La campagne électorale qui se déroule en ce moment est une quasi non campagne. Entre un président qui s'estime sans doute trop jupitérien pour débattre avec d'autres candidats, une guerre en Ukraine déclenchée par un dirigeant autoritaire et possiblement paranoïaque mais armé jusqu'aux dents et prêt à bondir (comme aurait dit Coluche), et une « crise » économique, énergétique et alimentaire qui s'annonce, la place pour le nécessaire débat politique est quasi inexistante. Bien sûr, les éléments que je listais ci-dessus jouent-ils un rôle, mais le diable se cache peut-être ailleurs. Je suis en effet assez consterné par le niveau des propositions des uns et des autres, et tout particulièrement par l'absence d'une vision globale de société, explicite et débattable, à l'exception sans doute du projet écologiste porté par M. Yannick Jadot et du projet de la France Insoumise, porté par M. Jean-Luc Mélenchon. Ceci ne signifie pas que je soutienne ces candidats, ni que d'autres candidats n'aient aucun programme, au contraire. Malheureusement ceux-ci ressemblent souvent et à première vue à une accumulation de mesures plus qu'à un véritable projet. Peut être est-ce d'ailleurs là le danger ! Car derrière ces mesures, qui prises les unes près des autres s'assemblent en un catalogue à la Prévert, je perçois, selon la ou le porteur, la poursuite de programmes néolibéraux, et pour certains antisociaux, quand elles ne nous promettent pas des dérives tout simplement racistes, xénophobes, voire, et c'est un mot que je n'utilise presque jamais, quasi fascistes.
Dans la série des mesures antisociales proposées par les représentants de la droite de gouvernement (entendre macroniste), des conservateurs (Mme. V. Pécresse) et de l'extrême droite (M. E. Zemmour), on parle de plus en plus de soumettre le revenu de solidarité active (RSA) à contreparties, ou de supprimer cette allocation à certains. Ces contreparties pourraient revêtir la forme soit d'un travail d’intérêt général, soit d'une formation dirigée vers le retour à l'emploi. Le point achoppement est que ces dispositions deviendraient obligatoires, au risque pour le bénéficiaire qui ne s’y conformerait pas d’entraîner la perte de l'allocation. Autant le dire tout de suite, je trouve cette mesure démagogique et antisociale. Elle est démagogique car elle sous-entend que les bénéficiaires du RSA sont des fainéants improductifs qui profitent de la sueur de ceux qui se lèvent tôt et de leurs impôts, et qu'il convient dès lors de les remettre « dans le droit chemin ». Elle est antisociale car elle conduirait à proposer à des personnes de travailler quelques 15 heures par semaine pour 7 euros de l'heure environ, bien en dessous des minima sociaux ! Elle est aussi antisociale, car elle méconnaît quelques éléments cruciaux si on veut comprendre ce qui fait que certains d'entre nous se retrouvent à ne disposer que du RSA comme revenu. Je vais donc rappeler quelques uns de ces éléments.
Le premier élément - et le plus important à mon sens - est que de nombreux bénéficiaires du RSA n’en bénéficient justement pas. Cette population des plus défavorisées est celle qui vit dans la très grande pauvreté, à la rue parfois, qui méconnaît ses droits et/ou qui est dans incapacité de les faire valoir. On estime ainsi qu'un tiers des foyers éligibles au RSA ne le demande pas (1), évitant ainsi à la collectivité le versement de quelques 750 millions d'euros.
Second élément : de nombreux bénéficiaires du RSA sont des gens qui ne sont pas « employables ». Je compte parmi eux les allocataires, seniors en particulier, en fin de droits chômage ou les personnes malades chroniques licenciées ou incapables de travailler, non reconnues handicapées. Cette « non employabilité » de récipiendaires du RSA est également soulignée par l'économiste Henri Sterdiniak (2). En lien, le nombre de radiés de pôle emploi, majoritairement en fin de droits, a ainsi augmenté de presque 50% au cours de la dernière année (2). De plus, ce sont, en France, 15 millions de personnes qui sont concernées par une maladie chronique invalidante d’après le Ministère de la Santé, dont la moitié serait encore en activité professionnelle quand survient la maladie (3).
Troisième élément à prendre en compte, le RSA comporte déjà aujourd'hui une composante d'accompagnement vers le retour à l'emploi, pour ceux qui le peuvent. Cependant, selon un rapport récent de la Cour des Comptes, cet accompagnement est largement déficient en termes à la fois de moyens et de résultats (4), et ferait l'objet de, je cite, « dysfonctionnements majeurs » et de « graves lacunes ». Ainsi, selon ce rapport, le taux de retour à l’emploi des allocataires RSA est de 3,9 % par mois en 2019, très inférieur à la moyenne des demandeurs d’emploi (8,2 %). De même, le rapport pointe l'instabilité des allocataires liée au déficit d'accompagnement : « Les sorties en emploi des bénéficiaires du RSA sont de surcroît plus précaires. En cas de reprise d’emploi, les non bénéficiaires du RSA sont 68 % à accéder à un emploi durable […] alors que les bénéficiaires du RSA ne sont que 56 % dans ce cas ». La sortie du RSA se fait d'ailleurs souvent dans des conditions chaotiques en raison de cette instabilité des anciens allocataires. Toujours selon la Cour des Comptes (4) : « Cette instabilité, attendue compte tenu de la tendance générale au développement des alternances entre chômage et emploi, est particulièrement marquée pour les anciens allocataires, qui sont 41 % à revenir au RSA après en être sortis. Au total, sept ans après l’entrée au RSA d’une cohorte d’allocataires, seuls 34 % en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable. [...] Enfin, 42 % sont encore au RSA ».
Dernier élément : qui sont les bénéficiaires ? A l'évidence des personnes en grande difficulté. Ainsi, lors du dernier pointage de 2019, 1,90 million de foyers bénéficiaient du RSA. « Avec les conjoints et les enfants à charge, 3,85 millions de personnes sont couvertes par le RSA, soit presque 6 % de la population. La moitié des foyers bénéficiaires correspondent à des personnes seules et sans enfant, un tiers sont des familles monoparentales » (5). Plutôt que culpabiliser les bénéficiaires du RSA, peut être faudrait-il enfin réfléchir sérieusement à un revenu universel qui permette aux plus fragiles de subsister. Rappelons que le RSA, c'est, pour une personne seule sans enfant, environ 575 euros par mois. Or, pour ce même type de personne, le seuil de pauvreté correspond à un revenu de 1 100 euros par mois. Je ne peux pour conclure que répéter les propos tenus par l'association ATD Quart Monde, déplorant (2) : « une logique qui se nourrit de préjugés aussi faux que tenaces », selon laquelle « les allocataires des minima sociaux seraient des « assistés » qui « profitent du système », alors qu’une majorité d’entre eux se démènent chaque jour », j'ajouterai « se démènent chaque jour » bien loin des arguments électoraux tenus par des femmes et hommes politiques aussi ambitieux que cyniques.
Références :
1. Solveig Godeluck. Pauvreté : un tiers des foyers éligibles au RSA ne le demandent pas. Les Echos. Février 2022.
Consultable en ligne :
https://tinyurl.com/m94myutm
2. Florent Le Du. Le RSA sous condition, nouvelle arme antisociale de Macron. L'Humanité. Mars 2022.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/politique/presidentielle-2022/le-rsa-sous-condition-nouvelle-arme-antisociale-de-macron-742766
3. Anonyme. Les maladies chronique invalidantes.Talenteo.fr. Octobre 2019.
Consultable en ligne :
https://www.talenteo.fr/maladies-chroniques-invalidantes-1-personne-5-touchee/
4. Le revenu de solidarité active. Synthèse. Cour des comptes. Janvier 2022.
Consultable en ligne :
https://www.ccomptes.fr/system/files/2022-01/20220113-RSA-synthese.pdf
5. Anonyme. Les bénéficiaires du RSA. Synthèse de la DREES.
Consultable en ligne :
https://tinyurl.com/2p8kf8w9
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