Il arrive un moment, dans les mandats électifs, où il est nécessaire de faire le bilan des actions passées. Dans le cas du probable-futur-candidat-président, M. Emmanuel Macron, j’ai la quasi certitude que ce bilan ne sera pas fait. Trop d’intérêts économiques sont en jeu, et sa non réélection serait délétère pour le monde de la finance qui contrôle une partie importante des médias de masse. Je livre ici le premier volet de ma propre analyse, réalisée à partir de différents sites que je placerai en référence. On commence donc par le volet social du quinquennat et plus particulièrement par les aspects propres au droit du travail. Je traiterai de l’aspect chômage ultérieurement.
Une des premières lois édictées dans ce quinquennat (en 2017) s’inscrit dans la droite ligne des lois El Khomri. Globalement, ces « lois travail », dont certaines sont des ordonnances, c’est à dire des textes qui n’ont pas été discutés par les chambres*, inscrivent dans le marbre des régressions sociales marquées. Elles portent sur 4 volets principaux : la négociation collective, les accords dans les PME, la fusion des institutions représentatives du personnel (IRP) et la rupture du contrat de travail.
En termes de négociations collectives, ces ordonnances font ainsi que les conditions de salaires, de temps de travail et de mobilité ne sont plus du seul ressort des accords de branche, mais peuvent désormais être modifiées par entreprises lors de négociations avec le personnel (1). A noter, en théorie ces accords d’entreprise ne peuvent être moins favorables que les accords de branche sur un certains nombre de points, tels que les salaires minimaux, la durée et l’organisation du travail du travail, les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et temporaire (CDD), la formation ou la parité homme/femme. Le code du travail ne fixera cependant plus que des seuils très minimalistes, adaptables dans chacune des branches professionnelles, avec le chantage au risque de chômage lors de ces négociations dans les entreprises.
Ces lois prévoient aussi un accroissement de la précarité au travail, par exemple via l’extension des CDI dit de chantier à toutes les branches (2). Sous un dehors apparemment favorable, ce type de contrat cumule les inconvénients de l’intérim et ceux du CDI. Cette précarité accrue se retrouve aussi au niveau des conseils des Prud’hommes, au sein desquels les indemnités que peuvent toucher les employés lésés sont plafonnées, grosso modo, à la moyenne des indemnités précédemment reçues, et avec un délai de recours réduit de moitié (3). Les tribunaux qui se sont affranchis de ces lois, sur des bases juridiques parfaitement fondées, à savoir le droit européen, ont été recadrés par la ministre de la justice, Madame Nicole Belloubet, en contradiction avec les textes que la France avait pourtant ratifiés (4).
Au cours des cinq années passées, les licenciements ont aussi été facilités. Là encore les salariés ont donc été les grands perdants des ordonnances Macron avec plusieurs items importants. Ainsi, pour les multinationales, seule la santé de la filiale française fera foi pour le déclenchement du plan social, le rendant plus facilement possible via la mise en faillite artificielle de cette filiale alors que la société continue de réaliser des profits. Le plan social pourra d’ailleurs être conduit au rabais via la procédure de « rupture conventionnelle collective ». Faciliter les licenciements était bien un des objectifs du Président et du gouvernement : ceux-ci se sont quelque peu trahis en fournissant des lettres-type de licenciements aux entreprises afin d’éviter les recours aux Prud’hommes (5). Quelle délicate attention !
La régression est aussi sensible au niveau de l’hygiène et de la sécurité. Tout d’abord, rappelons la suppression du CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail), désormais fusionné avec la représentation des personnels et le comité d’entreprise, avec à la clef un impact non négligeable sur la façon dont les dossiers hygiène et sécurité sont maintenant traités (6). Rappelons également que le contact avec des substances chimiques et cancérigènes, ce qui a été mon quotidien et celui de nombreux autres collègues pendant une trentaine d’années, le port de charges lourdes, les positions pénibles, les vibrations mécaniques sont retirés des critères dits de pénibilité (7).
En Macronie, les syndicats se sont aussi trouvés attaqués assez régulièrement. Des délégués syndicaux ont à plusieurs reprises été licenciés contre l’avis de l’inspection du travail mais après approbation de la ministre du travail de l’époque, Mme. Muriel Penicaud (8,9). Cette dernière s’est d’ailleurs fait une spécialité de la limitation des droits des salariés. Elle avait par exemple nié l’existence d’un droit de retrait exercé par des cheminots suite à un accident sans hésiter à remettre en cause la légitimité de l’inspection du travail qui avait travaillé sur ce sujet (10). L’inspection du travail semble d’ailleurs être la bête noire de Madame Muriel Pénicaud qui a tenté, à la suite d’autres ministres, de lui rogner les ailes (11) quand elle ne lui demandait pas de se reconcentrer sur des dossiers sans doute plus urgents que ceux concernant des salariés licenciés (12).
La crise de la CoViD-19 a aussi fragilisé le monde du travail, le « quoi qu’il en coûte » tant vanté par les soutiens de Monsieur Emmanuel Macron pouvant aussi se comprendre comme un quoi qu’il en coûte aux salariés ou fonctionnaires. Je cite ainsi dans le désordre les mesures de régression que l’actuel gouvernement a fait passer profitant plus ou moins de la crise sanitaire : la possibilité de travailler jusqu’à 60 heures hebdomadaires dans certains secteurs, décision unilatérale ne nécessitant pas d’accord syndical (13), la limitation du droit de retrait pour les personnels réquisitionnés (14), la possibilité d’imposer ou non des congés aux salaries, tout en les prévenant simplement 24 heures à l’avance (13), la facilitation du travail le dimanche (13), ou la suppression de jours de RTT dans la fonction publique sans compensation (15). Pour information, j’en ai perdu 8 sur 12 alors que j’étais pourtant en télétravail à la maison !
En même temps, pour reprendre un élément de langage gouvernemental, Madame Muriel Penicaud n’a pas hésité à inciter les entreprises à négocier des baisses de rémunération, des augmentations d’horaires, ou des suppressions de RTT (16). Ces négociations sont autorisées par les « accords de performance collective » créés par les premières ordonnances travail de 2017, que le gouvernement feint de regretter (17). Point important : un salarié refusant de se voir appliquer un tel accord peut être licencié (18). Une belle avancée sociale sans aucun doute !
Toujours en lien avec les urgences sanitaire et économique, et via de nouvelles ordonnances et décrets, le gouvernement a raccourci considérablement les délais d’information et consultation des comités sociaux et économiques (CSE, 19). Depuis janvier 2020, les CSE remplacent et fusionnent les institutions représentatives du personnel dont le Comité d'Hygiène et Sécurité. L’avis des CSE, donc des représentants du personnel, n’est ainsi plus nécessaire pour recourir au chômage partiel (20), et les délais de saisine d’experts par ces CSE sur des sujets d’importances ont été réduits de 3 mois à…. 7 jours, week-end inclus (19) ! En contradiction avec l’esprit des lois, ces mesures – moins favorables aux personnels – sont applicables de façon rétroactive (19)! Quelques jours après promulgation, ces textes permettent au groupe General Electric de démanteler partiellement son site de Belfort (21)...
Je passe sur les textes qui se sont multipliés pour permettre aux employeurs privés ou publics d’imposer des dates de congés ou de prises de RTT en nombre toujours plus importants (voir par exemple 22), l’article étant déjà bien long. Pourtant ne présente-t-il qu’une partie des mesures antisociales voulues par l’actuel président en matière de droit du travail. Les salariés sont donc bien dans le collimateur de ce gouvernement, et ce quelle que soit la communication officielle qui n’hésite jamais, d'ailleurs, à nous servir la petite ritournelle « des Français qui travailleraient moins que les autres pays Européens » (23). Ceci est, bien entendu, faux (24, 25), mais permet de justifier, via un recours subliminal à la « valeur travail » (26) la régression massive que la Macronie a organisée au cours des cinq dernières années dans ce domaine. Il n’y a malheureusement aucune raison de penser que tout changerait si l’actuel président et sa majorité étaient réélues au cours des prochaines élections présidentielles et législatives.
Note :
*Le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre lui-même des mesures relevant normalement du domaine de la loi, afin de mettre en œuvre son programme (art. 38 de la Constitution). L’autorisation lui est donnée par le vote d’une loi d’habilitation. Ces actes sont appelés des ordonnances. Assimilées à des règlements, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication. Elles ne prennent toutefois valeur législative qu'après avoir été ratifiées par le Parlement dans un délai fixé.
Références :
La référence qui m’a permis la rédaction de cet article est l’excellent site https://macron.watch qui regroupe sous forme de listings l’ensemble des mesures antisociales prises dans différents domaines par le pouvoir en place. Je m’en suis largement inspiré. Les autres références consultées sont les suivantes.
1. Anonyme. Décryptage des ordonnances : le code du travail en lambeaux. L’Humanité. Septembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/decryptage-des-ordonnances-le-code-du-travail-en-lambeaux-641358
2. Pauline Prépin. La volonté d’extension du CDI de chantier par les ordonnances Macron. Le Petit Juriste. Décembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.lepetitjuriste.fr/volonte-dextension-cdi-de-chantier-ordonnances-macron/
3. Nathalie Samson, Marion Bain. Indemnités aux prud'hommes: le barème prévu par les ordonnances. L’Express. Août 2017.
Consultable en ligne :
https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/indemnites-aux-prud-hommes-les-plafonds-sont-connus_1939406.html
4. Olivier Samain. Plafonnement des indemnités prud'homales : Nicole Belloubet réplique aux jugements récalcitrants. Europe 1. Mars 2019.
Consultable en ligne :
https://www.europe1.fr/economie/information-europe-1-plafonnement-des-indemnites-prudhomales-nicole-belloubet-replique-aux-jugements-recalcitrants-3869000
5. Anonyme. Pour licencier sans risque, le gouvernement propose six lettres "clés en mains". L’Express. Novembre 2017.
https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/pour-licencier-sans-risque-le-gouvernement-propose-six-lettres-cles-en-mains_1965260.html
6. Anonyme. La santé grande perdante de la fusion des CE et CHSCT, selon une enquête. L’Express. Janvier 2020.
Consultable en ligne :
https://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/la-sante-grande-perdante-de-la-fusion-des-ce-et-chsct-selon-une-enquete_2116095.html
7. Catherine Quignon. Des substances cancérigènes exclues du nouveau compte pénibilité. Le Monde. Novembre 2017.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/emploi/article/2017/11/16/des-substances-cancerigenes-exclues-du-nouveau-compte-penibilite_5215862_1698637.html
8. Dan Israel. Contre l’avis de l’inspection du travail, le licenciement d’un syndicaliste à SFR est validé par la ministre. Mediapart. Mars 2019.
9 Anonyme. Whirlpool: Le ministère du Travail autorise le licenciement des salariés protégés.
La production de l'usine avait été délocalisée en Pologne. 20 Minutes (avec AFP). Mai 2019.
Consultable en ligne :
https://www.20minutes.fr/economie/2517951-20190514-whirlpool-ministere-travail-autorise-licenciement-salaries-proteges
10. Geoffroy Clavel. Droit de retrait à la SNCF: Pénicaud contredit (un peu vite) l'inspection du travail. Huffington Post. Octobre 2019.
Consultable en ligne :
https://www.huffingtonpost.fr/entry/droit-de-retrait-a-la-sncf-penicaud-contredit-un-peu-vite-linspection-du-travail_fr_5daebefae4b0422422cb0724
11. Anonyme. Inspection du travail : la CGT alerte sur la suppression de 15 % des effectifs. BatiActu. Février 2019.
12. Mathilde Goanec, Dan Israel. Travail détaché : l’inspection du travail s’indigne d’une «consigne» de l’exécutif. Mediapart. Novembre 2019.
13. Bertrand Bissuel. Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances. Le Monde. Mars 2020.
https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/25/temps-de-travail-chomage-partiel-le-droit-du-travail-bouscule-par-ordonnances_6034357_823448.html
14. Anne Rodier. L’état d’urgence sanitaire ne limite pas le recours au droit de retrait, sauf pour le personnel réquisitionné. Le Monde. Mars 2020.
15. Louis Nadau. Congés payés et RTT rognés à cause du Covid-19 : les règles du jeu pour les fonctionnaires. Marianne. Avril 2020.
Consultable en ligne :
https://www.marianne.net/societe/conges-payes-et-rtt-rognes-cause-du-covid-19-les-regles-du-jeu-pour-les-fonctionnaires
16. Paul Louis. Baisser les salaires pour éviter les licenciements: une alternative aux plans sociaux intéressante? BFM business. Juin 2020
Consultable en ligne :
https://www.bfmtv.com/economie/baisser-les-salaires-pour-eviter-les-licenciements-une-alternative-aux-plans-sociaux-interessante_AV-202006010146.html
17. Frantz Durupt. Baisser son salaire pour garder son emploi ? Le gouvernement dénonce un «chantage» que ses lois ont permis. Libération. Juin 2020.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/france/2020/06/02/baisser-son-salaire-pour-garder-son-emploi-le-gouvernement-denonce-un-chantage-que-ses-lois-ont-perm_1790070/
18. Leïla de Comarmond. Baisses de salaire : les accords de performance collective, un outil très souple pour les entreprises. Les Echos. Juin 2020.
Consultable en ligne :
https://www.lesechos.fr/economie-france/social/baisses-de-salaire-les-accords-de-performance-collective-un-outil-tres-souple-pour-les-entreprises-1208026
19. Bernard Domergue. Le gouvernement envisage de réduire à 8 jours le délai de consultation du CSE. Les éditions législatives. Avril 2020.
20. Catherine Pellerin. Les mesures d'urgence en matière d'activité partielle. Les éditions législatives. Mars 2020.
21. Martine Orange. Au nom du Covid-19, General Electric démantèle un peu plus Belfort. Mediapart. Mai 2020.
22. Bertrand Bissuel. Vers un plus grand nombre de jours de congés décidés par l’employeur. Le Monde. Avril 2021.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/04/14/vers-un-plus-grand-nombre-de-jours-de-conges-decides-par-l-employeur_6076732_823448.html
23. Loïc LeClerc. Emmanuel Macron: "Nous sommes un pays qui travaille moins que les autres. Regards.fr. Octobre 2021.
Consultable en ligne :
http://www.regards.fr/politique/article/nous-sommes-un-pays-qui-travaille-moins-que-les-autres-emmanuel-macron-ment
24. Pierre Breteau et Mathilde Damgé. Non, les salariés français ne travaillent pas moins que leurs voisins. Le Monde. Avril 2019.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/04/29/non-les-salaries-francais-ne-travaillent-pas-moins-que-leurs-voisins_5456229_4355770.html
25. Luc Peillon. Les Français travaillent-ils moins que «les autres», comme l’affirme Emmanuel Macron. Libération. Octobre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/les-francais-travaillent-ils-moins-que-les-autres-comme-laffirme-emmanuel-macron-20211014_6QRZLSHMPVAA3PGNJF7OWJZ62E/
26. Ante Electionibus. I. La valeur travail. Ce blog.
Consultable en ligne :
https://dessaux.blogspot.com/2021/07/ante-electionibus-i-la-valeur-travail.html
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