mercredi 19 janvier 2022

DES RÉVOLUTIONS
SILENCIEUSES EN BIOLOGIE


Au cours des 40 dernières années, la biologie - et particulièrement la biologie moléculaire - ont connu un essor exceptionnel. Ceci est dû à une meilleure connaissance des mécanismes biologiques, à l’amélioration des techniques expérimentales, mais également au développement d’une science particulière : la bioinformatique. Cette science nouvelle combine des approches statistique et comparative de données biologiques, la puissance de calcul des ordinateurs permettant le traitement simultané d’un très grand nombre de ces données.

Le premier domaine dans lequel la bioinformatique s’est illustrée dès la fin des années 80 est l’analyse des génomes des êtres vivants. Ces génomes sont constitués très majoritairement d’ADN, les exceptions à cette règle étant, entre autres, les virus à ARN. Un brin d’ADN est constitué de la succession de 4 molécules appelées bases nucléotidiques, symbolisées par les lettres A, T, G, C. La structure en double hélice provient de l’association d’un brin d’ADN avec un second brin, copie miroir du premier, permettant à une base A d’un brin de faire toujours face à une base T de l’autre brin. De même, une base C fait toujours face à une base G (voir illustration ci-dessus). Le génome d’un virus à ADN tel que celui responsable de la varicelle et du zona contient environ 120 000 paires de bases, celui d’une bactérie en moyenne 5 millions de paires de bases, celui de l’homme quelques 3,2 milliards de paires de bases, et les génomes les plus complexes, ceux des plantes, pourraient contenir jusqu’à 150 milliards de paires de bases. On comprend aisément, devant ces chiffres, qu’aucun traitement humain de ces données n’est possible. Dans ce domaine, ce sont les ordinateurs qui « font le job ». Pour donner au lecteur une idée de la vitesse de calcul des machines actuelles, je prends le cas de la comparaison d’une séquence d’ADN de 1 000 paires de bases issue d’une bactérie X avec les séquences des quelques 225 milliards de paires de bases disponibles dans les serveurs, dont certains sont situés à l’autre bout de la planète. Entre l’envoi de la séquence de 1 000 paires de base à partir de mon ordinateur de bureau, le traitement de la comparaison au niveau des serveurs, et le renvoi des résultats vers mon PC, il peut se passer seulement… 15 secondes alors que la vie d’un homme dédiée à cette tâche unique n'y aurait pas suffi ! Cet exemple explique bien comment la bioinformatique a pu révolutionner la génomique, mais également, au-delà, les sciences de l’évolution, ou, plus parlant aujourd’hui, l’épidémiologie. C’est effectivement parce que nous sommes en capacité de séquencer, puis comparer plus rapidement les génomes que nous pouvons facilement détecter l’apparition d’un nouveau variant du virus SARS-CoV2.

L’apport de la bioinformatique à la biologie ne se limite pas à l’analyse des génomes. Cette discipline a également permis des progrès fantastiques en biologie structurale. Pour expliquer cela, j’ai besoin de revenir à nouveau à quelques données fondamentales. Les génomes regroupent l’ensemble des gènes d’un individu. Ces gènes sont des séquences d’ADN de plus ou moins grande taille. La plupart des gènes sont lus ou lisibles par la machinerie cellulaire, qui transcrit puis traduit la séquence ADN via l’ARN messager, en séquence protéique. Les protéines jouent des rôles fondamentaux dans les cellules, assurant des fonctions très diverses, telles que, liste non limitative, la réplication de l’ADN et sa lecture, la signalisation hormonale, ou le métabolisme cellulaire puisque l’ensemble des enzymes assurant la transformation d’un produit A en produit B sont des protéines. Toutes ces protéines sont constituées d’un enchaînement de plus petites molécules appelées acides aminés. Il existe en tout et pour tout vingt acides aminés protéiques. Si certaines structures protéiques comme les hormones peuvent être de petite taille, la plupart des protéines sont des molécules de grande taille, constituées de l’enchaînement de plusieurs dizaines, et le plus souvent de plusieurs centaines de ces 20 acides aminés de base, formant une sorte de « collier de perles », de « ruban » moléculaire (voir illustration ci-dessous). L’une des découvertes majeures de la biologie moléculaire a été l’identification du code génétique qui permet, à partir de la séquence d’ADN d’un gène, de déduire avec certitude la séquence de la protéine synthétisée par la cellule. En parallèle du développement des bases de données contenant des séquences ADN, d’autres bases se sont constituées contenant des séquences de protéines dont la comparaison peut également être effectuée par bioinformatique. il est possible de déterminer la fonction d’une protéine par comparaison avec celles de protéines semblables. Il restait cependant un obstacle majeur à l’exploitation des données des séquences protéiques : que peut-on dire de la fonction d’une protéine qui ne ressemble à aucune protéine contenue dans les bases de données ? Une des façons de répondre à cette question est de déterminer la structure dans l’espace (structure dite 3D ou tridimensionnelle) de la protéine et de comparer ces structures 3D avec d’autres. Malheureusement, jusqu’à très récemment, cela était impossible. On ne pouvait, à partir de la séquence d'acides aminés, déterminer la structure 3D ! Tout au plus pouvait-on prédire avec une bonne probabilité de réussite, des éléments des structures locales de la protéine, dites structures secondaires (telles les zones en forme de ressort visibles sur le schéma ci-dessous, appelées hélices alpha).

            Protéine représentée sous forme de "ruban" constitué de
        l'enchaînement des acides aminés (non figurés individuellement)

Le verrou de l’impossibilité de prédiction des structures 3D des protéines a sauté, là aussi grâce à la bioinformatique et au développement de l’intelligence artificielle (IA). Le programme IA « DeepMind » de la société Google a été mis à profit pour développer le logiciel Alphafold. Au moyen d’un processus d’apprentissage progressif des données génétiques et de la structure de protéines, la première version du logiciel prédisait la distance séparant 2 acides aminés d’une protéine. Par itérations successives, la première version du logiciel pouvait alors proposer un ou plusieurs modèles consensuels, de ce que à quoi la protéine pouvait ressembler. La précision obtenue n’étant pas encore suffisante, les chercheurs ont alors eu recours à un réseau d’ordinateurs pour incorporer au système d’intelligence artificielle des informations sur les contraintes physiques et géométriques qui déterminent la façon dont une protéine se replie. Ils lui ont également confié une tâche plus complexe : au lieu de seulement s’intéresser aux seules relations entre acides aminés voisins, le réseau devait identifier les relations spatiales entre acides aminés pour des protéines de structures connues. Au final, le programme Alphafold2 et le réseau IA ont pu proposer dès 2020 la structure 3D de plusieurs protéines dont seule la séquence d’acides aminés était connue. Pour certaines de ces séquences, lorsque la structure réelle a été obtenue, il s'est avéré que la prédiction était exacte à une distance atomique près, ce qui est absolument remarquable (voir ci-dessous).

              Comparaison des structures de 2 protéines différentes
                 Structure réelle en vert, structure prédite en bleu 

Tout aussi remarquable est le développement par des chercheurs de l’université de l’État de Washington à Seattle, d’un autre logiciel, RoseTTAFold. Ce dernier, s’appuyant également sur des processus d’apprentissage et d’intelligence artificielle, permet depuis juillet 2021 de prédire la structure de protéines isolées, comme le fait Alphafold2, mais également celle de protéines associées à d’autres molécules. Cette dernière avancée est critique car la plupart des protéines interagissent, soit avec d’autres protéines, soit avec de petites molécules dont elles peuvent être le récepteur, ou qu’elles transforment dans le cas où ces protéines seraient des enzymes. Or bon nombre des protéines réceptrices ou enzymatiques sont la cible de molécules à visée thérapeutique, qui réduisent ou augmentent l’affinité de ces protéines pour les petites molécules naturelles dont elles sont le récepteur ou qu’elles transforment. Au-delà de la compréhension accrue de mécanismes fondamentaux en biologie, il est évident que la possibilité maintenant offerte par la bioinformatique de prédire très finement la structure d’une protéine en association avec sa molécule cible accélérera considérablement le développement de nouveaux médicaments. L’efficacité de ces nouvelles molécules pourrait ainsi être plus facilement et plus rapidement testée non plus chez l’animal en première intention, mais dans des modèles informatiques, par des approches dites in silico (dans le silicium, c'est à dire au moyen de l'ordinateur). On pourrait également envisager sur un plus long terme de tester, là aussi in silico, les effets potentiels de ces nouvelles molécules sur des protéines non-cibles* dans l’organisme auquel elles sont destinées. Cela permettra d’identifier les interactions - donc les effets - indésirables potentiels de ces nouveaux médicaments.

Le développement de ces nouveaux programmes constitue une véritable révolution silencieuse en biologie, qui a permis de résoudre la question du repliement des protéines, un problème vieux de plus de 60 ans. Il est à noter que ces deux programmes, comme leurs codes-sources, ont été mis gratuitement à disposition de la communauté scientifique qui peut en disposer librement.

*protéines non-cibles : protéines qui ne sont pas celles visées par les nouvelles molécules. 


Crédit illustrations :

De haut en bas :



mercredi 12 janvier 2022

LES ÉTRANGES CERTIFICATS DEMANDÉS PAR LA MAIRIE AUX PARENTS D’ÉLÈVES


En raison de l’épidémie de CoViD-19, et de l’absence d’un certain nombre des personnels municipaux, la mairie a réduit le service de restauration. Elle vient aussi de demander aux parents d’élèves qui télé-travaillent de ne pas déposer leur(s) enfant(s) au périscolaire le matin, et de venir récupérer leur progéniture juste après les cours. L’accès au périscolaire serait alors réservé aux seuls parents pouvant produire une attestation de « non recours au télétravail » de l’employeur.

Loin de moi l’idée d’attribuer à l’actuelle municipalité la situation sanitaire globale. Il faut faire juste avec. Certes, mais il faut aussi rester dans la légalité, et j’ai de gros doutes sur la façon dont la commune gère l’accès aux services périscolaires en cette période difficile. J’ai donc pris contact avec deux juristes spécialisées en droit du travail pour obtenir leurs avis éclairés sur la question. Je précise que l’une est juge dans un tribunal de commerce et l’autre préside un tribunal de prud'hommes. Je les remercie du temps qu’elles ont bien voulu consacrer à la réponse à mes questions. J’ajoute que leurs avis sont totalement concordants. Ils me conduisent à penser que la mairie outrepasse ses droits, et que ses demandes risquent fortement de mettre des parents d’élèves dans une situation compliquée.

En lien et premier point, l’employeur n’est en aucun cas tenu de délivrer une attestation de non recours au télétravail. Il n’y a pas d’obligation légale à cela. L’employeur peut le faire, comme il peut le refuser*. Soyons un peu sérieux d’ailleurs. Considérant que les dispositions actuelles imposent 3 jours de télé-travail par semaine, et considérant que certaines entreprises refusent la mise en œuvre de cette disposition à leur personnel (alors qu’elles le pourraient), comment voulez-vous qu’un employeur atteste d’un non télétravail ? Un tel document mettrait en évidence son comportement contraire aux dispositions gouvernementales. Cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied en avouant de facto ne pas respecter les directives.

Deuxième point, même si on télé-travaille, on reste à la « disposition de l’employeur » et on doit se conformer à des règles de temps de travail, avec des plages horaires précises. Pas question de sortir faire une course, son footing, ou même faire son ménage à la maison. Si on considère une journée moyenne de 7h45 de temps de travail avec une pause méridienne de 45 minutes, cela fait qu’une personne commençant à 07h30 ne finira qu’à 16h00, ou qu’une personne commençant à 09h00 ne finira qu’à 17h30. Dans un cas comme dans l’autre, il faudra pouvoir bénéficier d’un accueil au périscolaire, soit le matin, soit le soir. Étrange demande de la mairie, donc, qui me fait penser qu’un certain nombre d’élus Forgeois n’ont pas l’expérience du télétravail...

Dernier point, non juridique cette fois, la commune ne peut pas, moralement parlant, demander à ses administrés des documents que ceux-ci ne peuvent pas légalement fournir pour bénéficier d’un service communal. Je reconnais que la situation est tendue en raison de l’épidémie de CoViD et particulièrement de la vague liée au variant Omicron. Mais plutôt que de « punir » les parents, d’autres solutions à l’échelle municipales existent. Les élus peuvent prendre le relais, a minima, si ce n’est déjà fait. Il est aussi possible de demander à des Forgeoises et Forgeois de donner un coup de main, moyennant la résolution de l’importante question assurantielle. Des communes voisines le font. A titre personnel, je pourrais trouver au moins une dizaine, voire une douzaine de bénévoles qui auraient été prêts à s’investir pour cela. Problème, la plupart sont des membres d’associations très maltraitées par l’actuelle municipalité. Difficile dans ce cas de motiver ces personnes qui n’ont connu, de la part des élus actuels, que moqueries, mépris voire pour certains, propos grossiers. Il est plus que temps que les élus majoritaires de Forges considèrent les associations comme des richesses, et plus comme des centres de dépenses, ou des simili-entreprises dont la seule finalité serait de faire du profit. On a le droit de rêver, non ?


* Note ajoutée le 13 janvier :

En accord avec ce que j'écrivais, un lecteur du blog me signale avoir demandé l'attestation souhaitée par la mairie au responsable des ressources humaines de son secteur. Réponse : je ne peux pas signer des centaines d'attestation de ce type !  


Crédit illustration : 

Classe fermée en Indre-et-Loire - © Guillaume Bonnefont/IPE/MaxPPP

mercredi 5 janvier 2022

UN NOUVEAU MAUVAIS COUP
PORTÉ AUX ASSOCIATIONS FORGEOISES



Je ne vois, pour le moment, aucune raison de penser que l’actuelle municipalité ait changé quoi que ce soit à sa vision du monde associatif. Tout se passe comme si, dans le référentiel municipal local, une association serait avant tout une entreprise, un « business » censé faire du profit. Il conviendrait donc de les faire cracher au bassinet dès que possible. Démonstration avec les dernières décisions du conseil municipal de Forges.

La dernière session du conseil municipal avait à l’ordre du jour un point concernant l’utilisation des salles municipales, que la majorité locale a décidé de ne prêter aux associations que pour deux événements par an. Au delà, les associations devront louer les salles, rien de moins.

Sur le principe, il est à mon sens assez honteux de demander au monde associatif Forgeois de payer l’utilisation de salles que la plupart de leurs membres financent déjà au travers de l’imposition locale. Encore aurait-on pu discuter d’une location symbolique, mais en l’occurrence les tarifs imposés sont simplement prohibitifs. Exemples, sauf erreur de ma part, par salle : polyvalente (bas) 400 euros, Floréal 700 euros, Messidor, 950 euros et ce quelle que soit la durée ! S’ajoutent à ces montants des frais de nettoyage : 60 euros pour la polyvalente, 100 euros pour la salle Floréal et 150 euros pour Messidor. Enfin, il faut aussi prévoir une caution qui peut atteindre 1500 euros pour la salle Messidor ! Ces sommes sont, comme je le disais plus haut, prohibitives. Il faut à tout casser 45 minutes de ménage pour nettoyer la polyvalente, soit un coût de l’ordre de 25 euros au maximum, et une heure pour Floréal, soit 35 euros maximum. A raison de 700 voire 950 euros par location, je ne vois pas les « petites associations » (par le nombre d’adhérents) ou des associations à finalité sociale, pouvoir se payer ce qui va ressembler rapidement à un luxe !

Ces montants de locations sont aussi probablement attaquables car si le code général des collectivités territoriales prévoit qu’une commune puisse louer ses salles, elle doit le faire en tenant compte de critères objectifs de coût (CC, chambre civile, mai 2014). Je doute fort que louer une salle pour une journée comme pour une heure présente les mêmes coûts objectifs et je doute également fort qu’une heure de location de la salle Floréal revienne objectivement à 700 euros. Ou alors, il faut m’expliquer comment... Par ailleurs, il convient de rappeler que nombre de communes prêtent, gracieusement donc (désolé pour le pléonasme), leurs salles aux associations d’intérêt général, cet intérêt général n’ayant pas à être démontré dans le cas où celles-ci ont une visée sociale ou syndicale, par exemple.

Je le redis, toutes ces mesures délétères proviennent du fait que l’actuelle majorité communale n’a pas compris les différences entre une association loi de 1901 et une entreprise. Une association n’est pas, par définition, un business. En effet, ces associations sont par essence désintéressées ; elles ne cherchent pas à faire des bénéfices, et si le bilan de fin d’année est excédentaire, cet autofinancement reste non distribué, car réinvesti dans l’association. Enfin, une association n’a pas à viser à une autonomie financière qu’elle n’atteindrait que via ses cotisations, surtout si elle a pour objet une activité sociale, d’intérêt général. 

Engluée dans sa vison d’un entre-soi malsain, l’actuelle majorité communale ne comprend pas que les associations sont un « trait caractéristique de la modernité démocratique », comme l’indique Arnaud Trenta, dans l’éditorial de La Fonda, magazine de la Fabrique Associative dans son numéro d’octobre 2021. Ces associations « correspondent à l’engagement volontaire d’individus libres et égaux dans des groupes, plus ou moins durables, qui interviennent dans l’espace public ». Miner l’activité associative, c’est miner l’engagement, que la commune ne pourra contraindre comme elle a tenté de le faire par des mesures comminatoires. Cela conduira à la transformation progressive et inéluctable d’une commune où il existe de vraies énergies en cité dortoir... Au delà, et parce que le monde associatif est celui « d’une citoyenneté active », pour citer le même auteur, entraver l’activité associative, c’est entraver la citoyenneté. C’est à mon sens, très préoccupant, démocratiquement parlant.


Crédit illustration :

https://www.gaillard.fr/associations/



lundi 3 janvier 2022

POURQUOI l'ÉMERGENCE D'OMICRON N’EST PAS UNE SI MAUVAISE NOUVELLE ?


Le blog reprend son activité après quelques jours de congés avec un nouvel article sur le virus SARS-CoV2. Drôle de façon de commencer l’année direz-vous, pas très originale non plus. Sans doute. Néanmoins, je souhaitais apporter quelques éléments d’optimisme en regard de la pandémie et des inquiétudes que suscitent ce nouveau variant et sa dispersion massive.

Tout en restant encore prudent, il semblerait bien, comme l’indiquaient des informations préliminaires, que le variant omicron soit moins virulent que les variants précédents, tout en étant plus contagieux. Si ces propriétés du virus se confirmaient au cours du temps, celles-ci pourraient constituer des informations importantes en termes d’évolution virale. Pour comprendre ceci j’ai besoin de faire appel, avec mes excuses pour l’utilisation d’anglicismes, à 3 notions d’écologie : la fitness, le trade-off (ou compromis) et le cul-de-sac évolutif.

Avant d’expliquer ces 3 notions, il est bon de rappeler le principe général d’évolution. Chaque reproduction d’un être vivant, quel qu’il soit, s’accompagne de processus de mutations et de brassage génétique dans le cas de la reproduction sexuée. Il en résulte, dans la descendance, l’apparition de nouveaux caractères, variables d’un individu de la descendance à l’autre, dont « l’intérêt » pour l’individu dépendra des conditions environnementales. Ces conditions constituent le crible qui conduira à la sélection des individus les plus adaptés à l’environnement qui se multiplieront à leur tour (voir schéma récapitulatif ci-dessus). Ceci me permet d'aborder ici la notion de fitness, parfois appelée valeur sélective. La fitness d’un individu peut être estimée par le nombre de ses descendants, qui, parce que mieux adaptés à l’environnement, atteindront à terme la maturité sexuelle. Cette notion s’applique aussi aux organismes se reproduisant de façon non sexuée, leur fitness correspondant cette fois-ci à leur capacité à se multiplier efficacement en produisant le plus grand nombre de descendants. 

Dans le schéma que je décris ci-dessus, il apparaît que le variant omicron pourrait être bien mieux adapté que le variant delta à l’environnement actuel, puisqu’il est en train de prendre, à peu près partout dans le monde, la place de ce variant. En termes d’évolution, ce nouveau variant semble donc disposer d’une valeur adaptative supérieure à celle du variant delta. Je n’ai aucune information permettant d'expliquer cette observation. Des hypothèses peuvent cependant être émises. Cette fitness supérieure pourrait s’expliquer par des changements de conformation des protéines à la surface du virus facilitant son entrée dans les cellules, par le fait qu’il rencontre une population maintenant majoritairement vaccinée plus résistante à delta, ou par le fait qu’il résisterait mieux et plus longtemps à la dessiccation dans les gouttelettes de salive qui permet sa propagation. Cette liste de propositions est bien sûr non limitative ; bien d’autres explications sont envisageables.

Le point le plus intéressant dans cette nouvelle émergence de variant réside dans le fait qu’il semble moins virulent que les variants précédents et moins virulent que le virus d’origine. Sans que je puisse l’affirmer sur la base d’éléments scientifiques avérés, il se pourrait que cette observation relève du phénomène de trade-off (ou compromis évolutif) que j’évoquais plus tôt. Pour simplifier, ce phénomène décrit une situation dans laquelle on observe dans la descendance d’un individu la diminution voire la perte d’un caractère, que ce soit de façon qualitative ou quantitative, en échange d’un gain d’autres caractères, dont certains peuvent déterminer une fitness accrue. Notons qu’en termes d’évolution, il ne s’agit pas d’un choix d’une espèce d’un individu, mais simplement de la simple application du principe de sélection par l’environnement. Mon hypothèse, car à ce stade il ne s’agit que d’une hypothèse, est que l’accroissement du pouvoir contaminant du virus s’accompagne, dans le cadre d’un processus de compromis, de la réduction de virulence. En accord avec ce point de vue, l'objectif évolutif du virus est avant tout de se propager. Un virus hautement virulent, qui tuerait très vite son hôte, pourrait en réalité perdre sa capacité à se propager efficacement. Le virus doit donc, pour subsister, trouver un équilibre entre virulence et pouvoir de dissémination.  

Bien que nous soyons là encore dans le domaine de la spéculation, si tel était le cas, le variant omicron pourrait alors constituer, troisième notion à expliquer, un cul-de-sac évolutif. Cette notion avait été évoquée pour la reproduction par autofécondation relativement commune chez les plantes et les animaux hermaphrodites. Bien que ce processus de reproduction présente des avantages de court terme lorsqu’on le compare à la reproduction sexuée, des travaux relativement récents d’ex-collègues montpelliérains portant sur des lignées d’escargots d’eau douce hermaphrodites révèlent que ces individus réagissent moins vite à la pression de sélection que ceux qui se reproduisent par fécondation croisée. Dans le cas des variants omicron et delta, le fait que le premier nommé semble présenter une meilleure valeur adaptative pourrait conduire à la disparition du variant delta, ou de ses ascendants, bien plus pathogènes. Or, omicron possède une meilleure fitness : il sera donc plus efficace que delta en termes de contamination. Si rien ne change, le retour en arrière ne sera pas possible, d'où le cul-de-sac évolutif. L’hypothèse optimiste que l’on peut faire à ce stade est que tout nouveau variant qui présenterait une fitness accrue par rapport au variant oméga serait contraint également, par le biais du phénomène de trade-off, « d’échanger » son caractère de propagation accrue contre la perte encore plus marquée de sa virulence. Attention cependant, il ne s’agit que d’une hypothèse, et rien, absolument rien, ne permet d’affirmer que tel sera le cas. On pourrait même, hypothèse pessimiste, proposer que le prochain variant regagne une partie de sa virulence perdue. Il ne reste pas moins vrai que pour le moment, l’émergence d’omicron n’est pas une si mauvaise nouvelle...


Crédit illustration : 

Adapté de :
Hussain A., Shad Muhammad Y. Trade-off between exploration and exploitation with genetic algorithm using a novel selection operator. Complex & Intelligent Systems 6, 1–14 (2020).

dimanche 2 janvier 2022

BONNE ANNÉE !

 

Je n'ose plus souhaiter, en dépit du titre de ce court article, une bonne année à quiconque. Je me contente de souhaiter la meilleure année possible, tout en me doutant que 2022 sera encore difficile au moins dans ses premiers mois...

Pour présenter mes meilleurs et sincères vœux pour 2022, m'est revenu en mémoire un poème que j'avais appris à l'école élémentaire, voila presque 55 ans. Il a été écrit par une femme, la poétesse française des XIXe et XXe siècles, Louise-Rose-Étiennette Gérard, plus connue sous le nom de Rosemonde Gérard, dont l'œuvre a parfois été injustement moquée. Pourtant sa poésie est d'une grande sensibilité et a inspiré nombre de musiciens et d'auteurs. 

Ce poème s'intitule simplement "bonne année".

Bonne année à toutes les choses,
Au monde, à la mer, aux forêts,
Bonne année à toutes les roses,
Que l’hiver prépare en secret.

Bonne année à tous ceux qui m’aiment,
Et qui m’entendent ici-bas,
Et bonne année aussi, quand même,
A tous ceux qui ne m’aiment pas. 


Crédit illustration :

Raymond Joyeux.
https://raymondjoyeux.com/2014/12/31/bonne-annee/banniere-bonne-annee/


mercredi 22 décembre 2021

LE BLOG PREND DES CONGÉS...
ET MOI AUSSI !



En cette fin d'année, le blog prend quelques congés pour revenir plus en forme et encore plus informé à son retour...

Les articles en préparation continueront à traiter de questions de politique nationale, avec le dernier volet de l'examen du quinquennat de Monsieur Emmanuel Macron, principalement sous l'angle des mesures environnementales.

Je continuerai également à parler de politique locale. Les articles qui s’y rapportent sont clairement les plus lus du blog. Sur ce point, on me demande parfois pourquoi je critique souvent l'actuelle municipalité. Je vais être très clair. Je n'ai pas voté pour cette liste, compte tenu de l'absence notable d'une vision globale pour la commune, qu'avait révélée la campagne. Cependant,  j'avais réellement espéré qu'une fois élues, les personnes qui la composent se comporteraient « en responsabilité », permettant, par exemple le développement d'un vivre-ensemble et d'une véritable vie locale, intellectuelle, sociale et associative. J'ai eu tout faux sur ces points ou presque. Le vivre ensemble s'est transformé en entre soi et la vie associative est entravée... J'espérais aussi que ces personnes auraient à coeur de maintenir l'implication forte de la commune dans les instances intercommunales. Il faut en effet des années pour construire une bonne réputation et quelques mois seulement pour la détruire. Force est de constater qu'au niveau intercommunal, il y a eu, malheureusement, comme des faiblesses, et c'est un euphémisme ! Enfin j'espérais que l'actuelle majorité tiendrait ses engagements en matière d’équité et de vie démocratique ; là aussi, « je m'ai gouré ». Je m'en réfère pour cela à la réduction drastique de la place laissée dans le journal communal à l'expression de chaque liste municipale ou à l'absence de traitement impartial des associations. Egalement et jusqu’à présent, la consultation de la population sur des sujets sensibles est passée à la trappe. Je pense là, particulièrement, à la mascarade qu'a été la « concertation » façon « circulez, y'a rien à voir » sur le sujet des caméras de vidéosurveillance.

Parmi les prochains articles, le comportement discutable de la municipalité vis à vis des associations n'ayant pas évolué sur le fond - au contraire - il me semble toujours nécessaire de réexaminer un certain nombre des décisions communales récentes. J'attends également confirmation d'éléments suggérant un possible fonctionnement dégradé du service périscolaire*. Je dispose également de nouvelles informations sur l'utilité des caméras de vidéosurveillance que je présenterai. Enfin, un dernier article "dans les tuyaux" traitera du rôle très étrange des réseaux sociaux à Forges. Sur ce dernier point j’attends là aussi des confirmations de nouvelles informations révélant de nouveau le mépris avec lequel certaines associations sont considérées.

Enfin, je continuerai mon travail de vulgarisation scientifique. Ces articles ne sont pas forcément les plus lus, mais j’ai des retours oraux et écrits souvent très positifs. Ils me permettent aussi de faire le point sur l’épidémie de CoViD-19, de façon aussi objective que possible, en sachant que l’objectivité n’est pas un critère absolu car on « parle toujours de quelque part ». Je tente cependant de dire ce qui est connu au jour où j’écris, ce qui est sujet au doute, et ce qui est ignoré. C’est ma façon de contredire les complotistes échevelés qui pullulent dans certaines émissions de télévision, ou dans les réseaux sociaux. Deux articles sont en préparation : l’un sur des concepts écologiques qui résonnent étrangement aujourd’hui avec la situation sanitaire et celle de l’espèce humaine, et l’autre sur une révolution en biologie, permise par les progrès fantastiques de la bio-informatique couplée à l’intelligence artificielle.

En attendant je souhaite aux lectrices et lecteurs de passer de bonnes fêtes de fin d’années, et j’hésite à souhaiter à tous et toutes une bonne année 2022, même si j’espère très sincèrement que ces 12 prochains mois nous permettront de sortir de la crise sanitaire que nous traversons.

* Note ajoutée le 23/12:
Le Républicain publie ce jour un article sur la situation dégradée du périscolaire à Forges, raccord avec mon article:
https://www.le-republicain.fr/a-la-une/a-forges-les-bains-une-soixantaine-denfants-colles-comme-du-betail-pour-la-sieste
Pour ceux qui se poseraient la question, je ne suis pour rien dans la production de l'article du Républicain, n'ayant pas de contact avec la presse.


Crédit illustration :

http://gifsadoudou.centerblog.net/6557495-blog-en-pause-vacances-


lundi 20 décembre 2021

BILAN DE CINQ ANNÉES EN MACRONIE.
IV. LES SERVICES PUBLICS



Cet avant-dernier volet du bilan du quinquennat de Monsieur Emmanuel Macron traitera de la question des services publics, avec un examen plus marqué, crise sanitaire oblige, du secteur de la santé.

Dans ce domaine comme dans d’autres, autant le dire tout de suite, le quinquennat qui s’achève ne s’est pas fondamentalement distingué des précédents. Les services publics continuent d’être maltraités, avec des suppressions de moyens, autant financiers qu’humains, dans nombre de domaines. Par ailleurs, les privatisations se sont peut être quelque peu ralenties en nombre, mais elles ont concerné des secteurs de plus en plus stratégiques de l’économie française, quand elles ne se sont pas directement infiltrées au niveau des fonctions régaliennes de l’État (1).

Un des premiers secteurs affectés est sans doute celui des transports. J’ai récemment écrit sur l’ouverture au secteur privé (ou semi privé) de lignes SNCF dans la région PACA (2). Ce qui se passe en PACA résulte en grande partie de la réforme de la SNCF décidée en 2018 par l’actuelle majorité gouvernementale (3). Celle-ci se concentrait essentiellement sur le statut des cheminots et l’ouverture à la concurrence en oubliant assez systématiquement la nécessaire réflexion du financement des lignes d’intérêt local. Ainsi, les opérateurs de trains à grandes vitesse et de TER pourront décider seuls des lignes qu’ils couvrent avec le risque de supprimer les dessertes de ville de moyenne importance pas suffisamment attractive pour l’actionnaire (3). Ce serait alors à l’opérateur public de prendre le relais, comme je l’ai décrit pour ce qui se passe en région PACA (1). La SNCF a cependant besoin de présenter un budget équilibré, et en réponse à cette réforme, elle annonçait en 2019 de nouvelles fermetures sur son réseau, portant au total sur 56 lignes et 120 gares (4).

Si la presse s’est faite assez largement l’écho de cette ouverture à la concurrence, dont le dernier avatar est l’exploitation de la radiale Paris-Lyon par la société italienne Trenitalia (filiale privée mais détenue à 100% par les FS, l’équivalent de la SNCF), elle a, sauf exception, passé quasi sous silence la vente par la SNCF en 2018 de la Gare du Nord à Ceetrus, filiale du groupe Auchan (5). Il s’agissait de créer avant tout sur le site un centre commercial reléguant l’aspect transport de voyageurs au second plan. « Qu’il aille à Soissons (Aisne) ou à Bruxelles, expliquait un groupe d’architectes, d’urbanistes et d’historiens, le voyageur devra d’abord monter à 6 mètres de hauteur dans le centre commercial, tout à l’est de la gare, puis accéder aux quais par des passerelles, des escaliers et des ascenseurs. Cela veut dire : plus de distance à parcourir, des temps d’accès nettement augmentés. Indécent » (6). Presque 4 ans plus tard, le projet a du plomb dans l’aile en raison de dérapages budgétaires et de calendrier (6). L’efficacité de la privatisation, sans doute !

Autre secteur très touché : celui de l’énergie. Le projet Hercule, chez EDF, a été largement dénoncé dès son annonce, par l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, SUD) de cet établissement. Il s’agissait de facto d’un projet de démantèlement de l’opérateur EDF facilitant la privatisation d’une partie de ses activités (7). Ce projet visait à diviser EDF en 3 entités : « une entreprise publique (EDF bleu) pour les centrales nucléaires ; une autre (vert) cotée en Bourse pour la distribution d’électricité et les énergies renouvelables ; et une troisième (azur) qui coifferait les barrages hydroélectriques dont les concessions seraient remises en concurrence sous la pression de Bruxelles » (8). Le souhait était de conserver la branche nucléaire hors privatisation, car celle-ci, prise isolément, pourrait être plombée financièrement par le coût des démantèlements d’installations rendant ainsi la mariée moins attractive pour le privé. Or cette privatisation, pour le moment repoussée (8), a été très fortement soutenue par le président lui-même (9) ainsi que par le gouvernement qui souhaitait procéder à son adoption par ordonnance (7, 9). Pourtant, soyons clair, jusqu’ici l’ouverture à la concurrence dans le domaine de l’énergie électrique n’a été qu’une mascarade. L’opérateur historique est ainsi obligé de vendre depuis 2007, sans indexation sur l’inflation, donc quasi à perte maintenant, 25 % de sa production nucléaire, une proportion que le « régulateur » voudrait voir encore augmentée (10), malgré les risques pour EDF (11). Alors que la construction de ces réacteurs a été menée sur financements publics, et alors que les risques liés à leur exploitation sont pris par la seule entité EDF, et par une branche qui serait restée publique si le projet Hercule avait été mené à son terme, on vérifie donc bien, encore une fois, la règle qui préside aux transferts vers le privé d’activités publiques : « privatisation des bénéfices, mutualisation des coûts (ou des dettes) ».

En Macronie, les services publics dérangent. Rappelons qu’à l’origine de son mandat, l’actuel président des « marcheurs », M/ Stanislas Guerini, voulait supprimer 150 000 postes de fonctionnaires avant 2022 (12). Il semblerait que cet objectif soit aujourd’hui moins prioritaire, la crise sanitaire étant passée par là. Néanmoins, les objectifs d’économie sur le dos de la fonction publique sont toujours présents, et pour y travailler le gouvernement recourt aux services de groupes d’experts privés, ceux des cabinets Accenture et McKinsey (13). Ce dernier cabinet bénéficie d’ailleurs des largesses gouvernementales, puisque l’exécutif lui avait commandé pour pas moins de quatre millions d’euros de contrats sur différents sujets, dont plusieurs en lien avec la gestion de la crise sanitaire. La raison officielle serait, je cite, le fait que « la direction générale de la santé (DGS) s’est trouvée démunie en moyens humains pour gérer la crise. Le ministère a senti le besoin d’être aidé » (14). Or, si la direction de la santé manque de moyens humains, c’est précisément parce que l’on y a réduit le nombre de fonctionnaires ! Comme le constate la députée Véronique Louwagie (LR), qui s’est intéressée à cette question, la mise à disposition de personnel de ces cabinets auprès du ministère comme auprès de Santé Publique France, dans le cadre de la gestion des stocks de vaccins, a un coût non négligeable qu’elle estime à 250 000 € de contrat par semaine soit 50 000 € par jour ouvré. Pour établir un parallèle, le salaire d’un agent de catégorie A s’élève à environ 40 000 € annuels, auxquels faut ajouter les cotisations sociales pour quelques 32 000 €. En d’autres termes, en 2 jours de contrat on financerait largement le salaire annuel d’un agent de l’État, et en 10 jours ceux des 5 agents mis à disposition par le cabinet auprès mystère (14). Cette aberration pourrait ne rien devoir au hasard puisque plusieurs élus soupçonnent surtout des « liens d’intérêts » entre certains cabinets et le gouvernement, voire Emmanuel Macron lui-même (14, 15).Signalons pour l'anecdote que le cabinet Mac Kingsley est domicilié dans un paradis fiscal (13).

Je pourrais ajouter plusieurs autres exemples de privatisations en cours ou souhaitées. Une des plus intéressantes concerne la fondation Egis (filiale à 75 % de la Caisse des Dépôts et détenu à 25 % par des cadres partenaires et des salariés, et spécialisée en ingénierie environnementale) au seul bénéfice d’un fonds hautement spéculatif (16). J’évoquais aussi en début d’article les privatisations qui ont affecté certaines des fonctions régaliennes de l’État. J’ai déjà décrit le recours à la sous-traitance privée dans le cadre des missions des armées (1). Je pourrais ajouter, toujours dans le domaine régalien, la privatisation en cours à la banque de France. Cette dernière s’apprête à fermer 13 caisses régionales et à supprimer plus de 130 emplois en lien avec l’abandon de sa mission de destruction des billets usagés qu’elle envisage de confier à des banques privées. L’institution prévoit en plus de les payer chaque année pour assurer cette tâche (17). Enfin, je peux rappeler le récent fiasco de la distribution des documents électoraux aux citoyens pour les élections régionales et départementales : dans de nombreuses communes, les documents de présentation électorale des candidats n’ont pas été distribués aux électeurs (18). Pour tenter de rattraper le coup, on a dû avoir recours dans certaines régions au service départemental d’incendie de secours, qui a peut-être mieux à faire que de pallier les déficiences d’une entreprise privée, remplissant, très curieusement, les missions qui relèvent du domaine régalien de l’État (19). Pour mémoire, cette entreprise bénéficie d’un contrat de 200 millions d’euros pour remplir la tâche que l’État a décidé de ne plus effectuer (20). Cet abandon des missions régaliennes est particulièrement inquiétant dans la mesure où, comme on l’a vu dans le cas des élections locales, le moindre dysfonctionnement peut avoir des conséquences majeures. Il est également particulièrement inquiétant parce qu’il crédibilise le rôle de l’État et questionne, in fine, la notion même d’État.

Last but not least, on ne peut terminer ce tour d’horizon des services publics sans parler du service public de santé. Cela avait mal commencé avec un budget 2018 destiné à réaliser 1,6 milliards d’euros d’économie, dont quasiment 1 milliard sur le dos des établissements de santé (21). Des fermetures ont été particulièrement visibles dans le cas des maternités, regroupées à marche forcée au motif que les petits établissements ne seraient pas sûrs, avec paradoxalement des risques accrus pour la mère et l’enfant dès lors que l’on se trouve en zone blanche. Pour Madame Évelyne Combier, chercheuse au CHU de Dijon, qui évalue un risque plus élevé au delà de 45 minutes de trajet entre domicile et maternité « Ne pas pouvoir accoucher en maternité multiplie le risque de mortalité par 6,5 [...] Pour le bébé, il est multiplié par 3,5 » (22). Avec 3 fois moins d’établissements en 2016 par rapport à 1975 (1369 en 1975, 498 en 2016), cette diminution s’est accompagnée de fermetures de lits sans rapport avec la baisse de la natalité. Comme le dit une sage-femme de ma connaissance  « On ne fait en réalité qu’expédier les mères le plus vite possible chez elles ». Entre 1990 et 2020, la durée du séjour en maternité à été globalement divisé par 2. La cure d’austérité pour l’hôpital public s’est poursuivie en 2019 et 2020 (23). Devant la crise des urgences, la fatigue des personnels hospitaliers, le gouvernement a vite communiqué sur une hausse des budgets de 1,5 milliards sur 3 ans mais c’est un trompe l’œil, car il s'agit de sommes cumulées. L'argent nouveau mis dans le système n'est que de 700 millions sur 3 ans, soit moins de 250 millions chaque année en moyenne (24). Devant l’indigence des soutiens d’Etat, certains hôpitaux ont donc lancé un appel aux dons sur les réseaux sociaux (25). Quant au « Ségur de la santé », on est là, en partie, dans de la « com ». L’effort historique vanté par le Premier Ministre, M. Jean Castex, est également en partie un autre trompe-l’œil. Malgré la reprise de la dette des hôpitaux par l'État, un minimum quand on sait que ce sont les gouvernements successifs qui ont creusé le trou, les revalorisations des salaires ont été limitées à 60% des montants demandés, et obtenues en échange d’une flexibilité accrue (26). En dépit de la promesse d’embauche de 15 000 personnes vantée par l’exécutif, seuls 7 500 postes sont des postes nouvellement créés, les 7 500 autres sont des postes déjà ouverts et non pourvus. Enfin, le « Ségur de la santé » ne prévoit aucune création de nouveaux lits en hôpital. Le manque de lits a pourtant été pointé du doigt à l’occasion de la crise du CoViD-19. Le Ségur maintient aussi la « tarification à l’activité » favorisant une logique de rentabilité avant une logique de soins (26). Malgré un objectif de dépense d’assurance maladie (ONDAM) en hausse, en grande partie - il faut le reconnaître - lié aux objectifs d’accroissements des salaires des personnels, le budget 2021 prévoit un « nouveau tour de vis » avec 900 millions d’économie sur le dos de l’hôpital. Pour arriver à ce chiffre, il faut retrancher de l’ONDAM les coûts liés aux accords et à la CoViD-19. « En excluant ces deux catégories, l'objectif de dépenses tombe à 86 milliards d'euros. Soit une hausse de 2,1 milliards par rapport à 2020. Ce surcroît est à comparer à la hausse tendancielle de ces charges, qui se produirait en 2021 sans mesures d'économies : le texte indique qu'elles progresseraient de 3,6%, soit 3 milliards d'euros. Résultat : 900 millions d'écart, qui seront autant d'économies à réaliser l'an prochain pour les établissements de santé » (27). Corollaire, les fermetures de lits vont se poursuivre comme ceci est le cas à Nantes (28) ou à Nice. Dans cette dernière ville, c’est un service d’urgence gériatrique qui a dû être transféré vers le CHU. Sauf qu’avant la crise, le CHU avait dû renoncer à ouvrir 6 lits supplémentaires, faute de personnel (29) ! Au total, le quinquennat Macron aura vu la fermeture de plus de 17 000 lits ! On voudrait casser l'hôpital que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Impossible pour moi de ne pas vous parler également, dans le domaine santé, du faible effort de recherche consenti en France, non seulement de façon générale (30) mais aussi spécifiquement en regard du virus SARS-CoV2 et de la CoViD 19. Alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni, pays comparables au nôtre, ont investi environ 1 500 et 1 300 millions d’euros dans cette recherche, respectivement, la France a injecté 500 millions seulement, soit 3 fois moins, dans un écosystème déjà en difficulté (31).

J’ai volontairement évité de parler, dans la section traitant de la santé, des errements (pour rester politiquement correct) des gouvernements sur les stratégies développées vis à vis des masques, vaccins, du confinement, des personnes à risques, du rôle de l’école, etc. Ce sont d’autres sujets qui mériteraient débat sans aucun doute. Je me suis concentré sur le sort réservé aux services publics en France, pour monter comment leur recul, leur dégradation constante, se poursuit. En conséquence, j’estime que ceci ne peut qu’être le résultat d’une volonté politique, dont un des objectifs serait d’autoriser le transfert de biens publics vers des intérêts privés, sans amélioration du service rendu. Si l’actuel président devait être réélu, il n’y a aucune raison de penser que cette stratégie change. Au contraire.


Références :

1. Le lent abandon des missions régaliennes de l'Etat.
Ce blog :
2. Le rail en PACA : une privatisation très politique.
3. Martine Orange. Loi sur la SNCF: une entreprise de démolition. Mediapart. Juin 2018.

4. Anonyme. SNCF : quelles sont les lignes menacées ? FranceInfo. Mars 2019.
Consultable en ligne :
https://urlz.fr/h0PY

5. Martine Orange. Première privatisation à la SNCF: la gare du Nord. Mediapart. Juillet 2018

6. Damien Dole. Le projet de rénovation de la Gare du Nord sur la voie de garage. Libération. Septembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/economie/transports/le-projet-de-renovation-de-la-gare-du-nord-sur-la-voie-de-garage-20210921_ULZOXFVQFJHF3BMAPSCKD6MMQ4

7. Martine Orange. Démantèlement d’EDF: le saccage d’un bien commun essentiel. Mediapart. Décembre 2020.

8. Erwan Benezet. EDF : cinq minutes pour comprendre la fin du projet de réforme Hercule. Juillet 2021.
Consultable en ligne :
https://www.leparisien.fr/economie/edf-cinq-minutes-pour-comprendre-la-fin-du-projet-de-reforme-hercule-29-07-2021-KGI4AYWGSVDWTPAEFZ3BKCYQDI.php 

9. Martine Orange. Démantèlement d’EDF : au bon plaisir d’Emmanuel Macron. Mediapart. Juin 2021.

10. Jean-Michel Bezat. EDF est contrainte de vendre moins cher son électricité à ses concurrents. Le monde. Juin 2007.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2007/06/29/edf-est-contrainte-de-vendre-moins-cher-son-electricite-a-ses-concurrents_929574_3234.html

11. Muriel Motte. Paul Marty (Moody’s): « Obliger EDF à vendre à ses concurrents à 42 euros le MWh risque de peser sur sa rentabilité ». L’Opinion. Novembre 2016.
Consultable en ligne :
https://www.lopinion.fr/economie/paul-marty-moodys-obliger-edf-a-vendre-a-ses-concurrents-a-42-euros-le-mwh-risque-de-peser-sur-sa-rentabilite

12. Anonyme. Fonction publique: 120.000 postes en moins est un objectif « tenable », selon Guerini. Public Sénat. Mars 2019.
Consultable en ligne :
https://www.publicsenat.fr/article/politique/fonction-publique-120000-postes-en-moins-est-un-objectif-tenable-selon-guerini?amp

13. Romaric Godin, Antton Rouget. Accenture et McKinsey embauchés par l’Etat pour faire un milliard d’économies. Medipart. Février 2021.

14. Pierre Maurer. McKinsey, Citwell, Accenture… Ce que l’on sait des commandes passées par le gouvernement à des cabinets de conseil. Public Sénat. Mars 2021.
Consultable en ligne :
https://www.publicsenat.fr/article/politique/mckinsey-citwell-accenture-ce-que-l-on-sait-des-commandes-passees-par-le

15. François Krug. McKinsey, un cabinet dans les pas d’Emmanuel Macron. Février 2021.

16. Laurent Mauduit. Egis: une privatisation sans précédent au profit d’un fonds spéculatif. Mediapart. Mai 2021.

17. Martine Orange. Banque de France: un plan social pour privatiser la gestion de la monnaie usagée. Mediapart. Mai 2021.

18. Anaïs Condomines, Emma Donada. Régionales 2021 : quelle est l’ampleur du dysfonctionnement dans les livraisons des professions de foi par Adrexo ? Libération. Juin 2021.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/checknews/regionales-2021-quelle-est-lampleur-du-dysfonctionnement-dans-les-livraisons-des-professions-de-foi-par-adrexo-20210621_UCVFQG2G7ZAZTGNCMU6S33G534/

19. Vincent Ballester. Haut-Rhin : appel aux pompiers pour remplir les enveloppes des élections, « c'est hallucinant ». France3 Grand Est. Juin2021.
Consultable en ligne :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/haut-rhin/colmar/haut-rhin-appel-aux-pompiers-pour-remplir-les-enveloppes-des-elections-c-est-hallucinant-2154586.html

20. Martin Terrien. « Vous saviez que le fiasco était à venir » : Adrexo ciblé par les députés pour les couacs dans la distribution des plis électoraux. Le Monde. Juin 2021.
Consultable en ligne :
https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/06/30/vous-saviez-que-le-fiasco-etait-a-venir-adrexo-ciblee-par-les-deputes-pour-les-couacs-dans-la-distribution-des-plis-electoraux_6086331_823448.html

21. Laurent Fargues. Malgré les promesses de Macron, l'hôpital fera bien près d'un milliard d'économies. Challenges. Mai 2018.
Consultable en ligne :
https://www.challenges.fr/economie/malgre-les-promesses-d-emmanuel-macron-l-hopital-fera-bien-pres-d-un-millard-d-economies-en-2018_584177

22. Céline Hussonnois-Alaya. Fermetures de maternités: quand les femmes accouchent seules.
BFM TV. Novembre 2019.
Consultable en ligne :
https://www.bfmtv.com/sante/fermetures-de-maternites-quand-les-femmes-accouchent-seules_AN-201911040042.html

23. Romaric Godin. Sécurité sociale: l’austérité se poursuit dans la santé. Mediapart. Septembre 2019.

24. Romaric Godin. La charité pour l’hôpital. Mediapart. Novembre 2019.

25. Maeliss Innocenti. Coronavirus : les Hôpitaux de Paris lancent un appel aux dons sur Facebook. RTL. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/coronavirus-les-hopitaux-de-paris-lancent-un-appel-aux-dons-sur-facebook-7800281562

26. Caroline Coq-Chodorge. Ségur de la santé: un petit accord sur les salaires contre une plus grande flexibilité. Mediapart. Juillet 2020.

27. Sébastien Grob. Hôpital : après le Ségur, le gouvernement prévoit un nouveau tour de vis budgétaire. Octobre 2020.
Consultable en ligne :
https://www.marianne.net/societe/sante/hopital-apres-le-segur-le-gouvernement-prevoit-un-nouveau-tour-de-vis-budgetaire

28 Hugo Bossard. Nantes. Nouvelle mobilisation contre le projet de futur CHU sur l’Île Beaulieu. Ouest-France. Mars 2021.
Consultable en ligne :
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-nouvelle-mobilisation-contre-le-projet-de-futur-chu-sur-l-ile-beaulieu-0d6dd8ce-85b1-11eb-9a14-aaaf3655ac04

29. Laure Bruyas. En pleine crise Covid-19, un service de réanimation va fermer à Nice. Nice-Matin. Mars 2021.

30. Les naufrageurs.
Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/11/les-naufrageurs.html

31. Anonyme. Le financement de la recherche publique dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Cour des comptes. Juillet 2021.
Consultable en ligne :
https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-financement-de-la-recherche-publique-dans-la-lutte-contre-la-pandemie-de-covid-19


Crédit illustration :


Dessin de Mykolas
L'actu de Mykolas 
Avril 2019



lundi 13 décembre 2021

VARIANT OMICRON :
PLUS D’INCERTITUDES QUE DE CERTITUDES



A moins d’être privé de radio, télévision, et de lecture de la presse, il est difficile d’avoir échappé aux annonces de l’émergence d’un nouveau variant du virus SARS-CoV2, le variant omicron. Cette émergence inquiète, à juste titre, et il m’a donc semblé important de faire le point sur les dernières données scientifiques le concernant. Pour cela, j’ai criblé ce jour la presse scientifique via le site bibliographique PubMed.

Omicron est un nouveau variant du virus SARS-CoV2, apparu en Afrique du Sud en novembre 2021 et présent dans (au moins) 57 pays (1). Ce variant est caractérisé par l’existence d’une cinquantaine de mutations de toutes sortes, dont 30 induisent des changements de séquence de la protéine dite Spike (1,2). Cette protéine, située à l’extérieure de la particule virale, permet son entrée dans les cellules humaines. Elle est également la cible de la grande majorité des vaccins utilisés dans le monde en prévention de développement de formes graves de la COViD19.

Trois questions importantes en termes de santé publique se posent : Omicron est-il plus contaminant que l’actuel variant delta ? Omicron risque-t-il d’échapper à la stratégie vaccinale en place ? Et Omicron induit-il des formes plus graves de la maladie ? La réponse à la première question est « possiblement ». Ainsi, au Royaume Uni, la fréquence de « détection » d’Omicron dans les tests PCR augmente rapidement (2). De même, ce variant est de plus en plus souvent détecté dans les événements de contamination de groupe. À Oslo, 19 des 120 personnes contaminées lors d’une fête étaient positives à Omicron, et au Danemark, ce sont 53 des 150 élèves d’un collège qui ont participé à un événement collectif qui ont été testés positifs à Omicron. Comme le dit le Dr. Kristian Andersen, chercheur en maladies infectieuses à Scripps Research « tout cela ne prouve pas [formellement] qu’il est plus transmissible [...] mais puisque Omicron est globalement rare, le fait de le trouver associé à des événements super-contaminants est réellement inquiétant » (2). Cet avis est confirmé par les observations faites aux Royaume-Uni où il apparaît que ce variant se propage plus vite que n’importe quel autre variant connu. Le secrétaire d’État à la santé, M. Sajid Javid, disait d’ailleurs : « nous estimons que le « temps de doublement » de sa détection est de l’ordre de deux jours et demi à trois jours, ce qui signifie qu’à ce rythme, nous pourrions avoir à la fin du mois [de décembre] un million d’infections dans la population du Royaume Uni » (1). Cet avis est cohérent avec les modélisations 3D des protéines et les calculs fait par une approche de type « intelligence artificielle » par un groupe de recherche basé au Michigan, qui suggèrent que le nouveau variant pourrait être jusqu’à 10 fois plus contaminant que le SARS-CoV2 d’origine et 2 fois plus que le variant Delta (3). Ce travail doit cependant être relu par un comité de lecture scientifique et confirmé par d'autres chercheurs. Sur cette question, nous en sommes donc encore à des travaux préliminaires nécessitant validation.

La question principale à ce jour est donc : quels sont les risques d’échappement de ce variant en regard de la stratégie vaccinale en place ? Une première micro-étude portant sur 12 personnes en Afrique du Sud avait montré que l’efficacité du vaccin Pfizer-BioNTech pourrait être réduite, avec un niveau de neutralisation du virus par les anticorps environ 40 fois inférieur à ce qu’il est avec le variant Delta (1). Les travaux du laboratoire Pfizer vont d’ailleurs dans le même sens en révélant une perte d’efficacité de neutralisation de 25 fois environ. Attention toutefois, ces chiffres qui paraissent élevés pour un non-spécialiste ne signifient en aucun cas que la protection vaccinale s’effondrera. Ils disent simplement que l’affinité des anticorps générés par la vaccination est 25 à 40 fois plus faible pour le variant Omicron qu'elle ne l'est pour Delta (3). Une étude très récente confirme l’efficacité de neutralisation réduite des anticorps issus de sérums par rapport au variant delta, de 8 fois et demi environ (4). Mais comme l’organisme produit des « montagnes » d’anticorps, cette réduction d’affinité pourrait se traduire in fine par une faible perte d’efficacité vaccinale. D’autant que la neutralisation du virus s’effectue dans notre organisme par deux voies, la voie humorale (ou circulante), largement dépendante des anticorps produits par les lymphocytes B, et une voie cellulaire mettant en jeu un nombre de réactions complexes et d’interactions entre différents types de lymphocytes. Cette voie, aussi stimulée par la vaccination, jouerait de plus un rôle majeur dans la réponse à l’agression du coronavirus, et donc dans la sévérité des symptômes observés dans le cas de la CoViD19 (5). Cette réduction de l’efficacité des anticorps a été confirmée dans l’étude des chercheurs américains du Michigan, déjà citée, qui suggère que les vaccins pourraient être 2 fois moins efficaces vis à vis du nouveau variant, par rapport au variant Delta. L’inquiétude porte donc sur une perte d’efficacité des vaccins qui activent les deux voies de l’immunité mais aussi sur la perte d’efficacité des traitements anti-CoViD19, à base d’anticorps (3). Quelle est la gravité de la question ? Comme le dit le Dr. Justin Lessler, épidémiologiste à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill « l’importance du problème ne dépendra que de savoir si les vaccinations et les infections passées protégeront des formes graves de la maladie ». A ce stade, donc pas de certitude.

Reste effectivement la question de la gravité des infections à variant Omicron. Là aussi pas de certitude mais des indications peut-être plus rassurantes. Ainsi, le taux d’occupation des lits en soins intensifs entre le 14 novembre et le 4 décembre 2021 en Afrique du Sud, pays fortement touché par le variant, ressort à 6,3%, ce que l’organisation mondiale de la santé décrit comme un taux « très bas » comparé à ce qu’il était à la même période l’année passée, alors que le pays était en plein pic du variant Delta (1). Dans ce pays on observe, semble-t-il, plus de formes modérées que précédemment, même si, comme le disent les médecins hospitaliers « notre hypothèse de travail reste que les syndromes associés à ce variant sont les mêmes que ceux associés aux autres variant ». Sage précaution, car même si il se confirmait que le variant était moins virulent, le fait qu’il soit plus contaminant, et que plus de personnes soient malades, pourrait quand même conduire à une saturation des services de santé, en particulier en réanimation. Comme le dit le Dr. Mads Albertsen de l’Université d’Aalborg au Danemark, « un faible pourcentage d'un grand nombre reste un grand nombre » (2).

Au delà de cet examen des dernières données de la littérature scientifique, l’émergence de ce nouveau variant remet elle en cause la stratégie vaccinale ? Certainement pas, mais il s’agit là d’un avis personnel fondé néanmoins sur le fait que même réduite, toute protection vaccinale contre la maladie est « bonne à prendre ». De plus, la technologie ARN messager permet d’envisager le développement de vaccins adaptés au nouveau variant dans des délais très raisonnables (une centaine de jours avant essais), et possiblement de multi-vaccins dirigées contre les différents variants viraux, à l’image de ce qui se fait pour la vaccination anti-grippale. Plusieurs entreprises ont d'ailleurs déjà commencé à développer ces vaccins (6). Néanmoins, et il s'agit là toujours d'un avis personnel, la vaccination, si elle nécessaire, n'est pas suffisante à ce stade pour contrôler la pandémie. 

Enfin, et j’y reviendrai dans un autre article, il n’est pas impossible que ce dernier avatar du coronavirus SARS-CoV2 soit un cul de sac évolutif. J’aborderai cette notion et d’autres, si j’en ai le temps, dans un prochain article. Comme je le disais en introduction, aujourd'hui nous avons plus de questions, d’incertitudes, que de certitudes. Raison de plus pour continuer - sans paniquer - à appliquer les gestes simples tels que port du masque dans les rassemblements et endroits clos recevant du public, ventilation des locaux et lavage des mains réguliers.


Références :

1. Elisabeth Mahase. Covid-19: Do vaccines work against omicron—and other questions answered. The British Medical Journal, 10 décembre 2021.
Consultable en ligne :
doi: https://doi.org/10.1136/bmj.n3062

2. Kai Kupferschmidt, Gretchen Vogel. How bad is Omicron? Some clues are emerging, and they’re not encouraging. Science, 7 décembre 2021.
Consultable en ligne :
doi: 10.1126/science.acx9782

3. Jiahui Chen et coll. Omicron (B.1.1.529): Infectivity, vaccine breakthrough, and antibody resistance. ArXiv. Preprint, 1er décembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8647651/

4. Li Zhang et call. The significant immune escape of pseudotyped SARS-CoV-2 variant Omicron. Emerging Microbes & Infections, 10 décembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/22221751.2021.2017757

5. Carolyn R. Moderbacher et coll. Antigen-specific adaptive immunity to SARS-CoV-2 in acute COVID-19 and associations with age and disease severity. Cell, 12 novembre 2020.
Consultable en ligne :
https://urlz.fr/gYnN

6. Elie Dolgin. Omicron is supercharging the COVID vaccine booster debate. Nature, 2 décembre 2021.
Consultable en ligne :
https://www.nature.com/articles/d41586-021-03592-2


Crédit illustration :

Ana Kova.
Nature. Référence 6, ci-dessus.


samedi 11 décembre 2021

SI VOUS PENSEZ QUE L’ÉDUCATION COÛTE TROP CHER, ESSAYEZ L’IGNORANCE !

Cette phrase, attribuée au président américain Abraham Lincoln, résonne curieusement dans notre commune. Explications.

« Ça chauffe » quelque peu à l’école maternelle de Forges Les Bains ! Une animatrice en charge de la surveillance des petiots durant leur sieste de l’après midi vient et effet de rejoindre un autre service du périscolaire. Depuis la rentrée de la Toussaint, les enseignantes sont donc seules face aux enfants après leur repas, ce qui ne leur permet pas d’assurer un service satisfaisant. Impossible, par exemple, de sortir s’occuper d’un petit pendant que les autres dorment.

La municipalité, interrogée par les enseignantes durant un conseil d’école, indique après quelques tergiversations, qu’effectivement cette personne n’assurera plus ce service à la maternelle. Cette même municipalité ne souhaite en effet ni embaucher une nouvelle personne, ni payer d’heures supplémentaires à un des personnels municipaux pour assurer le suivi de la sieste des enfants. Devant le tollé suscité chez les enseignantes, la municipalité a fait partiellement marche arrière et a décidé d’affecter quelqu’un à cette surveillance, mais uniquement jusqu’aux congés de Noël.

Inutile de dire que les deux associations de parents d’élèves, prévenues de la situation, sont très mécontentes de cette décision. L'une estime néfaste le regroupement contraint des enfants dans un seul dortoir, pour des raisons de sécurité, l'autre dit que la situation est difficile pour les enseignantes et problématique pour le repos des enfants, et regrette une ingérence de la commune dans certains choix pédagogiques, hors du ressort de la mairie. De plus, la « concertation » avec la dite mairie n’a pas été, disons... fluide et transparente ! Ainsi la municipalité a récemment proposé aux parents - dont nombre travaillent - une réunion en semaine à... 14H00, avec les enseignantes d'ailleurs, qui ne pourront donc y participer à moins d'être remplacées ! Par ailleurs, ces enseignantes sont aussi très remontées, considérant que la mairie rejette sur elles le problème, en arguant de leur mauvaise organisation. Je ne peux que rappeler que cette même mairie parlait de preneur d'otages au sujet des enseignantes considérées comme personnes fragiles, et donc placées en arrêt de travail (1).

De mon côté, je me suis renseigné sur les besoins réels de la maternelle. Ceux-ci s’élèvent à environ 1 personne pendant 1h30 par jour. Sur 4 jours de surveillance par semaine, cela fait 6 heures hebdomadaires, sur 4 semaines et demi par mois, cela correspond grosso modo à 26 heures mensuelles. Si je compte un coût horaire de l’ordre de 20 euros, incluant les cotisations sociales, le coût de ces heures de travail manquantes ressort à environ 550 euros mensuels. Et même si cela se trouvait imputé comme « heures supplémentaires » pour un des personnels municipaux, on tournerait à moins de 650 euros/mois. Comme je compte environ 8 mois d’activité scolaire, le coût annuel pour le budget communal serait de l’ordre de 5500 euros. Or le discours de la mairie est que l’école serait largement dotée en ATSEM et personnel périscolaire, mais cette conviction a été infirmée, vite fait bien fait, par le représentant du rectorat. Forges est « dans la moyenne » sans plus ! Autre volet du discours local, cela serait trop cher ! Comment, dans ce cas, ne pas rappeler que cette même municipalité s’apprête à dépenser 150 000 euros sur 3 ans pour des caméras de sécurité, dont l’efficacité reste à très largement à démontrer. Un rapide calcul montre que ces 150 000 euros représentent, grosso modo, presque 30 ans de salaire du personnel à remplacer... Peut être, la mairie envisage-t-elle de placer une caméra dans le dortoir. On saurait ensuite qui n'a pas dormi et qui n'a pas été sage avec ses petits camarades !

Plus sérieusement, j'admets que le titre de l’article est un peu caricatural. Certes. Ceci dit, entre une dépense inutile, principalement motivée par une idéologie sécuritaire, et une dépense utile aux enfants et aux enseignantes, gage d’un repos, donc d’un apprentissage de qualité, on voit bien où se porte le choix et la priorité de l’actuelle municipale ! C'est, à mon sens, à la fois lamentable et très significatif !


Note ajoutée le 23/12:
Le Républicain publie ce jour un article sur la situation dégradée du périscolaire à Forges, raccord avec mon article:
Pour ceux qui se poseraient la question, je ne suis pour rien dans la production de l'article du Républicain, n'ayant pas de contact avec la presse.


Référence :

1. Un professeur malade (ou gréviste) n’est pas un preneur d’otages !

vendredi 10 décembre 2021

LE WOKISME ET L'ÉMERGENCE
D'UN NOUVEL ORDRE INTELLECTUEL



Je publie ici une nouvelle note du collectif de scientifiques RogueESR. Cet article, assez complexe, traite de la façon dont le sens des mots peut être dévoyé à des fins politiques, en se focalisant sur le mot « woke », récemment apparu dans les débats. Même si je ne suis pas d'accord avec toute l'analyse du collectif, en particulier sur la non-prise en compte dans celle-ci de certaines des dérives observées aux Etats-Unis, plusieurs éléments présentés sont intéressants, surtout en regard des processus de brouillage des idées et concepts et des critiques faites par certains au « wokisme ». Le texte de RogueESR est en italiques et mes ajouts ou retraits en caractères droits ou entre crochets, respectivement.

La période récente a vu se multiplier les procédés d’implosion du langage destinés à créer un brouillard de confusion et de désillusion. Le procédé le plus simple consiste à substituer au sens propre des mots, le sens de leur antonyme*. [...] La mise en circulation de catégories creuses, de concepts mal posés et de faux problèmes fait également partie de cette stratégie du brouillard discursif. Ainsi, la propulsion dans la sphère médiatique du mot « wokisme », quelques mois après l’apparition d’autres chiffons rouges comme « cancel culture » ou « islamo-gauchisme » participe de ce brouillage qui pollue l’analyse de la situation réelle de l’Université et de la science, et de notre société en général[...]. Dans l’agitation du « wokisme », surtout quand le terme n'est pas bien défini, le réel ne joue aucun rôle : seul compte le fantasme politique que l’étiquette « woke » permet [...] d’éveiller.

Woke est le prétérit du verbe wake (« veiller », plutôt que « se réveiller », comme on peut le lire parfois, même si cet emploi existe aussi) : être woke, c’est donc littéralement « rester vigilant, ne pas s’endormir », sans référence particulière à un quelconque « éveil » des consciences. Le dictionnaire Merriam-Webster date le premier emploi de be woke au sens de « être préoccupé des injustices et des discriminations » de 1972 [...] mais wokeness, nom anglais du « wokisme », n’est employé qu’à partir de 2014, exclusivement à des fins dépréciatives, notamment de la part d’auteurs appartenant au milieu [...] qui a porté M. Trump au pouvoir en 2016.

Le « wokisme » est un terme épouvantail qui stigmatise, parce qu’il les amalgame, des courants politiques qui défendent des idéaux démocratiques et les trois valeurs fondatrices de la République française : liberté, égalité, fraternité. [...] Ainsi, le mouvement « Black Live Matters » est-il considéré par certains comme un des avatars du «  wokisme ». Sans nier l'existence de dérives au sein de courants politiques extrêmes, habituellement situés dans l'extrême-gauche nord-américaine, un des intérêts du mot « wokisme » est de nous renseigner sur ceux qui en font usage. Le parcours sinueux de woke comme sa synonymie d’usage avec « islamo-gauchisme » signent sa filiation intellectuelle. Dernier arrivé en date dans le vocabulaire caractérisant les milieux conservateurs états-uniens et de leurs copies européennes oeuvrant contre le supposé « marxisme culturel », il en diffère sur un point important : là où les précédents dénonciateurs du « marxisme culturel » ne faisaient pas mystère de leurs convictions politiques, religieuses, autoritaires, la lutte contre le supposé « wokisme » se prévaut de la « rationalité », du « progressisme » voire, comble du retournement, de la « liberté académique ».

Pour comprendre quel milieu a produit la chimère du « wokisme », il convient en effet de remonter aux origines de la refondation idéologique des mouvements conservateurs au début des années 1970. A cette époque, les milieux conservateurs nord-américains ont progressivement mis en avant une menace supplétive au communisme soviétique, un ennemi intérieur idéologique contre lequel une guerre institutionnelle devait être menée : le « marxisme culturel ». En substance, il convenait d’agiter le fantasme d’un marxisme omniprésent sur les campus américains, et sous l’influence de l’École de Francfort. Ce supposé mouvement homogène fut accusé de subvertir la jeunesse par la promotion de l’égalitarisme, du féminisme, du « multiculturalisme », de la liberté sexuelle et de l’écologie. 

Les concepts élaborés à cette époque ont été remis au goût du jour dans les années 2010 par la nouvelle droite nord-américaine et l’extrême-droite européenne. On en trouve trace dans le manifeste publié par Anders Behring Breivik, meurtrier de 77 personnes à Oslo et à Utøya en juillet 2011. En 2017, le conseiller de Donald Trump Steve Bannon a repris à son compte la croisade contre le « marxisme culturel » lors d’un festival suprémaciste organisé à Berkeley sous le titre « Free Speech Week ». L’année suivante, ces termes étaient repris par l’entourage de M. Bolsonaro. Ils figurent encore dans le manifeste du terroriste d’extrême-droite Brenton Tarrant, meurtrier de 51 personnes de confession musulmane à Christchurch en mars 2019.

Cette émergence de nouveaux vocables au sens altéré, voire antinomique de leur sens d'origine, s'est produite presque en même temps que se développaient à la fois les réseaux sociaux et les émissions de télévision ou de radio que l'on peinera à qualifier de débats.  On y argumente en effet en tous sens au nom d’un « marché des idées » pouvant se passer des processus de régulation [...], de la nécessité de faire preuve, de la disputatio (c'est à dire de réfutations argumentées) entre pairs. Ainsi, la dénonciation fantasmatique du « wokisme », au travers de tribunes, d’interviews, de billets de blog, de faux colloques mêlant confusément usurpateurs, universitaires, polémistes, managers de la science et bureaucrates, en rupture avec toute forme d’éthique pour certains, se rattache souvent à une mouvance dite « libertarienne », indépendamment des étiquettes sociales ou humanistes arborées. [...]

La croisade de la mouvance libertarienne contre la liberté académique - et possiblement contre la liberté tout court, aussi paradoxal que cela puisse paraître -  s’accompagne de la promotion active d’une vision réduisant la science à la technologie, la recherche scientifique à l’élaboration de solutions. Ces mêmes processus d'asservissement et de falsification conduisent aussi aux remplacement de figures intellectuelles [...] par d’utiles bateleurs et autres communicants. Ainsi des milliardaires « libertariens » (Peter Thiel, Jeffrey Epstein, Robert Mercer ou les frères Koch) investissent-ils massivement pour constituer des réseaux de promotion de leurs idées. [...] La nouvelle droite française, omniprésente sur la scène politique et médiatique, s’est constituée très rapidement sur ce modèle états-unien et anglo saxon, dont elle reprend les stratégies et les discours : CNews (groupe Bolloré) est un clone de Fox News, Le Point répète les obsessions de Quillette [note : revue libertarienne australienne] et en traduit les « meilleurs » textes, l’Institut Sapiens, dont l’un des fondateurs est Laurent Alexandre, reprend le principe libertarien des faux laboratoires de recherche, tandis que la « maison de la science et des médias » prévue par la Loi de Programmation pour la Recherche (LPR) duplique le Science Media Center, une officine de désinformation et de réinformation scientifique du Royaume-Uni. [...] 

Certains secteurs technicistes et autoritaires du « mouvement libertarien » ne se contentent plus de vouloir mettre le monde académique, déjà usé par la bureaucratisation, la précarisation et la paupérisation, à genoux : en s’adonnant temporairement à des menées intimidatrices, ils préparent des purges qui s'étendront hors de l'université et du monde de ceux qu'il est convenu d'appeler les intellectuels. L’un des hommes d’affaires libertariens, M. Goodrich, théorisait déjà il y a cinquante ans : « les libertés académiques sont en réalité un déni de liberté. » L’un de ses think tanks, Liberty Found, propose au format numérique une bibliothèque des écrits libertariens, avec cette philosophie : « il n’y a aucune raison qu’une bibliothèque universitaire contienne plus de 5 000 ouvrages, pourvu que ce soit les bons ouvrages ». C’est à cette aune qu’il faut mesurer l’invocation incessante à la liberté d’expression [...] chez certains des pourfendeurs du supposé « wokisme ». Le droit au débat qu’ils revendiquent est extérieur à l’Université, à la science et aux exigences d’une parole [...] contradictoire. Leur liberté s’identifie en réalité à la censure que les libertariens sont si prompts à déceler chez leurs adversaires.[...]

In fine, nous reconnaissons dans cette pratique du détournement du sens des mots une arme de perversion de la controverse intellectuelle. Cette prétendue exigence de rationalité et de liberté obéit de fait à un agenda quasiment maccarthyste, visant à annuler ce qu’il reste de l’autonomie du monde de la recherche, particulièrement en sciences sociales et humaines, et, bien au delà, à orienter les pensées, les modes de raisonnement, et les référentiels culturel, social et intellectuel de nos concitoyens. D’autres stratégies se déploient en ce sens : naturaliser l’ordre social (« il est normal qu'il y ait des riches et des pauvres », par exemple), faire passer l’antiracisme pour un mal moral, l'antisexisme et la normalisation des minorités sexuelles pour une dépravation, le délire pour une liberté (Cf. la funeste chimère du « grand remplacement »), l’idée démocratique pour une tyrannie, et/ou les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité pour des lubies. Cette arme de perversion de la controverse porte en son sein, sans que la société s'en rende vraiment compte, les germes d'une société totalitaire.  Comme le fait dire Lewis Caroll à  Humpty-Dumpty : « ce qui compte, c’est celui qui commande, un point c’est tout ».



Note:

* cette remarque résonne avec ce que j'expliquais de l'usage répété du mot réforme dans une précédent article. Consubstantielle à ce mot, en effet, est la notion d'amélioration. Force est de constater que nombre des « réformes » passées (retraite, hôpital, indemnisation du chômage, pour n'en citer que quelque unes) n'ont malheureusement aucune des caractéristiques qui puisse suggérer une quelconque amélioration de l'objet qu'elle concernaient.


Crédit illustration :

Dessin de Boris pour La gazette de la Mauricie
 

mardi 7 décembre 2021

ÉTRANGES RESSEMBLANCES ENTRE FORGES ET MUNICIPALITÉS « FRONTISTES »



A la recherche d’infos sur les associations, je lisais récemment des articles du Monde, de l’Express, de « Libé » et de « L’Huma » et suis tombé par le jeu des renvois et la magie d’internet sur des articles intéressants qui pourraient montrer l’existence d’étonnantes ressemblances entre les communes dirigées par le Front National, devenu Rassemblement National en 2018*, et la notre. Il me semble important de partager ici ces observations.

Revenons tout d’abord sur les faits. Les lecteurs de ce blog savent à quelle sauce l’actuelle municipalité a tenté, très rapidement après son installation, d’accommoder nombre d’associations forgeoises. Par le biais d’une convention de partenariat, la mairie a essayé d’imposer aux associations des obligations étranges, demandant entre autres et en contre partie de son soutien, le prêt du matériel associatif et l’implication des membres des associations dans les événements organisés par la commune. Idem pour le prêt des salles communales, devenu payantes au delà de deux prêts annuels, une décision, soit dit en passant, discutable au plan juridique, celle-ci n’ayant pas fait l’objet de délibération en conseil municipal, à l'heure où j'écris. Moins visible, la mairie a également fait le vide dans la maison des associations, puisque toutes celles qui y étaient installées en ont été « exfiltrées », parfois du jour au lendemain, à l’exception notable de l’académie de musique moderne (AMM). Encore moins visible, la mairie ne répond que très tardivement à certaines associations, par exemple en regard de demande de prêt de salle quand elle ne les refuse pas sans justification ou pour des raisons douteuses et là aussi parfois illégales.

Curieusement, les associations les plus mal traitées à Forges sont celles œuvrant dans le soutien scolaire, l’aide sociale, la transition environnementale, l’aide aux pays en voie de développement, et la réflexion publique. Pour certaines d’entre elles, une des premières actions de l’actuelle municipalité a été de sensiblement réduire leurs subventions communales. Je ne peux donc m’empêcher ici de citer des extraits des articles de presse qui décrivent la situation dans les communes frontistes, où les offensives anti-association semblent être une règle. Prenons le cas de Mantes la Ville, où le maire a vite ciblé l’association Réflexion et Action Citoyenne (1). Son président disait alors « Le social est en train de mourir à Mantes-la-Ville [...] On a essayé de créer le dialogue mais on ne nous a pas tendu la main ». De même, dans cette commune comme dans d’autres contrôlées par le FN, on n’aime pas trop le vivre-ensemble, et les associations de quartiers sont particulièrement ciblées. Comme le dit un des anciens médiateurs de la commune : « On leur refuse d'organiser des événements, on est passé cette année de trois fêtes de quartier par an, une dans chaque quartier, à une fête tournante ». A noter, il s’agit de témoignages obtenus avant la crise sanitaire ; la CoViD 19 n’y est donc pour rien ! A Mantes, le maire ne veut d’ailleurs plus subventionner certaines associations qui proposeraient des activités dites « déjà présentes » comme l'aide aux devoirs ou la médiation sociale. Tiens tiens… Et il ajoute « je veux au contraire développer notre police municipale » (1). A Forges, on préfère les caméras de sécurité !

On pourrait se dire que Mantes La Ville, ce n’est qu’une commune et qu’il ne faut pas généraliser l’action des maires FN. Malheureusement d'autres communes de même obédience connaissent des dérives identiques (2,3). Je cite : « Dès leur arrivée au pouvoir en 2014, les maires Front National n’ont pas hésité à faire des exemples. La Ligue des droits de l’homme et le Secours populaire ont été et sont toujours les deux associations les plus visées. Neuf jours après son élection, Steeve Briois mettait à la porte la LDH d’Hénin-Beaumont, qu’il jugeait trop « politisée ». [...] A Hayange, dans l’Est, le maire Fabien Engelmann s’en prend depuis plusieurs mois au Secours populaire, considérant, dans un communiqué du 30 septembre dernier, que « madame la présidente (du Secours populaire) et son trésorier ont instrumentalisé l’antenne d’Hayange à des fins politiques [...] ».

Là où le constat devient encore plus intéressant - et inquiétant - c’est lorsque l’on s’intéresse à la face caché de l’iceberg. Je cite toujours : « Car si ces maires médiatisent ces choix, cela masque habilement des stratégies, plus discrètes, de mise au pas généralisée du reste des associations. Les refus de soutien financier ou de prêt de matériel ne se drapent pas toujours d’arguments « politiques ». Il faut creuser pour s’apercevoir que, dans ces trois communes FN, le diable se niche dans les détails. Parmi les méthodes : des obligations inscrites dans les conventions signées entre mairie et association ou bien, plus cynique, la pratique du mépris et de virulentes intimidations via les réseaux sociaux » (2). A Forges, je crois avoir rappelé l’existence d’un contrat cadre de partenariat et des clauses léonines qu’il comporte, que la municipalité a tenté d’imposer aux associations. J’ai également décrit le mépris avec lequel sont traitées certaines associations, ou leurs représentants. Quant aux propos tenus sur les réseaux sociaux, il n’est certes pas question d’intimidations, mais on reviendra plus tard sur ce sujet particulièrement intéressant...

On pourrait bien sur arguer que L’Huma et Libé sont de parti pris. Sans doute. Aussi me suis-je intéressé à un article du Point, journal que l’on ne peut qualifier de « journal de gauche », sauf à se positionner soi-même très à droite de l’échiquier politique. Dans un article de 2016 (4), le Point fait les mêmes constats que ceux faits par Libé, L’Huma ou Basta. Je cite, là aussi « Dans la ville de Moselle [Note : il s’agit d’Hayange], c'est le Secours populaire qui est visé. Fabien Engelmann, le maire FN, lui demande de rendre les clés de son local occupé jusqu'à présent à titre gratuit, car l'association mènerait une  « propagande pro-migrants » [...] Déjà, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) ou Mantes-la-Ville (Yvelines), la Ligue des droits de l'Homme, accusée d'être « politisée », avait été visée. A Fréjus (Var), c'est un centre social qui a été fermé, comme la « Maison du vivre ensemble » à Beaucaire (Gard) [...] A chaque fois, le débat est le même entre exécutifs frontistes et opposants: d'un côté, les édiles d'extrême droite arguent d'une « chasse au gaspi » et d'économies jugées indispensables dans des contextes budgétaires contraints ».

Dans son choix de mise au pas des associations, le maire FN de Hayange, déjà cité, avait décidé de couper l’électricité et le gaz au Secours Populaire (2) au motif que cette associations serait « pro-migrants » en plus d’être « une succursale du Parti communiste » (sic). Il s‘agissait d’en gêner, voire d’en empêcher le fonctionnement. À Forges, deux associations occupent des locaux dans lesquels un des deux cabinets de toilettes est hors service, en raison d’une coupure d’eau et de travaux de réfection de la cuisine entamés par la municipalité voilà plus de 14 mois, et toujours à l’arrêt depuis malgré les multiples relances associatives. Cette coupure d’eau et la mise hors service de l’ancienne cuisine sans volonté de réparation ont le même effet que la coupure d’électricité, à savoir entraver le fonctionnement des associations. Il ne reste disponible dans leurs locaux, en effet, qu’un seul WC et un seul point d’eau, un tout petit lavabo qui sert surtout au lavage des mains. Impossible pour les associations de s’y développer et difficile d’y travailler au quotidien. Étrange parallèle avec la situation lorraine, non ?

Les similitudes ne s’arrêtent pas là. Au Luc, commune dirigée par un élu FN, on constate une valse impressionnante des personnels communaux. Ce sont 4 DGS (directeurs des services) qui ont quitté la commune (3). Dois-je rappeler qu’à Forges, de très nombreux mouvements de personnels ont aussi affecté la commune (5,6) ? Hors des départs en retraite, nous en sommes, en un an et demi de mandat, à deux DGS, à savoir la candidate potentielle et une nouvelle DGS restée en poste quelques mois, plus la nouvelle responsable du service urbanisme, le responsable des services techniques et depuis peu un de ses anciens agents. Indéniablement, un bon rythme !

Au vu de ce qui précède, je pense qu’il existe des similitudes assez surprenantes entre notre commune et des communes « frontistes », mais je vous laisse juge de l’existence ou non d’une gouvernance forgeoise proche par certains aspects de celle de l’extrême-droite. Je dois cependant, pour terminer cet article, mentionner que les élus FN des différentes municipalités évoquées ont tous en commun une haine assez marquée de l’autre, surtout s’il sont étrangers (1, 2). Selon certains d’entre eux « l'installation de camps de migrants situés à proximité des coeurs de ville engendre des tensions graves, nuit à l'ordre public, asphyxie l'économie locale » (7). Ceci pour la version « soft », car les mots parasites, égoïstes ou lâches sont plus souvent employés. Comment dès lors, ne pas se rappeler - et ne pas rappeler - que nombre d’élus de l’actuelle majorité forgeoise - et/ou certains de leurs proches - ont défilé au coté de cadres du Front National lors du pénible épisode de l’installation forcée de migrants à Forges (8) ?


Note :

* l’article se fonde sur des références de 2015 et 2016 en grande partie époque où le FN était le FN, et pas encore le RN, d’où la nomenclature utilisée. Ce qui ne change rien, convenons en, aux idées qu’il propage et à ses méthodes de gouvernance.


Références :

1. Anonyme. A Mantes-la-Ville, le FN fait le tri dans les associations. Libération. Juillet 2015.
Consultable en ligne :
https://www.liberation.fr/france/2015/07/11/a-mantes-la-ville-le-fn-fait-le-tri-dans-les-associations_1346420/

2. Ixchel Delaporte. Comment les maires FN musèlent les associations. L’humanité. Décembre 2016.
Consultable en ligne :
https://www.humanite.fr/comment-les-maires-fn-muselent-les-associations-6287832. 

3. Anonyme. Dans les villes gérées par le RN : budgets sociaux sabrés, démocratie entravée, indemnités des maires augmentées… Basta. Mars 2020.
Consultable en ligne :
https://basta.media/RN-FN-Marine-Le-Pen-extreme-droite-municipales-2020-Henin-Beaumont-identitaires

4. Anonyme ;Dans les mairies FN, une politique sociale et associative ambivalente. Le Point ; octobre 2016.
Consultable en ligne :
https://www.lepoint.fr/politique/dans-les-mairies-fn-une-politique-sociale-et-associative-ambivalente-04-10-2016-2073341_20.php

5. Cascade de départs parmi les cadres communaux de Forges Les Bains.Ce blog : https://dessaux.blogspot.com/2020/10/cascade-de-departs-parmi-les-cadres.html

6. Ambiance, ambiance. Ce blog :
https://dessaux.blogspot.com/2021/01/ambiance-ambiance.html

7. Anonyme. La municipalité FN de Beaucaire adopte une charte anti-migrants. L’Express. Septembre 2016.
Consultable en ligne :
https://www.lexpress.fr/actualite/politique/fn/la-municipalite-fn-de-beaucaire-adopte-une-charte-anti-migrants_1835507.html


8. Gurvan Le Guellec. Migrants à Forges-les-Bains : "Je n'ai aucun préjugé raciste, mais..." L'Obs. Décembre 2016.


Crédit illustration :

Le trésorier du FN et une conseillère de ce parti, pris en photographie, lors de la manifestation à laquelle participaient des élus forgeois et/ou leurs proches, en 2016.

https://www.la-croix.com/France/FN-Wallerand-de-Saint-Just-loue-lattitude-plutot-noble-de-Melenchon-2017-04-28-1300843131