dans des conditions très particulières d’éclairement, un rôle immunitaire a aussi été proposé, les lignées PrP Ko étant plus résistantes à certains virus, ce qui ne présente pas une logique biologique marquée ! Le seul rôle potentiel qui fait sens serait une résistance accrue des souris normales, par rapport à leurs homologues PrP KO, vis à vis du risque de crise épileptique, là aussi dans des conditions particulières. Depuis peu, des ruminants PrP KO ont été obtenus, et leur développement semble aussi normal. Des recherches sur ces mutants de la protéine PrP sont donc encore nécessaires pour tenter d’identifier le rôle de ce constituant cellulaire, très conservé dans le cerveau des mammifères.

Comme je l’indiquais plus haut, l’apparition massive de ces maladies à la fin des années 80 est liée, entre autres, à un renforcement de l’usage des farines animales, couplé à une modification des procédés d’obtention. En particulier, et afin de réduire l’utilisation de solvants dans le processus de préparation, l’extraction des graisses des produits d’abattage ou d'équarrissage à l’hexane, très pratiquée au début du XXe siècle, a quasiment disparu. De même, le chauffage et les pratiques de stérilisation ont été limités afin d’augmenter la « valeur alimentaire » des farines animales. Pas de chance, le prion est une protéine extrêmement stable qui résiste au chauffage et même à un autoclavage modéré. Outre l’action de solvants tel que le phénol, le prion ne peut être détruit que par un chauffage prolongé de type stérilisation à haute température, puisque de mémoire il faut dépasser les 133°C pendant 25 minutes pour s’assurer de sa disparition quasi complète.

Il y a donc des raisons de s’inquiéter de la réintroduction de farines animales en alimentation animale. C’est à mon avis une mauvaise idée, même si l’argument utilisé fait sens. Il s'agirait : a) de réduire l’importation de soja d’origine sud-américaine, donc de limiter les causes de déforestation de ces territoires, et, b) d’améliorer le bilan carbone de l’élevage affecté par le transport maritime de ces marchandises. Egalement, et il faut le dire, il s’agira d’alimenter les volailles et le porc, et aussi de continuer à alimenter les poissons d’élevage. Or, à ma connaissance, il n’y a jamais eu de transmission de maladie à prions de bovins vers des volailles ou vers le porc ou vers le poisson. En tous cas ces animaux ne sont pas tombés malades. Ceci dit, ils pourraient être des porteurs sains, comme l’a démontré une expérience menée sur la souris et le hamster voila déjà une vingtaine d’années. Enfin, l’UE nous dit que seront utilisées exclusivement des « protéines animales transformées » et non plus des farines. La nuance est subtile mais importante puisque les PAT ne peuvent être obtenues qu’à partir de sous-produits d’abattage d’animaux destinés à la consommation humaine, donc sains. Si cela était respecté, les risques diminueraient donc de façon importante. On se rappellera cependant ici la soit disant viande de bœuf utilisée en alimentation humaine, qui n’était autre que de la viande de cheval à plus de 50%, ou des steaks dits de bœuf contenant une part non négligeable de porc... Dans un monde dominé par le profit à tout va, les scandales alimentaires existent et continueront d’exister ; le doute aussi.


Crédit illustration :

http://oasisdepaix.eklablog.com/drole-de-poisson-a91065461

jeudi 4 novembre 2021

FRAUDE FISCALE,
PANDORA PAPERS ET POPULISME


Le texte que je publie ci-dessous n'est pas de moi. Il s'agit de la lettre mensuelle d'Anticor  association de lutte contre la corruption, dont je suis membre, signée par sa présidente Élise Van Beneden. Ce texte est intéressant car il montre que la lutte contre la fraude fiscale est une nécessité, le montant de celle-ci correspondant grosso modo au montant de l'impôt sur le revenu. En bref, nous payons des impôts sur le revenu entre autres, pour ceux - très organisés - qui n'en payent pas. De façon aussi importante, cette tribune fait référence aux différentes enquêtes journalistiques internationales, dont la récente affaire des Pandora papers*, qui ont révélé que nombre de dirigeants, y compris certains dans nos démocraties occidentales, bénéficient de conseils avisés pour échapper à l'imposition, souvent légalement d'ailleurs. Comment, dès lors, ne pas s'étonner de la montée d'un populisme très prompt à dénoncer les "élites" corrompues laissant le bon peuple se débrouiller avec ses problèmes... Au premier rang desquels l'immigré fera figure de bouc-émissaire, pour le plus grand profit de quelques éditorialistes, hommes ou femmes politiques ou polémistes auprès desquels Messieurs Drieu La Rohelle, Louis-Ferdinand Céline, ou Jean-Louis Tixier-Vigancourt, pourraient passer pour de dangereux gauchistes.

* Voire l'excellente page Wikipédia à ce sujet

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La fraude fiscale est une réalité violente, connue de tous depuis des décennies.


Dans un rapport de novembre 2019, le syndicat Solidaires finances publiques a évalué la fraude fiscale en France entre 80 et 100 milliards d'euros par an. Il est en réalité probable que ce chiffre, deux ans plus tard, dépasse les 100 milliards, compte tenu des évaluations réalisées à l’échelle mondiale. Vous l’aurez compris, il s’agit d’une fourchette basse, dont le calcul est issu du travail syndical des agents des impôts.

Car le gouvernement peine à s’engager dans une évaluation officielle qu’il a pourtant parfaitement les moyens de mener. En septembre 2017, l’alors ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, critiquait ces chiffres et annonçait la création d’un observatoire rassemblant divers experts pour plancher sur une estimation plus scientifique de la fraude fiscale.

Quatre ans plus tard, aucun observatoire… ne serait-ce qu’en devenir. En revanche, le travail patient de 280 journalistes du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a permis de mettre en évidence une pratique bien répandue.


En 2016, les Panama Papers révélaient les avoirs secrets de chefs d’État, de milliardaires, de sportifs et de criminels dans les paradis fiscaux. Ils ont permis à l’État français de récupérer 126 millions d’euros sur la base de 50 redressements fiscaux. Merci les journalistes !

Les Pandora Papers, publiés le 3 octobre dernier, ne semblent pas dire autre chose si ce n’est l’exaspération d’un monde qui ne change pas. On y découvre que plusieurs chefs de gouvernement ont placé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment pour échapper à l'impôt dans leur propre pays.

Une économie parallèle donc, qui se développe dans l’opacité de systèmes financiers complexes et refuse de contribuer à l’effort collectif, sans pourtant se priver d’y accéder. Car au-delà de l’État providence que chacun est libre de remettre en cause, les impôts payent de nombreuses dépenses non contributives qui font de nos pays des endroits où il est agréable de vivre.

Les Pandora Papers font tourner la tête : 11 300 000 000 000 de dollars (10.000 milliards d’euros environ) dans le monde, investis dans 84 millions de comptes financiers détenus à l’étranger. À partir de combien de zéros faut-il réagir ?

Alors que les chiffres augmentent de manière incontrôlée, le nombre de contrôles en France, lui, ne cesse de baisser, du fait des réductions d’effectifs d’agents des finances publiques.

La question que laissent dernière nous ces remous est identique dans tous les cas : pourquoi, face à des mécanismes qui relèvent d'une criminalité organisée et mondiale, appuyée par des cabinets d’avocats et de conseils, avec la complicité des plus grandes banques et de certains dirigeants politiques, dont tous s'accordent à dire qu'elle crée des inégalités profondes dans nos sociétés, la réponse politique est-elle si faible ?

Au niveau de l’Union européenne, dans le domaine de la fiscalité, seule l’unanimité peut bouger les lignes, ce qui signifie que tous les États membres doivent être d'accord sur toute mesure adoptée dans ce domaine. C’est un verrou de taille.

Un autre verrou, appelé verrou de Bercy, limite l’action de la justice en France. Le fisc détient un monopole d’action sur les affaires de moins de 100.000 euros. Pour les dossiers d’un montant supérieur, le fisc a le devoir de transmettre les dossiers au procureur de la république. Reste que le parquet n’a pas de possibilité d’auto-saisine. Anticor a développé un plaidoyer qui propose la suppression totale de ce système : https://www.anticor.org/plaidoyerpage/.

Mais si la loi distingue aujourd’hui la fraude, illégale, et l’optimisation fiscale, légale, la frontière entre les deux n’est pas si évidente. Car il existe une notion, dénommée abus de droit fiscal, qui permet d’écarter les contrats, comme parfois les licences de marques, qui ont un caractère fictif, en ce que leur objectif principal consiste à éluder ou atténuer les charges fiscales.

Il existe donc des armes juridiques à disposition de nos responsables politiques et administratifs. Reste à s'en saisir.




Crédit illustration :

Pandora Papers : « Il faut sortir de l’hypocrisie dans la lutte contre l’évasion fiscale », accuse Éric Bocquet. Public Sénat. Octobre 2021.
https://www.publicsenat.fr/article/societe/pandora-papers-il-faut-sortir-de-l-hypocrisie-dans-la-lutte-contre-l-evasion-fiscale






mardi 21 septembre 2021

LE SYNDROME DE BARCELONE



En vacances dans la région de Narbonne, j’envisageais de passer quelques jours à Barcelone. Souhaitant éviter d’utiliser la voiture comme mode de transport, j’ai opté pour le train avec quelques surprises…

Première surprise : la durée des trajets. Alors qu’il faut environ 2 heures et demi pour aller de Narbonne à Barcelone en voiture par l’autoroute, il faut plus de 5 heures en train TER avec une importante attente pouvant atteindre 45 minutes à la frontière. Il existe une autre possibilité : prendre un train grande vitesse de la SNCF ou de la RENFE, l’homologue espagnol de la compagnie nationale française. Dans ce cas, la durée du trajet est de 2 heures.

Deuxième surprise : les coûts. L’aller-retour Narbonne-Barcelone par train rapide s’élevait à environ 120 euros par personne. Cher pour passer quelques jours sur place ! Je décide par curiosité de regarder les tarifs par avion au départ de Paris-Orly. Coût pour un voyage en octobre : 69 euros par personne en aller-retour, soit grosso modo 2 fois moins cher que le train… sur un trajet 5 fois plus long en distance environ.

Troisième surprise : l’option voiture. Renonçant donc au train, je me rabat sur l’option voiture. Entre le péage de l’autoroute et le carburant, on se trouverait autour de 65/70 euros pour deux personnes, soit environ 35 euros par personne, stationnement en parc gardé inclus à Barcelone pour 4 ou 5 jours. Mais problème : Barcelone et quelques unes de ses banlieues sont passées en zone à faibles émissions (ZFE). Tous les véhicules, même les véhiculés étrangers, doivent utiliser une vignette spécifique qu’il faut obtenir auprès du conseil de Barcelone, même si votre voiture est aux normes « Euro X » appropriées. Aucune des vignettes équivalentes européennes ne fonctionne, et donc la vignette crit’air française n’est ni reconnue, ni admise. Il faut de plus deux semaines entre la date de la demande de vignette et l’enregistrement de votre véhicule parmi les véhicules autorisés à circuler dans cette région.

J’ai donc décidé de ne pas aller à Barcelone.

Attention, pour que je sois clair, je précise que je ne râle pas ici sur le fait de ne pas avoir pu visiter la capitale de la Catalogne au départ de ma retraite occitane. Si c’était cela, ce serait ridicule ! Un simple problème de riche ! Le but de cet article n’est pas, non plus, de critiquer la gestion de cette ville, ni la mise en place de zones à faible émission, loin de là. Ce que je décris ici comme le « syndrome de Barcelone » - parce qu’il me fallait trouver un titre - c’est un double paradoxe. Le premier concerne les ZFE. Voulues en grande partie par l’Europe, il me semble incompréhensible que chaque État, voire chaque ville concernée, bidouille dans son coin son système d’autorisation sans que cela ne semble poser le moindre problème à l’Union Européenne. Pourquoi ne pas mettre en place un système européen qui autoriserait ou non la circulation dans chacune des villes en ZFE ? Trop compliqué ou absence de volonté politique, une fois de plus ?

Second paradoxe, un trajet en avion en court ou moyen-courrier sur cette destination est environ 4 à 5 fois moins cher que le trajet en train. Pourtant en termes de pollution, et en particulier en termes d’émission de CO2 par km par passager transporté, il n’y a pas photo entre le train et l’avion. On est en moyenne dans un rapport de 30 à 50 entre ces deux modes de transport… A un moment où les conséquences du réchauffement climatique commencent à se faire sentir, cette différence tarifaire est une incitation à la dépense de CO2 à outrance, et elle est donc - à mon sens - aujourd’hui inadmissible. La seule solution serait une taxation écologique des moyens de transports polluants permettant de réduire les coût des transports environnementalement satisfaisant.
Je me suis fait la même remarque face aux quelques 10 à 15 000 camions qui utilisent chaque jour l'autoroute A9 en provenance d'Espagne, et dont certains rejoignent le nord de la France, ou le nord de l'Europe... A quand le développement d'un système de ferroutage - ou de remise sur les rails des marchandises transportées - digne de ce nom ? Je ne sais pas pourquoi, mais je ne crois que peu à ce développement massif, ni à la taxation écologique, ni au niveau européen, ni d’ailleurs au niveau national, en tous cas pas tant que des politiques de rupture avec le modèle économique dominant n’auront été mises en place. En attendant, comme le disait un président précédent, la maison brûle...


Crédit photo :

Jean-Marc De Jaeger. Train ou avion : quel transport choisir pour ses voyages en Europe ?
Le Figaro. Novembre 2020.
https://www.lefigaro.fr/voyages/conseils/train-ou-avion-quel-transport-choisir-pour-ses-voyages-en-europe-20201118

dimanche 15 août 2021

LE PARFAIT TROMPE-L’ŒIL
DU CLASSEMENT DE SHANGHAI

 


La dernière mouture du classement de Shanghai vient de nous être servie. Si le haut du tableau reste occupé par des universités anglo-saxonnes, essentiellement américaines et britanniques, quelques universités françaises apparaissent maintenant dans les 100 premiers établissements mondiaux. Ce classement présente néanmoins des biais importants et la progression récente des universités françaises n’est qu’une progression en trompe-l’œil qui masque une assez triste réalité.

Le classement de Shanghai date du début des années 2000. Il a été crée par une université chinoise cherchait un moyen d’objectiver les financements d’État reçus afin de la hisser parmi les meilleures universités mondiales. Le groupe de chercheurs à l’origine de ce classement créait ensuite une entreprise privée,  la Shanghai Ranking Consultancy, qui publie tous les ans au 15 août le classement des « 1000 meilleures universités du monde ».

Les problèmes que pose ce classement sont multiples. Il y a d’abord la question des critères retenus parmi lesquels figurent le nombre de prix Nobel, de médailles Fields, le nombre d’auteurs publiant dans les prestigieuses revues Nature et Science, et le nombre d’articles publiés par une institution dans l’ensemble des revues scientifiques. Sur ces critères, de nombreux biais existent. Tout d’abord une institution pourra être créditée d’un prix Nobel ou d’une médaille Field dès lors que le récipiendaire se trouvera dans son établissement, même si les recherches qui ont permis l’obtention de ces prix ont été effectuées très majoritairement dans d’autres établissements. Par ailleurs, ne retenir que les revues Nature et Science comme revues de prestige, est un choix discutable. Certes, comme je l’écrivais plus haut, ce revues sont effectivement remarquables et les articles qui y sont publiés généralement très lus. Cependant beaucoup d’autres revues de très haute qualité existent, publiant des articles au moins aussi lus que ceux des deux revues majeures, et tout autant à même de faire progresser la connaissance scientifique. Une remarque similaire peut être faite pour la seule comptabilité des publications de l’ensemble des revues scientifiques, qui ne prend en compte ni l’impact des revues, ni le taux de citation des articles. Il ne s’agit là que de quelques unes des critiques que l’on peut faire à ce célèbre classement.   

Pour poursuivre sur le sujet, il semble aussi que ce classement défavorise les universités françaises, non pas de façon intentionnelle, mais pour plusieurs raisons. Tout d’abord, celui-ci ne prend en compte que la « qualité » des recherches menées au sein des établissements, avec une pondération tenant compte du nombre d’enseignants-chercheurs, mais en aucun cas de la répartition des temps de recherche et temps de travail. Or, contrairement à une idée reçue bien établie, les enseignants-chercheurs français comptent parmi ceux dont l’implication dans l'enseignement est la plus forte, autour de 190 heures de cours par an. Dit comme cela, j’entends déjà rire les détracteurs systématiques de l’activité de recherche en disant que cela ne représente qu’un peu moins d’un mois et demi de travail. Je passe bien sûr sur le temps de préparation des cours (en moyenne une demi-journée de préparation par heure de cours sur un sujet nouveau), sur les surveillances d’examen, les corrections, les réunions pédagogiques, la production des maquettes d’enseignement, etc. Tout ceci fait globalement que l’on estime en France à 50 % du temps de travail le temps que passent les enseignants-chercheurs en enseignement. De mes séjours aux États-Unis, je me rappelle que les professeurs avec lesquels je travaillais là-bas avaient une charge d’enseignement bien plus légère, autour de 50 à 60 heures par an. Un enseignant-chercheur américain est donc naturellement plus productif en termes de recherche qu’un enseignant-chercheur français, c'est mathématique ! Par ailleurs, le classement de Shanghai - qui s’applique pourtant à des universités - ne prend pas en compte la qualité de l’enseignement délivré autrement qu’au travers des critères que j’évoquais plus haut. Si un médaillé Fields ou un prix Nobel est sans aucun doute un chercheur qui a très largement contribué à l’avancement des connaissances de son domaine, celui-ci n’en est pas pour autant, forcément, un excellent enseignant.

Deux autres points défavorisent sensiblement les universités françaises. En premier lieu, l’organisation de la recherche fait qu’au sein des universités, celle-ci est conduite très largement par les chercheurs des organismes de recherche telle que le CNRS, l’INSERM, l’INRIA, le CIRAD, voire l’INRA. Les prix Nobel, les médailles Fields, les publications de ces chercheurs ne sont pas prises en compte dans le classement de Shanghai si la filiation officielle de ses personnels est celle des organismes de recherche puisque ceux-ci ne sont pas considérés comme des universités. On peut donc estimer qu’une part non négligeable des items mentionnés plus haut, fruit de l’activité des personnels des organismes, passe sous les radars de la Shanghai Ranking Consultancy.

Enfin, quid de la fameuse efficacité de l’euro investi ? Ainsi que je décrivais plutôt dans des articles dédiés au fonctionnement de la recherche (1-3), les moyens attribués aux organismes comme aux universités en France sont limités, pour ne pas dire plus. Ainsi, le budget annuel de l’Université Paris-Saclay, première université française du classement, est de l’ordre de 330 millions d'euros auquel s’ajoutent les salaires des 9000 enseignants, soit autour de 450 millions, d’euros, donnant un budget consolidé de l’ordre de 900 millions d’euros. En comparaison, l’université d’Harvard à un budget consolidé de l’ordre de 4 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent les donations de ses riches anciens élèves lors d’appels à dons pouvant atteindre ponctuellement 2 à 3 milliards de dollars, le tout permettant de rémunérer environ 3000 enseignants. L’université d’Harvard accueille environ 18 000 étudiants, celle de Paris-Saclay, un peu moins de 50 000. Le coût annuel par étudiant est donc de 18 000 euros à Paris-Saclay et de.... 220 000 dollars à Harvard, soit 200 000 euros environ. Cette formation est-elle d'une qualité 10 à 12 fois supérieure à celle dispensée à Saclay, ce que son coût suggère, telle est la question ? Or cette efficacité par euro ou dollar investi en matière d’enseignement n’est pas du tout comptabilisée dans le classement de Shanghai. Il est vrai que ce critère, s’il était retenu, poserait un problème d’indicateur(s) bien simplifié en regard du seul comptage des prix Nobel et publications dans des revues dites prestigieuses...

Les biais du classement de Shanghai sont encore bien plus nombreux que ceux que j’évoque ci-dessus. Je voudrais cependant conclure cet article en précisant que cette apparente et satisfaisante 13eme ou 14eme place pour Paris-Saclay cache, en trompe-l'œil,  une vraie misère universitaire*. En sus des difficultés de la recherche en France évoqués plus tôt (1-3), il faut comprendre que cette place qui semble honorable n’a été obtenue qu’aux prix d’artefacts multiples. Le premier, qui a fait du bruit parmi les personnels de la recherche, a été de demander à l’ensemble des chercheurs CNRS, INRIA, INSERM, CEA, etc. travaillatn des des structures liées à Paris-Saclay d’abandonner leur affiliation à leurs organismes, pour ne conserver que l’affiliation à Paris-Saclay. Devant les protestations des chercheurs, bien plus vigoureuses d’ailleurs que celles des organismes de recherche dont les directions ont assez lâchement conservé le petit doigt sur la couture du pantalon, un motus vivendi a été trouvé. C’est l’affiliation à Paris-Saclay qui apparaît la première, suivie de l’affiliation à l’organisme de recherche... Ceci permet donc de gonfler très artificiellement le « CV » de Paris-Saclay en y incorporant le nombre des publications, et des publications de qualité, ainsi que les prix Nobel ou autre médailles Fields, obtenus par des chercheurs rémunérés par d’autres entités. Deuxième biais, et non des moindres, ce classement élogieux a été obtenu en agrégeant à l’université d'origine, Paris-Sud, des structures non universitaires. Ainsi, à Paris-Saclay, des laboratoires entiers du CEA, du CNRS, de l’INRA, des services des hôpitaux tels que le Kremlin-Bicêtre, de l’Institut de physique, pour n’en citer que quelque uns, originellement laboratoires appartenant en propre à ces organismes, ont été regroupés, pour certains à marche forcée, dans l’université. Bref, méfiance donc en ce qui concerne la signification et les interprétations relatives à ce classement. Je rappelle d'ailleurs que l’annexe du décret de création de Paris-Saclay proposait cette création regroupant « 13 % du potentiel de recherche français » avec pour objectif clair de « figurer parmi les plus grandes institutions universitaires mondiales » (4), mais sans une augmentation drastique de ses moyens, ce super « think-tanker » comme je l’appelle, pourrait ressembler à une coquille non pas vide, mais bien creuse, et ce quels que soient les efforts méritoires de mes anciens collègues. 

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* ce que je dis de Paris-Saclay est en grande partie également vrai pour tous les regroupements récents d'universités françaises.

 

Références :

1. Misère de la recherche publique française. I. Organisation et financements
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/05/misere-de-la-recherche-publique.html

2. Misère de la recherche publique française. II. La méconnaissance des dirigeants.
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/06/misere-de-la-recherche-publique.html

3. Misère de la recherche publique française. III. Entre défiance et évaluation permanente.
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/06/misere-de-la-recherche-publique_5.html

4. Soazig Le Nevé. Paris-Saclay, première université française à percer dans le classement de Shanghai. Le monde. Août 2020.

 

Crédit illustration :

Salle de TP-Université Paul Sabatier de Toulouse.
https://universiteenruines.tumblr.com/