Affichage des articles dont le libellé est Politique internationale. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Politique internationale. Afficher tous les articles

jeudi 30 juin 2022

LA BIBLE ET LE COLT (2)



Dans un article précédent, daté d'il y a bientôt deux ans, et intitulé comme celui-ci « la Bible et le colt », j'expliquais de façon succincte comment la nomination d'un juge hyper-conservateur à la Cour Suprême américaine risquait d'avoir des conséquences majeures sur la vie démocratique de ce pays. J'y mentionnais, entre autres, le risque d'un possible coup d'État juridique qu'aurait pu tenter le président de l'époque, M. Donald Trump, sans penser, à ce moment-là, que ce dernier envisagerait quelques mois plus tard de renverser par la force le gouvernement légalement élu.

Toujours dans cet article, je m'inquiétais en filigrane des conséquences que pouvait avoir l'élection de Mme. Amy Coney Barrett, la juge en question, sur le droit environnemental et le droit des minorités. J'avais oublié de mentionner le droit d'avorter, objet des nouvelles dispositions juridiques de la Cour Suprême américaine visant, sans l'expliciter, à son interdiction dans les Etats les plus conservateurs de la Bible Belt. Ceux-ci se situent essentiellement au centre et au sud des Etats-Unis.

Le plus surprenant dans cette décision, au-delà de l'interdiction de l'avortement qu'elle va permettre dans plus de la moitié des états américains, c'est le fait qu'elle a été rendue au motif que la constitution américaine ne mentionne pas ce droit comme un droit fondamental. Or la constitution, aux États-Unis, est souvent perçue comme un texte « sacré » qu'il est quasiment impossible de remettre en question. C'est ainsi, au nom de cette constitution, que la liberté de port d'armes a pu déraper vers la possibilité offerte à tout citoyen américain de détenir une ou plusieurs armes à feu, armes dont certaines ne sont rien d'autre que des armes de guerre. On en voit les conséquences au travers des massacres qui se sont multipliés assez régulièrement dans ce pays. Le ratio d'homicides pour 100 000 habitants est grosso modo 5 à 6 fois plus élevé aux USA qu'il ne l'est dans les pays de l'UE. Cette fascination pour « le colt » est sans aucun doute culturelle mais dire cela relève plus du constat que de l'explicatif. Je me rappelle ainsi une soirée caritative à laquelle j'avais été invité lors de mon séjour de deux ans aux États-Unis. J'avais été placé à table à côté de l'officier de police (une femme charmante) qui assurait la sécurité de l'événement de façon discrète, car des oeuvres d'art coûteuses étaient proposées lors de cette vente aux enchères. Quand elle m'avait dit qu'elle était l'officier de police de service, je lui avais demandé si elle pouvait me montrer « sa plaque », car je n'en avais jamais vu de près. Elle avait été très surprise car, m'a-t-elle dit, n'importe quel américain aurait demandé à voir son arme ! On avait alors brièvement échangé autour de ce thème, et déjà, à l'époque (c'est-à-dire 35 ans plus tôt), cette policière s'inquiétait de la place qu'occupaient les armes à feu dans les foyers américains. Personnellement, je n'ai eu à utiliser ces instruments que lors de mon séjour sous les drapeaux, et je me suis promis de ne plus jamais y toucher une fois libéré. J'ai jusqu'à présent tenu mon engagement, sans difficultés il est vrai, tant mon aversion pour ces objets de mort est forte. Pour revenir à cette fascination américaine, je suis intimement persuadé qu'elle est liée à la conquête de l'Ouest, épisode ou la progression des colons blancs - essentiellement anglo-saxons - vers l'Ouest américain au détriment des populations autochtones, a largement « bénéficié » l'usage de ces armes à feu. À mon sens, les États-Unis se sont construits par le colt, instrument de puissance, et ceci explique peut-être cela.

Pour revenir à la justification présentée par la cour suprême, en regard de sa décision sur l'avortement, il me semble que la présentation constitutionnaliste qu'elle en fait n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les motivations réelles de cette décision sont en  réalité à rechercher dans le fait religieux et dans la place grandissante que prennent les mouvements chrétiens que l'on peut qualifier pour certains de quasi extrémistes, aux Etats-Unis. N'oublions jamais que le fait religieux dans ce pays majoritairement protestant, est extrêmement vivace, en particulier dans la « Bible Belt » que je mentionnais plus haut. Aux manettes, on trouve les évangélistes blancs, qui constituent un des groupes sociologiques les plus puissants et mobilisés des Etats-Unis. Ce groupe prend depuis des années des positions en faveur de la peine de mort, pour le retour de la prière dans les écoles publiques, contre le droit à l’avortement et l'égalité homme-femme, et contre les droits des minorités noires, hispaniques, LGBT, etc. Il s'agit donc, quelque part, d'un mouvement que l'on pourrait qualifier de suprémaciste blanc. Ce mouvement est bien sûr intimement lié au dernier mandat de M. Donald Trump qui ne doit son élection qu'au soutien indéfectible de ce groupe socio-religieux. Plus de 80 % des chrétiens évangélistes ont ainsi voté pour l'ancien président américain en 2016. Il serait néanmoins faux de croire que cette quasi-fusion au parti des Républicains ne date que de la précédente mandature présidentielle américaine. Elle avait déjà commencé sous le mandat de M. Georges W. Bush en 1988, et dans une moindre mesure dès les années 70, après que des écoles confessionnelles évangéliques aient été financièrement pénalisées pour avoir refusé des élèves noirs. Nous sommes donc en présence, en vérité, d'une politique de long terme visant à noyauter la Cour Suprême, la plus haute juridiction américaine. Cette dernière a en effet un pouvoir extrêmement important puisqu'elle est en capacité d'annuler des décrets présidentiels.

Cette récente décision de la Cour Suprême, en regard du droit à l'avortement, est particulièrement inquiétante. Je ne reviens pas ici sur les conséquences que cette décision aura sur nombre de femmes américaines, et particulièrement sur les femmes les plus pauvres, qui dans la moitié des états n'auront d'autres possibilités pour avorter que se déplacer à des centaines, voire à des milliers de kilomètres, ou de recourir à des techniques abortives d'un autre âge, avec tous les risques que cela comporte pour la femme enceinte. Se voulant défenseurs de la vie, les évangélistes ne risquent finalement que de devenir les promoteurs zélés d'une oeuvre de mort...

La gravité de la décision de la cour suprême présente plusieurs facettes. Elle promeut, de fait, une inégalité entre familles pauvres et familles riches dans un pays déjà miné par ces inégalités. Les « riches » seront en effet toujours en capacité de parcourir la distance nécessaire pour atteindre un état dans lequel l'avortement reste légal. Plus grave à mon sens, bien que moins visible, elle entérine la division des Etats-Unis en deux camps, de plus en plus irréconciliables, représentés d'un côté par les états démocrates de la côte est et de la côte ouest, plus quelques états du centre tel le Michigan ou l'Illinois, et les états républicains du Midwest, de la « rust belt » et de la « Bible belt », c'est-à-dire, grosso modo tous les états du centre et du sud du pays. A mon sens, les États-Unis le sont de moins en moins, et cela pourrait possiblement signer l'amorce d'un déclin national. C'est en tous cas un déclin démocratique, les Etats-Unis pouvant presque être comparés à une théocratie, à l'instar de ce qui se passe en Iran, en Israël, ou dans les pays d'obédience musulmane appliquant la charia. Enfin, comme plusieurs analystes l'ont signalé, la remise en cause du droit à l'avortement pourrait être le prélude à d'autres remises en cause de droits, ou à des retours en arrière. Dopés par la récente décision de la cour suprême, les représentants républicains proches des chrétiens évangélistes ont d'ores et déjà réclamé dans certains états le retour de la prière à l'école publique, des lois contre la pratique de la sodomie, des restrictions à la contraception, l'annulation de la possibilité de marier des couples homosexuels, voire même l'interdiction de mariage entre individus de couleur de peau différente. Signalons aussi que la Cour Suprême vient de rendre une décision aux conséquences environnementales potentiellement catastrophiques en interdisant à l'agence pour la protection de l'environnement (EPA) d'édicter des règles générales pour réguler les émissions des centrales à charbon... Peut-être aurais-je dû intituler cet article la Bible, le colt et le CO2 !

Je voudrais conclure ce billet en précisant que des mouvements réactionnaires assez semblables à ceux des chrétiens évangélistes américains existent en France. Ceux-ci se situent globalement à l'extrême droite de l'échelle politique. On en retrouve les partisans assez régulièrement au sein du Rassemblement National, du parti Reconquête, et dans une moindre mesure chez les Républicains. La France étant un pays où le catholicisme est plus présent que le protestantisme, on retrouve également les tenants de cet hyper-conservatisme au sein de mouvements catholiques tels l'Opus Dei, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (les Lefebvristes), la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, de Chrétien-Solidarité (très lié au RN) ou de Civitas. Si ces mouvements sont encore relativement confidentiels, ils n'en restent pas moins potentiellement violents et dangereux. Pas seulement en raison de la violence physique qui peut être exercée par leurs membres, mais parce qu'à l'instar des intégristes musulmans, ils souhaitent le retour en force du religieux dans le champ politique. Et ils arrivent parfois à mobiliser, non pas des millions de personnes, mais des dizaines de milliers comme cela a été le cas de la « manif pour tous ». Rappelons que ce collectif est formé d'associations presque toutes religieuses, principalement liées au catholicisme, et qu'il est fortement soutenu par la droite dure et l'extrême droite. Il ne faudrait donc surtout pas croire qu'une remise en cause du droit à l'avortement est, en France, inenvisageable. Aujourd'hui peut-être, mais demain...


Crédit illustration :


vendredi 22 avril 2022

CHARYBDE ET SCYLLA, PESTE ET CHOLÉRA



Il n'a échappé à personne, je pense, qu'il reste encore un tour avant de connaître le résultat de l'élection présidentielle. Ce denier tour ressemble au dernier tour de la précédente élection, opposant M. Emmanuel Macron à Mme. Marine Le Pen. La question qu'une part non négligeable des électeurs se pose est clairement comment voter lorsqu'aucun des programmes des candidats en lice ne vous satisfait. Ma réponse n'engage que moi.

Je ne vais pas tourner autour du pot. Je n'ai confiance ni en Madame Marine Le Pen, ni en Monsieur Emmanuel Macron.

Le RN et précédemment le FN ont trop frayé avec l'extrême droite identitaire, avec les jeunes aux cheveux aussi courts que leurs idées, le racisme, la violence, les discriminations de tous ordres - du droit des femmes à l'identité sexuelle - pour accepter qu'un ou une présidente issue de ses rangs dirige un jour notre République. Et puis, il y a toutes les déclarations, plus récentes, de la campagne actuelle. Mme. Marine Le Pen et ses partisans tiennent des propos ségrégationnistes, au sens large. Ces propos ne font pas, par exemple, clairement le distinguo entre islam et islamisme. Elle disait ainsi : « Le voile est un uniforme islamiste et pas musulman, c’est l’uniforme d’une idéologie, pas d’une religion », proposant dès lors l'interdiction du port du voile dans l'espace public. En incidente, il faudra alors penser aussi à interdire les kippas et les croix, ainsi que les médailles des tous les saints ou de Marie également. Or, ce n'est pas cela la laïcité. La laïcité, c'est de permettre à tous d'exercer ses convictions, ses préférences religieuses, des athées aux croyants, sans empêcher son voisin de le faire également. Le seul endroit où ces préférences ne doivent pas être visibles, c'est dans la marche de l'Etat. Ainsi, l'interdiction du port ou de l'expression de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique me parait nécessaire et justifiée, comme symbole de la neutralité, et paradoxalement de la bienveillance de l'Etat en la matière. Pour revenir à Mme. Marine Le Pen, elle propose aussi des mesures discriminatoires lorsqu'elle annonce vouloir mettre fin au regroupement familial, ou réserver les allocations familiales aux nationaux. Dans cette logique, un étranger légalement établit en France, y payant ses impôts depuis des années n'aurait-il donc pas les mêmes droits qu'un Français ? Et un Français marié à une étrangère ne pourrait-il la faire s'installer définitivement en France. Quel délire ! Et son programme environnemental ? Certes, celui de M. Emmanuel Macron est quasi-inexistant, mais que dire, alors que la crise climatique s'amplifie et qu'elle continuera de s'amplifier pendant des décennies en raison de l'inertie de notre biosphère, de sa proposition d'un moratoire sur le solaire ? Ou du démantèlement des éoliennes, défendant ainsi une position complètement orthogonale aux accords de Paris. Enfin, en matière de politique internationale, que dire de ses accointances avec M. Vladimir Poutine, dont elle encensait encore voilà peu, le comportement et la politique nationale. Autre temps, autres moeurs, certes, mais quoiqu'il en soit, je n'ai aucune envie de voir cette personne représenter la France et ses valeurs. Elle ne peut le faire. Elle en est même à l'opposée. 

Quant à M. Emmanuel Macron, j'ai bien explicité dans différents articles de ce blog ses actions et celles des marcheurs, dont les godillots (c'est le terme approprié) ont assez systématiquement approuvé les décisions à l'assemblée nationale. A commencer par la possibilité que cette majorité a offerte au gouvernement de décider par ordonnance, supprimant ainsi le contrôle parlementaire sur les décisions proposées. Or ces décisions, et donc la politique menée par M. Emmanuel Macron, a conduit à une division encore plus accentuée des Français. Au cours du quinquennat, la fortune des plus riches a explosé, merci entre autres à la suppression de l'ISF, et à l'instauration de la flat tax. En même temps, pour reprendre la phraséologie en cours, « la France qui rame » a assez systématiquement fait l'objet de mesures la défavorisant : laminage du droit du travail, blocage des salaires, et pour les plus défavorisés, réduction des APL ou réduction de facto des aides aux handicapés, pour ne citer que quelques mesures. J'y ajoute la poursuite de la casse des services publics, l'hôpital en tête. Je ne sais pas d'ailleurs si celui-ci survivra : il était malade au début du quinquennat, il est maintenant agonisant. Tout cela, combiné aux augmentations du coût de la vie, a conduit à la crise des gilets jaunes, qui n'est à mon sens pas une crise. Une crise présente en effet une durée limitée dans le temps. Or celle-ci se poursuit plus de trois ans après son commencement, et elle n'a disparu des radars, écrans et infos que parce qu'une crise sanitaire sans précédent qui perdure lui a succédé. Tout cela a pour conséquence le fait qu'un Français sur quatre (27%) avouait ne pas manger à sa faim, un chiffre encore en augmentation, et que 20% déclaraient voilà peu devoir sauter certains repas. Cette France d'en bas, terme que je n'aime pas, est en fait celle de l'exclusion. C'est la France exclue des centres villes, des métropoles, de l'emploi pérenne, des services publics. C'est celle qui fait a fait l'objet de toutes railleries de l'ancien président. C'est celle qui coûte un pognon de dingue, qui n'a qu'à traverser la rue pour trouver du boulot, celle qui croise dans les gares des gens qui réussissent, alors qu'eux ne sont rien. Qualifié d'arrogance, la pensée macronienne et la politique qu'il a menée sont en réalité totalement engagées dans un processus de lutte des classes, terme que certains voudraient faire passer pour désuet, obsolète, mais qui fournit pourtant, volens nolens, une grille de lecture pertinente du dernier quinquennat. M. Emmanuel Macron n'est pas que le candidat des riches ou des banques, comme cela a été dit. C'est aussi le candidat d'un apartheid social, différent de celui proposé par son opposante, mais tout aussi pitoyable et impitoyable. Pour s'en convaincre, voici quelques propos qu'il a tenus, lors de discours, de visites, ou d'interviews. Je cite : « les salariés français sont trop payés », « les salariés doivent pouvoir travailler plus, sans être payés plus si les syndicats majoritaires sont d’accord », « la meilleure façon de se payer un costard c’est de travailler ». D'autres citations montrent toute l'étendue du mépris de classe de l'ex-président, vis à vis d'une partie non négligeable des Français, qu'il devrait, pourtant défendre en priorité. Je cite toujours : « les Britanniques ont la chance d’avoir eu Margaret Thatcher », « je ne suis pas là pour défendre les jobs existants », « le chômage de masse en France c’est parce que les travailleurs sont trop protégés », ou « 35 h pour un jeune, ce n’est pas assez ». Restent également des propos très inquiétants et, curieusement, très peu relevés dans la presse tels que « je suis pour une société sans statuts » et « La France est en deuil d’un roi ». Jupitérien, vous avez dit Jupitérien?

J'arrête là la démonstration. Tout cela indique qu'avec M. Emmanuel Macron, comme avec Mme Marine Le Pen, la France pourra faire le deuil de sa devise « liberté, égalité, fraternité ». Se pose donc la question du vote du second tour, dimanche. L'option logique serait donc le vote blanc, aucun des candidats ne satisfaisant aux critères minimaux que j'exige à titre personnel pour obtenir mon suffrage. A ce stade, que l'on vienne pas me parler de front républicain. Ce n'est pas moi qui a installé ce choix invraissemblable entre un représentant de l'extrême droite et un représentant de la finance et des ultras riches, entre un programme raciste et xénophobe, et un programme de casse sociale généralisée. J'ai d'ailleurs voté pour M. Jacques Chirac contre M. Jean-Marie Le Pen quand il l'a fallu, j'ai rejeté la candidature de Mme Le Pen en 2017, tout cela pour constater que le président élu a ensuite très rapidement oublié la pluralité des opinons politiques des citoyens qui l'avaient porté au pouvoir. Malheureusement, le vote blanc, bien que comptabilisé, passera rapidement aux oubliettes. Il me semble donc, que l'action la plus visible et forte reste l'abstention. Celle-ci sera en effet bien plus discutée et bien plus significative si, comme je l'espère, elle tutoie ou dépasse la barre des 40%. C'est donc l'option la plus raisonnable vers laquelle je me dirige dans le cadre d'un choix impossible entre Charybde ou Scylla, peste ou choléra...


Crédit illustration :

Rallye lecture. Charybde et Scylla
https://rallye-lecture.fr/charybde-et-scylla-niveau-3/



samedi 5 mars 2022

UNE SOLIDARITÉ
À GÉOMÉTRIE TRÈS VARIABLE


Cet article est, sans doute, assez peu politiquement correct. Impossible cependant de ne pas faire de lien entre la guerre en Ukraine et les centaines de milliers de personnes déplacées, avec la guerre en Afghanistan ou avec les conflits locaux en Afrique.


Je dois être un peu un dinosaure, intellectuellement parlant, mais je ne cesse de m’étonner - avec bonheur - depuis quelques jours, de ce qui se passe en matière d’accueil des réfugiés ukrainiens chassés de chez eux par la guerre qui sévit dans leur pays. A tous les niveaux, européen, français, et même local, à Forges, des opérations en soutien aux populations déplacées se sont mises en place avec une célérité indéniable. Afin que mes propos ne soient pas mal interprétés, il me faut être clair. Ce déploiement d’aide, de bonnes volontés, ne me choque pas, bien au contraire. Comme beaucoup d’autres citoyens, je suis infiniment triste de constater que des centaines de milliers de personnes ont dû fuir leur domicile, leurs biens, leurs familles pour sauver leurs vies. Par conséquent, je me réjouis sans arrière-pensée des aides locale, nationale et internationale qui pourront leur être apportées.

Ce qui me choque très fort, en revanche, c’est l’énorme différence qui existe entre le traitement de ces populations venues de Kiev, de Marioupol, de Kharkiv, et celui des populations venues d’autres régions du monde. Je pense aux déplacés d’Afrique sub-saharienne, qui tentent d’échapper aux djihadistes d’Ansar Dine ou de Boko Haram. Je pense aux citoyens de nombreux pays centre-africains ou d’Afrique de l’Est, tels le Soudan, la Somalie, l’Érythrée, le Congo ou la Centrafrique fuyant les guerres civiles et les famines. Je pense aux Irakiens et aux Syriens, pour les mêmes raisons, auxquelles on peut ajouter l'exposition aux bombes chimiques. « Curieusement », tous ces réfugiés n’ont pas eu la chance de bénéficier des mêmes soutiens. L’UE, si prompte à déployer de l’aide pour l’Ukraine, s’est contentée pendant des années de payer des centaines de millions d’euros, voire quelques milliards à des pays tels la Turquie pour qu’elle « stocke » (je ne trouve pas d’autres mot à part « parquer » !) ces personnes dans des camps autorisant tout juste leur survie. Elle n’a rien fait pour éviter les quelques 20 000 migrants disparus en Méditerranée depuis une dizaine d’années malgré les alertes à répétitions des ONG, malgré le travail remarquable de plusieurs journalistes, malgré leurs articles, reportages et photos qui ne nous autorisent pas à dire « on ne savait pas ». Enfin si, elle a fait quelque chose, l’UE ! Elle a regardé ailleurs laissant des pays comme l'Italie gérer seule l'afflux de migrants à Lampedusa ! Et ici, en France, les autorités refusent l’arrivé d’un bateau d’une ONG qui s’est porté au secours de ces personnes au prétexte de ne pas trouver de port d’accueil... Tout en laissant croire que ces ONG sont des complices des passeurs, sans aucune honte. Idem pour les associations caritatives qui soutiennent ces pauvres gens au travers de la fourniture de draps, ou des tentes et de couvertures à Calais ou dans l’arrière-pays niçois, que l’on cherche même à criminaliser. Pourtant, en quelques jours, ces mêmes autorités viennent de mettre en place des dispositifs de visa automatique et prolongé, et planchent sur la gratuité de transport à destination des réfugiés d’Ukraine.

Comment, également, ne pas évoquer l’accueil des réfugiés afghans ici à Forges ? Ces gens venus du bout du monde, « à pied, à cheval et en voiture », ont fait l’objet de propos menaçants, insultants parfois, accusés d’être au mieux des « nuisibles » (propos entendus dans la rue), voire de futurs violeurs (propos entendus en réunion). Comment ne pas rappeler que nombre d’élus forgeois actuels n’ont pas hésité à défiler au côté d’un parti politique réactionnaire et xénophobe, pour dénoncer cette arrivée imposée des migrants ? Ce sont les mêmes, qui aujourd’hui, et encore une fois je m’en réjouis, souhaitent aider les migrants ukrainiens. Mais fondamentalement, où sont les différences ? Est-il plus dangereux de prendre sur sa maison un obus russe ou un obus syrien ? Perdre un bras dans un bombardement d'un MIG, est-ce pire que de perdre une main coupée par un djihadiste ? Des magasins vides à Kharkil, est-ce plus insupportable que des magasins vides à Mogadiscio ? Les balles des supplétifs du Dombass sont-elles plus mortelles que les balles des milices centrafricaines ? Un enfant tué à Odessa, est-ce plus horrible qu’un enfant tué à Qandahar ? Et quelle différence entre un réfugié et un migrant, pourquoi, d'ailleurs, ces qualificatifs différents ?

Ou pour toutes nos institutions, comme le disait le moto des X-files, la vérité ne serait-elle pas ailleurs ? Ainsi, un Érythréen serait-il trop bronzé par rapport à un Ukrainien ? Un Malien ne serait-il pas de la « bonne » religion ? Un Syrien vaut-il moins qu’un Européen ? Il faudrait quand même que l’on se pose toutes ces questions. Il faudrait aussi que ceux - aux manettes aux échelons local, national et international - qui ont été si prompts à proposer une aide bienvenue aux réfugiés ukrainiens (et une dernière fois, tant mieux), fassent aujourd’hui leur examen de conscience. Pour autant que ce mot leur parle.


Crédit illustrations :

Haut :    auteur inconnu.
Bas :     dessin de Coco pour "Libération".


samedi 13 novembre 2021

RÉINTRODUCTION DES FARINES ANIMALES DANS L’ÉLEVAGE : LA MAUVAISE IDÉE !



Une nouvelle est passée pratiquement sous les radars des médias d’information, trop occupés à nous vendre du « polémiste » de piètre qualité. L’Union Européenne autorise de nouveau l’usage de farines animales en Europe. Le texte est sorti en août 2021 avec une date d’application au 7 septembre 2021. Environ 20 ans après l’arrêt de l’usage de ces « farines », qui, de fait, n’ont rien des farines végétales, il va redevenir possible de nourrir volailles et porcs avec des « protéines animales transformées » (PAT). C’est l’occasion de revenir sur la crise de la vache folle, et de présenter l’agent infectieux non conventionnel à l’origine de cette maladie et des pathologies voisines qui affectent d’autres mammifères, dont l’Homme.

Les farines animales destinées à l’alimentation animale sont obtenues à partir de produits carnés non consommés par l’Homme, tels que certains abats, les peaux et os, ainsi que des sous produits de la pèche, également non consommés. S’y ajoutaient aussi les produits issus des équarrissages. La farine se présente sous forme de poudre obtenue par dégraissage, cuisson, broyage et tamisage de ces produits. Riches en protéines, les farines ont été utilisées en complément alimentaire pour l’élevage intensif pendant des années. Leur usage a commencé au début du XXe siècle pour « exploser » dans les années 60 jusqu’à ce qu’apparaisse au milieu des années 80 une pathologie très particulière, la maladie de la « vache folle ». Celle-ci est une maladie neuro-dégénérative, caractérisée par la présence dans le cerveau des animaux malades de zones à allure spongieuse démontrant la destruction de neurones et la formation de plaques de protéines particulières appelées plaques amyloïdes. La fréquence des cas à la fin des années 80 et au début des années 90 révèle l’existence d’une épidémie, et donc, a priori, d’une cause commune, possiblement transmissible.

La recherche de l’agent infectieux est orientée par des similitudes entre la maladie de la vache folle et une autre maladie affectant les ovins, la tremblante du mouton ou scrapie, mais aussi avec une maladie humaine très particulière, le kuru. Celle-ci est endémique en Papouasie - Nouvelle Guinée. Elle est associée à des rites funéraires de type cannibaliste, qui conduisaient particulièrement les proches d’un mort à en consommer le cerveau. Or l’agent infectieux responsable de ces maladies neuro-dégénératives, globalement appelées encéphalites spongiformes, est précisément localisé dans le cerveau des personnes ou animaux malades. Cependant, il ne s’agit ni d’un champignon, ni d’une bactérie, ni d’un virus, mais d’un des constituants habituel du cerveau, une protéine, appelée PrP (pour prion protein) ou simplement prion. Celle-ci existe sous deux formes, la forme « normale », non pathogène, et une forme légèrement modifiée, appelée PrPsc, caractéristique et responsable de la maladie. Lors de la consommation de produit contaminé par la PrPsc, telles des farines animales, la protéine PrPsc migre vers le cerveau où elle se retrouve en présence d’autres protéines PrP. Pour des raisons encore mal comprises, mais relevant possiblement de questions de stabilité et de thermodynamique, la protéine PrPsc est capable progressivement de transformer une protéine PrP en une protéine PrPsc, avec une possibilité de réversion faible. Ceci entraîne par un effet « boule de neige » la conversion d’un nombre de plus en plus grand de ces protéines PrP et à l’apparition des plaques amyloïdes, riches en formes PrPsc. Cette conversion peut être très lente, puisqu’on estime que l'apparition des symptômes peut prendre de 5 à 10 ans dans le cas de bovins et atteindre presque 50 ans dans le cas de malades du kuru. Le kuru n’est d’ailleurs pas la seule maladie humaine à prion : la maladie de Creutzfeldt-Jakobs en est une autre. De nombreux cas de cette maladie sont apparus lors de consommation de produits contaminés par des prions, par exemple lors d’injection d’hormone de croissance (ou somatotropine) à des individus à risque de nanisme. Or, à ce moment là, cette hormone était préparée à partir des cerveaux de personnes décédées, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De même, la consommation de viande issue d’animal contaminé par le prion a entraînée également l’apparition de cas de Creutzfeldt-Jakobs, démontrant là la possibilité du franchissement de la barrière d’espèce. Ce franchissement a également été proposé dans le cas de la transmission à des animaux domestiques (chat) de prions issus d’aliments pour animaux de compagnie, préparés à partir d’abats contaminés. Deux autres maladies humaines à prions sont connues, l’insomnie fatale familial et le syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker mais elles résultent, elles, d’une mutation spontanée facilitant la transformation spontanée de la protéine PrP en une variante de la PrPsc, avec les mêmes conséquences délétères.

Un denier point sur les aspects scientifiques : on ne sait toujours pas quel rôle joue la version « normale » de la protéine PrP dans le cerveau. Une expérience réalisée avec des souris mutantes, rendues incapables de produire PrP, souris dites PrP KO, a montré qu'elles se développaient et se comportaient en conditions d’élevage comme des souris non mutantes. Aucune différence en termes d’apprentissage, de mémorisation de court et de long terme ou d’anxiété, n’a été observée. La différence principale entre souris PrP KO et souris non mutantes étaient leur résistance aux maladies... à prions, ce qui était attendu. Une petite différence de cycle de sommeil a été observée dans des conditions très particulières d’éclairement, un rôle immunitaire a aussi été proposé, les lignées PrP Ko étant plus résistantes à certains virus, ce qui ne présente pas une logique biologique marquée ! Le seul rôle potentiel qui fait sens serait une résistance accrue des souris normales, par rapport à leurs homologues PrP KO, vis à vis du risque de crise épileptique, là aussi dans des conditions particulières. Depuis peu, des ruminants PrP KO ont été obtenus, et leur développement semble aussi normal. Des recherches sur ces mutants de la protéine PrP sont donc encore nécessaires pour tenter d’identifier le rôle de ce constituant cellulaire, très conservé dans le cerveau des mammifères.

Comme je l’indiquais plus haut, l’apparition massive de ces maladies à la fin des années 80 est liée, entre autres, à un renforcement de l’usage des farines animales, couplé à une modification des procédés d’obtention. En particulier, et afin de réduire l’utilisation de solvants dans le processus de préparation, l’extraction des graisses des produits d’abattage ou d'équarrissage à l’hexane, très pratiquée au début du XXe siècle, a quasiment disparu. De même, le chauffage et les pratiques de stérilisation ont été limités afin d’augmenter la « valeur alimentaire » des farines animales. Pas de chance, le prion est une protéine extrêmement stable qui résiste au chauffage et même à un autoclavage modéré. Outre l’action de solvants tel que le phénol, le prion ne peut être détruit que par un chauffage prolongé de type stérilisation à haute température, puisque de mémoire il faut dépasser les 133°C pendant 25 minutes pour s’assurer de sa disparition quasi complète.

Il y a donc des raisons de s’inquiéter de la réintroduction de farines animales en alimentation animale. C’est à mon avis une mauvaise idée, même si l’argument utilisé fait sens. Il s'agirait : a) de réduire l’importation de soja d’origine sud-américaine, donc de limiter les causes de déforestation de ces territoires, et, b) d’améliorer le bilan carbone de l’élevage affecté par le transport maritime de ces marchandises. Egalement, et il faut le dire, il s’agira d’alimenter les volailles et le porc, et aussi de continuer à alimenter les poissons d’élevage. Or, à ma connaissance, il n’y a jamais eu de transmission de maladie à prions de bovins vers des volailles ou vers le porc ou vers le poisson. En tous cas ces animaux ne sont pas tombés malades. Ceci dit, ils pourraient être des porteurs sains, comme l’a démontré une expérience menée sur la souris et le hamster voila déjà une vingtaine d’années. Enfin, l’UE nous dit que seront utilisées exclusivement des « protéines animales transformées » et non plus des farines. La nuance est subtile mais importante puisque les PAT ne peuvent être obtenues qu’à partir de sous-produits d’abattage d’animaux destinés à la consommation humaine, donc sains. Si cela était respecté, les risques diminueraient donc de façon importante. On se rappellera cependant ici la soit disant viande de bœuf utilisée en alimentation humaine, qui n’était autre que de la viande de cheval à plus de 50%, ou des steaks dits de bœuf contenant une part non négligeable de porc... Dans un monde dominé par le profit à tout va, les scandales alimentaires existent et continueront d’exister ; le doute aussi.


Crédit illustration :

http://oasisdepaix.eklablog.com/drole-de-poisson-a91065461

jeudi 4 novembre 2021

FRAUDE FISCALE,
PANDORA PAPERS ET POPULISME


Le texte que je publie ci-dessous n'est pas de moi. Il s'agit de la lettre mensuelle d'Anticor  association de lutte contre la corruption, dont je suis membre, signée par sa présidente Élise Van Beneden. Ce texte est intéressant car il montre que la lutte contre la fraude fiscale est une nécessité, le montant de celle-ci correspondant grosso modo au montant de l'impôt sur le revenu. En bref, nous payons des impôts sur le revenu entre autres, pour ceux - très organisés - qui n'en payent pas. De façon aussi importante, cette tribune fait référence aux différentes enquêtes journalistiques internationales, dont la récente affaire des Pandora papers*, qui ont révélé que nombre de dirigeants, y compris certains dans nos démocraties occidentales, bénéficient de conseils avisés pour échapper à l'imposition, souvent légalement d'ailleurs. Comment, dès lors, ne pas s'étonner de la montée d'un populisme très prompt à dénoncer les "élites" corrompues laissant le bon peuple se débrouiller avec ses problèmes... Au premier rang desquels l'immigré fera figure de bouc-émissaire, pour le plus grand profit de quelques éditorialistes, hommes ou femmes politiques ou polémistes auprès desquels Messieurs Drieu La Rohelle, Louis-Ferdinand Céline, ou Jean-Louis Tixier-Vigancourt, pourraient passer pour de dangereux gauchistes.

* Voire l'excellente page Wikipédia à ce sujet

---------------------------------------------------------------------------------

La fraude fiscale est une réalité violente, connue de tous depuis des décennies.


Dans un rapport de novembre 2019, le syndicat Solidaires finances publiques a évalué la fraude fiscale en France entre 80 et 100 milliards d'euros par an. Il est en réalité probable que ce chiffre, deux ans plus tard, dépasse les 100 milliards, compte tenu des évaluations réalisées à l’échelle mondiale. Vous l’aurez compris, il s’agit d’une fourchette basse, dont le calcul est issu du travail syndical des agents des impôts.

Car le gouvernement peine à s’engager dans une évaluation officielle qu’il a pourtant parfaitement les moyens de mener. En septembre 2017, l’alors ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, critiquait ces chiffres et annonçait la création d’un observatoire rassemblant divers experts pour plancher sur une estimation plus scientifique de la fraude fiscale.

Quatre ans plus tard, aucun observatoire… ne serait-ce qu’en devenir. En revanche, le travail patient de 280 journalistes du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a permis de mettre en évidence une pratique bien répandue.


En 2016, les Panama Papers révélaient les avoirs secrets de chefs d’État, de milliardaires, de sportifs et de criminels dans les paradis fiscaux. Ils ont permis à l’État français de récupérer 126 millions d’euros sur la base de 50 redressements fiscaux. Merci les journalistes !

Les Pandora Papers, publiés le 3 octobre dernier, ne semblent pas dire autre chose si ce n’est l’exaspération d’un monde qui ne change pas. On y découvre que plusieurs chefs de gouvernement ont placé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment pour échapper à l'impôt dans leur propre pays.

Une économie parallèle donc, qui se développe dans l’opacité de systèmes financiers complexes et refuse de contribuer à l’effort collectif, sans pourtant se priver d’y accéder. Car au-delà de l’État providence que chacun est libre de remettre en cause, les impôts payent de nombreuses dépenses non contributives qui font de nos pays des endroits où il est agréable de vivre.

Les Pandora Papers font tourner la tête : 11 300 000 000 000 de dollars (10.000 milliards d’euros environ) dans le monde, investis dans 84 millions de comptes financiers détenus à l’étranger. À partir de combien de zéros faut-il réagir ?

Alors que les chiffres augmentent de manière incontrôlée, le nombre de contrôles en France, lui, ne cesse de baisser, du fait des réductions d’effectifs d’agents des finances publiques.

La question que laissent dernière nous ces remous est identique dans tous les cas : pourquoi, face à des mécanismes qui relèvent d'une criminalité organisée et mondiale, appuyée par des cabinets d’avocats et de conseils, avec la complicité des plus grandes banques et de certains dirigeants politiques, dont tous s'accordent à dire qu'elle crée des inégalités profondes dans nos sociétés, la réponse politique est-elle si faible ?

Au niveau de l’Union européenne, dans le domaine de la fiscalité, seule l’unanimité peut bouger les lignes, ce qui signifie que tous les États membres doivent être d'accord sur toute mesure adoptée dans ce domaine. C’est un verrou de taille.

Un autre verrou, appelé verrou de Bercy, limite l’action de la justice en France. Le fisc détient un monopole d’action sur les affaires de moins de 100.000 euros. Pour les dossiers d’un montant supérieur, le fisc a le devoir de transmettre les dossiers au procureur de la république. Reste que le parquet n’a pas de possibilité d’auto-saisine. Anticor a développé un plaidoyer qui propose la suppression totale de ce système : https://www.anticor.org/plaidoyerpage/.

Mais si la loi distingue aujourd’hui la fraude, illégale, et l’optimisation fiscale, légale, la frontière entre les deux n’est pas si évidente. Car il existe une notion, dénommée abus de droit fiscal, qui permet d’écarter les contrats, comme parfois les licences de marques, qui ont un caractère fictif, en ce que leur objectif principal consiste à éluder ou atténuer les charges fiscales.

Il existe donc des armes juridiques à disposition de nos responsables politiques et administratifs. Reste à s'en saisir.




Crédit illustration :

Pandora Papers : « Il faut sortir de l’hypocrisie dans la lutte contre l’évasion fiscale », accuse Éric Bocquet. Public Sénat. Octobre 2021.
https://www.publicsenat.fr/article/societe/pandora-papers-il-faut-sortir-de-l-hypocrisie-dans-la-lutte-contre-l-evasion-fiscale






lundi 11 octobre 2021

AU SUJET DES ABUS SEXUELS DANS L'EGLISE CATHOLIQUE DE FRANCE


La récente publication du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église catholique de France a fait l’effet d’une bombe chez certains. Pourtant depuis des années, les signaux d’alarme clignotaient à droite et à gauche, pas seulement en France d’ailleurs. Par ailleurs, pour mesurer l’ampleur du phénomène, il me semble bon de comparer ce qui a été rapporté pour les sévices sexuels dans l’église catholique avec ce qui se passe, soit dans la population générale, soit au sein d’autres structures recevant de jeunes enfants, telle que l’éducation nationale.

Au moins 216 000 mineurs victimes d’abus sexuels de la part de religieux catholiques depuis 70 ans et au moins 330 000 si on compte la totalité des victimes dans l’Église ! Le chiffre paraît - et est - énorme. Si on considère un nombre moyen de paroisses en France au cours des 70 dernières années, soit autour de 15 000 (elles ne sont que 12 000 aujourd’hui) et si l’on arrondit le nombre des victimes à 300 000, cela donne 20 victimes par paroisse... C’est épouvantable. Heureusement (si on peut dire), toutes les paroisses n’ont pas été affectées par ces délits ou ces crimes, mais le rapport Sauvé fait état de l’existence d’a minima 3 000 pédo-criminels ou pédo-délinquants dans l’Église sur cette période de 70 ans, soit plus de 40 par années ! On peut aussi faire un autre calcul : 300 000 crimes et délits sexuels sur 70 ans, cela fait 4 400 par année, soit une douzaine par jour, pendant 70 ans ! Sans commentaire !

L’énormité des chiffres pourrait fausser notre évaluation de l’importance du phénomène. Pour cette raison, il est indispensable de les comparer avec ceux des sévices sexuels repérés dans d’autres institutions. On peut ainsi examiner les taux de prévalence (c’est à dire le pourcentage de mineurs ayant subi des violences sexuelles avant 18 ans) dans différents environnements. Ces taux sont de 1,2% dans l’Église catholique, contre 0,34% dans l’éducation nationale (école publiques), 0,28% dans les clubs de sports et 0,17% dans les clubs à vocation culturelle. Seul le milieu familial est plus porteur de délits ou crimes sexuels, avec un taux de prévalence atteignant 3,7%.

Autre enseignements du rapport : la majorité des victimes sont des garçons (env. 80%) alors que ceux-ci ne représentent que 17% des victimes dans le reste de la société. Dans l’Église, il semble donc clair que les actes pédophiles soient également des actes majoritairement homosexuels. Quant on connaît la proportion d’homosexuels dans les hautes instances de l’Église catholique (voir 1), il est difficile de ne pas y voir un lien, une relation. Attention cependant : cette relation n’est pas « bijective » comme l’on dit en mathématique. S’il semble que la majorité des pédocriminels religieux catholiques aient des tendances homosexuelles, il serait faux ou mensonger, voire homophobe de penser ou d’affirmer que les homosexuels dans l’Église (ou ailleurs) soient des pédophiles en puissance. Je préfère donc écrire cela en caractères gras pour que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mes observations.

Ces chiffres « accablants » (terme utilisé par M. Jean-Marc Sauvé) sont, à mon avis, le résultat de nombreux dysfonctionnements de l’Église, au premier lieu desquels son empressement à ne pas voir les signaux d’alarme qui clignotaient depuis longtemps pour certains, et pas seulement en France. Une litanie (pour rester raccord !) de scandales affectant de jeunes enfants, commis par des religieux catholiques, aurait du faire réagir plus fortement les autorités de Rome. Citons par exemple les scandales qui ont entouré la congrégation des « légionnaires du Christ » dans les années 50 à 60, et en particulier son fondateur, le père Marcial Degollado. Les plaintes des victimes n’ont donné lieu au Vatican qu’à des enquêtes internes, abandonnées puis reprise en particulier par la congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le futur Benoit XVI. Ce dernier se contentera de l’écarter de tout ministère public et sa congrégation lui recommandera de « conduire une existence retirée dans la prière et la pénitence »... Dans toute l’Europe, des actes délictueux ou criminels ont été commis par des religieux catholiques. Plus de 174 ont été rapportés en Autriche dans les années 1960 à 1970 mais ce sont pas loin d’un millier de cas qui ont finalement été identifiés sur quelques décennies. En Belgique, plusieurs centaines de cas ont été compilés dans le rapport de la commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale, dit rapport Adriaenssens (du nom de son président), en septembre 2010. La commission identifie 130 prêtres délinquants ou criminels, dont une toute petite fraction a été condamnée par l’Église ou la justice... La situation irlandaise est également un signal d’alarme oublié. Dès 2005, deux rapports, le rapport Murphy et le rapport Ryan, décrivaient les abus sexuels commis par des prêtres et le silence des évêques qui les avaient couverts, sans jeu de mots déplacé. Au total, ce seront un peu moins de 15 000 de victimes de sévices dans les années 40, 50 et 60 dans des institutions religieuses irlandaises qui seront identifiées et pour certaines indemnisées. J’arrête la liste là, même si l’Église aurait pu aussi s’intéresser à ce qui s’était passé en Australie et aux États Unis, et aux rapports de l'archidiocèse catholique de Chicago, ou du John Jay College of Criminal Justice de New York au début des années 2000.

La situation en France est grave, d’autant que le pourcentage de religieux agresseurs y est élevé, de 2,5 à 2,8 % des prélats, bien qu’inférieur aux 4,8% aux USA et aux presque 8% en Irlande de religieux délinquants ou criminels ! En forçant le trait, il s’est passé dans l’Église catholique ce qui se passe dans certains sectes… Or les crimes et délits sexuels peuvent peser lourd dans la vie des personnes qui en ont été victimes, et les compensations financières ne constituent finalement que des reconnaissances des sévices passés et de leur statut de victime. Il est donc crucial que l’Église catholique remette nombre de choses à plat. En premier lieu, elle doit briser le tabou de la sexualité des religieux et religieuses. Il est nécessaire de rediscuter du célibat et de la chasteté des prélats (dont on voit comment certaines des hautes autorités vaticanes s’affranchissent, 1), mais pas uniquement de cela. La place des femmes dans l’Église, y compris au niveau de la prêtrise, est également à revoir car il est fort probable que nombre des crimes ou délits sexuels répertoriés n’auraient pas été commis par des femmes. Enfin, le « logiciel » de certains prélats doit être « débogué ». Il est en effet totalement inadmissible d’entendre un haut dignitaire catholique français, le président de la Conférence des évêques de France en l’occurrence, estimer que le secret de la confession serait « plus fort que les lois de la République ». Ce type de propos, non-entendable, s’apparente à mon sens, ni plus, ni moins, à celui des fondamentalistes islamiques estimant que la charia est supérieure aux mêmes lois de la République. J’avoue donc me demander si le pouvoir temporel, entendre l’État, ne devrait pas reprendre la main sur le pouvoir religieux catholique, tant l’étendue des crimes et délits commis dans cette institution est effrayant. En parallèle, l’examen de conscience de l’Église, censée défendre le faible contre le fort et toujours prompte à prôner une rigueur morale, est indispensable pour la pérennité de la structure mais aussi vis à vis de ses fidèles et surtout vis à vis victimes des agissements d’une proportion non négligeable de ses religieux et de ses laïcs.


Note ajoutée le 11 octobre : au moment où je mets l’article en ligne, j’entends la chronique de Sophia Aram, l’humoriste du lundi matin de France Inter, qui résonne fortement avec ce billet de blog.


Référence :


1. Sodoma : un livre indispensable pour comprendre le Vatican.
Ce blog.
https://dessaux.blogspot.com/2020/10/sodoma-un-livre-indispensable-pour.html


Crédit illustration :


Les dessins d'Acé. L'Express. Février 2017.

jeudi 12 août 2021

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET FLUX MIGRATOIRES



Le dernier rapport du GIEC est particulièrement inquiétant dans la mesure où il révèle une augmentation plus rapide qu’anticipée de la température moyenne mondiale. Parmi les conséquences de cette élévation, la fonte des calottes polaires et des glaciers pourrait se traduire par une augmentation sensible du niveau des mers. Cette augmentation concernera au premier chef des zones côtières basses, dont la plupart sont fortement peuplées, et jouent des rôles fondamentaux en termes de production agricole, entraînant très probablement des flux migratoires massifs.

Selon différentes sources, le niveau moyen de l’océan aurait augmenté de 20 cm au cours du XXe siècle, mais cette élévation s’est accélérée à partir des années 90 puisqu’au cours des seules 30 dernières années, l’élévation atteint plus de 9 cm (voir par exemple 1, 2, 3), avec une moyenne annuelle de l’ordre de 3,5 mm.

Cette élévation est due principalement à 2 phénomènes : le plus évident est celui que j’évoquais plus haut et il est lié à la fonte générale des glaces sur la planète en lien direct avec le réchauffement. Le second phénomène est moins connu : il s’agit de la dilatation de l’eau sous l’effet de l’élévation de la température. Les océans sont un des volants de régulation thermique mondiaux puisqu’on estime qu’ils auraient absorbé 93 % du surplus d’énergie engendré par le réchauffement climatique (3). Depuis les années 70, leur température monte d’environ 0,1 degré par décennie, et ce réchauffement est perceptible jusqu’à 3000 m de profondeur (4). Or une eau chaude occupe plus de place qu’une eau froide ; à l’image de ce qui se passe avec les métaux, elle se dilate sous l’effet de la chaleur. La contribution de la dilatation de l’eau océanique à l’élévation du niveau des mers est encore débattue mais on estime qu’elle pourrait être responsable de 30 à plus de 95 % de l’élévation repérée. Les modélisations basées sur une élévation moyenne de température de l’ordre d’un degré et demi d’ici à la fin de ce siècle, valeur dont on sait grâce au dernier rapport du GIEC qu’elle sera dépassée, prédisaient dans ces conditions une élévation moyenne du niveau des mers de l’ordre de 1 à 3 mètres. Des scénarios pessimistes postulent avec une augmentation atteignant, avec même moins de 4°de réchauffement, une élévation des niveaux des mers minimale de 5 mètres (3,4).

Tous les chiffres précédents résultent bien sur d’estimations. Il est aujourd’hui impossible de prédire très exactement l’élévation du niveau des mers à l’horizon 2100, en particulier parce qu’il existe un fort décalage entre l’augmentation de température de l’air et l’augmentation de la température de l’eau de mer. Il convient cependant de rappeler ici qu’environ 30 % de la population mondiale (soit 2 milliards de personnes) vit à moins de 100 km d’une côte, que la moitié des grandes villes du monde se trouvent sur un littoral et que près de 3 milliards d’êtres humains dépendent des ressources en protéines d’origine marine (3, 4). Or, en cas d’élévation du niveau des mers, ce seront donc ces zones cotières, ces villes et des deltas de fleuves, régions extrêmement fertiles qui seront touchées. Il est instructif de visualiser ce qui se passerait dans le monde en retenant l’hypothèse basse (1 mètre) et l’hypothèse haute (5 mètres). Ceci est possible vrai plusieurs sites en ligne (5). Là encore, il s’agit de simulations à considérer prudemment, mais elle donnent une idée de l’ampleur des catastrophes potentielles. Avec 1 mètre d'élévation, nous perdons en France une bonne partie de la Camargue, une partie des estuaires de la Loire et de la Garonne, une partie des marais du Cotentin et du Bessin et une grande partie de l’Audemarois et du Dunkerquois. Au niveau Européen, c’est en Belgique et aux Pays-Bas que la montée des eaux sera la plus perceptible, avec un risque de submersion de la moitié du territoire hollandais. D’autres régions majeures telles que l’est de Londres, le Cambridgeshire en Angleterre, ainsi que les région de Hambourg et Breme en Allemagne seront aussi touchées. En Italie, le golfe de Venise serait submergé sur une longueur de plus de 200 kilomètres, de Ravène à Trieste. Au niveau mondial, les problèmes seront concentrés dans le delta du Nil, particulièrement dans sa région ouest, les deltas du Gange et de l’Indus en Inde, la baie de Nagoya au Japon, le nord de Jakarta en Indonésie, une partie de la Californie à l’Est de San Francisco, la partie méridionale de la Louisiane au sud de La Nouvelle Orléans aux Etats-Unis pour ne citer que les principales. Avec 5 mètres d’augmentation, les mêmes régions seront davantage touchées, et certaines disparaîtront, comme la zone comprise entre les estuaires de la Garonne et la Charente, et les villes du Havre, Calais, Dunkerque en France. En Europe, Londres est affectée, et exit toute la partie ouest de la Belgique (15 % de son territoire) avec une bonne partie du port d’Anvers sous l‘eau. Les Pays-Bas perdent les 2/3 de leur superficie, et le grand port de Rotterdam n’est plus. Hambourg est en partie submergée. La Crimée redevient une île… Dans le monde, des villes majeures auront aussi disparu ou seront en partie submergées, comme Alexandrie en Egypte, Mumbai en Inde, Shanghai et Changzhou en Chine, Kobe, Osaka, Nagoya, et Tokyo au Japon, Seattle, Jakarta en Indonésie, La Nouvelle Orléeans, Mobile, et New York aux USA.

Ces submersions entraîneront des problèmes d’approvisionnement en nourriture, avec la perte de zones de riziculture, et des problèmes de remontée d’eau salée vers les terres fertiles. Je n’ai également pas mentionné les risques de perte de productions aquacoles ou halieutiques en lien avec le réchauffement de l’océan, la réduction des concentrations d’oxygène dissous et son acidification, conséquence de son absorption du CO2. Egalement, des problèmes de logistique se feront très probablement jour, avec les disparitions de zones de productions et de ports majeurs, d'un niveau imprévisible actuellement, mais dont on peut mesurer l’ampleur à venir au travers de la réduction de la production de microprocesseurs ou mémoires vives en Asie, lors de tremblements de terre, tsunamis, ou événements climatiques pourtant limités à une zone restreinte. Quant on connaît la dépendance de nos sociétés à l’électronique et à l’informatique, des raisons d’inquiétudes existent sur le maintien du fonctionnement de nombreux services...

Enfin, last but not least, nous nous retrouverons confrontés à des problèmes énormes de déplacement de populations. Dans ce domaine, aussi, les prévisions relatives à l’amplitude de ces déplacements donnent des « fourchettes », avec des valeurs basses de l’ordre de 80 à 220 millions de déplacés (6) d’ici à 2050, valeurs en accord avec celle de la Banque Mondiale. Dans le même temps, l'ONU annonce un risque de voir jusqu'à 1 milliard de personnes déplacées sur la même période (7), en raison de l’élévation du niveau des mers, mais aussi des sécheresses dans d’autres régions, combinées à une faible disponibilité d’énergie électrique et de pertes de la biomasse végétale utilisée comme aliment ou pour cuire les aliments (8). Ces flux migratoires ne sont pas à venir. Ils sont déjà à l’oeuvre aujourd’hui, avec nombre de migrants se déplaçant de l’Afrique vers l’Europe ou de l’Amérique centrale vers l’Amérique du Nord, avec les difficultés et les pertes en vies humaines que l’on connaît, mais qu'on ne veut pas voir. En sus de l’obligation de mettre en place de mesures environnementales fortes permettant de limiter réchauffement et élévation du niveau des mers, il faut se préparer à un accroissement des flux migratoires. Quand je vois comment 90 pauvres gens, venus du bout du monde pour échapper à la guerre et à la famine, ont été (mal)traités sur notre commune voilà quelques années déjà, je me dis que le chemin sera long et difficile, mais sans préparation il s’imposera de façon bien plus prégnante et conflictuelle. Qu’on se le dise !



Références :

1. Elévation du niveau des mers.
Page wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89l%C3%A9vation_du_niveau_de_la_mer

2. Nathalie Mayer. De combien va s’élever le niveau de la mer ? Futura Planète. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/rechauffement-climatique-va-elever-niveau-mer-577/

3. Plateforme océan et climat - Océan et changement climatique : les nouveaux défis. Focus sur 5 grands thèmes du rapport spécial « Océan et cryosphère », 40 pages. Septembre 2019.
Consultable en ligne :
https://ocean-climate.org/wp-content/uploads/2019/09/fiches-DEF.pdf

4. Océans. Climat.be. Le site fédéral belge pour une information fiable sur les changements climatiques.
Consultable en ligne :
https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/oceans

5. Sites de simulation en ligne :
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php
http://flood.firetree.net/?ll=48.3416,14.6777&z=13&m=7

https://www.floodmap.net/

6. Alassane Diallo, Yvan Renou. Changement climatique et migrations : qualification d’un problème, structuration d’un champ scientifique et activation de politiques publiques. Mondes en développement 2015, 172, 87-107.
Lu sur Cairn-info.
Consultable en ligne :
https://www.cairn.info/journal-mondes-en-developpement-2015-4-page-87.htm

7. Dominique Pialot. Migrations : la bombe à retardement climatique. La Tribune. Juillet 2018.
Consultable en ligne :
https://www.latribune.fr/economie/international/migrations-la-bombe-a-retardement-climatique-784546.html

8. Baher Kamal. Climate Migrants Might Reach One Billion by 2050. Inter Press Service – News Agency. Août 2017.
Consultable en ligne :
https://reliefweb.int/report/world/climate-migrants-might-reach-one-billion-2050



Crédit illustration :

Modélisation d'une élévation de 5 mètres du niveau des eaux à l'échelle des Pays Bas.
http://sboisse.free.fr/planete/simulateur-de-montee-des-oceans.php




dimanche 1 novembre 2020

LA PANDÉMIE À CORONAVIRUS COMME EXTERNALITÉ NÉGATIVE DE LA MONDIALISATION





Nombreux sont les tenants de l’économie néolibérale qui citent les bénéfices dégagés de la mondialisation économique comme une réussite du capitalisme global. Mais n’est-ce pas finalement qu’un regard très fragmentaire sur notre monde ?


La mondialisation des échanges a pris une ampleur considérable au cours des 20 ou 30 dernières années. De 1980 à 2017, le volume du commerce mondial a été multiplié pratiquement par un facteur 7 (source INSEE). Dans le même temps le PIB mondial a cru d’un facteur 3,5 (1). Il serait malhonnête de ne pas dire ici que cet accroissement de la richesse mondiale a profité à de nombreux pays, souvent encore sous-développés ou en voie de développement dans les années 60, l’exemple le plus significatif étant la Chine. En 40 ou 50 ans, ce pays est devenu l’usine mondiale, et, en 2013, la première puissance commerciale avec 4 160 milliards de dollars de biens échangés. Sur les 15 dernières années la part de la Chine dans le PIB mondial est passée d’environ 5 % à environ 20 % alors que dans le même temps celle de l’union européenne chutait de 25 à 18 % et celle des États-Unis se réduisait légèrement de 27 à 25 % (2). Même dans ce contexte difficile pour les pays de l’union européenne, qui n’ont sans doute pas pris toute la mesure des conséquences internes du libéralisme économique, la mondialisation a eu des conséquences bénéfiques. Ainsi, pour la France, les importations représentaient 13,5 % de la demande intérieure dans les années 50 contre un peu plus de 30 % aujourd'hui. Sur la même période, les exportations sont passées de 14,6 % du PIB français à 30,8 % (1). 

Cet accroissement du PIB mondial a entraîné, au moins partiellement, un recul de la pauvreté. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2008, le nombre des personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour dans le monde a diminué de 500 millions, et leur proportion dans la population totale est tombée de 52 % à 26 % entre 1981 et 2005 (3). Et alors que l’Asie de l’Est et du Sud-Est affichait le taux de pauvreté le plus élevé du monde avec 80 % en 1981, celui-ci est tombé à 18 % en 2020 et 600 millions de personnes sont sorties de la très grande misère. Le même constat peut être fait pour d’autres pays. Ainsi, entre 1981 et 2001, la proportion de la population rurale vivant avec moins de un dollar par jour est passée de 63 à 42 % en Inde, et de 55 à 11 % Indonésie (4). 

Mais derrière cette  apparence merveilleuse de la mondialisation, se cachent des réalités très dérangeantes. Ainsi, au cours des 15 dernières années, la part des emplois en France sous contrôle d’entreprises multinationales étrangères à doublé atteignant pratiquement 18 % (1). Contenu du fait qu’un emploi sur 5 est un emploi du secteur public en France, ce chiffre signifie que pratiquement 1/4 des emplois du secteur privé dans notre pays se trouve sous le contrôle d’entreprises étrangères. Or, on a bien vu lors de crises récentes (Goodyear, Bridgestone, Ford, Continental, Nokia, General Electric, Ascoval, Cargill, etc.) le peu de cas que font ces multinationales de leurs salariés. Si ceci n’était que la seule critique que l’on puisse faire, le bilan global de la mondialisation resterait positif.

Malheureusement il existe de nombreuses externalités négatives (langage d'économistes) à la mondialisation. Définition de l’externalité négative : il s’agit d’une situation dans laquelle un agent économique provoque par son activité des effets négatifs sur autrui, sans contrepartie monétaire. L’exemple le plus simple est la pollution générée par une activité industrielle. Cette pollution n’est pas nécessairement seulement de l’ordre de rejets toxiques, elle peut être visuelle, sonore, etc. Il serait fort long de décrire toutes les externalités négatives de la mondialisation. D’autant, comme le dit Wikipédia, que « l'analyse exhaustive des externalités - en particulier négatives - est loin d'être évidente. Le risque de les omettre s’accroît lorsque celles-ci sont masquées par un surcroît d'activité économique qui fausse le bilan apparent et global de l'événement en cause ». Dans le cas de l'économie globalisée, ces externalités négatives couvrent pourtant de larges domaines relevant de l’environnement - dont le plus visible est sans doute ce que l’on appelle le changement global lié à l’accroissement de la production de gaz à effet de serre - ou du social, avec paradoxalement dans les pays développés un maintien des taux de chômage et de pauvreté à haut niveau expliquant en partie, par exemple en France, la crise des gilets jaunes. Même des économistes « mainstream » le reconnaissent, tel le prix Nobel d’économie 2008 Paul R. Krugman lorsqu’il écrit « Il n’est plus certain d’affirmer, comme on l’aurait fait une douzaine d’année plus tôt, que l’impact du commerce [mondial] sur la répartition des revenus dans les pays riches reste mineur. Il y a de bonnes raisons de penser que cet impact est important et qu'il s'agrandit. Je ne soutiens pas le protectionnisme, mais les libres-échangistes ont besoin de meilleures réponses aux inquiétudes des perdants de la mondialisation » (5). En termes coût, la pollution de l'air, particulièrement sensible dans les villes des usines mondiales, représenterait plus de 5 000 milliards de dollars par an (6)... 

Avec de tels effets négatifs au plan social, environnemental et financier, la mondialisation ne semble pas - à mon avis - compatible avec le développement durable. En sus des problèmes de pollution gravissimes liés aux transports mais aussi la production en masse de biens de consommation, donc de déchets, l’augmentation des échanges a entraîné corrélativement une diffusion accrue d’entités biologiques susceptibles de générer des externalités négatives. Je pense bien sur aux espèces invasives, telles l’écrevisse américaine, l'écureuil gris, le ragondin, le frelon asiatique pour les seules espèces animales qui menacent des écosystèmes entiers et les services écosystémiques rendus, eux aussi difficiles à quantifier. Je pense également, et c’est là le sujet de cet article, que la diffusion massive du SARS-CoV2, agent de la CoViD19 est liée de façon extrêmement étroite pour ne pas dire indissoluble aux échanges mondiaux. En l’occurrence il ne s’agit pas d’échanges de biens (encore que) mais de l’accroissement des flux de personnes entre les différentes parties du monde. Entre 1980 et 2019, le nombre de passagers du transport aérien a en effet doublé tous les 15 ans, et il a décuplé en Chine et en provenance de Chine entre 2005 et 2019 (7). Juste avant la pandémie, ce nombre de passagers s’établissait à presque 4 milliards et demi, soit grosso modo la moitié de la population mondiale. Or, avec l’expérience des précédentes épidémies de SRAS (2002/2003) et de MERS (2012), toutes deux provoquées par des coronavirus, il était évident que dès lors que des cas de CoViD19 étaient apparus en Chine, ceux-ci apparaîtraient en Europe si les flux de voyageurs n’étaient pas très vite bloqués entre ces différentes régions (voir santé publique France (8) à ce sujet et au sujet du rôle des transports aériens). Or au nom de la libre circulation des biens et des personnes, et, disons le d’une vision néolibérale valorisant les échanges mondiaux, pas une seconde il n’a été question de bloquer le trafic aérien entre l’Asie et l’UE, ou l’Asie est les Amériques... Ceci a entraîné l’arrivée de cas en Italie puis en France, puis dans toute l’Europe et le monde. Or si j’en crois les évaluations parues dans la presse, le coût de la pandémie pourrait atteindre, selon le FMI, 9 000 milliards de dollars, soit 10% du PIB mondial (9), dans une estimation déjà ancienne de juin 2020. Un joli montant pour une externalité négative que « les marchés » ne pourront pas, cette fois comme à leur habitude, facilement balayer sous le tapis... 


Références

1. L'essentiel sur... la mondialisation. INSEE. Janvier 2020.
Consultable en ligne
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633242

2. L’économie chinoise. Wikipédia.
Consultable en ligne
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_de_la_r%C3%A9publique_populaire_de_Chine

3. Pauvreté. Wikipédia.
Consultable en ligne
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9

4. Pranab Bardhan. Mondialisation et pauvreté. Pour la science N° 348. Octobre 2006
Consuiltable en ligne
https://www.pourlascience.fr/sd/economie/mondialisation-et-pauvrete-919.php

5. Paul R. Krugman. « Trade and inequality revisited » (2007).
Consultable en ligne
http://hussonet.free.fr/krugman7.pdf

6. Grégoire Normand. La pollution coûte 5 100 milliards de dollars par an selon la banque mondiale. La Tribune. Septembre 2016.

7. Paul Chiambaretto. Trafic aérien mondial, une croissance fulgurante pas prête de s’arrêter. The Conversation. Mai 2019.

8. Santé publique France Le SRAS-CoV, un coronavirus à l’origine d’une épidémie mondiale d’une ampleur considérable. Mai 2019.
Consultable en ligne
https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/articles/le-sras-cov-un-coronavirus-a-l-origine-d-une-epidemie-mondiale-d-une-ampleur-considerable

9. Salima Barragan. Quel est le coût du Covid-19? All News, la finance Suisse dans l’E-media. Juin 2020.
Consultable en ligne
https://www.allnews.ch/content/points-de-vue/quel-est-le-co%C3%BBt-du-covid-19


Crédits photos


Rationalité économique et mondialisation
https://academiesciencesmoralesetpolitiques.fr/2014/06/23/rationalite-economique-et-mondialisation/



jeudi 22 octobre 2020

SODOMA : UN LIVRE INDISPENSABLE POUR COMPRENDRE LE VATICAN




Je sais bien que les yeux sont plutôt tournés aujourd’hui vers la religion musulmane, le Coran, ses préceptes, ses enseignements, et l’islamisme fondamentaliste. Je reviendrai sur ces sujets un peu plus tard. Je voulais aujourd’hui parler d’un livre particulièrement intéressant que j’ai terminé voilà peu. Celui-ci a été écrit par Frédéric Martel et s’intitule « Sodoma » (1). 


Sodoma est avant toute une somme de témoignages recueillis principalement au Vatican, et majoritairement auprès de religieux, de prêtres jusqu’aux évêques et archevêques, de nonces jusqu’aux cardinaux. Les recherches de Frédéric Martel montrent qu’au sein de l’église catholique romaine, dont le discours des plus hauts représentants est souvent homophobe, nombre de ces représentants, pour ne pas dire une vaste majorité (80% selon l’auteur) sont eux-mêmes homosexuels. De façon schématique et remarquable, plus le discours homophobe est virulent, plus l’homosexualité de ces prélats est marquée. Pour être aussi honnête que possible dans la description de l’ouvrage, cette tendance homosexuelle peut chez certains rester inassouvie, mais elle est, chez bon nombre d’entre eux réellement vécue, soit auprès d’autres prélats (particulièrement des novices), ou auprès de ce qu’il est convenu d’appeler des « escort boys », fournis entre autres par des réseaux de prostitution de jeunes migrants. 

Soyons clair, les préférences sexuelles des uns et des autres m’importent peu, du moment qu’elles restent légales. Ce qui me choque dans ce document, et ce qui a choqué nombre de lecteurs, c’est la révélation du double-double discours tenu par nombre de membres du clergé catholique. Le premier double discours est celui de la supposée chasteté des prélats, notion assez propre à l’église catholique et en tous cas non imposée aux représentants des cultes protestants, ni aux rabbins, ni aux imams et ni aux hindouistes. Le second double discours est celui que j’évoquais plus haut, à savoir la condamnation « urbi et orbi » des comportements que ces mêmes prélats censeurs s’autorisent. 

Les critiques qui ont suivi la publication de cet ouvrage ont rarement remis en cause le travail de Frédéric Martel. Des spécialistes du Vatican, des historiens du christianisme, des journalistes ont reconnu la valeur de l’enquête. Même le Pape François qui a lu le livre, l’a trouvé « bon » et admis qu’il « connaissait déjà un certain nombre des faits [évoqués] » ce qui donne tout son sens aux propos qu’il tenait déjà en 2017 lors d’une messe à son domicile « C’est un scandale de dire une chose et d’en faire une autre. C’est une double vie » (3)... 

Si l’exposition de ses secrets d’alcôve du Saint-Siège est bien entendue très intéressante, la partie encore plus remarquable de Sodoma - et pourtant bien moins discutée dans la presse peut-être parce que moins « croustillante » et plus difficile d’abords - est celle qui traite des querelles politiques violentes, pour ne pas dire de la guerre, qui s’y déroulent. De façon très schématique, ces conflits opposent deux factions. La première est la faction la plus réactionnaire du clergé du Vatican. Celle-ci est proche de certains mouvements d’extrême droite, ou d’organisations catholiques intégristes tels l’Opus Dei, ou proches de dictatures particulièrement en Amérique du Sud. Elle s’incarne dans des personnalités tels que Mgr. Angelo Sodano, cardinal italien et véritable premier ministre de Jean-Paul II, menant grand train de vie au Vatican et très lié au général Pinochet lors de sa nomination au Chili. Également dans ce clan, se trouvent les cardinaux américain Mgrs. Raymond Burke et colombien Alfonso Trujillo. Ce dernier, en guerre contre les couples homosexuels mais lui-même homosexuel, était très proche des mouvances d’extrême droite et des factions paramilitaires qui s’en prenaient aux prêtres dits de gauche en Amérique du Sud. L’autre faction est celle des prélats tenants de la théologie de la libération (4), mouvement venu d’Amérique du Sud également, dont l’objectif principal est - en accord avec les valeurs chrétiennes - la défense des plus pauvres. Proche des gouvernements socialistes tels que celui de M. Salvador Allende, ce mouvement est également présent en Europe par exemple au travers des jeunesses ouvrières chrétiennes, et en Afrique où il a joué un rôle majeur dans la chute de l’apartheid. 

Sodoma explique bien l'opposition virulente entre les deux mondes décrit plus haut, et le rôle plus que trouble joué par les Papes Jean-Paul II et Benoit XVI et certains de leurs cardinaux. Au travers de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et inspirés par l'Opus Dei, ces derniers, dès 1984, critiquaient les positions de M. Miguel D’Escoto et M. Fernando Cardenal, théologiens de la libération et membres du gouvernement sandiniste, au Nicaragua, et de tout autre membre du clergé proche intellectuellement, dénonçant « cette conception d'un Jésus politique, révolutionnaire, du dissident de Nazareth, n'est pas en harmonie avec l'enseignement de l'Église ». On comprend alors mieux les difficultés auxquelles fait face l’actuel pape François, lui-même plutôt proche de la théologie de la libération, même s’il ne s’en revendique pas, et le courage dont il fait doit faire preuve lorsqu’il décrit dans l'environnement très conservateur du Vatican, les conditions des travailleurs sans-abris de Buenos Aires, « victimes d’un esclavage structurel » ou, plus récemment, lorsqu’il dit au sujet des homosexuels « Ce que nous devons faire, c’est une loi de cohabitation civile, ils ont le droit d’être légalement couverts » ou « Les homosexuels ont le droit d’être dans la famille, ils sont les enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille ». 


Références 

1. Frédéric Martel. Sodoma. Robert Laffont, éditeur. Paris. 2019. 

2. Maike Hickson. Report claims Pope Francis read and liked book on homosexuals at the Vatican. Life site. Mai 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lifesitenews.com/blogs/report-claims-pope-francis-read-and-liked-book-on-homosexuals-at-the-vatican

3. Anonyme. Un athée vaut mieux qu’un catholique hypocrite, suggère le pape. Ouest France. Février 2017.
Consultable en ligne :
https://www.ouest-france.fr/societe/religions/pape-francois/un-athee-vaut-mieux-qu-un-catholique-hypocrite-suggere-le-pape-4818033

4. Voir pour l’explicatif sur cette théologie la page wiki :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9ologie_de_la_lib%C3%A9ration

Ainsi que les intéressants articles suivant :

Henrik Lindell. Le pape François est-il un théologien de la libération ? La vie. Mars 2013.
Consultable en ligne :
https://www.lavie.fr/christianisme/le-pape-franccedilois-est-il-un-theacuteologien-de-la-libeacuteration-30349.php

Ruggero Gambacurta-Scopello. Qui sont les théologiens de la libération ? Le monde des religions. Juin 2013.
Consultable en ligne :
http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/qui-sont-les-theologiens-de-la-liberation-11-06-2013-3155_110.php


Crédit photo 

Article de wikipédia sur cet ouvrage


dimanche 27 septembre 2020

LA BIBLE ET LE COLT







Ce sujet est sans doute très éloigné de nos préoccupations loco-locales, mais il est important car il concerne un pays jouant rôle majeur sur cette planète, les États-Unis d’Amérique. Je voulais revenir aujourd’hui sur la nomination de la juge Mme. Amy Coney Barrett auprès de la cour suprême des USA, car cette nomination symbolise tous les travers de ce grand pays, dans lequel j’ai vécu et travaillé pendant 2 ans et où je conserve encore des amis.

 

Beaucoup de choses ont été écrites sur M. Donald Trump, 45ème président des États-Unis. Il est décrit par plusieurs spécialistes de ce pays, par nombreux journalistes - et plus symptomatiques à mon sens - par certains membres de son entourage direct comme inculte, manipulateur, colérique, paranoïaque. J’ajoute que de nombreux de ses propos permettent de le qualifier de sexiste. À mon sens ce qui le rend particulièrement dangereux en interne et à l’international, ce sont son incompréhension des relations internationales et son populisme exacerbé, que l’on retrouve finalement sous son slogan « America first ». Le chapitre des relations internationales mériterait un article ou un livre complet tant ces derniers temps ont vu croître la méfiance américaine pour ne pas dire son déni vis-à-vis du multilatéralisme et des institutions internationales comme les Nations unies ou l’OTAN. Ce déni s’est même étendu à des accords pourtant signés par ce pays, par exemple au sujet du nucléaire iranien. Certains y voient, et je partage ce sentiment, un symptôme d’un déclin américain (1).

 

En en ce qui concerne le populisme, celui de M. Donald Trump comme celui d’autres personnalités politiques du même acabit (telles Mme. Marine Le Pen en France ou M. Viktor Orban en Hongrie) repose sur des traits caractéristiques, au premier lieu desquels on trouve la soi-disant défense d’un patrimoine culturel, d’un art de vivre potentiellement mis en danger par d’autres, que ces autres soient des immigrés, ou de même des nationaux mais de couleur de peau différente. Il s’agit de la stratégie bien connue du bouc émissaire sur lequel je reviendrai sans doute un autre jour. Le deuxième trait commun aux populistes de tous bords est sans aucun doute la dénonciation des élites intellectuelles et des personnalités politiques qui s’opposent à ce populisme, au motif qu’elles seraient à la fois favorables au multiculturalisme dénoncé au moyen de la stratégie du bouc émissaire, et également corrompues. Dans le cas de M. Donald Trump, on retrouve ces éléments sous la forme des attaques qu’il porte aux journalistes, aux intellectuels, et à ses opposants politiques qu’il insulte assez régulièrement. Ceci transparaît également dans la crise sanitaire actuelle et surtout autour de la question gravissime du réchauffement climatique, où les critiques du président américain sont directement adressées à de nombreux scientifiques reconnus pourtant comme spécialistes. Enfin, dernier point caractérisant les populistes, la présence d’un chef charismatique qui, lui, défend les gens ordinaires contre l’élite qui leur ment. On retrouve cela dans l’usage totalement disproportionné que fait M. Donald Trump des réseaux sociaux, et des mots  « fake news » qu’il emploie régulièrement pour disqualifier les informations qui le dérangent (voir (2) au sujet de mon analyse). Que penser également du fait que ce multimilliardaire américain, au vocabulaire comparable à celui d'une élève de 6ème, ait pu convaincre les populations les plus défavorisées du fait qu’il était un candidat « anti système » ?

 

Cette politique populiste fonctionne plutôt bien aux États-Unis. Même s’il n’a été élu qu’avec une minorité des voix des citoyens américains, le potentiel électoral de M. Donald Trump représente grosso modo un votant sur deux alors qu’en France, le potentiel électoral de Madame Marine Le Pen est estimé au mieux qu’à 20/25 % des électeurs. Ce qui justifie cette différence réside à mon avis dans la façon très différente dont se sont construits les deux pays et dans des différences culturelles persistantes. De façon simplifiée pour ne pas dire simpliste, la France, « vieux pays d’un vieux continent » s’est construite au fil des siècles sur un territoire qu’elle n’a pas conquis mais sur lequel sont arrivés nombre de peuples, des Romains aux Maures, des Wisigoths au Normands... Les États-Unis se sont construits bien plus rapidement et sur ce que l’on est bien contraint d’appeler un phénomène de spoliation des terres (essentiellement appartenant aux différentes tribus des Indiens d’Amérique) par la force, et sur l’exploitation de celle-ci par le biais de l’esclavage. Pendant des années, la culture du colt y a régné en maître, et, plus surprenant vu du côté de ce côté de l’océan, elle y a persisté jusqu’à la période contemporaine. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment les autorités de police aux États-Unis ont pu faire usage d’armes à feu contre des suspects désarmés, ou comment les massacres réguliers d’enfants dans des écoles ou des collèges par des individus très lourdement armés n’ont entraîné aucune modification de la constitution américaine qui protège - et quelque part favorise - la détention d’armes de guerre par des particuliers. 

 

Le deuxième élément explicatif des différences entre France et États-Unis, mais peut-être le plus important, est le fait religieux (3). On peut dire qu’en France, pays heureusement laïque, la religion est une affaire personnelle dans laquelle l’État n’intervient que pour garantir sa pratique. Aux États-Unis, et malgré une théorique séparation des Églises et de l'État, la religion est présente dans tout l'espace public. Ainsi, lorsque vous entrez sur le territoire américain, on vous demande votre religion. On ne me l’a demandé l’Ecole de médecine où je travaillais, puis dans les universités où j’ai exercé dans les années 90. Voilà encore peu de temps, même dans les écoles publiques, une période était dédiée à la prière. Par ailleurs, nombre d'artistes, voire de politiques, finissent leur spectacle, leur discours par un traditionnel « God bless you » (Que Dieu vous bénisse), heureusement impensable en France ! Enfin, n’oublions pas que tout nouveau président américain jure sur la Bible*... Le fait religieux aux États-Unis, pays majoritairement protestant, même s’il tend à régresser légèrement, reste extrêmement vivace en particulier dans ce que l’on appelle la « Bible Belt », c’est-à-dire le sud religieux, toujours raciste, homophobe, et très conservateur des États-Unis, fief des chrétiens évangéliques. Les batailles contre la peine de mort, pour le droit à l’avortement, pour l'égalité de traitement des minorités (qu’elles soient noires, hispaniques, LGBT, etc.), menées essentiellement dans les grandes villes démocrates et par les élites intellectuelles et politiques dénoncées par les  populistes, ont donc assez logiquement entraîné la mobilisation de ces chrétiens évangéliques dans la Bible Blet et dans la « Rust Belt », c’est-à-dire dans les territoires où l’activité industrielle avait sensiblement décliné. Or M. Donald Trump doit son élection passée et ne peut être réélu que s’il s’assure du soutien sans faille de la frange la plus réactionnaire de ces mouvements religieux. La nomination de Mme. Amy Coney Barrett, anti-avortement, pro-armes, membre d'une quasi-secte religieuse catholique, à la cour suprême des États-Unis s’inscrit dans ce processus, qui découle, j’espère l’avoir expliqué de façon relativement claire, de la construction de ce pays par la Bible et le colt. De plus, le refus récent mais réitéré de M. Donald Trump d'accepter par avance le résultat du scrutin s'il venait à perdre, suggère qu'il pourrait envisager un recours auprès de la cour suprême pour valider son maintien à la Maison-Blanche. Dans ces conditions, une cour "à sa botte" ne pourrait lui être que profitable pour organiser ce qui apparaîtra aux yeux de beaucoup comme un coup d'Etat juridique... 

* En fait il est théoriquement possible, si le président était musulman, de jurer sur le Coran, la loi n'obligeant pas à jurer sur la Bible... Il en est de même pour les députés et sénateurs. 

 

Références

 

1. Journée d’étude « Donald Trump et la politique étrangère des Etats-Unis: vers quel (dés)ordre mondial? ». Center for Research on the English-speaking World, Université Sorbonne Nouvelle-Paris III, jeudi 16 Novembre 2017.
Consultable en ligne : https://journals.openedition.org/transatlantica/8699

2. Pap Ndiaye. Donald Trump : le dernier-né du populisme américain. L’histoire, n° 429. Novembre 2016.

3. Henri Landès. Make America great again? Les chrétiens conservateurs : entre attrait pour Trump et rejet de Clinton. Centre de recherches internationales de Science Po.
Consultable en ligne :
https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/make-america-great-again-les-chretiens-conservateurs-entre-attrait-pour-trump-et-rejet-de-clinto