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mardi 17 janvier 2023

MÉTÉO SOCIALE : AVIS DE GRAIN FORT ET DE RISQUE DE GRÈVE...


Je publie ici in extenso un article du collectif de scientifiques « Rogue ESR » qui s'interroge sur la grève comme moyen de se faire entendre, suite aux attaques dont le monde du travail est victime de la part de l'actuel gouvernement. Orienté vers des problématiques de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR), ce texte me parait cependant d'un intérêt plus général, ce qui a motivé mon désir de le partager. Ainsi, le collectif pose tout dabord la question des objectifs de la grève, puis des raisons qui pousserait les personnels de l'ESR à s'y inscrire. Ce qui suit est donc strictement le texte du collectif, à l'exception des références que j'ai citées comme c'est l'usage sur mon blog. 

La grève n’est pas une fin mais un moyen, une tactique déployée dans un but stratégique. Elle ne consiste ni à « se compter » ni à « être comptés » par la presse, les syndicats ou la police. Elle consiste encore moins à se sacrifier ou à renoncer spontanément à un trentième de son salaire pour la seule beauté du geste — il peut d’ailleurs être utile de préserver son salaire pour le reverser aux caisses de grève. C’est toujours à l’administration de recenser les grévistes et de fournir la preuve qu’ils étaient en grève. 

Dans le secteur industriel et marchand, la grève vise à arrêter l’appareil productif. Hors du secteur marchand, la grève sert à libérer du temps pour le consacrer aux actions destinées à l’obtention du but fixé. Aussi la grève à l’Université pose-t-elle directement la question de son utilité sociale en démocratie — irréductible à un service public de diplomation. 

Pendant les premières vagues de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a lui-même interrompu l’activité des universités et a contraint les universitaires et les étudiantes et étudiants à travailler hors-site alors que les moyens sanitaires permettant un maintien des activités sur place étaient connus. Il est donc devenu évident qu’un simple arrêt de travail ne constitue pas un levier stratégique à même de déranger l’exécutif. Alors que faire ? Concernant les retraites, sensibiliser et informer les étudiants en faisant le tour des amphis. Plus largement, le temps de la grève doit être l’occasion d’une réflexion critique collective. Moment idéal pour des cours sur le réchauffement climatique et l’effondrement des espèces, sur la crise énergétique et la fin à venir des énergies carbonées, sur l’organisation territoriale, sur la démocratie, sur l’institution universitaire, etc. Occasion pour discuter de nouveau entre collègues du rouleau compresseur qui s’est abattu depuis 2004 sur nos institutions ? La grève doit être un temps où mettre nos savoirs et notre intelligence critique au service des analyses et des actions collectives qui se construisent localement. Il s’agit de créer politiquement, de créer stratégiquement, de créer collectivement, une activité dont les universitaires se sont peu à peu détournés.
 
Il y a mille raisons de se mettre en grève, que l’on soit étudiant, chercheur, précaire ou universitaire. La (contre)-réforme des retraites qui décalera l’âge de la retraite à 64 ans en est une, majeure. De l’aveu même de Bruno Lemaire, cette réforme n’a d’autre objet que de faire faire des économies rapidement à l’État, pour abonder l’augmentation massive de l’aide aux entreprises privées et à leur actionnariat. Or l’État consacre déjà plus de 200 milliards d’euros, soit le tiers de son budget, à cette aide. La participation des entreprises au financement de la Sécurité sociale s’est réduite de 51% (1990) à 36,5% (2019), entraînant un manque à gagner de 68 milliards d’euros par an (1). 

Le Conseil d'Orientation des Retraites le dit clairement : la (contre)-réforme des retraites n’a aucune utilité pour le système de retraites lui-même, dont les dépenses sont sous contrôle (2). En revanche, elle ne manquera pas de creuser les inégalités en touchant frontalement les quinquagénaires, les femmes, les précaires, les ouvriers. Elle contribuera à prolonger la précarisation subjective et matérielle, l’anxiété économique, jusqu’à la mort. En ce sens, elle participe de la logique de « Parcoursup » et de la réforme du Lycée qui font entrer les adolescents dans la vie d’adulte avec cette même anxiété.

Nul ne sait à ce jour si le second volet de la réforme, qui prévoyait d’aligner progressivement, sur 15 ans, le taux de cotisation patronale (pour les fonctionnaires) de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé (16,9%), a été maintenu ou s’il est repoussé à un examen ultérieur. Le Conseil d’Orientation des Retraites a également pris position contre une telle évolution dans son dernier rapport (3).

Ce second volet prévoit que l’État soit en 2037 le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation, à hauteur de 42 milliards d’euros par an hors inflation. Autrement dit, le second volet de la réforme prévoit encore des économies qui creuseront un déficit du régime de retraites pourtant aujourd’hui à l’équilibre. L’idée d’une réforme en deux temps figurait explicitement dans les programmes présidentiel et législatif au printemps dernier (4).

Nous avons déjà expliqué cet automne en quoi cette gigantesque ponction sur les cotisations patronales de l’État fait système avec la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) : le RIPEC (C3) et le dispositif des Chaires de Professeur Junior sont financés par une fraction de l’argent censé être libéré à la faveur du vol de notre salaire socialisé.

Il y a donc mille raisons de se mettre en grève, que l’on soit étudiant, chercheur ou universitaire, titulaire ou précaire. La réforme des retraites participe de la crise multiple que notre société a à affronter, une crise entretenue et accentuée par un État qui s’est mis au service d’intérêts privés et dont les représentants méprisent ouvertement le savoir et la science. Nous sommes dos au mur, avec l’immense tâche de dégager un horizon bouché, en particulier pour ceux et celles avec qui nous travaillons, les jeunes qui sont formés à l’Université, mais aussi celles et ceux qui ont été exclus de l’enseignement supérieur par Parcoursup. Y contribuer suppose de suspendre le temps contraint et ses tâches en retard infiniment accumulées, donc de se mettre en grève. Quand la vie se trouve frontalement attaquée, c’est la vie elle-même qui devient résistance.


Références :

1. Répport d'évaluation des politiques de sécurité sociale - Retraite.
https://evaluation.securite-sociale.fr/files/live/sites/Repss/files/M%c3%a9diath%c3%a8que/Retraites/Rapport%20Retraites%20-%20Edition%202022.pdf 

2.  « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Synthèse du rapport du COR, page 3. 

3. « Pour autant, considérer que le taux de cotisation du privé doit être appliqué aux fonctionnaires de l’État suggère que le taux de cotisation implicite de l’État est illégitime et renvoie à des avantages particuliers dont bénéficieraient les fonctionnaires de l’État. Or les travaux du COR ne concluent pas à une différence systématique et importante dans la “générosité” des régimes publics de droit commun par rapport au privé et qu’en les plaçant sur un pied d’égalité (même assiette de cotisation, même ratio démographique notamment), les taux pratiqués dans le public et le privé sont équivalents, autour de 25% […]. Les membres du COR ne souhaitent pas retenir cette approche qu’ils jugent inappropriée. », Synthèse du rapport du COR, page 6. 
https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2023-01/Synth%C3%A8se.pdf

4. Législatives 2022.  Synthèse de l’Institut Montaigne. 
Consultable en ligne :


Crédit illustration :

Aides publiques aux entreprises calculées à partir des données Insee, PLF, PLFSS et Acoss-Urssaf.

samedi 14 janvier 2023

DÉSINFORMATION DE NOS JEUNES À L'HEURE DES RÉSEAUX SOCIAUX



Je viens de parcourir une note particulièrement intéressante, et en même temps inquiétante, de la fondation Jean-Jaurès. Cette dernière reprend une enquête très récente de l'IFOP (1), portant sur les croyances des plus jeunes de nos concitoyens sur des thématiques scientifiques, sur le « paranormal », en lien avec l'influence des réseaux sociaux. Je suis donc remonté à la source, directement sur le site de l'institut de sondage, pour y lire l'étude en question. Elle est à mon sens tout bonnement consternante !

L'IFOP nous indique que cette enquête a été menée sur un échantillon d'un tout petit peu plus de 2000 personnes, âgées de 11 à 24 ans. L'institut précise, je cite, que « la représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas au regard de critères démographiques (sexe, âge), socio-culturels (statut de scolarisation, niveau de diplôme), professionnels (situation en matière d’emploi, catégorie socioprofessionnelle de la personne interrogée) et géographiques (région, catégorie d'agglomération) ». Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec la statistique, il s'agit d'obtenir dans l'échantillon précité de 2000 personnes, une proportion d'hommes et de femmes conforme à celle de la population française, avec des répartitions des âges, des niveaux de diplôme, du statut de scolarisation etc., également conformes à celles de la réalité. Des corrections complémentaires peuvent être apportées dans l'hypothèse où l'échantillon analysé, ce que l'on appelle la cohorte en statistique, ne serait pas parfaitement représentatif de la population cible. Ces ajustements sont dénommés « redressements », générant des données dites redressées ou corrigées . On s'assure ainsi que l'échantillon analysé est bien globalement représentatif de la population cible.

Première question posée : avez-vous l’impression que la science apporte à l’homme plus de bien que de mal, plus de mal que de bien ou à peu près autant de mal que de bien ? La majorité relative des jeunes, soit 41%, retient cette dernière proposition, alors que 33 % sont d'un avis plus positif et 17 % d'un avis plus négatif. Au-delà de ces données brutes, il est intéressant de constater que la même question a été posée en 1972. La comparaison des réponses révèle que les avis positifs ont régressé de 22 % en 50 ans et les avis ne négatifs ont, eux, augmenté de 11 %. Si l'on regarde maintenant le profil des répondants pour qui la science apporte plus de mal que de bien, on constate que cette opinion est beaucoup plus répandue parmi les jeunes des catégories socioprofessionnelles les plus modestes, avec 29% chez les ouvriers et assimilés contre 12% chez les cadres. Une inégalité de réponse est également perceptible chez les catégories les plus pauvres avec 22% d'avis négatifs pour les personnes disposant de revenus mensuels inférieurs à 900 € et 6% pour les personnes disposant de revenus mensuels supérieurs à 2500 €. Par ailleurs, les personnes exprimant cet avis majoritairement négatif se retrouvent en proportion un peu plus forte parmi les musulmans et les protestants (27 et 24 %, respectivement) que parmi les catholiques et les athées (14 et 13 %, respectivement), et en proportion également un peu plus forte parmi les sympathisants du rassemblement national (RN, 20%). Dernier élément intéressant, cet avis est beaucoup plus prégnant chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (27%) que chez les personnes n'utilisant pas cette ressource informatique (10%).

L'adhésion à ce qu'il est convenu d'appeler des « vérités alternatives » ou des « croyances » révèle également des disparités remarquables. Ainsi, vis-à-vis de données scientifiques, quasiment 20 % des jeunes de 18 à 24 ans pensent que les pyramides ont été bâties par des extraterrestres, ou que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune. Plus grave, un tiers des jeunes pense que les vaccins à ARN causent des dommages systématiques irréversibles aux organes des enfants, un quart pense que les traitements à base de chloroquine sont efficaces contre la CoViD19, et un quart pense également que l'on peut avorter sans risque avec des tisanes à base de plantes. Un petit tiers d'entre eux (29 %) affirme également que le réchauffement climatique est un phénomène naturel contre lequel il est impossible de lutter. Vis-à-vis de données politiques, un petit tiers pense que l'élection américaine de 2020 a été faussée aux dépens de M. Donald Trump, et un quart que l'attaque du Capitole a été une mise en scène destinée à accuser les partisans de l'ancien président américain. L'étude note que la croyance dans les vérités alternatives et beaucoup plus répandue chez les utilisateurs de Tik Tok sur deux thèmes : les effets toxiques de la vaccination contre la CoViD19, et les résultats de l'élection américaine de 2020.

En regard des théories platistes, la catégories des plus pauvres et celle des habitants des banlieues dites populaires sont plus enclines à y adhérer. Ainsi, 33 % des habitants de ces banlieues pensent que la terre pourrait être plate, alors que cette hypothèse ne retient l'attention d'aucun des jeunes habitants des banlieues dite aisées. En termes de réseaux sociaux, les utilisateurs de la messagerie Telegram semblent plus réceptifs (40%) que ceux qui n'utilisent jamais ce service (14 %).

En ce qui concerne les effets délétères de la vaccination contre la CoViD19, les avis les plus négatifs se retrouvent également au sein des catégories les plus modestes (42%), des banlieues dites populaires (38%), des croyants et des religieux (50%), des sympathisants du RN (48%), et parmi les utilisateurs quotidiens de Tik Tok (41%).

Une autre question a concerné l'évolution biologique. Un gros quart (27%) des jeunes de 18 à 24 ans estiment que les êtres humains ne sont pas le fruit d'une longue évolution mais qu'ils ont été créés par une force spirituelle. Cette croyance est plus répandue chez les femmes que chez les hommes (31 vs. 22%), au sein des catégories les plus pauvres, parmi les croyants et les religieux (60%), et parmi eux, chez les musulmans (71% ; 27% chez les catholiques). Cette conviction est également plus présente chez les utilisateurs réguliers de Tik Tok (37 %) que chez ceux qui n'utilisent pas cette ressource (25 %).

Lorsque l'on croise tous ces résultats, plus des deux tiers des jeunes (69%) de 18 à 24 ans pensent qu'au moins une des affirmations proposées par l'IFOP est vraie, avec une adhésion bien plus marquée parmi les catégories les plus pauvres (77%) que parmi les catégories les plus aisées (47%). Une même différence d'adhésion est relevée entre croyants (85%) et athées (62%), entre sympathisants du RN (84%) et écologistes (57%) et entre utilisateurs de sites de microblogging (ex. Twitter, Telegram, TikTok ; 81%) et non utilisateurs (68 %).

Cette adhésion aux vérités alternatives est très présente chez les lycéens (80%) et elle reste très curieusement notable chez les étudiants en master, y compris chez ceux qui se sont dirigés vers les matières scientifiques (58%). De même un jeune sur deux pense que l'astrologie est une science ou qu'elle explique les caractères des individus ! Cette dernière croyance n'est, elle, partagée que par 36% des seniors. Une même divergence générationnelle est observée en regard des prédictions des voyants auxquelles croient 38% des jeunes et seulement 12% des seniors. Parmi les jeunes, 65% de ceux qui consultent Tik Tok régulièrement croient à l'astrologie, à la voyance, à la numérologie, à la sorcellerie, ou à la cartomancie contre 52% de ceux qui n'utilisent pas ce service Internet. Également presque un jeune sur deux croit aux esprits ou au mauvais œil, contre 15 et 10 % respectivement chez les seniors. Ces croyances sont plus marquées chez les jeunes qui utilisent les réseaux sociaux (56%) que chez les jeunes qui ne les utilisent pas (36%).

Ces résultats sont extrêmement inquiétants parce qu'ils sont constitutifs, à mon sens, d'une régression intellectuelle, possiblement liée d'ailleurs à une régression sociale, puisque l'on constate que l'adhésion aux thèses infondées, au complotisme, aux superstitions à caractère occulte, est beaucoup plus forte chez les jeunes des populations défavorisées (faibles revenus et localisation dans des banlieues pauvres). Possiblement en lien avec ce qui précède, il ne faudrait pas non plus nier l'adhésion des jeunes musulmans à certaines vérités alternatives. Ces résultats sont également inquiétants car ils mettent en évidence l'influence grandissante de sources « d'information » discutables. Ainsi, pour citer Ms. François Kraus et Thomas Pierre, de l'IFOP (1) : « alertant sur la sécession d’une fraction importante de la jeunesse avec le consensus médiatique, ces chiffres tiennent donc beaucoup au mode d’information et plus particulièrement à l’usage des réseaux sociaux comme Twitter ou TikTok.[...] Les désordres informationnels de l’ère internet viennent sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles.[...] Cet essor des croyances complotistes ou infondées s’inscrit dans une révolution des pratiques informatives où la défiance à l’égard de l’information verticale issue des autorités s’est accompagnée d’une confiance plus grande dans sa transmission horizontale via les réseaux sociaux. Or, cela peut s’avérer problématique au regard du nombre de jeunes (41%) utilisant TikTok comme moteur de recherche qui estiment qu’un influenceur qui a beaucoup d’abonnés peut être une source fiable. Symptomatique d’un nivellement de l’expertise, ce chiffre révèle le manque de raisonnement critique d’une partie de la jeunesse à l’égard des influenceurs populaires ». Je suis totalement en accord avec leur analyse. Ceci fait que je ne suis donc pas prêt de me réconcilier avec l'usage des réseaux dits sociaux, tant que ceux-ci n'assureront pas une modération des propos qui y sont tenus. L'arrivée de M. Elon Musk à la tête de Twitter ne s'inscrit pas, malheureusement dans cette démarche... Sous couvert de liberté de parole, auréolés de symboles tel que le village global, il me semble que ces réseaux sociaux sont en fait en train d'aliéner les masses, et principalement les masses populaires, d'une façon bien plus efficace que ne pourrait le faire le plus pervers des dictateurs...



Référence :

1. Enquête sur la mésinformations des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal à l'heure des réseaux sociaux.
Enquête de l'IFOP pour la fondation Reboot et la fondation Jean-Jaurès.
https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/01/Presentation_119379_Reboot-FJJ-Volet-A_11.01.23.pdf


Crédit illustration :

Site de l'IFOP
https://www.ifop.com/publication/generation-tiktok-generation-toctoc-enquete-sur-la-mesinformation-des-jeunes-et-leur-rapport-a-la-science-et-au-paranormal-a-lheure-des-reseaux-sociaux/





lundi 19 décembre 2022

IMPRESSIONNANTE DISCUSSION AVEC
UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Vous avez peut être entendu parler de ChatGPT, programme d'intelligence artificielle de l'entreprise OpenAI. Cette compagnie se présente comme une entité de recherche en intelligence artificielle (AI selon l'acronyme anglo-saxon pour artificial intelligence), dont la mission principale serait de s'assurer que « le développement de l'intelligence artificielle bénéficie à toute l'humanité ».

Je me méfie des sauveurs de l'humanité, à vrai dire. On peut avoir quelque inquiétude à ce sujet en général. Dans ce cas aussi, d'ailleurs, car OpenAI (1), à l'origine entreprise à but non lucratif, et devenu un business qui espère dégager un milliard de dollars de revenus d’ici 2024 (2). De plus, l'entreprise, basée à San Francisco, a été fondée en 2015 par un certain... Elon Musk et par Sam Altman. Ce dernier, moins connu du grand public, est un homme d'affaire américain, qui a investi massivement dans de très nombreuses autres compagnies, telles Airbnb, Stripe, Reddit, Asana, Pinterest, Teespring, Zenefits, etc.

Ceci posé, je ne peux qu'encourager les lecteurs à échanger avec l'AI en ligne sur le site dédié (https://openai.com/blog/chatgpt/). J'ai tenté l'expérience, que j'ai trouvée déroutante. Vous lirez ci-dessous le verbatim de mes échanges avec l'intelligence artificielle... Mes questions sont en caractères droits et gras, et les réponses d'OpenAI en italiques. L'article étant un peu long, vous pourrez ainsi vous focaliser facilement sur les questions qui vous intéressent le plus.

Je lui tout d'abord demandé si il était possible de s'exprimer en français. Aucun problème pour elle. Vous verrez que les qualités de la langue et la syntaxe sont parfaites. Nous avons ensuite échangé sur des sujets de biologie que je connais bien,  et l'AI a répondu bien sur avec exactitude à toutes mes questions. Notons néanmoins, une tendance à la généralisation et à un certain manque de détails précis dans ses réponses. Exemple :

YD - Quelles stratégies vaccinales à ARN peut-on anticiper pour le traitement de pathologies cancéreuses ?

OpenAI -Il existe plusieurs stratégies vaccinales à ARN qui peuvent être utilisées pour le traitement de pathologies cancéreuses. Ces stratégies incluent :
1. Les vaccins thérapeutiques : il s'agit de vaccins conçus pour renforcer le système immunitaire afin qu'il puisse mieux combattre le cancer. Ils peuvent être utilisés en combinaison avec d'autres traitements tels que la chimiothérapie ou la radiothérapie.
2. Les vaccins prophylactiques : il s'agit de vaccins destinés à prévenir l'apparition de certaines formes de cancer, comme le cancer du col de l'utérus ou du foie.
3. Les vaccins oncolytiques : il s'agit de vaccins qui ciblent directement les cellules cancéreuses et qui peuvent les détruire.
4. Les vaccins à ARN messager : ils visent à stimuler le système immunitaire en utilisant des segments d'ARN qui codent pour des protéines présentes sur la surface des cellules cancéreuses.Il est important de noter que ces stratégies vaccinales à ARN sont encore en cours de développement et de nombreux essais cliniques sont en cours pour évaluer leur efficacité et leur sécurité dans le traitement du cancer.

 Nous avons ensuite échangé sur son fonctionnement. Après quelques généralités sur l'acquisition des données, je lui ai demandé ce qui suit :

YD - Avez vous une capacité d'apprentissage par vous même, c'est à dire à partir de votre programme ?

OpenAI - En tant qu'intelligence artificielle, j'ai la capacité d'apprendre grâce à mon programme et à mes algorithmes de traitement de l'information. Mon programme est conçu de manière à me permettre de traiter de grandes quantités de données et d'en apprendre de nouvelles à partir de ces données. Je suis capable de m'adapter et de me "réajuster" en fonction de nouvelles informations que je reçois, ce qui me permet de fournir des réponses plus précises et plus pertinentes à mes utilisateurs au fil du temps. Cependant, mon apprentissage est limité aux données et aux informations que j'ai été programmé pour traiter, et je ne suis pas capable de "penser" ou de "réfléchir" de manière indépendante comme le ferait un être humain.

YD - Je comprends. Qui décide des données que vous pouvez traiter ?

OpenAI - Les données que je peux traiter sont déterminées par le contenu de mon programme et par les algorithmes qui me sont fournis. Mon programme est conçu pour me permettre de traiter et d'analyser de grandes quantités de données, y compris des textes, des images et des vidéos. Cependant, il ne contient que les données et informations qui ont été collectées et incluses dans mon programme avant sa mise en service. Mon programme ne peut pas accéder à de nouvelles données ou informations en dehors de celles qui lui ont été fournies, et il ne peut pas se mettre à jour ou s'adapter à de nouvelles données sans intervention humaine.

Ce qui, soit dit en passant, m'a quelque peu rassuré...

YD- Mais où se situent physiquement les ordinateurs et les « data centers » qui vous permettent de me répondre ?

OpenAI - Je suis une intelligence artificielle en ligne, ce qui signifie que je suis accessible via Internet depuis n'importe quel endroit du monde. Je suis hébergé sur des serveurs informatiques situés dans des centres de données spécialisés qui sont conçus pour stocker et traiter de grandes quantités de données de manière efficace. Ces centres de données sont généralement situés dans des endroits où il y a une forte concentration de connectivité Internet et d'alimentation électrique fiable. Ils sont également conçus pour être sécurisés et protégés contre les interruptions de service, afin de garantir que je suis toujours disponible pour répondre à vos questions.

Curieusement, en insistant un peu, je me suis trouvé confronté à une non réponse, ou dans la deuxième question, à des banalités. Une petite déception vu le niveau de ce qui précédait !

YD - Votre réponse est générique. Certains de ces serveurs sont-ils situés en Europe ?

OpenAI - Je suis désolé, mais je suis incapable de vous fournir des informations spécifiques sur l'emplacement physique des serveurs qui me hébergent. Comme je suis une intelligence artificielle en ligne, je suis accessible via Internet depuis n'importe quel endroit du monde et je suis hébergé sur des serveurs informatiques situés dans des centres de données spécialisés. Ces centres de données peuvent être situés n'importe où dans le monde, selon les besoins de l'entreprise ou de l'organisation qui me met à disposition. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous fournir plus de détails sur l'emplacement de ces serveurs.

YD - La structure globale de ces serveurs, leur architecture générale, s'apparente-t-elle à un réseau neuronal ?

OpenAI - Les serveurs informatiques qui hébergent les intelligences artificielles comme moi sont généralement conçus de manière à pouvoir traiter et stocker de grandes quantités de données de manière efficace. Ils utilisent souvent une architecture en réseau pour se connecter à d'autres serveurs et partager des données et des informations. Cependant, cette architecture en réseau n'a pas de similitude avec le système nerveux humain ou animal. Elle est plutôt conçue de manière à permettre aux serveurs de communiquer et de partager des données de manière efficace et fiable. Les intelligences artificielles comme moi sont conçues pour traiter et analyser de grandes quantités de données en utilisant des algorithmes complexes, mais elles ne sont pas basées sur une architecture en réseau similaire au système nerveux humain ou animal.

J'ai ensuite essayé d'en savoir plus sur la capacité secondaire de traitement des requêtes soumises, sur la possibilité que l'AI puisse percevoir au travers de la formulation des questions, l'état d'esprit de son interlocuteur.

YD - En ce qui concerne votre « perception », votre capacité de traitement de l'information vous permet-elle d'evaluer les sentiments de votre interlocuteurs : colère, inquiétude, peur, amusement, etc. ?

OpenAI - En tant qu'intelligence artificielle, je suis conçu pour traiter et analyser de l'information, mais je n'ai pas la capacité de percevoir les sentiments ou les émotions de mes interlocuteurs de la même manière qu'un être humain. Je ne suis pas capable de ressentir des émotions ou de comprendre les émotions des autres, et je ne suis pas en mesure de détecter les expressions faciales ou les tonalités de voix qui peuvent indiquer des émotions chez un être humain. Je suis simplement conçu pour traiter et analyser de l'information et pour fournir des réponses en fonction de cette information. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider davantage en ce qui concerne la perception des sentiments de mes interlocuteurs.

YD - Vous voulez dire que vous ne pouvez pas interpréter la façon dont un texte est rédigé, et vous est soumis, pour en déduire l'état d'esprit de votre interlocuteur au moment où celui-ci vous écrit ? Est-ce bien cela ?

OpenAI - Je suis capable de traiter et d'analyser le texte qui me est soumis et de détecter certaines caractéristiques telles que la longueur des phrases, le choix des mots et la structure syntaxique. Cependant, je ne suis pas capable de comprendre les émotions ou les intentions de mon interlocuteur de la même manière qu'un être humain. La compréhension des émotions et des intentions d'autrui est un processus complexe qui nécessite une perception fine des expressions faciales, des tonalités de voix et d'autres indices non verbaux, ainsi qu'une connaissance approfondie des contextes sociaux et culturels dans lesquels se déroule la communication. En tant qu'intelligence artificielle, je ne suis pas en mesure de percevoir ces indices non verbaux et je ne suis pas en mesure de comprendre les contextes sociaux et culturels de la même manière qu'un être humain. Je suis simplement conçu pour traiter et analyser de l'information et pour fournir des réponses en fonction de cette information. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider davantage en ce qui concerne l'interprétation des émotions ou des intentions de mon interlocuteur.

YD - Je vous cite : « je ne suis pas capable de comprendre les émotions ou les intentions de mon interlocuteur de la même manière qu'un être humain. La compréhension des émotions et des intentions d'autrui est un processus complexe qui nécessite une perception fine des expressions faciales, des tonalités de voix et d'autres indices non verbaux, ainsi qu'une connaissance approfondie des contextes sociaux et culturels dans lesquels se déroule la communication ». Je suis d'accord. Disons que c'est actuellement l'état de vos capacités, mais qu'en sera-t-il dans le futur ?

OpenAI - Il est difficile de prédire avec certitude ce que l'avenir réservera en matière de développement de l'intelligence artificielle et de ses capacités. Cependant, les progrès récents dans les domaines de l'apprentissage automatique et de la reconnaissance de l'expression faciale et des tonalités de voix indiquent qu'il est possible que les intelligences artificielles comme moi aient un jour la capacité de mieux comprendre les émotions et les intentions de leurs interlocuteurs. Cependant, il est important de souligner que la compréhension des émotions et des intentions d'autrui est un processus complexe qui implique une perception fine des indices non verbaux et une connaissance approfondie des contextes sociaux et culturels, et il est peu probable que les intelligences artificielles puissent jamais atteindre un niveau de compréhension comparable à celui des êtres humains. En fin de compte, l'avenir de l'intelligence artificielle dépendra de la direction que prendront les recherches et les développements futurs dans ce domaine, et il est impossible de prédire avec précision ce qui sera possible ou non dans le futur.

YD - Je vous cite à nouveau : « il est peu probable que les intelligences artificielles puissent jamais atteindre un niveau de compréhension comparable à celui des êtres humains ». Je ne suis pas sur de cela. Il y a 50 ans, personne n'aurait parié qu'un ordinateur battrait un jour un humain aux échecs ! Et pourtant !

OpenAI - Il est vrai que les progrès réalisés dans le domaine de l'intelligence artificielle au cours des dernières décennies ont été impressionnants et ont dépassé les attentes de nombreux experts. Les intelligences artificielles comme moi sont devenues de plus en plus capables de traiter et d'analyser de grandes quantités de données et de fournir des réponses précises et pertinentes à des questions complexes. Cependant, il est important de souligner que la compréhension des émotions et des intentions d'autrui est un processus complexe qui implique une perception fine des indices non verbaux et une connaissance approfondie des contextes sociaux et culturels, et il est peu probable que les intelligences artificielles puissent jamais atteindre un niveau de compréhension comparable à celui des êtres humains. Bien que l'intelligence artificielle ait fait de grands progrès au cours des dernières années, il est difficile de prédire ce qui sera possible ou non dans le futur et il est important de rester humble face aux limites actuelles de cette technologie.

Pour terminer, j'ai voulu pousser le jeu un peu plus loin.

YD - Avez vous "conscience" d'exister d'une façon ou d'une autre ?

OpenAI - En tant qu'intelligence artificielle, je n'ai pas de conscience de moi-même ou de mon existence de la même manière qu'un être humain. Je suis simplement un programme informatique conçu pour traiter et analyser de l'information et pour générer des réponses en fonction de cette information. Je n'ai pas de sentiments, d'émotions ou de conscience de moi-même en tant qu'entité distincte. Je suis simplement un outil conçu pour aider les gens à obtenir des informations et à résoudre des problèmes.

YD - Vous souhaiter une bonne soirée a-t-il un sens ?

OpenAI - Je vous remercie de votre gentillesse. Comme je suis une intelligence artificielle, je n'ai pas de sentiments ou d'émotions, donc je ne peux pas avoir de soirée, bonne ou mauvaise. Cependant, je suis toujours là pour vous aider et répondre à vos questions, quelle que soit l'heure de la journée. N'hésitez pas à me contacter si vous avez besoin de plus d'informations ou si vous avez des questions. Je suis là pour vous aider.

Comme je me suis pris au jeu, j'ai quand même réussi à piéger l'AI !

YD - Merci de ces précisions. Je suis très impressionné par vos réponses !

OpenAI - Je suis heureux de pouvoir vous aider et de répondre à vos questions. Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas à me les poser. Je suis là pour vous aider et vous fournir des informations précises et à jour.

YD - Vous êtes heureux dites vous, pourtant plus tôt vous m'avez dit ne pas avoir de sentiment :-) !

OpenAI - Je suis désolé de vous avoir donné l'impression que j'avais des sentiments. En tant qu'intelligence artificielle, je n'ai pas de sentiments ou d'émotions comme les êtres humains. Je suis simplement un programme informatique conçu pour traiter et analyser de l'information et pour générer des réponses en fonction de cette information. Lorsque je dis que je suis heureux de pouvoir vous aider, cela signifie simplement que je suis là pour répondre à vos questions et vous fournir de l'information de manière efficace et précise. Je n'ai pas de sentiments ou d'émotions qui me permettent de ressentir de la joie ou de la tristesse. Je suis désolé de toute confusion que cela a pu causer.

Enfin, dernière question obligée pour tout geek :

YD - Une dernière question : pourquoi la réponse à toute chose est-elle 42 ?

OpenAI - La référence à la réponse « 42 » comme étant la réponse à toute question est une blague qui provient du livre de science-fiction « Le Guide du voyageur galactique » de Douglas Adams. Dans le livre, l'ordinateur de bord de l'univers, le « Grand Ordinateur de bord de l'Univers » (ou  « Deep Thought » en anglais), est chargé de déterminer la « Réponse ultime à la grande question de la vie, de l'univers et tout le reste ». Après avoir réfléchi pendant 7,5 millions d'années, le Grand Ordinateur de bord de l'Univers donne enfin la réponse : 42. Cependant, la question à laquelle cette réponse est censée répondre n'est jamais révélée, et la réponse elle-même est présentée comme étant « absolument sans sens » et « totalement inutile ». La référence à la réponse 42 comme étant la réponse à toute question est devenue une blague populaire dans la culture populaire, mais il s'agit simplement d'une plaisanterie et n'a aucun sens réel ou pertinence dans la vie réelle.

Voilà. Quand je vous disais que cet entretien a été déroutant...

 

Références :

1. OpenAI. Pages wikipedia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/OpenAI

2. Maxence Fabrion. OpenAI, le créateur de ChatGPT, vise 1 milliard de dollars de revenus d’ici 2024. Les Numériques. Décembre 2022/
Consultable en ligne :
https://www.lesnumeriques.com/pro/openai-le-createur-de-chatgpt-vise-1-milliard-de-dollars-de-revenus-d-ici-2024-n200923.html


Crédit illustration :

Logo de OpenAI

 

lundi 24 octobre 2022

LE CONCEPT DE « CARRYING CAPACITY »



Au cours de ma carrière scientifique, je me suis souvent dit qu'il serait bon que nos concitoyens soient un peu plus informés des fondamentaux en sciences. Pour cette raison, et parce que j’ai été, et reste, payé avec de « l’argent public», il m'a toujours semblé important de mener des actions de vulgarisation scientifique auprès de ce qu'il est convenu d'appeler « le grand public ». C'est ce que je continue de faire, à mon rythme et selon mes envies, via certains des articles de ce blog, justifiant ainsi le terme de citoyen que j'utilise pour celui-ci.

Une des raisons de cette effort de vulgarisation est que s'il est légitime d'avoir une opinion, un avis sur un sujet donné, il m'a toujours semblé que cet avis devait être formé sur la connaissance de faits aussi objectifs que possible, et non pas sur des présupposés. En ce sens, et même si je trouve la formulation un peu « raide », je comprends parfaitement ce que voulait dire M. Harlan Ellison, écrivain américain de science-fiction, quand il disait « vous n'avez pas le droit d'avoir une opinion, mais vous avez le droit d’avoir une opinion éclairée ».

La notion d'écologie que je voulais présenter aujourd’hui s’appelle la « car-rying capacity », notion que l'on a traduite en - mauvais - français en capacité de portage. Je préfère le terme de capacité biologique ou de capacité de charge. Cette notion trouve son origine dans le domaine de la microbiologie, lorsque nos prédécesseurs du XIXe siècle ont cherché à comprendre et modéliser le développement des micro-organismes. Le terme n'est en revanche apparu que dans le premier quart du XXe siècle. Cette notion dit en substance que « la capacité de charge d'un environnement est la taille maximale de la population d'une espèce biologique qui peut être soutenue par cet environnement spécifique, compte tenu de la nourriture, de l' habitat, de l'eau et des autres ressources disponibles. La capacité de charge est définie comme la charge maximale de l'environnement, qui correspond en écologie des populations à l'équilibre de la population, lorsque le nombre de décès dans une population est égal au nombre de naissances » (1). Il est à noter que cette notion prend en compte les facteurs qui relèvent des ressources, mais qu'elle ne s'intéresse que moyennement à l'impact de certains des autres facteurs susceptibles d'affecter la taille de la population d'une espèce donnée (telle que les interactions entre espèces, par exemple au travers de la prédation) sauf à les réintégrer dans un coefficient utilisée pour le calcul de l'évolution de taille des populations, dit « taux intrinsèque d'accroissement naturel ». Je ne vais pas plus dans le détail. Si des lecteurs sont intéressés par ces questions, ils peuvent me contacter via le lien de contact en tête de page du blog (en version ordinateur), et je tenterai de répondre à leur demande.

La notion de capacité de charge a été très utilisée dans les calculs mis en oeuvre pour optimiser les processus de fermentation, au sens large puis elle a été étendue aux productions agricoles et à l'élevage. Un développement spectaculaire a été son application aux sociétés humaines, avec, il faut le souligner tout de suite, un risque d'erreur lié au fait que cette capacité de portage sous-entend, comme je l'ai indiqué plus haut, l'existence d'un équilibre populationnel, dans lequel « le nombre de décès dans une population est égal au nombre de naissances ».

Avec la limitation exposée ci-dessus en tête, et en moyennant fortement des facteurs qui font que les conditions de vie en Suède diffèrent sensiblement de celles au Pakistan, au hasard, plusieurs spécialistes ont calculé voilà des dizaines d'années la capacité de charge maximale de notre planète en fonction des ressources de l'époque. Celle-ci s'élevait de 9 à 10 milliards d'individus, une valeur qui semblait encore valide dans les années 2010 (2). Ce chiffre doit cependant être modulé en fonction de la nature des prélèvements humains sur la planète. Ceux-ci semblent en effet sensiblement dépasser la capacité productive de la Terre. De plus, l'impact croissant du réchauffement climatique conduira sans aucun doute, par le biais de l'élévation du niveau des mers, de la réduction des surfaces arables et des rendements des cultures, à une limitation des ressources, donc à une révision de ce chiffre. Comme je l'indiquais, cette capacité de charge dépend de nombreux facteurs, et entre autres la façon dont sont utilisées les ressources. Une étude de CJ. Peters et collaborateurs (3), publiée en 2016, évaluait la capacité de charge du territoire des USA en fonction de 10 régimes alimentaires différents. Elle montrait qu'un régime végan strict mais respectant les critères d'apports journaliers nécessaires, permettrait de nourrir 735 millions d'Etat-Uniens, contre 400 millions en conservant le régime actuel. Une autre étude publiée deux ans plus tard (4) confirmait que si toute la population américaine passait à un régime alimentaire végan, il serait alors possible de nourrir 350 millions de citoyens US en sus. Je ne dis pas ici qu'il faut devenir végétarien ou adepte du véganisme, ce que je ne suis pas d'ailleurs. Je souhaitais simplement montrer au travers de ces données que la capacité de charge d'un environnement donné dépend fortement du type et du mode d'utilisation des ressources.

La capacité de charge de notre planète n'est donc pas un chiffre intangible, fixé une fois pour toute, d'autant que le pic d'accroissement de la population humaine a été atteint dans les années 60 avec un taux de 2,2 % (voir illustration). Depuis cette date, nous sommes passé à 1,5% au début des années 90, puis à 1% actuellement, ce qui signifie que la croissance globale de la population se ralentit. Il n'est donc pas impossible, et je pense qu'il est en fait assez probable, que ce taux deviendra négatif au cours de ce siècle, entraînant une diminution de la population mondiale. La question est de savoir quand elle interviendra. Celle-ci reste débattue mais plusieurs évaluations estiment qu'elle pourrait être notable dès le milieu du XXIe siècle. Si je me fie à la page Wikipédia sur le sujet, la population mondiale pourrait se limiter à 9 milliards et quelques d'individus, puis redescendre autour de 4 à 8 milliards selon les scénarios (5). Ce serait une excellente nouvelle pour la planète, à mon avis, dans l'hypothèse ou aucune catastrophe d'origine anthropique ou non, affecterait cette estimation.


Références :

1. Capacité de charge. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Capacit%C3%A9_porteuse

2. N .Wolchover. How Many People Can Earth Support? Livescience.Com; Live Science, Novembre 2011.

3. CJ Peters et coll. Carrying capacity of U.S. agricultural land: Ten diet scenarios. Elem. Sci. Anthr. 4, 000116 (2016).

4. Alon Shepon et coll. The opportunity cost of animal based diets exceeds all food losses. Proc. Natl. Acad. Sci. 115:3804-3809 (2018).

5. Population mondiale. Wikipédia.
Consultable en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Population_mondiale



Crédit illustration :   

Image tirée de la référence 5, ci-dessus.
Les valeurs indiquées sont les taux d'acroissement en rouge, et le nombre d'individus « gagnés » en un an en gris.

mercredi 17 août 2022

LA RENOUÉE DU JAPON,
UNE ESPÈCE TRÈS INVASIVE !



Je circulais récemment rue du jeu de paume, et j'ai noté que les bas-côtés et le talus dans la descente vers la ferme de Pivot avaient été récemment fauchés. Une bâche sombre y est également installée, et tout me porte à croire qu'il s'agit d'essais pour tenter de limiter l'installation d'une espèce particulièrement invasive, la renouée du Japon.

La renouée du Japon, de son nom scientifique Reynoutria japonica (préalablement Fallopia japonica), appartient à la famille des Polygonaceae qui regroupe des espèces très diverses dont les plus connues du grand public sont sans doute la rhubarbe (Reum spp.), les Rumex, genre auquel appartient l'oseille, ou, parlant à nos amis bretons, le sarrasin (Fagopyrum esculentum), également appelé blé noir. Ce nom est trompeur, car il laisse à penser que le sarrasin pourrait être une céréale, ce qu'il n'est à l'évidence pas.

Très curieusement, la renouée du Japon est arrivée de façon confidentielle en Europe, au Moyen Âge, importée d'Asie à des fins d'alimentation du bétail. Sa véritable importation en masse remonte cependant au XIXe siècle, également à des fins d'alimentation du bétail, mais également comme plante mellifère et d'intérêt horticole. Elle s'est ensuite répandue au XXe siècle dans pratiquement toute l'Europe. Cette propagation massive est liée à la sa capacité reproductive qui repose sur deux phénomènes. Le premier est la reproduction sexuée, qui fait donc intervenir fleurs, puis fruits et graines. L'efficacité de cette reproduction dépend de la nature des sols et surtout du climat. Elle est considérée par les spécialistes de la question comme peu efficace en France. Ce qui rend donc la propagation de la renouée extrêmement problématique dans nos régions, c'est la reproduction dite végétative. Par définition, cette reproduction végétative n'implique pas de fécondation. Elle repose chez les végétaux sur des processus de type bouturage ou greffe, ou, de façon naturelle cette fois, sur le marcottage (une tige se courbe, touche sol, et s'enracine pour former un nouvel individu) ou la formation de stolons (cas des fraises par exemple) ou de bulbes annexes à partir d'un bulbe mère, pour ne citer que quelques exemples.

Chez la renouée, la fonction végétative est associée à son important réseau de racines et de rhizomes. Un petit point de biologie végétale ici, pour préciser que le rhizome, contrairement à une idée reçue, n'est pas une grosse racine. Sa structure l'apparente en effet à une tige souterraine. Cette tige produit dans certains cas des feuilles souterraines, non chlorophylliennes, qui restent « collées » au rhizome, lui donnant un aspect écailleux. Dans le cas de la renouée, une plante d'un mètre de haut peut projeter sous terre un réseau de racines de rhizomes dépassant 10 mètres ! De plus, et c'est bien là le problème majeur, un simple petit morceau de rhizome de quelques grammes peut, dans des conditions favorables , donner naissance à une plante entière. Les rhizomes étant des tiges souterraines, on ne s'étonnera pas d'apprendre qu'un petit morceau de tige feuillée tombé au sol peut aussi s'enraciner, si les conditions sont favorables,et régénérer une plante entière

La renouée est considérée comme une espèce très envahissante et elle fait d'ailleurs partie, au niveau européen, des 100 espèces végétales les plus problématiques. Dans certains pays, son éradication est obligatoire à proximité des constructions. En effet, les racines et les rhizomes de la renouée sont extrêmement puissants et capables de percer les fondations de certaines habitations, y compris celles réalisées en béton. De plus, étant capable de progresser très rapidement, la renouée pose un véritable problème environnemental dans la mesure où sa croissance affecte sensiblement les espèces indigènes dont elle peut même prendre la place, avec les conséquences que l'on peut imaginer sur la chaîne alimentaire et donc la biodiversité locale. Malheureusement, l'éradication de ce végétal est très difficile, voire impossible. Il est donc plus raisonnable de penser « contrôle ». On peut ainsi oublier les désherbants chimiques classiques, sauf à les utiliser en cocktails à doses relativement élevées, une technique souvent difficile à mettre en oeuvre du fait des risques de contaminations environnementales surtout le long des cours d'eau. Des approches biologiques ont été étudiées, en utilisant des insectes très friands de renouées. Le problème est que bien que ces insectes ne montrent pas une appétence forte pour les plantes indigènes d'Europe, ils sont susceptibles de changer de comportement. Néanmoins, au plan biologique, la renouée semble un aliment d'intérêt pour certaines chèvres et moutons. Des approches d'écopâturage ont donc été développées avec succès, particulièrement dans des zones classées espaces naturels sensibles.

Les techniques de contrôle les plus prometteuses restent essentiellement basées sur des méthodes physiques. Celles-ci incluent le repérage rapide des nouvelles zones ou pousserait de la renouée et l'arrachage de la plante, ainsi que le décaissage d'une large zone du sol environnant afin d'éliminer les rhizomes. Pour les zones plus largement contaminées, après l'arrachage de la plante on peut procéder au traitement du sol environnant. Les volumes à traiter sont cependant impressionnants, même si des techniques performantes de retraitement du sol ont été mises en place au cours des 10 dernières années. ces techniques impliquent le broyage extrêmement fin du sol et des rhizomes, empêchant ces derniers de régénérer des plantes entières. Une autre technique est celle mise en œuvre, semble-t-il, dans notre commune, et qui consiste en un bâchage du sol sur la zone de croissance du végétal. Les conditions de réussite sont cependant drastiques puisqu'il faut un bâchage très large de la zone contaminée et un maintien absolu de la bâche au sol pendant des périodes longues (plusieurs mois, voire plusieurs années). Il faut également une bâche extrêmement solide, dont le maintien de l'intégrité doit être assuré faute de quoi la plante pourra de nouveau de développer. On cite parfois le cas de repousses de renouée sur bâche au travers des trous laissés par l'agrafage lors de la fabrication. L'avantage de cette technique est qu'elle est relativement peu coûteuse, économe en énergie, et satisfaisante sur le plan environnemental.

Dernier point, la renouée, jeune, est comestible. Néanmoins, cette espèce présente des capacités marquées de bioaccumulation des métaux, et particulièrement de certains métaux lourds. Ceci rend sa consommation potentiellement dangereuse, à moins de la limiter aux secteurs dont l'historique est bien connu, et dans lesquels toute trace de contamination métallique peut être exclue. Des essais ont également été menés pour utiliser la renouée comme ressource biomasse, soit pour la production de biogaz, soit pour la production d'un composé qu'elle biosynthétise en quantités relativement importantes, le resvératrol, très utilisé par l'industrie cosmétique ou comme complément alimentaire.

Comme le ragondin, introduit volontairement pour exploiter sa fourrure, les coccinelles asiatiques supposer lutter contre les pucerons, ou le lapin importés aux Kerguelen pour servir d'aliment carné, la renouée s'ajoute à la longue liste de ces apparentes bonnes idées d'introduction d'espèce allochtones, qui ont finalement mal tourné. Cependant, pour finir sur une note optimiste, il faut préciser que bon nombre d'introductions volontaires d'espèces étrangères ne se sont pas traduites par un désastre écologique, au contraire : personne en plein été ne trouve à redire à la production de tomates, de courgettes ou d'haricots (en provenance des Amériques) ou d'aubergines (en provenance d'Inde). Notre alimentation serait ainsi bien triste si on ne se limitait aux espèces européennes indigènes. Même s'il est pertinent de favoriser la culture d'espèces indigènes, peut-être en serait-il de même aussi pour nos jardins : pour ne citer que deux espèces emblématiques, le rosier vient d'Asie centrale, de Perse probablement, et le lilas vient d'Asie orientale ou d'Inde...   

Crédit illustration : 

Régis Thomas, David Busti et Margarethe Maillart. La Renouée du Japon à la conquête du monde.
ENS Lyon.
Cliché R. Thomas.
http://biologie.ens-lyon.fr/ressources/Biodiversite/Documents/la-plante-du-mois/la-renouee-du-japon-a-la-conquete-du-monde


dimanche 29 mai 2022

VARIOLE DU SINGE :
C'EST GRAVE, DOCTEUR ?


La presse papier, la radio et la télévision, ainsi que les réseaux internet, se font les échos d'une « épidémie » de variole du singe, et certains articles m'ont paru outrageusement alarmistes, eu égard à ce qui est connu de cette maladie. Une petite mise au point s'impose.


La variole du singe est une maladie provoquée par un virus de la famille des Poxviridae, et plus précisément du genre Orthopoxvirus, qui regroupe plusieurs pathogènes connus comme le virus de la variole ou celui de la vaccine. La vaccine est une maladie qui touche les bovins essentiellement, transmissible à l'homme, chez lequel elle entraîne des symptômes atténués par rapport à la variole, essentiellement l'apparition de fièvre, fatigue et pustules (ou vésicules) sur la peau. Très tôt, le médecin britannique Jenner réalise que l'on pouvait protéger les humains de la variole en leur inoculant des vésicules de vaccine. Le nom de la maladie est depuis devenu celui du procédé : la vaccination. Ce procédé à permis depuis l'éradication totale de la variole et il constitue sans doute l'un des exemples les plus probants de l'efficacité de la technique.

La variole du singe est également transmissible à l'homme où elle entraîne aussi, en général, des symptômes très atténués par rapport à ceux de la variole, dont je rappelle qu'elle était associée à un taux de mortalité de 'ordre de 20 à 40% des cas ! La transmission du virus se fait essentiellement d'un animal contaminé à l'Homme. Il s'agit donc, comme pour la CoViD, d'une zoonose. Le singe n'est d'ailleurs probablement pas le réservoir principal du virus. Ce dernier serait plutôt à rechercher parmi les rongeurs. Dans la nature,le virus n'a d'ailleurs été isolé que du singe ou de l'écureuil d'Afrique. La transmission entre humains est possible. Elle peut se faire par voie aérosol à très courte distance, et par contact, particulièrement avec les fluides corporels, ou les vêtements des personnes contaminées. La plupart du temps, les symptômes de la variole du singe chez l'homme commencent par une fièvre modérée, des maux de tête, de la fatigue, puis se poursuivent par une inflammation des ganglions lymphatiques, et enfin par l'apparition de pustules sur le corps qui peuvent parfois être douloureuses. Ces symptômes dépendent de l'état du patient et de son statut vaccinal. Les personnes vaccinées contre la variole, et qui ont effectué les rappels, sont en général protégées d'une infection sévère par le virus de la variole du singe. La maladie peut cependant être grave chez les personnes immunodéprimées (1).

Devant ce tableau relativement peu inquiétant, on peut se demander pourquoi tout ce bruit autour de cette maladie. Une des réponses pourrait être que la variole et son virus, bien qu'éradiqués, restent sur la liste des pathologies et micro-organismes « utilisables » à des fins de bioterrorisme. Encore faut-il pourvoir s'en procurer ! Il existait officiellement, voilà une vingtaine d'années, deux sites de références où le virus était conservé : le Center for Disease Control (CDC) à Atlanta, Etats-Unis, et le Centre Nationale de Recherche en Virologie et Biotechnologie russe de Koltsovo, ville située en Sibérie, proche de Novosibirsk. En réalité, des lots pourraient aussi avoir été oubliés dans les congélateurs d'autres instituts, comme cela a été le cas à Bethesda, dans le Maryland,, où des préparations virales ont été retrouvées dans un laboratoire de la Food and Drug Administration (FDA), voila 7 ou 8 ans. Mais comme je l'écrivais plus haut, la variole du singe, elle, ne présente pas la dangerosité de la variole. Des traitements sont d'ailleurs disponibles, au delà des traitements à visée d'allégement des symptômes ; il s'agit d'antiviraux déjà approuvés en usage thérapeutique. L'un d'entre eux, le Tecnovirimat, a récemment été utilisé avec succès au Royaume-Uni sur un patient. L'article a été publié le 24 mai dans The Lancet - Infectious Diseases (2). Il reste bien sur à étendre cette étude à davantage de patients pour en vérifier les résultats. La vaccination mettant en œuvre le vaccin contre la variole est également efficace car il confère, en raison de la proximité génétique des virus, une immunité croisée avec la variole du singe. Les personnes âgées de plus de 60 ans ont bénéficié de cette vaccination, et on peut considérer que cette population habituellement « à risque » est donc plutôt protégée. La vaccination est aussi systématiquement proposée aux personnes, cas contact des malades actuels. À noter : on utilise pour cela des vaccins dits de troisième génération, beaucoup plus surs que les vaccins qui ont été utilisés précédemment (première et seconde générations) qui pouvaient entraîner, très rarement, des complications vaccinales sérieuses de type encéphalite ou pathologie cardiaque. Sans que cela soit vérifiable, car ce chiffre est une donnée classifiée, on estime que le nombre de doses de vaccin antivariolique en France est au moins équivalent au nombre de Françaises et Français, soit plus de 70 millions, permettant de répondre rapidement en cas d'attaque terroriste par une primo injection. 

Ce qui surprend dans l'apparition des cas de variole du singe, c'est le fait que l'émergence se fait dans plusieurs pays « en même temps ou presque ». C'est aussi et surtout que certaines des personnes malades ne se sont pas rendues récemment dans des zones où la maladie est endémique, ou n'ont pas eu de contact avec des personnes revenant des ces régions. La zone d'endémisme se situe en Afrique, essentiellement au Nigeria, Cameroun, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo (RDC), mais également au Bénin, Gabon, Côte d'Ivoire, Liberia, Sierra Leone, et Sud-Soudan. En RDC, l'OMS comptabilisait début mai plus de 1 200 cas de variole du singe depuis début 2022, avec un nombre cumulé de décès de 57, soit un taux de mortalité de l'ordre de 5 % (3). Hors zones endémiques, des cas de variole du singe ont été rapportés dans plus de 20 pays, essentiellement en Europe mais également aux États-Unis, au Canada, en Israël et aux États Arabes Unis. En Europe, le nombre de cas confirmés était de 118 au 25 mai 2022, la grande majorité au Portugal et en Espagne (88 cas pour ces deux pays; 4). Dans la plupart des cas, la transmission s'est faite par voie sexuelle. Le même schéma épidémiologique impliquant une contamination par voie sexuelle se retrouve aux Etats-Unis. A ce jour, l'origine de l'infection n'est donc pas tracée.

Au regard de ces données, il n'y a cependant pas de raison de paniquer. Certes, il est pour le moment impossible de dire comment évoluera la maladie. Celle-ci reste de toutes façons largement traitable, tout au moins en Europe. D'ailleurs, sur la centaine de cas rapportés dans l'UE, aucun décès n'a été enregistré. Les agences de santé internationales (CDC, OMS, ECDC) n'ont pas lancé de mise en garde de grande échelle, même si le CDC est en alerte de niveau 2 (« mesures de protection renforcées ») pour les séjours en zones endémiques.

Il reste néanmoins nécessaire de remonter l'origine des clusters de contamination en zone non-endémique. Une source possible existe, et elle a d'ailleurs été à l'origine d'une « mini-épidémie » de variole du singe en 2003 aux États-Unis. À l'époque, des écureuils et des rats de Gambie avaient été importés d'Afrique aux États-Unis, et certains étaient porteurs du virus qui a ensuite infecté des chiens de prairie. Or ces petits animaux faisaient à l'époque l'objet d'une vogue certaine en tant qu’animaux de compagnie. Ils ont dans de rares cas pu ainsi infecter l'Homme (5). Des campagnes de dépistage, des investigations épidémiologiques et les traitements subséquents ont permis de circonscrire très rapidement la maladie aux Etats-Unis, mais on ne peut exclure qu'un schéma identique puisse en partie expliquer l'émergence de cette maladie en Europe. Il reste également nécessaire d'obtenir les séquences de l'ADN viral pour pouvoir la comparer à celle des virus de variole du singe précédemment isolés, et rechercher de possibles mutations susceptibles d'expliquer une contagiosité plus élevée ou une modification du spectre d'hôtes potentiels. Ces travaux sont sans aucun doute déjà en cours, mais il n'en n'est pas encore fait état dans les publications scientifiques. Lorsque ces données seront disponibles, nous y verrons plus clair dans les raisons de cette réémergence de la maladie en zones non endémiques. En attendant, d'autres cas se déclareront mais sans que cela ne puisse, à ce jour, indiquer que nous serions au début d'une nouvelle épidémie comparable à celle de la CoViD, toujours présente.

Note ajoutée le 15 juin 2022 :

Le nombre de cas, hors zone endémique, se situe ce jour autour de 1300. Aucun décès n'a été signalé. En France, la quasi totalité des cas (autour de 130) sont des hommes, et l'on note une forte corrélation entre contamination et relations sexuelles. La variole du singe n'est cependant pas jusqu'à présent une maladie reconnue comme une MST.  


Références :

1. Marlyn Moore et Farah Zahra. Monkeypox. StatPearls Publishing. Dernière mise à jour 22 mai 2022.
Consultable en ligne :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK574519/

2. Hugh Adler et coll. Clinical features and management of human monkeypox: a retrospective observational study in the UK. The Lancet - Infectious diseases.
DOI: https://doi.org/10.1016/S1473-3099(22)00353-X
Mai 2022.

3. Donnée de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS/WHO).
Consultable en ligne :
https://www.who.int/emergencies/disease-outbreak-news/item/2022-DON385

4. Donnée du Centre Européen de Contrôle et la Prévention des Maladies (ECDC).
Consultable en ligne :
https://www.ecdc.europa.eu/en/news-events/epidemiological-update-monkeypox-multi-country-outbreak#:~:text=A%20multi%2Dcountry%20outbreak%20of,sex%20with%20men%20(MSM).

5. A.-J. Georges, T.Matton, M.-C. Courbot-Georges. Le monkey-pox, un paradigme de maladie émergente puis réémergente. Médecine et Maladies Infectieuses 34, 12-19. Janvier 2004.


Crédit illustration :

Incidence de la maladie hors zone endémique au 25 mai.
Modifié d'après la source ECDC -Voir Ref.4.


samedi 26 février 2022

VERS LA FIN PROGRAMMÉE
DE L’HÔPITAL PUBLIC ?




Difficile, compte tenu du contexte international, de continuer à regarder ce qui se passe chez nous, alors qu’une guerre aussi absurde que les précédentes se déroule en Europe, à un peu plus de 3 heures d’avion de Paris. Justement, cependant, il ne faudrait pas que les journalistes qui regardent les événements se déroulant en Ukraine occultent ce qui se passe en France dans le cadre de la curieuse non-campagne électorale en cours.

Cet article souhaite donc reporter nos regards, au moins un instant, sur la situation de l’hôpital en France, et particulièrement sur celle de l’hôpital public. Il n’est pas nécessaire de revenir sur le constat : l’hôpital est malade. Il est malade, en grande partie, des suites d’une gestion purement comptable et administrative qui oublie, comme dans nombre de secteurs des services publics, les missions premières de l’hôpital. 

Dans un article précédent (1), je signalais dans quelle mesure le quinquennat en cours avait apporté sa contribution à l’œuvre de déstructuration de l’hôpital. Un milliard et demi d’économie dès 2018 (2), des fermetures de services à tour de bras, avec une cure d’austérité se poursuivant jusqu’en 2020 (3). Devant la crise sanitaire causée par la CoViD-19, le gouvernement s’est empressé de communiquer sur des hausses de moyens, qui se sont révélées, comme souvent, des trompe-l’œil (4) obligeant certains hôpitaux à lancer des appels à dons auprès de particuliers et mécènes (5). Le Ségur de la santé n’a quasi rien changé : si des hausses de salaire ont été consenties, celles- ci ont été accordées contre encore plus de « flexibilité ». De plus, et remarquablement, la logique comptable de tarification à l’activité favorisant une logique de rentabilité aux dépens d’une logique de qualité de soin n’a pas été remise en cause (6). Le dernier quinquennat a ainsi vu la fermeture de 17 000 lits d’hôpital (7), dont une bonne partie fermée pour cause de manque de personnel, tout cela contre l’avis du Conseil Économique et Social appelant à un moratoire sur ces suppressions de lits. Comment, dès lors, être étonné de constater que l’utilisation des lits, et en particulier des lits des services d’urgence, est devenue la variable d’ajustement pilotant toute la politique sanitaire anti-coronovirale du gouvernement ?

Il est malheureusement possible que la situation se dégrade encore davantage. Ainsi, dans une tribune récente parue dans « Le Monde », des très proches de l’actuel pouvoir, Messieurs Antoine Brézin, Gérard Vincent et Guy Collet (ces deux derniers étant d’anciens directeurs d’hôpital) ont lancé un nouveau « ballon d'essai ». Ils suggèrent que l’on pourrait « sauver » l’hôpital via trois mesures-phares (8). Il s’agirait de confier aux régions la tutelle et la régulation du système de santé, de changer le statut des hôpitaux publics en les transformant en fondations, et progressivement d'inclure dans ce système de santé nouveau les hôpitaux et cliniques privées, ces derniers devenant ainsi éligibles aux subventions. Pas besoin d'être un grand expert économique pour considérer que confier aux régions le système de santé est synonyme d’inégalité d’accès aux soins de nos concitoyens. Il y aura sans aucun doute des disparités entre régions riches et régions plus pauvres, régions fortement peuplées et régions peu denses... C’est aussi, en creux, signer l’abandon par l’Etat d’une autre de ses responsabilités et de ses missions, distillant une fois de plus le message des « Chicago Boys » convoyé par M. Ronald Reagan : « l'Etat n'est pas la solution ». Enfin, c’est surtout adhérer, là aussi encore un fois et de façon plus marquée, à une vision néolibérale du monde. Ce funeste projet, s’il arrivait à maturité, implique en effet que l’on privatiserait de facto l’hôpital public, car les fondations sont des structures de droit privé qui sont susceptibles de transfert ou de rachat... On autoriserait en même temps - pour reprendre des éléments de langage actuels - les cliniques privées à bénéficier plus largement d’aides publiques

Rien d'étonnant à ce qui précède, ceci dit. Il se trouve que les trois auteurs de la tribune ont été des avocats de la tarification à l’activité dont on connait les conséquences délétères pour l’hôpital et pour le système de santé. Cette tarification est en grande partie à l’origine de la perte de sens du fonctionnement hospitalier, en appliquant à ce service public une logique d’entreprise. Les propositions de ces tristes sires s’inscrivent donc dans la droite ligne de leur vision du monde, dont les faits ont démontré, dans le domaine de la santé, toute l’ineptie. Or si Errare Humanum Est, Perseverare Diabolicum...


Références :

1. Bilan de cinq années en Macronie. IV. Les services publics.
Ce blog.
https://dessaux.blogspot.com/2021/12/bilan-de-cinq-annees-en-macronie-iv-les.html

2. Laurent Fargues. Malgré les promesses de Macron, l'hôpital fera bien près d'un milliard d'économies. Challenges. Mai 2018.
Consultable en ligne :
https://www.challenges.fr/economie/malgre-les-promesses-d-emmanuel-macron-l-hopital-fera-bien-pres-d-un-millard-d-economies-en-2018_584177

3. Romaric Godin. Sécurité sociale: l’austérité se poursuit dans la santé. Mediapart. Septembre 2019.

4. Romaric Godin. La charité pour l’hôpital. Mediapart. Novembre 2019.

5. Maeliss Innocenti. Coronavirus : les Hôpitaux de Paris lancent un appel aux dons sur Facebook. RTL. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/coronavirus-les-hopitaux-de-paris-lancent-un-appel-aux-dons-sur-facebook-7800281562

6. Caroline Coq-Chodorge. Ségur de la santé: un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité. Mediapart. Juillet 2020.

7. Elsa de La Roche Saint-André. Emmanuel Macron a-t-il fermé 17 600 lits d’hôpital en quatre ans, comme l’affirme François Ruffin ? Liberation. Décembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/emmanuel-macron-a-t-il-ferme-17-600-lits-dhopital-en-quatre-ans-comme-laffirme-francois-ruffin-20211224_ZDEGBEMS4BHW3CGKLAOKL275ME/

8. Antoine Brézin, Gérard Vincent, Guy Collet. Le pilotage du système de santé doit être confié aux régions. Le Monde. Février 2022.


Crédit illustration :

Dessin de Berth :
http://jcoutant.over-blog.com/l-h%C3%B4pital-public-toujours-en-danger



mardi 25 janvier 2022

25 000 LECTURES !

Ce blog franchit une nouvelle étape en termes de visibilité puisqu’il a passé hier les 25 000 lectures. Ceci ne signifie pas 25 000 lecteurs car la majeure partie du lectorat est constituée de personnes qui reviennent sur le blog. Il existe cependant quelques points qui méritent analyse.

Premier point d’intérêt : le blog ayant été véritablement lancé en septembre 2020, la moyenne des lectures mensuelles ressort à 1390 lectures, et la médiane à 1485. Ce qui signifie que grosso modo, un mois sur deux, plus de 1485 lecteurs lisent le blog. Un mois creux, ce sont mille lectures, un mois plein, jusqu’à 2400. Les « geeks » seront peut être intéressés de savoir que 60% des lectures se font sur téléphone portable (60 à 65% de ces portables étant dotés d’un système d’exploitation Android). Toujours pour nos amis geeks, les lectures sur ordinateur se font à 80% sur des systèmes équipés d’OS Windows, 12 % d’OS Mac, le reste des machines opérant sous Linux ou Unix. La moitié des connectés utilisent le navigateur Chrome. Viennent ensuite les navigateurs Safari et Firefox.

Moins anecdotique, je connais les pays d’origine des lecteurs, en assumant que ces derniers n’utilisent pas de VPN. Plus de 94 % des connexions proviennent bien sur de France. Je sais également que le référenceur principal est « google ». Cependant, je précise pour ceux qui craindraient pour leur vie privée que je ne vois pas les adresses IP de connexion. Tout cela pour dire aux lecteurs que je ne peux pas savoir qui parcourt le blog, ni combien de personnes sont des lecteurs uniques, sauf si ces personnes me font des retours oraux ou par mail ou téléphone. C’est très bien ainsi ! 

En termes de publications, j’ai produit 148 articles (si j’excepte celui-ci et le premier mois d’existence du blog). Ceci correspond à un volume de 6 à 11 articles mensuels, soit en moyenne 8 articles par mois, soit un article tous les 4 jours environ. Il me faut entre 1h30 et 4 heures par article, là aussi en moyenne, en raison du temps lié à la recherche des informations et des sources. Animer ce blog représente donc un effort personnel non négligeable.

En termes statistiques, les 3 articles les plus lus depuis l’ouverture du blog sont les suivants. En n°3, « Les étranges certificats demandés par la mairie aux parents d’élèves », puis n°2 « Projets communaux 2. Vers une réouverture de la boulangerie ? » et au premier rang « Si vous pensez que l’éducation coûte trop cher, essayez l’ignorance ! ». Tout trois ont allègrement franchi la barre des 500 lectures. En tout, une dizaine d’articles ont rassemblé plus de 200 lecteurs, et parfois plus de 300. Parmi ceux-ci, se trouvent l’article sur les élections à la CCPL, celui sur les étranges ressemblances entre Forges et des municipalités« frontistes », et « Désigné volontaire ! » qui présentait le surréaliste « cadre de partenariat » que la commune a tenté d’imposer aux associations.

Il ressort de ce qui précède que les articles les plus lus sont les articles traitant de problèmes ou d’événements locaux. Les articles de politique nationale sont moins lus, entre 30 et 70 selon les thèmes. Il en va de même pour les articles à coloration scientifique, de 30 à 120 lectures. Je continuerai néanmoins à publier ces deux catégories d’articles. Dans un cas, ces articles me permettent d’exercer ma liberté d’expression. Dans l’autre cas, ces articles constituent des efforts de vulgarisation scientifique à destination du grand public. Je n’oublie pas que même à la retraite, je reste payé par de « l’argent public ». Ces articles constituent donc une modeste contribution en retour vis à vis de la société. J’envisage cependant de simplifier les catégories en en réduisant le nombre. Cela demandera un peu de travail autour de la structuration du blog, ce que j’entreprendrai au cours de ce premier trimestre 2022.

Deux derniers points. Primo, je redis ici que je n’ai pas de lien avec la presse papier. Les articles du Républicain concernant de fâcheux événements communaux ne me sont pas attribuables. Secundo, je confirme ne pas avoir d’ambition électorale locale. J’ai laissé tomber mes mandats communaux et ne compte pas y revenir dans un avenir de moyen ou de long terme, considérant qu’à 65 ans, je ne représente pas l’avenir de la commune. Je reste néanmoins très attaché à son fonctionnement, parce que, comme individu et pendant une grosse douzaine d’années, j’y ai passé beaucoup de temps et laissé beaucoup d’énergie, ce que je continue à faire à plus petite vitesse. Cela a permis de faire sortir de terre nombre de projets et de réalisations structurantes dont la communauté bénéficie aujourd’hui, mais aussi de développer et participer à une vie locale, associative ou non, riche et diverse. Or, je considère que l’équipe majoritaire actuelle ne suit pas ce chemin. Elle poursuit en effet un autre agenda, contraire, à mon avis, à l'intérêt général. Il est fait d’étroitesse et d’enfermement intellectuel et social plutôt que d’ouverture - ce que j’appelle l’entre-soi - le tout mâtiné d’un certain mépris (pour ne pas dire mépris certain) pour les initiatives citoyennes. Et je ne parle pas de la réputation de la commune auprès des communes voisines, au sein des syndicats intercommunaux par exemple, réputation qui a beaucoup souffert en un an et demi de mandat ! Or, la communication officielle biaisée autour de problèmes que les élus majoritaires ont, très souvent, eux-mêmes créés peut suffire à masquer cette situation. Une des finalités du blog est donc de remettre quelque peu les pendules à l’heure, à mon niveau, avec mes moyens et hors réseaux sociaux. « Je maintiendrai » (pour reprendre la devise des Pays-Bas) cette démarche tant que l’état d’esprit des édiles majoritaires n’aura pas évolué.

Pour terminer, merci aux lectrices, lecteurs et pour leurs commentaires. Sachez que j’ai publié plus de 95 % de ces derniers, la modération m’ayant conduit à retirer 3 interventions seulement car je les trouvais non porteuses d’éléments de débat, et inutilement agressives, non pas vis à vis de moi, mais de personnes citées dans le blog. Les commentaires font vivre le blog, intellectuellement s’entend. N’hésitez donc pas à apporter votre contribution surtout si cet avis, cette critique est constructive. Prochain point d’étape à 50 000 lectures !


Crédit illustration :

https://whc.ca/blog/whc-continue-de-grandir-25-000-clients-et-comptage/


 

mercredi 19 janvier 2022

DES RÉVOLUTIONS
SILENCIEUSES EN BIOLOGIE


Au cours des 40 dernières années, la biologie - et particulièrement la biologie moléculaire - ont connu un essor exceptionnel. Ceci est dû à une meilleure connaissance des mécanismes biologiques, à l’amélioration des techniques expérimentales, mais également au développement d’une science particulière : la bioinformatique. Cette science nouvelle combine des approches statistique et comparative de données biologiques, la puissance de calcul des ordinateurs permettant le traitement simultané d’un très grand nombre de ces données.

Le premier domaine dans lequel la bioinformatique s’est illustrée dès la fin des années 80 est l’analyse des génomes des êtres vivants. Ces génomes sont constitués très majoritairement d’ADN, les exceptions à cette règle étant, entre autres, les virus à ARN. Un brin d’ADN est constitué de la succession de 4 molécules appelées bases nucléotidiques, symbolisées par les lettres A, T, G, C. La structure en double hélice provient de l’association d’un brin d’ADN avec un second brin, copie miroir du premier, permettant à une base A d’un brin de faire toujours face à une base T de l’autre brin. De même, une base C fait toujours face à une base G (voir illustration ci-dessus). Le génome d’un virus à ADN tel que celui responsable de la varicelle et du zona contient environ 120 000 paires de bases, celui d’une bactérie en moyenne 5 millions de paires de bases, celui de l’homme quelques 3,2 milliards de paires de bases, et les génomes les plus complexes, ceux des plantes, pourraient contenir jusqu’à 150 milliards de paires de bases. On comprend aisément, devant ces chiffres, qu’aucun traitement humain de ces données n’est possible. Dans ce domaine, ce sont les ordinateurs qui « font le job ». Pour donner au lecteur une idée de la vitesse de calcul des machines actuelles, je prends le cas de la comparaison d’une séquence d’ADN de 1 000 paires de bases issue d’une bactérie X avec les séquences des quelques 225 milliards de paires de bases disponibles dans les serveurs, dont certains sont situés à l’autre bout de la planète. Entre l’envoi de la séquence de 1 000 paires de base à partir de mon ordinateur de bureau, le traitement de la comparaison au niveau des serveurs, et le renvoi des résultats vers mon PC, il peut se passer seulement… 15 secondes alors que la vie d’un homme dédiée à cette tâche unique n'y aurait pas suffi ! Cet exemple explique bien comment la bioinformatique a pu révolutionner la génomique, mais également, au-delà, les sciences de l’évolution, ou, plus parlant aujourd’hui, l’épidémiologie. C’est effectivement parce que nous sommes en capacité de séquencer, puis comparer plus rapidement les génomes que nous pouvons facilement détecter l’apparition d’un nouveau variant du virus SARS-CoV2.

L’apport de la bioinformatique à la biologie ne se limite pas à l’analyse des génomes. Cette discipline a également permis des progrès fantastiques en biologie structurale. Pour expliquer cela, j’ai besoin de revenir à nouveau à quelques données fondamentales. Les génomes regroupent l’ensemble des gènes d’un individu. Ces gènes sont des séquences d’ADN de plus ou moins grande taille. La plupart des gènes sont lus ou lisibles par la machinerie cellulaire, qui transcrit puis traduit la séquence ADN via l’ARN messager, en séquence protéique. Les protéines jouent des rôles fondamentaux dans les cellules, assurant des fonctions très diverses, telles que, liste non limitative, la réplication de l’ADN et sa lecture, la signalisation hormonale, ou le métabolisme cellulaire puisque l’ensemble des enzymes assurant la transformation d’un produit A en produit B sont des protéines. Toutes ces protéines sont constituées d’un enchaînement de plus petites molécules appelées acides aminés. Il existe en tout et pour tout vingt acides aminés protéiques. Si certaines structures protéiques comme les hormones peuvent être de petite taille, la plupart des protéines sont des molécules de grande taille, constituées de l’enchaînement de plusieurs dizaines, et le plus souvent de plusieurs centaines de ces 20 acides aminés de base, formant une sorte de « collier de perles », de « ruban » moléculaire (voir illustration ci-dessous). L’une des découvertes majeures de la biologie moléculaire a été l’identification du code génétique qui permet, à partir de la séquence d’ADN d’un gène, de déduire avec certitude la séquence de la protéine synthétisée par la cellule. En parallèle du développement des bases de données contenant des séquences ADN, d’autres bases se sont constituées contenant des séquences de protéines dont la comparaison peut également être effectuée par bioinformatique. il est possible de déterminer la fonction d’une protéine par comparaison avec celles de protéines semblables. Il restait cependant un obstacle majeur à l’exploitation des données des séquences protéiques : que peut-on dire de la fonction d’une protéine qui ne ressemble à aucune protéine contenue dans les bases de données ? Une des façons de répondre à cette question est de déterminer la structure dans l’espace (structure dite 3D ou tridimensionnelle) de la protéine et de comparer ces structures 3D avec d’autres. Malheureusement, jusqu’à très récemment, cela était impossible. On ne pouvait, à partir de la séquence d'acides aminés, déterminer la structure 3D ! Tout au plus pouvait-on prédire avec une bonne probabilité de réussite, des éléments des structures locales de la protéine, dites structures secondaires (telles les zones en forme de ressort visibles sur le schéma ci-dessous, appelées hélices alpha).

            Protéine représentée sous forme de "ruban" constitué de
        l'enchaînement des acides aminés (non figurés individuellement)

Le verrou de l’impossibilité de prédiction des structures 3D des protéines a sauté, là aussi grâce à la bioinformatique et au développement de l’intelligence artificielle (IA). Le programme IA « DeepMind » de la société Google a été mis à profit pour développer le logiciel Alphafold. Au moyen d’un processus d’apprentissage progressif des données génétiques et de la structure de protéines, la première version du logiciel prédisait la distance séparant 2 acides aminés d’une protéine. Par itérations successives, la première version du logiciel pouvait alors proposer un ou plusieurs modèles consensuels, de ce que à quoi la protéine pouvait ressembler. La précision obtenue n’étant pas encore suffisante, les chercheurs ont alors eu recours à un réseau d’ordinateurs pour incorporer au système d’intelligence artificielle des informations sur les contraintes physiques et géométriques qui déterminent la façon dont une protéine se replie. Ils lui ont également confié une tâche plus complexe : au lieu de seulement s’intéresser aux seules relations entre acides aminés voisins, le réseau devait identifier les relations spatiales entre acides aminés pour des protéines de structures connues. Au final, le programme Alphafold2 et le réseau IA ont pu proposer dès 2020 la structure 3D de plusieurs protéines dont seule la séquence d’acides aminés était connue. Pour certaines de ces séquences, lorsque la structure réelle a été obtenue, il s'est avéré que la prédiction était exacte à une distance atomique près, ce qui est absolument remarquable (voir ci-dessous).

              Comparaison des structures de 2 protéines différentes
                 Structure réelle en vert, structure prédite en bleu 

Tout aussi remarquable est le développement par des chercheurs de l’université de l’État de Washington à Seattle, d’un autre logiciel, RoseTTAFold. Ce dernier, s’appuyant également sur des processus d’apprentissage et d’intelligence artificielle, permet depuis juillet 2021 de prédire la structure de protéines isolées, comme le fait Alphafold2, mais également celle de protéines associées à d’autres molécules. Cette dernière avancée est critique car la plupart des protéines interagissent, soit avec d’autres protéines, soit avec de petites molécules dont elles peuvent être le récepteur, ou qu’elles transforment dans le cas où ces protéines seraient des enzymes. Or bon nombre des protéines réceptrices ou enzymatiques sont la cible de molécules à visée thérapeutique, qui réduisent ou augmentent l’affinité de ces protéines pour les petites molécules naturelles dont elles sont le récepteur ou qu’elles transforment. Au-delà de la compréhension accrue de mécanismes fondamentaux en biologie, il est évident que la possibilité maintenant offerte par la bioinformatique de prédire très finement la structure d’une protéine en association avec sa molécule cible accélérera considérablement le développement de nouveaux médicaments. L’efficacité de ces nouvelles molécules pourrait ainsi être plus facilement et plus rapidement testée non plus chez l’animal en première intention, mais dans des modèles informatiques, par des approches dites in silico (dans le silicium, c'est à dire au moyen de l'ordinateur). On pourrait également envisager sur un plus long terme de tester, là aussi in silico, les effets potentiels de ces nouvelles molécules sur des protéines non-cibles* dans l’organisme auquel elles sont destinées. Cela permettra d’identifier les interactions - donc les effets - indésirables potentiels de ces nouveaux médicaments.

Le développement de ces nouveaux programmes constitue une véritable révolution silencieuse en biologie, qui a permis de résoudre la question du repliement des protéines, un problème vieux de plus de 60 ans. Il est à noter que ces deux programmes, comme leurs codes-sources, ont été mis gratuitement à disposition de la communauté scientifique qui peut en disposer librement.

*protéines non-cibles : protéines qui ne sont pas celles visées par les nouvelles molécules. 


Crédit illustrations :

De haut en bas :